EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 5 MARS 2024

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M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Après neuf mois de travaux, nous avons l'honneur, avec François-Noël Buffet, de vous présenter aujourd'hui les conclusions de la mission conjointe de contrôle sur les pressions, menaces et agressions dont sont victimes les enseignants et les équipes administratives des établissements scolaires, que vous avez bien voulu nous confier en juin dernier.

Vous le savez, cette mission a vu le jour à la suite d'un courrier adressé par Mickaëlle Paty, la soeur de Samuel Paty, au président du Sénat. L'audition de celle-ci, devant nos deux commissions, fut d'ailleurs un moment particulièrement marquant des travaux menés ces derniers mois.

Ces travaux nous permettent aujourd'hui de dresser un constat sans appel : l'école de la République est en danger !

L'institution scolaire continue certes à jouer un rôle central dans la transmission des valeurs de la République ; c'est d'ailleurs l'une des missions que lui confie la loi, avec la transmission des connaissances. Mais on constate, ces dernières années, une hausse alarmante du nombre de remises en cause de ces valeurs, que ce soit par l'intermédiaire de contestations d'enseignement comme à l'occasion de la vie quotidienne des établissements.

À cet égard, il me semble important de souligner deux points. D'une part, les contestations d'enseignement ne se limitent pas à quelques matières identifiées depuis longtemps, comme l'histoire-géographie ou les sciences de la vie et de la terre (SVT) : la quasi-totalité des disciplines fait désormais l'objet de contestations. On nous a ainsi donné des exemples de remises en cause intervenues à l'occasion de cours de musique, de dessin, de lettres, de sport, ou encore de sciences économiques et sociales.

Par ailleurs, tout établissement scolaire peut y être confronté. Près d'un quart des enseignants du secondaire dans des territoires ruraux ont indiqué avoir observé au moins une contestation d'enseignement au cours des années scolaires 2021-2022 et 2022-2023. Cette proportion est la même dans les établissements plus favorisés.

Au-delà d'une approche par matière ou par territoire, nous avons été surpris de constater le décalage existant entre le principe de laïcité tel que voulu par les institutions et sa perception par ceux auxquels il s'applique. Censée garantir la stricte neutralité dans l'espace scolaire et participer à l'idéal émancipateur de l'école, la laïcité est perçue par un nombre désormais élevé et croissant d'élèves comme une interdiction et un principe conçus contre les religions. Plus grave, la défense de la laïcité se délite aussi chez les adultes des établissements, par manque de connaissance, voire de conviction !

Certains jeunes enseignants s'interrogent sur l'utilité de la laïcité et de l'application de règles spécifiques en milieu scolaire. À l'instar d'une partie de la société, ils ont été bercés par l'émergence de termes tels que « laïcité ouverte » ou « laïcité plurielle ». Il n'est d'ailleurs pas rare qu'ils assimilent purement et simplement laïcité et tolérance !

Certes, la laïcité et les valeurs de la République ont été désignées par le ministère comme une priorité nationale. Mais nos travaux nous ont permis de constater qu'elles restent malgré tout des non-dits au quotidien dans les établissements scolaires, sauf en cas de problème. Nous estimons qu'il est donc urgent de passer d'une position défensive à sa promotion par l'intermédiaire d'une démarche proactive. Pour cela, nous avons identifié quatre axes.

Il s'agit, tout d'abord, de permettre au ministère de l'éducation nationale de reprendre la main sur la formation initiale des enseignants.

L'enjeu est à la fois double et crucial. Il faut, d'une part, s'assurer de l'adéquation entre cette formation initiale et les attentes du futur employeur sur ce que doit être un « enseignant aujourd'hui ». Mais il importe également que cette formation corresponde aux réalités du terrain. Je prendrai un seul exemple : un jeune enseignant nous a indiqué ne pas avoir été formé dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) à la gestion des conflits avec les parents, mais seulement à la gestion des conflits avec les élèves. Dans la situation actuelle, ce n'est plus acceptable !

Nous proposons également d'accentuer les efforts concernant la formation continue.

Le ministère s'est fixé un objectif ambitieux : former l'ensemble de ses personnels à la laïcité en cinq ans. Un vaste plan de formation est en cours de déploiement et rencontre de premiers résultats positifs. Mais, selon les académies, il existe d'importantes différences entre les taux de formation continue des personnels. Il convient d'y mettre un terme !

Par ailleurs, la promotion de la laïcité ne peut plus être portée par les seuls personnels traditionnellement en prise, au quotidien, avec sa remise en cause : je pense notamment aux conseillers principaux d'éducation (CPE) ou aux enseignants d'histoire-géographie. Il faut au contraire renforcer la culture collective au sein de l'établissement sur cette thématique.

Enfin, il est nécessaire de combler les « trous dans la raquette » dans l'application de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. En 2022, une très forte augmentation du nombre d'élèves portant une abaya ou un qamis a été constatée. L'interdiction de ces vêtements à la rentrée 2023, à la suite d'une décision du ministre, était bienvenue. La clarté du message politique a d'ailleurs été saluée par l'ensemble des chefs d'établissement que nous avons rencontrés et qui souhaitaient que leur soit adressé un message clair et simple.

Il semble néanmoins important de prendre en compte l'esprit de cette loi et d'inclure les événements auxquels participent les élèves, y compris en dehors du temps scolaire. Je pense aux sorties scolaires le soir - par exemple, une pièce de théâtre -, ou encore à la remise d'un prix pour un concours organisé par l'éducation nationale ou en partenariat avec celle-ci.

