N° 123

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 novembre 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) relatif aux enjeux et perspectives de l'intercommunalité
en Polynésie française,

Par Mmes Françoise GATEL et Agnès CANAYER,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Françoise Gatel, présidente ; M. Rémy Pointereau, premier vice-président ; Mme Agnès Canayer, MM. Cédric Vial, Fabien Genet, Mme Corinne Féret, MM. Éric Kerrouche, Gérard Lahellec, Mme Guylène Pantel, MM. Didier Rambaud, Pierre Jean Rochette, Grégory Blanc, vice-présidents ; MM. Jean Pierre Vogel, Laurent Burgoa, Bernard Delcros, Hervé Gillé, secrétaires ; M. Jean-Claude Anglars, Mme Nadine Bellurot, MM. Guy Benarroche, François Bonhomme, Max Brisson, Mme Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Cédric Chevalier, Thierry Cozic, Mme Catherine Di Folco, MM. Jérôme Durain, Daniel Gueret, Pascale Gruny, MM. Joshua Hochart, Patrice Joly, Mmes Muriel Jourda, Sonia de La Provôté, Anne-Catherine Loisier, M. Jean-Jacques Lozach, Pascal Martin, Jean-Marie Mizzon, Franck Montaugé, Mme Sylviane Noël, MM. Olivier Paccaud, Hervé Reynaud, Jean-Yves Roux, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Lucien Stanzione, Jean-Marie Vanlerenberghe.

L'ESSENTIEL DU RAPPORT

Encourager l'intercommunalité

en Polynésie Française

De Mme Françoise GATEL, Présidente de la délégation et Sénateur d'Ille-et-Vilaine (Union Centriste) et Mme Agnès CANAYER, Vice-présidente de la délégation et Sénateur de la Seine-Maritime (apparentée Les Républicains)

La délégation du Sénat aux collectivités territoriales et à la décentralisation a mené, à la demande du président du Sénat, à l'invitation de Mme Lana TETUANUI, sénatrice de Polynésie française et en lien avec la délégation du Sénat aux outre-mer, une mission en Polynésie française, du 16 au 26 février 2023 comprenant Mme Agnès CANAYER et M. Jean-Michel HOULLEGATTE, ancien Sénateur de la Manche (Socialiste, Écologiste et Républicain) et conduite par Mme Françoise GATEL.

Cette mission visait à faciliter le partage d'expériences autour de l'intercommunalité, en identifiant les bonnes pratiques et en encourageant leur diffusion, et à formuler quelques recommandations en ce sens.

Une collectivité à l'échelle de l'Europe

Comprenant environ 118 îles, d'origine volcanique ou corallienne, la Polynésie française correspond à une superficie émergée de 4 200 km² et à une zone économique exclusive de 4 804 000 km² (47,14 % de la surface totale des ZEE françaises). Dispersé sur 2 500 000 km², soit un espace équivalent à la superficie de l'Europe, le territoire de la Polynésie française est composé de cinq archipels regroupant 281 674 habitants.

I. UN BLOC COMMUNAL FRAGILE OÙ L'INTERCOMMUNALITÉ TENT À ÊTRE PERCUE COMME UN ACCÉLÉRATEUR DE DÉVELOPPEMENT LOCAL

A. Les communes récentes et encore fragiles

À l'exception du Pays - fenua -, la Polynésie française ne compte qu'une seule autre catégorie de collectivités territoriales : les communes. Elles procèdent de la loi n° 71-1028 du 24 décembre 1971. Elles sont au nombre de 48, parmi lesquelles on retrouve 18 communes « de droit commun » et 30 communes qui regroupent 98 « communes associées ».

Les communes polynésiennes ne sont compétentes que dans neuf matières énumérées par le I de l'article 43 de la loi organique de 2004. Le II de cet article soumet l'exercice, par les communes, de huit autres compétences à l'adoption d'une loi par le Pays. La clause générale de compétence des communes prévue par l'article L. 2121-29 du CGCT, n'a en Polynésie française qu'une portée extrêmement limitée. Elle permet aux communes d'intervenir dans les domaines prévus par le II de l'article 43 de la LO uniquement à titre subsidiaire des matières réservées à l'État ou du Pays, et en raison d'un intérêt public communal (CE, sect. intérieur, avis, 24 nov. 2015, n° 390576).

