AVANT-PROPOS

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication, à la suite de plusieurs déclarations du Président de la République sur l'autonomie des écoles et des établissements scolaires, a pensé utile de confier une mission d'information sur le sujet à trois rapporteurs.

Dans le cadre de cette mission, ceux-ci ont d'un commun accord décidé de dépasser leurs divergences d'analyses concernant le bien-fondé de l'autonomie des écoles et des établissements scolaires comme outil de réforme de notre système éducatif. Ils n'ont pas davantage souhaité se positionner sur les débats récents quant à la possibilité ou la nécessité d'en élargir le champ. Ils ont unanimement préféré concentrer leurs analyses sur la mise en oeuvre, à droit constant, de l'autonomie des écoles et des établissements scolaires telle qu'elle est rendue possible par le cadre législatif et réglementaire en vigueur.

En effet, une succession de textes, au-delà des alternances politiques, ont depuis 1973 attribué aux écoles et aux établissements scolaires des marges de manoeuvre substantielles en termes d'organisation pédagogique, administrative et financière.

Ainsi, cinquante ans après la première circulaire accordant une certaine marge de manoeuvre pédagogique aux établissements scolaires, les rapporteurs ont souhaité dresser un bilan de l'application des nombreux textes, qui n'ont cessé d'en élargir le champ, de relever les obstacles - nombreux - qui existent et qui parfois se sont renforcés au cours de ces dernières années.

De même, les rapporteurs ont jugé nécessaire d'évaluer l'impact de l'évaluation des écoles et des établissements scolaires, rendue obligatoire par la loi pour une école de la confiance de 2019, ainsi que la mise en oeuvre du fonds d'innovation pédagogique, annoncée par le Président de la République le 25 août 2022 lors de la traditionnelle conférence de rentrée des recteurs. Les rapporteurs se sont aussi attachés à analyser ces mesures au regard de leurs objectifs initiaux et des répercussions concrètes sur les marges d'autonomie des écoles et des établissements scolaires.

En dépassant leurs prises de position divergentes et assumées sur ces sujets, les rapporteurs ont cherché à établir des constats communs et à rédiger 12 recommandations partagées. Celles-ci précisent les moyens nécessaires à l'exercice d'une autonomie réelle des écoles et des établissements scolaires telle qu'elle est prévue par les textes et les conditions permettant de mieux accompagner les équipes pédagogiques à utiliser ces marges de manoeuvre dans un triple objectif de réussite des élèves, d'égalité des chances et de confiance restaurée au bénéfice de ceux qui agissent sur le terrain pour y parvenir.

I. L'EXISTENCE D'UNE AUTONOMIE DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES ANCRÉE DEPUIS LONGTEMPS DANS LES TEXTES

A. UNE IDÉE PORTÉE DEPUIS 50 ANS AU-DELÀ DES ALTERNANCES POLITIQUES

Depuis un demi-siècle, un corpus législatif transpartisan visant à reconnaître une certaine autonomie aux établissements scolaires s'est progressivement mis en place. Cette volonté politique est restée constante au cours des décennies, au-delà des alternances gouvernementales.

1. La circulaire Fontanet, prémices de l'autonomie des établissements scolaires

Les prémices politiques d'une certaine autonomie pour les établissements scolaires ont vu le jour il y a 50 ans, avec la circulaire Fontanet du 27 mars 1973, dite des 10 % culturels. Celle-ci met à disposition des écoles, collèges et lycées 10 % du volume horaire d'enseignement pour des activités pédagogiques décidées localement. Elle reprend l'une des propositions de la commission d'études sur la fonction enseignante dans le second degré, mise en place à la suite des contestations de mai et juin 1968. L'objectif est triple : développer l'interdisciplinarité, encourager le travail en équipe des enseignants et ouvrir les enseignements sur la vie extérieure.

Cette volonté ministérielle se trouve néanmoins rapidement freinée par une interprétation très restrictive faite par certains recteurs. Ainsi, la circulaire du 25 janvier 1974 du recteur de Bordeaux demande d'exclure de la liste des sujets possibles du 10 % culturels « toute activité socio-éducative ou toute étude particulière sur des sujets étrangers à la vie scolaire normale ». La circulaire du 30 janvier 1974 du recteur de Toulouse vise à interdire toute réunion qui aurait pour objet de « rassembler des élèves avec des personnes étrangères ou non à l'établissement (représentants d'association ou autres) »1(*) - limitant d'autant l'objectif d'ouverture des enseignements sur l'extérieur.

2. Une consécration législative dès 1975

L'inscription dans la loi du principe d'une marge d'autonomie pour les écoles et les établissements scolaires est issue de l'article 8 de la loi n° 75-620 du 11 juillet 1975 relative à l'éducation, dite loi Haby, qui consacre, « dans les limites arrêtées par le ministre de l'éducation nationale » une autonomie dans le domaine pédagogique.

Le décret n° 76-1303 du 28 décembre 1976 prévoit les modalités concrètes de cette autonomie. Celle-ci s'exprime dans quatre domaines qui sont toujours d'actualité : l'organisation du collège en classes et groupes ainsi que les modalités de répartition des élèves ; l'emploi des heures d'enseignement mis à la disposition des établissements, dans le respect des programmes ; le choix de sujets d'études spécifiques à l'établissement, en complément des programmes nationaux ; et enfin des activités facultatives « qui concourent à l'action éducative ».