Le champ de nos investigations ne s'est pas limité à la remise en cause de la laïcité, qui ne constitue qu'une partie des menaces dont font l'objet les enseignants, comme ceux d'entre vous qui ont participé aux auditions ont pu le constater. De manière générale, il semble que la violence soit endémique à l'école. La problématique n'est pas nouvelle : le premier plan de lutte contre celle-ci date de 1989. Mais elle connaît, ces dernières années, une ampleur croissante et généralisée. Pendant longtemps épargné, le premier degré est désormais touché.

Pour bien saisir l'ampleur du phénomène, il est important de s'intéresser aux nombres absolus. En effet, le recours aux pourcentages, porte d'entrée traditionnelle du ministère, tend à en minimiser la portée.

En 2021 , 3 % des enseignants du premier degré ont déclaré avoir fait l'objet d'une bousculade intentionnelle ou de coups et blessures ; cela représente 11 200 enseignants. Dans le second degré, en 2019, 17 200 enseignants déclaraient avoir été victimes de bousculades intentionnelles ou de coups et blessures, et 37 700 avoir reçu des menaces avec ou sans objet dangereux. Enfin, 0,2 % des enseignants des collèges et lycées déclarent avoir été menacés avec une arme : cela représente plus ou moins 900 enseignants, soit 9 par département, ou encore 3 à 4 enseignants ainsi menacés chaque semaine de cours. Ces chiffres sont loin d'être anecdotiques ! Pour reprendre les mots d'une personne auditionnée, « les agressions sont désormais quotidiennes et constituent une anormalité dans la normalité ».

Nouvelle forme de violence, les réseaux sociaux amplifient les menaces dont sont victimes les enseignants. Aujourd'hui, tout agent public de l'éducation nationale peut se retrouver désigné à la vindicte populaire à la suite d'un message posté par un élève, un parent d'élève ou même un tiers.

L'explosion du nombre de pressions et de menaces intervient dans un contexte d'isolement traditionnel des enseignants ; c'est la figure du professeur seul face à sa classe. D'ailleurs, moins de 60 % des enseignants du secondaire public ont l'impression de faire partie d'une équipe. Or, aujourd'hui, cet isolement assumé s'est transformé en solitude pesante.

Les parents y ont leur part de responsabilité : la coéducation prônée par les textes a progressivement été dévoyée. L'école se retrouve alors écartelée entre, d'une part, des parents dépassés qui en demandent de plus en plus à l'école et, d'autre part, des parents trop intrusifs. Ceux-ci somment les enseignants de s'expliquer sur les notes données à leurs enfants, les choix de documents pédagogiques, ou contestent les punitions. Certains enregistrent les conversations avec les enseignants ou le personnel administratif pour pouvoir ensuite les utiliser comme preuve contre eux. Il n'est plus rare pour les chefs d'établissement de recevoir des courriers d'avocats remettant en cause une sanction disciplinaire prononcée contre un élève. La situation est telle que des enseignants et des personnels administratifs nous ont indiqué ne plus recevoir d'élèves ou de parents sans témoin.

Se pose bien entendu la question du soutien des enseignants par leur hiérarchie, un sujet qui est apparu au grand jour sous les termes « pas de vague » il y a plus de sept ans. Ce qui frappe surtout, c'est la profonde coupure entre les agents de l'éducation nationale dans les établissements scolaires et ceux qui travaillent dans les services centraux ou au rectorat.

Cette augmentation du nombre de contestations, le manque de formation conduisant à un sentiment de malaise pour aborder certains sujets, ce sentiment d'absence de soutien de leur hiérarchie expliquent sans doute la hausse du nombre d'enseignants qui déclarent s'autocensurer : 56 % d'entre eux dans le secondaire ont déclaré l'avoir fait en 2021 pour éviter de possibles incidents sur les questions de religion, contre 36 % en 2018.

Enfin, les enseignants ont été profondément ébranlés par les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard. Il existe désormais une peur : le passage à l'acte à la suite d'une menace verbale est désormais perçu comme une éventualité. Ce constat appelle plusieurs axes d'action.

Tout d'abord, il convient d'apporter une réponse cohérente et systématique face à tout acte commis contre un personnel de l'éducation nationale. Une menace contre un personnel doit faire l'objet de la même réponse dans tous les établissements scolaires. Pour cela, nous proposons qu'il y ait un partage, à l'échelle nationale, du registre des sanctions que doit tenir chaque établissement, et qui recense de façon anonyme les sanctions prononcées avec l'énoncé et les circonstances des faits.

Ensuite, les élèves hautement perturbateurs doivent être mieux pris en charge, au sein de structures d'accueil dédiées. Il en existe quelques-unes à l'échelle du territoire, comme les classes ou internats relais. Il convient d'augmenter leur nombre.

Il faut également responsabiliser les parents et leur rappeler le respect qu'ils doivent, ainsi que leurs enfants, à l'institution scolaire. Pour ce faire, nous proposons une information systématique, en début d'année, sur les prérogatives de l'enseignant et le caractère obligatoire des programmes. Je tiens à le dire avec force : les programmes ne se discutent pas au sein de l'établissement scolaire ; ils s'appliquent ! Cette information se concrétiserait par la signature d'une charte des parents.

Par ailleurs, nous souhaitons faciliter le recours au protocole d'accompagnement et de responsabilisation. Ce document, qui indique l'engagement des parents pour faire évoluer le comportement de leur enfant, ne peut aujourd'hui être mis en place qu'après la deuxième exclusion définitive au cours d'une même année scolaire. Nous proposons sa signature dès la première exclusion.