En matière de moyens financiers, les communes polynésiennes ont aussi une faible capacité. Elles dépendent essentiellement du financement de l'État et des transferts du budget de la Polynésie française dont le montant annuel reste source de contentieux. En moyenne, le fonds intercommunal de péréquation (FIP) représente 42 % des recettes de fonctionnement et 38 % des recettes d'investissement des communes polynésiennes1(*).

B. Une intercommunalité en expansion rapide malgré les difficultés rencontrées

Toutes les communes polynésiennes adhèrent à une structure de type intercommunale. Depuis 10 ans, le nombre de créations est qualifié « d'exponentiel » par le Syndicat pour la Promotion des Communes de la Polynésie française (SPCPF) qui est un établissement public regroupant des communes et qui assure pour leur compte certaines prestations ou compétences transférées. L'intercommunalité prend plusieurs formes : communautés de communes, syndicats de communes, syndicats mixtes ouverts (SMO) ... Il existe aussi plusieurs initiatives au stade de projet comme par exemple le projet de communauté de communes des îles des Tuamotu-Gambier, le projet de communauté de communes des îles Australes ou encore le projet de transformation de la communauté de communes des Marquises en « communauté d'archipel ».

Ce développement de l'intercommunalité se fait en dépit de plusieurs difficultés :

- une géographie faite d'insularités, de distances et d'éloignement qui ne favorisent pas les dynamiques de rapprochement et rendent même la logique de mutualisation de moyens humains et matériels parfois inopérante ;

- une fiscalité communale quasi-inexistante. La Polynésie française est compétente depuis 2004 pour instituer des impôts ou taxes spécifiques aux communes, mais elle n'a pas exercé cette compétence. Il semble même inadéquat de qualifier les communautés de communes polynésiennes d'EPCI à fiscalité propre, dès lors que les communes ne peuvent pas transférer de fiscalité à l'établissement qu'elles créent ;

- une faiblesse des moyens humains et de l'ingénierie. Malgré des progrès constatés depuis la création du Centre de gestion et de formation (CGF) il y a un peu plus de 10 ans, le bloc communal manque encore de moyens humains et de compétences tant en administration et gestion, en management et encadrement intermédiaire, qu'en conduite de projet ;

- une appropriation encore récente du fait intercommunal. L'intercommunalité est parfois perçue par certains maires et élus locaux comme un risque classique de dessaisissement de leur pouvoir du fait du transfert de compétences.

C. Mais une détermination des élus locaux de prendre leur développement en main

Malgré ces difficultés, la commune est l'institution de base pour les habitants et l'interlocuteur du quotidien. Les communes sont l'acteur essentiel de délivrance de service public, la cellule de référence de la vie politique de proximité, le vecteur de continuité territoriale dans l'émiettement de la géographie physique. Sur la plupart des îles, la commune est la seule institution présente. Le tavana, le maire en tahitien, est une figure connue, reconnue et respectée par toute la communauté. Il faut relever que, comme en métropole, la crise sanitaire a constitué, pour ceux qui en doutaient, le révélateur de la pertinence de cet échelon local.

En dépit de difficultés objectives d'exercice des compétences, vos rapporteurs ont constaté dans leurs déplacements que les élus locaux et leurs équipes des différents archipels portent une grande détermination à développer leurs projets et que l'intercommunalité est vue comme un vecteur de développement collectif.

Vos rapporteurs sont convaincus que le bloc communal est l'échelle pertinente pour conduire le développement local au plus près des aspirations des populations là où le Pays peut paraître un niveau d'administration plus distant des enjeux quotidiens et moins au fait des préoccupations locales. L'Agence Française de Développement (AFD) rappelle par exemple dans l'édition 2022 de l'observatoire des communes de Polynésie française : « face aux défis de la transition écologique, les collectivités locales auront un rôle décisif dans les secteurs de l'eau et de l'énergie notamment ».