3. La loi Chevènement de 1985 : la création des établissements publics locaux d'enseignement

La loi n° 85-97 du 25 janvier 1985, dite loi Chevènement, crée le statut d'établissements publics locaux d'enseignement et pose les bases de l'administration des collèges et lycées. Les articles actuels L. 421-1 et suivants du code de l'éducation relatifs à l'organisation administrative et financière des collèges et des lycées en sont les héritiers. Cette loi instaure le conseil d'administration, présidé par le chef d'établissement. Celui-ci dispose depuis cette date d'une double qualité : représentant de l'État et autorité exécutive du conseil d'administration2(*).

Dès 1985, la loi fixe la composition du conseil d'administration des collèges et lycées qui est restée, dans ses grandes lignes, inchangée : celui-ci, composé de 24 ou 30 membres, comprend pour un tiers des représentants des collectivités territoriales, de l'administration de l'établissement et une ou plusieurs personnes qualifiées, pour un tiers des représentants élus du personnel de l'établissement et pour un tiers des parents d'élèves et élèves. Son rôle est essentiel : il « fixe les principes de mise en oeuvre de l'autonomie pédagogique et éducative, dont disposent les établissements dans les domaines définis » par les textes. Par ailleurs, il délibère chaque année sur le rapport relatif au fonctionnement pédagogique de l'établissement, les résultats obtenus et les objectifs à atteindre. Il adopte le budget et le compte financier de l'établissement.

Les modalités d'élaboration du budget des collèges et lycées (art. L. 421-11 du code de l'éducation) sont également restées les mêmes dans leurs grandes lignes depuis 40 ans (cf. ci-après).

4. La loi d'orientation sur l'éducation de 1989 : l'apparition du projet d'établissement

L'article 18 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'école prévoit l'obligation pour chaque école, collège, lycée d'enseignement général et technologique ainsi que professionnel, d'élaborer un projet d'établissement. Celui-ci, qui dès l'origine intègre un volet « évaluation », doit définir les « modalités particulières de mise en oeuvre des objectifs et des programmes nationaux ». Adopté par le conseil d'administration, ou pour le premier degré par le conseil d'école, le projet d'établissement associe les membres de la communauté éducative, et notamment l'équipe pédagogique pour ce qui concerne le volet pédagogique du projet. La rédaction actuelle de l'article L. 401-1 du code de l'éducation relatif au projet d'école ou d'établissement découle directement de la loi de 1989. Ont été ajoutés en 2005 le principe d'une révision périodique, tous les trois à cinq ans, du projet ainsi que l'association des parents d'élèves à son élaboration.

Les projets d'établissement ont un rôle important à jouer dans la réussite des élèves et le climat scolaire. Il doit être un document fédérateur de l'ensemble de la communauté éducative, issu d'un travail collectif, ancré dans un territoire et tenant compte des spécificités et des besoins des élèves fréquentant l'établissement.

5. La loi d'orientation sur l'avenir de l'école de 2005 : la création du conseil pédagogique

La loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programmation pour l'avenir de l'école institue au sein de chaque Établissement public local d'enseignement (EPLE) un conseil pédagogique. Sa création s'inscrit dans l'autonomie pédagogique et éducative dont disposent les établissements. Présidé par le chef d'établissement et réunissant au moins un professeur principal de chaque niveau d'enseignement et au moins un professeur par champ disciplinaire, le conseil pédagogique prépare la partie pédagogique du projet d'établissement. Il est également chargé de coordonner les enseignements, la notation et l'évaluation des activités scolaires.

Dans l'esprit du législateur, la création du conseil pédagogique doit contribuer à renforcer le rôle pédagogique du chef d'établissement, dans la lignée du protocole d'accord de 2000 relatif aux personnels de direction : ce dernier a notamment confié au chef d'établissement la responsabilité « d'impulser et conduire une politique pédagogique et éducative d'établissement au service de la réussite des élèves ». Le rapport de notre ancien collègue Jean-Claude Carle sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école rappelait que le conseil pédagogique devait proposer un programme d'accueil des enseignants stagiaires ainsi que des actions locales de formation continue des maîtres, ce qui « va dans le sens d'un renforcement de la cohésion des équipes éducatives, clé essentielle pour la réussite d'un établissement »3(*).

Cette loi a également généralisé la contractualisation dans les EPLE en instaurant le contrat d'objectifs. Il est élaboré après un dialogue avec l'autorité académique. Ce contrat définit les objectifs à atteindre par l'établissement pour satisfaire aux orientations nationales et académiques. Il mentionne également les indicateurs qui doivent permettre la réalisation de ces objectifs.


* 1 « Les 10 % pédagogiques : la liberté premier pas vers l'autonomie », Le Monde, 3 juillet 1974.

* 2 Art. L. 15-7 de la loi Chevènement devenue article L. 421-3 du code de l'éducation : « Il représente l'État au sein de l'établissement. Il préside le conseil d'administration et exécute ses délibérations ».

* 3 Rapport n° 234 sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, 2004-2005.