Enfin, le non-respect répété des règles de vie collective par l'élève et des engagements pris par les parents dans le cadre de ce protocole pourrait faire l'objet d'une sanction pénale, comme c'est le cas pour le non-respect de l'obligation d'assiduité scolaire.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Ce qui m'a le plus frappé lors des travaux menés par notre mission, notamment lors de nos déplacements sur le terrain, c'est la solitude des membres du personnel éducatif face à un quotidien marqué par les tensions, voire les conflits. Leur isolement n'a probablement d'égal que leur engagement au service de leurs élèves et de l'école de la République.

Créer les conditions d'une réponse collective de la communauté éducative aux violences, afin qu'aucun de ses membres ne connaisse le terrible isolement dont Mme Mickaëlle Paty nous a dit qu'il avait marqué les derniers jours de son frère, est l'un de nos objectifs, sinon le premier d'entre eux.

Comme l'a rappelé le président Lafon, les enseignants et l'ensemble du personnel éducatif sont aujourd'hui confrontés à des formes très variées de pressions et d'agressions, allant de l'insulte misogyne à l'agression physique, en passant par la menace et la contestation de certains enseignements. S'ajoutent à cette violence du quotidien, dont les chiffres sont vertigineux, les actes de terrorisme islamique dont l'actualité récente a, hélas, donné un nouvel exemple. Ce terrorisme est lui-même en train de se banaliser : en témoigne la diffusion de l'usage, par certains élèves, de la menace proférée à un enseignant de lui « faire une Paty » - usage d'autant plus choquant qu'il est parfaitement conscient et assumé.

La montée de revendications identitaires et communautaires, de manifestations de l'islam radical et de certaines nouvelles formes de spiritualité ne doit pas non plus être ignorée. Elle est favorisée par l'effet amplificateur et déstabilisateur des réseaux sociaux, à l'origine de défis et de rumeurs qui sont autant de provocations instrumentalisées par des groupes de pression.

Au sein des établissements, c'est l'ensemble du personnel qui est susceptible d'être touché par cette violence. Les enseignants sont naturellement et malheureusement en première ligne. Il faut également mentionner les chefs d'établissement, pris à partie directement par les parents qui surgissent de manière inopinée dans leur bureau ; les conseillers principaux d'éducation face à qui les élèves, et de plus en plus leurs parents, contestent le bien-fondé d'une sanction ; les surveillants, qui se trouvent au coeur de la mêlée des cours de récréation ; les agents d'accueil, personnels des collectivités territoriales qui, depuis leur loge, sont souvent au contact direct de la rue et donc très vulnérables face à des parents d'élèves, voire à des personnes parfaitement extérieures à l'établissement, qui souhaiteraient entrer à tout prix pour « s'expliquer » avec un membre de l'équipe pédagogique ou administrative, ou « régler des comptes » avec un élève. Dans ces conditions, il faut une réponse ambitieuse, globale et rapide. Il incombe aux pouvoirs publics d'apporter à l'ensemble des membres du personnel éducatif une protection qui soit à la hauteur des risques et des dangers qu'ils encourent désormais par le simple exercice de leur profession.

La réaffirmation des valeurs de la République, d'une part, et de l'autorité de l'institution scolaire, d'autre part, constitue un enjeu essentiel afin de mieux prévenir les agressions.

J'insisterai également sur la nécessité, pour traiter plus efficacement les agressions, d'améliorer la coordination entre les services de l'éducation nationale, les forces de sécurité intérieure et l'autorité judiciaire. Il est vrai que l'assassinat de Samuel Paty a entraîné une certaine prise de conscience de la part des pouvoirs publics, qui s'est notamment traduite par l'instauration de sanctions renforcées et de procédures de signalement accélérées.

Pour autant, des efforts peuvent et doivent encore être faits pour améliorer la sécurité des établissements scolaires et de leurs abords ; fluidifier et accélérer les procédures administratives et judiciaires ; faciliter la transmission d'information entre les acteurs clés.

S'agissant du premier point, il est évident que la prévention des violences en milieu scolaire nécessite de tenir compte de l'environnement de l'établissement. Il est clair, à ce titre, que le climat général de violence dans certaines parties du territoire se reflète dans la banalisation de la violence entre les élèves et le niveau d'irrespect et de violence verbale, voire physique, à l'encontre des adultes. Dans ce contexte, il apparaît nécessaire, pour mieux prévenir les agressions à l'encontre du personnel, d'impliquer davantage les forces de police et de gendarmerie dans la sécurité des abords des établissements scolaires. Les partenariats noués entre les communes et les établissements scolaires se révèlent particulièrement efficaces pour permettre un déploiement rapide de la police municipale aux abords de l'établissement dès que la situation l'exige. Nous proposons de généraliser ces coopérations.

S'agissant du deuxième point, qui concerne les procédures administratives et judiciaires, il faut veiller à ce que les agents victimes d'agressions ou de menaces ne soient pas soumis à une double peine : celle, en plus de l'agression en elle-même, d'une procédure judiciaire excessivement complexe, longue et opaque.

Aujourd'hui, un certain nombre d'éléments relatifs à la procédure de dépôt de plainte peuvent dissuader l'agent victime de se rendre au commissariat - peur, méconnaissance de la démarche, crainte des conséquences. Afin de garantir le dépôt de plainte effectif des agents, nous recommandons que l'administration puisse déposer plainte elle-même, en lieu et place de l'agent concerné.

