IV. L'ÉCOLE DU FUTUR ET LE VOLET ÉDUCATION DU CONSEIL NATIONAL DE REFONDATION : DES INJONCTIONS DESCENDANTES NON PRÉPARÉES

A. UNE VOLONTÉ POLITIQUE AU PLUS HAUT NIVEAU POUR FAIRE ÉMERGER DES PROJETS INNOVANTS DEPUIS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES

Lors de son discours à Marseille le 2 septembre 2021, le Président de la République a annoncé vouloir faire de certaines des écoles de la ville « un laboratoire de liberté et de moyens, un projet pédagogique qui est adapté aux élèves ». Il s'agit d'écoles dans lesquelles « on pourra donc adapter, repenser les projets d'apprentissage, les rythmes scolaires, les récréations, la durée des cours, les façons d'enseigner » : « l'idée est simple : donner plus de libertés pour obtenir plus de résultats ». Un budget de 2,5 millions d'euros est consacré au soutien et au financement de ces projets innovants.

Ce sont initialement 59 écoles maternelles, élémentaires et primaires, sur les 470 écoles de la ville, qui se sont lancées dans cette démarche, à la rentrée 2021, soit selon les informations transmises par le ministère de l'éducation nationale environ 700 enseignants et 11 000 élèves concernés, dont seulement 65 % sont scolarisés dans un établissement scolaire relevant de l'éducation prioritaire. Actuellement, selon les derniers chiffres transmis aux rapporteurs par le recteur de l'académie d'Aix-Marseille, 89 écoles marseillaises participent à cette démarche.

Le projet marseillais « école du futur » comporte deux volets : le premier concerne le soutien à des projets pédagogiques innovants dans six domaines d'expérimentation : espaces pédagogiques innovants, sciences et mathématiques, arts et cultures, sport et citoyenneté, langues vivantes, éducation au développement durable.

Le deuxième concerne le recrutement des enseignants : lorsqu'un poste est vacant, celui-ci est transformé en poste à profil. Les enseignants peuvent postuler sur ces postes, la sélection étant ensuite faite par une commission départementale composée d'un inspecteur de l'éducation nationale, du directeur de l'école concernée et d'un enseignant de l'école, qui émet un avis favorable ou défavorable sur chaque candidature. Ce volet est source de nombreuses critiques et interrogations auprès des enseignants. Lors de son audition, Virginie Akliouat, secrétaire départementale du SNUIPP-FSU des Bouches-du-Rhône, a notamment souligné que la procédure de recrutement via des postes à profil correspond normalement à des postes demandant des compétences spécifiques. Or, « dans le cas présent, ce sont des compétences ordinaires qui sont demandées, ce qui introduit une part non négligeable de subjectivité dans le choix de la personne ».

Dès juin 2022, avant même la fin de l'expérimentation et d'analyses des résultats sur la réussite des élèves - contrairement aux propos du Président de la République16(*) - celle-ci a fait l'annonce d'une généralisation à l'ensemble du territoire, dans le cadre du CNR.

Enfin, un fonds pour l'innovation pédagogique doté de 500 millions d'euros sur le quinquennat, destiné à financer des innovations à l'initiative des écoles et établissements scolaires, a été annoncé par le Président de la République le 25 août 2022 lors de la conférence des recteurs.

« L'école du futur », « Marseille en Grand », « Notre école, faisons-là ensemble » : trois programmes distincts autour de l'école

Le programme « l'école du futur » se distingue de « Marseille en grand ». Alors que le premier concerne l'innovation pédagogique, le deuxième porte, en matière scolaire, sur la rénovation du bâti scolaire marseillais, dont certains sont très fortement dégradés.

Dans le cadre de « Marseille en Grand », une enveloppe de 1,2 milliard d'euros sur 10 ans est allouée à la rénovation des 470 écoles de la ville. 845 millions d'euros sont prévus, abondés à hauteur de 400 millions d'euros par l'État et 445 millions d'euros par la ville (fonds propres, emprunt, mais aussi fonds vert, DSIL, fonds européens...) pour rénover les 188 écoles les plus dégradées. À cela s'ajoute une enveloppe de 386 millions d'euros de la ville sur dix ans, pour la rénovation courante des 290 autres écoles (correspondant à l'investissement moyen annuel nécessaire de 40 millions d'euros pour ces entretiens et améliorations).

Il existe cependant des confusions auprès des acteurs locaux entre ces deux programmes. Celles-ci s'expliquent en partie par le fait que les annonces du Président de la République le 2 septembre 2021 devaient initialement porter sur le volet bâti scolaire et non le volet pédagogique. S'y est ajouté, selon Virginie Akliouat, un discours initial au rectorat indiquant que les deux dispositifs étaient conditionnés : pour pouvoir intégrer « Marseille en grand » et bénéficier d'une rénovation du bâti scolaire, l'école devait s'inscrire dans la démarche des projets innovants.

« Notre école, faisons-là ensemble » est le volet éducation du conseil national de la refondation, lancé le 8 septembre 2022 par le Président de la République. Il vise à faire émerger, au niveau local, des initiatives pour améliorer la réussite et le bien-être des élèves et réduire les inégalités scolaires. Les projets qui nécessitent un soutien financier peuvent bénéficier du fonds pour l'innovation pédagogique, doté de 500 millions d'euros sur l'ensemble du quinquennat.

La coexistence de ces trois programmes est source de confusion, y compris au sein du ministère. En témoigne l'exemple du projet de l'école du Rouet de Marseille, présenté par le CNR éducation dans sa brochure de présentation des premiers projets innovants. Il y est mentionné que le projet est financé dans le cadre de « Marseille en Grand ».


* 16 « On pourra donc adapter, repenser les projets d'apprentissage, les rythmes scolaires, les récréations, la durée des cours, les façons d'enseigner, et qu'on puisse commencer dès la rentrée 2022-2023. Et évaluer ensuite ces résultats et, s'ils sont concluants, les généraliser. »