II. LES 15 RECOMMANDATIONS DE LA MISSION POUR ENCOURAGER L'INTERCOMMUNALITÉ

A. Promouvoir l'intercommunalité pour accompagner les élus dans leurs ambitions de développement local

Ø Promouvoir l'intercommunalité grâce à une démarche d'information et de présentation aux élus locaux : document détaillant les intérêts, enjeux et opportunités et les méthodes d'élaboration d'un projet intercommunal, rencontres par territoire du représentant de l'État avec les maires ; échanges d'expérience directs entre élus...

Ø Mettre en place une cellule d'appui technique à la réalisation d'un projet de territoire intercommunal et au développement de l'action intercommunale (notamment faisabilité des projets de création de structures intercommunales) animée par une équipe SPCPF / Haut-commissariat.

Ø Débattre entre élus locaux sur les périmètres des syndicats et intercommunalités afin d'optimiser à l'avenir ce paysage.

B. Permettre au bloc communal de se développer

Ø Doter toutes les communes et communes associées d'un système de visio-conférence et promouvoir son usage.

Ø Autoriser une forme à définir d'organisation de l'exercice des compétences selon le principe de subsidiarité et encourager le Pays à déléguer ses compétences vers le bloc communal lorsque c'est le souhait de ce dernier.

Ø Expérimenter, pour les archipels qui le souhaitent et qui disposent déjà d'une structure intercommunale qui fonctionne, la création d'EPCI d'archipel, doté d'un statut dérogatoire, avec des compétences et une organisation dédiées. Ce type de statut existe dans l'hexagone, comme par exemple pour la métropole de Lyon.

C. Inciter les acteurs institutionnels à accompagner le mouvement de l'intercommunalité

Ø Encourager le Pays à étudier des modalités de déconcentration renforcée de ses services.

Ø Améliorer le dialogue local entre le Pays et les collectivités, notamment en veillant à donner aux tavana hau (administrateurs du Pays au niveau local) délégations nécessaires et autorité sur les services déconcentrés.

Ø Faire recenser l'ingénierie publique et privée disponible en Polynésie française par les services du Haut-commissariat et animer un dialogue entre les élus et les acteurs de l'ingénierie.

Ø Étudier les modalités d'extension de l'intervention de l'ANCT dans les territoires ultramarins dont la Polynésie française.

Ø Instaurer, dans le contrat de projets État / Pays, un volet tripartite intégrant les communautés de communes.

Ø Prioriser le soutien financier vers les projets portés par les intercommunalités plutôt que par des communes seules.

Ø Étudier la possibilité de financer une indemnité d'éloignement et de conditions de retour pour les fonctionnaires territoriaux originaires de Polynésie française.

D. Rendre plus lisible et plus simple le droit applicable

Ø Étudier les 42 propositions effectuées par le SPCPF et les communes polynésiennes disponibles en annexe relatives aux difficultés d'application de certains points du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT).

Ø Mettre en ligne une version consolidée, à jour des textes applicables, ainsi que les versions antérieures, sous la forme d'un « code éditeur » afin de rendre intelligible l'application du Code général des collectivités territoriales en Polynésie française.

Ø Instaurer une commission au niveau du Pays composée de représentants du Pays, de l'État, d'élus locaux et d'un panel d'habitants avec l'apport de juristes, pour faire des propositions relatives aux chemins privés à mettre en débat au niveau local.

LES RAPPORTEURS

 
 

Françoise GATEL

Présidente de la Délégation

Sénateur d'Ille-et-Vilaine

(Union centriste)

Agnès CANAYER

Vice-Président de la délégation

Sénateur de la Seine-Maritime

(Les Républicains)

Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation : http://www.senat.fr/commission/decentralisation/index.html

Lien vers le rapport :
https://www.senat.fr/notice-rapport/2023/r23-123-notice.html


* 1 Source : https://www.polynesie-francaise.pref.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Accompagnement-des-communes/Soutien-financier-de-l-Etat/Le-fonds-intercommunal-de-perequation-FIP/Presentation-du-FIP

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