Par ailleurs, il importe de ne pas laisser l'agent victime dans l'incertitude des suites données à sa plainte. Les auditions ont révélé combien la communication était excessivement lente, lorsqu'elle n'est pas franchement inexistante. De façon liée, les délais entre le dépôt de plainte et l'audience sont également source de frustration et d'incompréhension pour les agents victimes de violences ou de menaces. De plus, ils contribuent à nourrir le sentiment d'impunité des auteurs de menaces et d'agressions à l'encontre du personnel éducatif. C'est pourquoi nous invitons à réduire ces délais, afin que l'audience puisse, dans la plupart des cas, intervenir dans l'année scolaire suivant la date de commission des faits.

Enfin, il ressort des travaux de la mission que la protection fonctionnelle ne joue pas pleinement son rôle auprès des membres du personnel éducatif victimes de violences du fait des élèves ou de tiers. Certes, le taux d'octroi par l'administration s'élève à 80 % des demandes. Mais il ne faut pas méconnaître la part des agents qui ne font aucune demande soit par méconnaissance de leurs droits, soit par découragement.

Dans ces conditions, nous proposons de rendre automatique la protection fonctionnelle pour les agents victimes de violences ou de menaces de la part des élèves ou de tiers, sachant que l'administration aurait la faculté de la retirer dans un second temps si elle estimait que les conditions ne sont pas remplies.

J'en viens au troisième point : l'enjeu que constitue la transmission des informations liées aux signalements entre l'éducation nationale, l'autorité judiciaire et les services de renseignement.

Même si des progrès ont été réalisés à la suite de l'assassinat de Samuel Paty, l'éducation nationale et la justice évoluent encore trop souvent en parallèle, avec des procédures et des méthodes de travail distinctes. En particulier, le volume des signalements qui viennent des services de l'éducation nationale et parviennent aux parquets est important ; mais surtout, ceux-ci ne sont pas toujours aisément exploitables par les parquets. C'est pourquoi nous préconisons la généralisation des conventions entre les parquets et les directions académiques, afin de formaliser ces signalements et de permettre ainsi leur traitement efficace et rapide par les parquets.

Plus largement, c'est la connaissance par les parquets du rôle des établissements scolaires, et réciproquement, qui mériterait d'être améliorée. L'approfondissement du dialogue entre les réseaux miroirs que constituent les référents académiques pour la justice, d'une part, et les magistrats référents de l'éducation nationale, d'autre part, constitue un levier possible.

Pour finir, il nous faut nous pencher sur le cas particulier de la menace terroriste et de la radicalisation en milieu scolaire. Depuis l'attentat d'octobre 2020, le dialogue entre la direction nationale du renseignement territorial (DNRT) et l'éducation nationale semble s'être fluidifié, avec un circuit d'information désormais bien établi. Pour autant, ce circuit est aujourd'hui mis à l'épreuve par l'augmentation du nombre de signalements portés à la connaissance des services de renseignement par les chefs d'établissement ; là aussi, il est essentiel d'améliorer la qualité des signalements.

Par ailleurs, il nous apparaît indispensable, pour des enjeux de sécurité publique évidents, que les services des renseignements territoriaux aient accès aux éléments de la procédure judiciaire en cours.

Nous tâchons d'être concrets et opérationnels pour répondre aux attentes des personnels de l'éducation nationale. L'ensemble de la communauté éducative est aujourd'hui en difficulté. Dans les établissements que nous avons visités, nous avons constaté une montée de l'islam radical. Quant aux enseignants, ils ont une conception de la laïcité différente selon la génération à laquelle ils appartiennent.

M. Max Brisson. - L'école n'est plus « l'asile inviolable » dont parlait Jean Zay puisque la violence de la société y est entrée. Par ailleurs, elle n'assume plus sa mission première : transmettre le principe de laïcité.

Vos préconisations, messieurs les rapporteurs, sont concrètes et opérationnelles, et je les approuve largement. Mais il faut poser un préalable indispensable : le pays doit dire de nouveau à l'école ce qu'il attend d'elle et quelle mission il lui confie. Il faut un discours clair et ferme en matière de laïcité, que nous n'avons pu entendre à cause du « zigzag » des derniers ministres de l'éducation nationale. L'école a aussi besoin de moyens qui lui soient propres.

Vos préconisations permettront-elles de réaffirmer que la mission première de l'école est la transmission de la laïcité. Permettront-elles et de protéger les chefs d'établissement, les enseignants, l'institution scolaire, les élèves ? L'école a le droit d'être protégée !

J'approuve la recommandation n° 7, « rendre la main à l'éducation nationale pour la formation des enseignants en ne faisant plus dépendre la formation initiale de l'université ». L'éducation nationale doit en effet reprendre la main en termes de formation au principe de laïcité. Contrairement à ce qu'ont dit les formateurs des Inspé que nous avons auditionnés, la laïcité n'est pas un concept que l'on peut interpréter, une valeur variant selon les croyances de chacun, un marqueur de tolérance et de bienveillance, mais un principe intangible de notre République sur lequel s'est fondé notre vivre-ensemble : l'affirmation d'une stricte neutralité.

La recommandation n° 9, par laquelle vous proposez de faire signer aux parents une « charte des parents » me semble essentielle. Il convient de rappeler à ceux-ci que les professeurs sont des experts, qu'ils sont des fonctionnaires de l'État et que les programmes ne se discutent pas, mais s'appliquent. L'école n'est pas à la carte ! J'aurais souhaité que l'on prévoie un contrat d'engagement réciproque, mais cela ne semble pas juridiquement possible en l'état du droit.

Je suis plus hésitant s'agissant de la journée d'hommage prévue dans la recommandation n° 1. Je considère, pour ma part, que la laïcité se transmet en classe, au travers des programmes d'enseignement moral et civique (EMC) et d'histoire.

Pour ce qui concerne la protection de l'école, j'approuve toutes les recommandations relatives à l'harmonisation des sanctions, la transmission rapide des signalements, l'information des autorités académiques, la sécurisation des établissements, l'accompagnement des chefs d'établissement et des professeurs. Mais l'école a-t-elle aujourd'hui les moyens d'affirmer l'autorité du professeur et du chef d'établissement. A-t-elle les moyens d'empêcher de nuire ceux qui veulent la déstabiliser ? Il faut s'interroger sur la composition des conseils de discipline et des conseils de classe, au sein desquels la place des professeurs est de plus en plus réduite, et redonner des prérogatives à ces instances.

Les propositions relatives aux protocoles d'accompagnement vont dans le bon sens, mais il faut aller plus loin. Des élèves et des parents d'élèves qui veulent perturber, voire détruire, l'école de la République n'y ont pas leur place !

Mme Marie-Pierre Monier. - Lorsque nous avons entamé les travaux de cette mission, les attentes étaient très fortes. Nous ne pouvions prévoir que l'inimaginable se reproduirait, avec l'assassinat de Dominique Bernard. Les conclusions auxquelles aboutissent les rapporteurs sont-elles à la hauteur de ces attentes ? J'ai ressenti un malaise au fil de nos auditions face à une institution scolaire et à des membres ou ex-membres du Gouvernement ayant du mal à concevoir l'ensemble du problème.

Ce rapport fera oeuvre utile en permettant une nouvelle appréhension de ce phénomène et en avançant des solutions concrètes pour protéger et accompagner les professeurs. Je pense notamment à la recommandation relative à l'automaticité de la protection fonctionnelle pour les agents de la communauté éducative - c'est un signal fort -, ainsi qu'à la facilitation et au renforcement de l'information en matière de suivi des dépôts de plainte.

La protection fonctionnelle prend essentiellement la forme d'un accompagnement juridique. Il nous faut veiller à ce que les solutions recouvrent aussi la sécurisation des agents concernés - mise à l'abri ou en sécurité - en cas de menace imminente.

La sécurisation des établissements scolaires en liaison étroite avec les forces de l'ordre et les collectivités territoriales est une proposition qui va dans le bon sens.

L'équilibre général du rapport n'est cependant pas satisfaisant. Les recommandations constituent une réponse relevant de la répression et de l'autorité, lesquelles prennent le pas sur la pédagogie, la prévention, l'accompagnement des élèves et des familles. Ce tout-sécuritaire est de nature à renforcer la défiance entre élèves et corps enseignant, plutôt qu'à renouer le lien.

Nous sommes défavorables à la création d'une sanction pénale pour le non-respect répété des règles de fonctionnement de la vie collective des établissements, ainsi qu'à la création de structures d'accueil pour les élèves hautement perturbateurs ou plusieurs fois exclus. Serait-ce le retour des maisons de correction ? Regrouper ces élèves dans un même lieu fermé risque d'augmenter leur rejet du système. Quels professeurs voudraient enseigner dans de tels établissements, dont le principe est en contradiction avec l'esprit de l'école de la République ?

Quant à la simplification des procédures des conseils de discipline, ne remettra-t-elle pas en cause l'équilibre actuel du processus de prise de décision ?

L'installation de caméras aux abords des établissements sans autorisation du conseil d'administration pose quant à elle question sur le plan juridique.

La recommandation n° 7 s'inscrit en dehors du champ d'études visé par ce rapport.

Les établissements privés sous contrat sont mentionnés seulement dans la partie VII du document. Les recommandations relevant des autres parties s'appliqueraient-elles uniquement aux établissements publics ? Je rappelle que la professeure Agnès Lassalle, qui a été assassinée, enseignait dans un établissement privé. Une approche globale est nécessaire sur ce sujet.

Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont préoccupés par la dégradation des conditions de travail des enseignants, qui doivent faire à des menaces et des agressions de plus en plus nombreuses. Leur sécurité doit être assurée à tout prix. Il faut prévoir une tolérance zéro pour les atteintes à la laïcité dans les enseignements scolaires publics ou privés sous contrat.

Nous saluons les avancées prévues dans ce rapport, mais nous nous abstiendrons lors du vote sur son adoption au regard des lignes rouges franchies pour certaines recommandations.

M. Pierre Ouzoulias. - Mon groupe partage le constat terrible et alarmant des rapporteurs. Les principes républicains sont réinterprétés en vertu d'une idéologie libérale anglo-saxonne selon laquelle l'identité de l'individu prime le projet collectif. Or, comme le disait Ferdinand Buisson, le projet de l'école de la République est de former des républicains.

Je suis favorable à la protection fonctionnelle de droit que vous proposez, laquelle est très importante et pourrait faire l'objet d'une proposition de loi.

Je regrette que vous n'ayez pas prévu de mieux garantir la liberté académique des enseignants, notamment vis-à-vis des parents d'élèves. J'avais déposé des amendements en ce sens.

Je regrette également que les délégués départementaux - institution qui date de 1886 -, ces bénévoles nommés par les inspecteurs d'académie dont le rôle de lien est fondamental, ne soient pas mentionnés. Rendre obligatoire leur présence au sein des conseils d'administration des collèges aurait été utile.

Je le dis en tant que nostalgique des écoles normales : il faut revoir la formation dispensée aux enseignants. À cet égard, les recommandations nos 4 et 7 sont antinomiques...

M. Max Brisson. - La recommandation n° 4 est une réponse à court terme et transitoire. La recommandation n° 7 propose une réponse structurelle.

M. Pierre Ouzoulias. - Par ailleurs, on ne peut pas laisser les établissements privés sous contrat en dehors du dispositif, surtout si l'on considère, à l'instar du Gouvernement, qu'ils font partie du service public de l'éducation. Ces établissements rencontrent aussi les problèmes que nous avons évoqués et leurs syndicats d'enseignants souhaitent une formation à la laïcité. Eux aussi sont confrontés à des élèves qui contestent les enseignements. Je souhaiterais que vous explicitiez le fait que les établissements privés sous contrat soient compris dans ces recommandations.

Mme Monique de Marco. - J'ai moi aussi fait le constat, au cours de ces travaux, de la grande solitude des enseignants.

Quels sont les moyens et la mission de l'école ? Il serait intéressant de partager les recommandations qui nous sont soumises, voire de les amender. À moins qu'elles ne soient figées ? Je suggère les modifications suivantes : mentionner les écoles privées sous contrat ; supprimer la précision selon laquelle la formation à la laïcité dans les Inspé doit être réalisée par un fonctionnaire de l'éducation nationale ; préciser, à la recommandation n° 7, que l'on en revient aux « écoles normales » ; définir ce que seraient les établissements destinés à accueillir les élèves hautement perturbateurs.

Pour ce qui concerne la recommandation n° 23, qui décidera de l'installation de caméras à l'extérieur des établissements ? La municipalité ? L'éducation nationale ? Pourquoi prévoir que cette installation pourra se faire sans l'accord du conseil d'administration de l'établissement ?

Je ne trouve pas grand-chose dans le rapport à propos de la prolifération de la haine en ligne. Qu'en est-il du pôle national de lutte contre la haine en ligne ? Les enseignants le connaissent-ils et lui adressent-ils des signalements ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - J'ai une pensée pour Samuel Paty et Dominique Bernard. Nous payons lourdement ce que nous avons laissé faire : la laïcité ouverte, qui a suscité les discours anti-laïcité d'aujourd'hui ; le « pas de vague » ; l'ouverture de l'école aux parents ; la remise en cause de l'autorité. Or, sans autorité, on ne peut pas enseigner, on fait de la garderie, et les élèves ne peuvent pas se construire.

Ces recommandations ne me choquent pas et je les voterai toutes. Au Sénat, nous avons souvent tiré la sonnette d'alarme, face à Jean-Michel Blanquer, ou à Pap Ndiaye dont le passage au ministère de l'éducation nationale a été catastrophique sur ce plan. Il est temps de passer à autre chose. À cet égard, beaucoup s'interrogent sur la formation des enseignants : il s'agit de les aider à transmettre le principe de laïcité et à ne pas se censurer.

Je suis attachée à la redéfinition du rôle des parents d'élèves, que souhaitent tous les enseignants. La parole d'un enfant et celle d'un adulte ne doivent pas avoir la même force au sein de l'école !

Je suis très critique à l'égard des politiques menées depuis de nombreuses années par le ministère de l'éducation nationale, qui ont mêlé idéologie, démagogie et déni. Ce sont les élèves des quartiers populaires qui en souffrent le plus. Les familles de ces quartiers rêvent d'envoyer leurs enfants dans les établissements privés sous contrat : demandons-nous pourquoi !

J'espère que ces préconisations seront rapidement effectives.

M. Hussein Bourgi. - Les membres de la commission des lois n'ont pas été informés de la disponibilité de ces recommandations des rapporteurs ; il nous est donc difficile de nous prononcer sur ce projet, comme nous l'ont demandé ce matin nos collègues de la commission de la culture. Cela pose un problème d'égalité entre les sénateurs !

Sur le fond, je ne suis pas d'accord avec ma collègue Marie-Pierre Monier. Pour ma part, je ne suis pas défavorable à la création de centres spécialisés pour les élèves fauteurs de troubles. On a bien créé des écoles de la deuxième chance... Mais qu'en sera-t-il de ces structures ?

L'écrasante majorité des conseils d'administration des établissements est favorable à l'installation de caméras de vidéoprotection afin de lutter contre le racket et le trafic de drogue. Mais comment les collectivités financeront-elles le déploiement de ces équipements ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Je vous prie de nous excuser. Effectivement, le courriel d'information sur la disponibilité des recommandations sur l'application dédiée n'a pas été adressé comme il aurait dû l'être.

Mme Annick Billon. - J'adresse mes félicitations aux rapporteurs pour la qualité des auditions qui ont été organisées et du rapport qui nous est présenté. Les recommandations de cette mission, qui s'inscrivait dans une actualité triste et inquiétante, étaient très attendues. Le rapport balaye de nombreux sujets. La situation est telle et l'école est dans un tel état qu'il était impossible de présenter des recommandations « molles ». Les enjeux de sécurité auxquels l'école est confrontée appellent des réponses. On nous reproche souvent de répondre par des bougies et des hommages à une actualité grave et tragique. Si les hommages sont évidemment nécessaires, il faut aussi adapter nos outils à ce qu'est devenue notre école.

La laïcité est notre point de départ : comment en sommes-nous arrivés là ? Comment redresser la barre ? La formation continue est à ce titre essentielle. Max Brisson et moi-même, qui devons conduire une mission d'information sur les modalités de formation et la place des enseignants, veillerons à travailler sur ce sujet.

La charte des parents est un point important. Les parents ont pris dans l'école une place qu'ils n'auraient probablement pas dû prendre. Il faut à la fois les informer et les rassurer et mettre des garde-fous pour éviter qu'ils ne se montrent trop intrusifs.

Pour mettre fin à la tendance au « pas de vagues », l'harmonisation des grilles de sanctions entre établissements me semble bienvenue. À titre de comparaison, l'harmonisation des grilles relatives à la lutte contre les violences faites aux femmes a été très bénéfique.

Recommander qu'il faut prévoir des moyens pour répondre aux enjeux de sécurité des établissements ne me choque pas.

Je partage en outre les mesures proposées pour simplifier le parcours judiciaire, mais m'interroge sur les outils qui seront mobilisés pour les mettre en oeuvre.

Enfin, comment faire pour que les fonctionnaires du ministère de l'éducation nationale qui travaillent dans les bureaux et décident des mesures mises en oeuvre au sein de l'institution soient davantage confrontés à la réalité des établissements, et pour que les décisions prises par l'administration correspondent davantage à la réalité vécue par les enseignants ?

Le groupe Union Centriste votera ce rapport.

Mme Colombe Brossel. - L'état des lieux qui ressort des passionnantes auditions que nous avons menées est un peu désespérant, et l'état d'esprit de certaines personnes ou organisations auditionnées peut laisser perplexe. Les recommandations qui nous sont présentées vont dans le bon sens. Il fallait effectivement des propositions marquantes et sensées.

Je regrette cependant qu'il soit peu fait mention de l'éducation et de la prévention dans le rapport, alors que cela pourrait raffermir certaines préconisations. Ainsi, ne pas mentionner les médecins scolaires, les infirmiers scolaires, les conseillers principaux d'éducation ou les psychologues scolaires dans les recommandations relatives aux atteintes à la laïcité, au climat scolaire ou encore à la place des parents dans l'école me semble poser problème. Le champ éducatif devrait être davantage présent dans le rapport, pour que les recommandations soient vraiment opérationnelles.

De même, il serait bon d'ajouter les acteurs de la prévention à la recommandation n° 20, qui préconise, « dans les quartiers marqués par un niveau élevé de violence des mineurs », de « nouer des partenariats renforcés entre les établissements scolaires, la police et les procureurs. »

Je me permettrais par ailleurs une petite taquinerie sur la recommandation n° 5, où il est fait mention d'une formation obligatoire des contractuels à la laïcité. Puisqu'il est question de leur formation, n'hésitons pas également à les former sur la pédagogie !

Enfin, une clarification est requise concernant le caractère obligatoire de l'ensemble des programmes dans l'ensemble de l'enseignement, y compris les écoles privées sous contrat.

Mme Laure Darcos. - Je remercie également nos deux présidents pour la bonne tenue de nos réunions. J'ai été souvent émue par les témoignages que nous avons reçus.

Je regrette que nous ne soyons pas plus sévères à l'égard des chefs d'établissement. De nombreux professeurs se sentant menacés disent ne pas recevoir de protection de la part de leurs chefs d'établissement. Dans mon département, l'Essonne, plusieurs chefs d'établissement visés par une enquête administrative et contre lesquels des critiques ont été émises, voire des manifestations de professeurs organisées sont couverts par la direction académique des services de l'éducation nationale (Dasen). Il faut faire cesser cette impunité.

Par ailleurs, des recommandations plus fortes auraient été bienvenues concernant les réseaux sociaux. On nous dit que des paroles ou des menaces proférées en dehors de la classe ne peuvent être prises en compte. Une surveillance et un contrôle spécifiques seraient donc souhaités sur les réseaux sociaux ; je pense notamment aux groupes WhatsApp. C'est sur les réseaux que les choses ont dégénéré avant l'assassinat de Samuel Paty.

Mme Sonia de La Provôté. - Merci pour ce travail et les auditions marquantes que nous avons vécues. Je m'interroge sur l'absence de recommandation relative à la formation des élèves via l'enseignement moral et civique. Les problèmes de violence en milieu scolaire ne sont pas tous liés à des questions de laïcité, mais touchent aussi au respect de l'école et du rôle de l'institution scolaire. Les élèves doivent savoir qu'aller à l'école est une chance. De même, vous avez évoqué des croyances alternatives et une forme d'obscurantisme qui émerge au-delà même des questions religieuses. Nous devons agir, par l'éducation à la science, si nous ne voulons pas voir grandir une génération de platistes !

Concernant le dépôt de plainte systématique, les enseignants disent qu'ils doivent prendre sur eux parce que l'institution ne les encourage pas à porter plainte. Les chefs d'établissement sont quant à eux démunis et deviennent la cible de nombreuses attaques, notamment sur les réseaux sociaux, sans soutien de l'institution. Il faut donc insister sur ce sujet.

On observe en outre une concentration des problèmes dans certains établissements, confrontés à des formes diverses de ségrégation et à une rotation importante des équipes éducatives, alors que la stabilité de celles-ci est un élément de sécurisation et de protection pour les enseignants. Or cette question n'est pas évoquée dans vos propositions.

Mme Agnès Evren. - En octobre dernier, Gérald Darmanin a révélé le chiffre de 1 000 mineurs radicalisés fichés S pour islamisme. Les enseignants de ceux d'entre eux qui étaient scolarisés n'étaient pas informés de cette radicalisation. Comment peut-on les protéger ? Le malaise de l'éducation nationale est partout visible. À Paris, 163 chefs d'établissement ont manifesté pour soutenir un proviseur du XXe arrondissement menacé de mort. Les menaces dont ce dernier a été victime ont été proférées sur les réseaux sociaux, comme cela avait été le cas pour Dominique Bernard. C'est un sujet stratégique. Comment pourrait-on le réguler ? Les professeurs, démunis et livrés à eux-mêmes, nous indiquent qu'ils ne signalent même plus les menaces qu'ils reçoivent, car ils ne se sentent pas soutenus par leur hiérarchie.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Ce que nous avons écrit dans le rapport s'applique aussi bien à l'école publique qu'à l'école privée sous contrat. Nous retiendrons donc la modification suggérée par Monique de Marco pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté à ce sujet.

Nous partageons tous le diagnostic sur la situation et l'inquiétude qu'il suscite. C'est un point positif. Quelques bémols, peu nombreux, mis à part, nos recommandations n'ont rencontré guère d'oppositions.

Au travers de celles-ci, nous avons essayé de couvrir le spectre d'intervention et d'action le plus large possible. Nous avons donc pu manquer parfois de précision. La mission d'information conduite par Max Brisson et Annick Billon sera certainement amenée à préciser certaines recommandations et à les rendre plus opérationnelles.

Nous tenions par ailleurs à inscrire dans nos recommandations l'organisation d'une journée d'hommage à Samuel Paty, Agnès Lassalle et Dominique Bernard. L'émotion et l'incompréhension suscitées par leurs assassinats sont telles qu'une journée spécifique pour honorer leur mémoire au sein des établissements scolaires nous semble importante. Cela complète le travail qui doit être fait dans chaque établissement. Il nous a paru d'autant plus nécessaire de dire clairement que cette journée d'hommage devait avoir lieu que nous avons constaté une sorte de flottement à ce sujet au sein du ministère de l'éducation nationale.

La formation initiale est un enjeu essentiel. Compte tenu de certaines évolutions du métier d'enseignant, il faut professionnaliser encore davantage la formation et préparer les professeurs à des situations auxquelles personne n'est préparé : contestations de certains sujets, contestations de la part des parents, contestations physiques parfois. Il paraît logique que le ministère de l'éducation nationale, qui définit l'école de la République, soit davantage présent dans la formation initiale des enseignants. C'est pourquoi nous formulons deux recommandations à ce sujet : pour une refonte intégrale de cette formation, tout en étant conscients que cela ne se fera pas en un jour, et pour augmenter le nombre de cadres de l'éducation nationale mis à disposition pour la formation sur les valeurs de la République prévue par Jean-Michel Blanquer et qui n'est pas assez mise en oeuvre pour l'instant.

Il faut parler par ailleurs des élèves poly-exclus, car ce sujet est très présent à l'esprit des chefs d'établissement et des enseignants. Nous nous sommes inspirés à leur propos des conclusions de la mission conjointe de contrôle sur la délinquance des mineurs, qui allaient dans le même sens que nos recommandations. Il faut insister de nouveau sur ce sujet et sur la nécessité de déployer des lieux spécifiques pour mener, en liaison avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), un travail de fond à destination de ces jeunes en situation de rupture.

Nous n'avons pas de réserve sur la notion de liberté académique. Un malaise profond s'observe chez les enseignants, accru par les menaces et les pressions qu'ils subissent. Le respect de la liberté académique est essentiel. La responsabilité de l'enseignement s'applique au niveau des enseignants, et les enseignants doivent être respectés dans leur travail.

J'ai plus de réserves en revanche sur le rôle des délégués départementaux, mais il était bon de les mentionner.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - La surveillance des menaces proférées sur les réseaux sociaux est prévue depuis 2021, par la loi confortant le respect des principes de la République. La commission des lois examinera demain un rapport d'information de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien sur l'application de cette loi.

Les proviseurs disent souvent qu'ils ne peuvent déployer de caméras à l'entrée de leurs établissements en raison de la désapprobation des parents d'élèves qui siègent dans leurs conseils d'administration. Ce blocage est regrettable, car ces caméras leur rendraient vraiment service. Notre idée est que les proviseurs puissent décider d'en installer, en accord avec la puissance publique, et en informer ensuite leurs conseils d'administration. Ce sujet a été abordé au cours de presque tous nos déplacements sur le terrain.

Nous clarifierons la rédaction du rapport pour préciser qu'il concerne toutes les écoles, y compris les écoles privées sous contrat. Nos travaux ont bien porté également sur ces établissements.

De nombreux professeurs d'histoire ou de sciences nous ont dit qu'ils se censuraient et n'enseignaient plus comme ils le faisaient auparavant, car les élèvent contestent leurs propos et parce qu'ils reçoivent aussi la visite de leurs parents. Avant une sortie au théâtre, les parents les interrogent désormais systématiquement sur la nature de l'oeuvre que les élèves iront voir. C'est inacceptable !

Les proviseurs et chefs d'établissement ont par ailleurs souligné qu'ils avaient besoin de clarté de la part de leur hiérarchie. La décision récente relative à l'interdiction de l'abaya était claire et précise. Les situations ont donc pu être gérées calmement et sans drame.

Concernant la formation, je n'ai pas religion particulière. Mettons en place le système qui fonctionne le mieux. Il y a une attente très forte à ce sujet.

Les professeurs ont peur d'aller travailler, ou lorsqu'ils sortent de leur établissement, ce qui est inacceptable. On observe une progression réelle de l'islam radical, y compris dans l'école privée, même si cela se fait à une intensité différente. Personne n'est à l'abri. La communauté éducative a de fortes attentes à cet égard.

Nos recommandations permettent de progresser sans mettre la poussière sous le tapis.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Concernant les chefs d'établissement, ce qu'a dit Laure Darcos n'est pas faux. Pour autant, il nous a semblé important de protéger leur rôle, car ils se trouvent dans une position intermédiaire souvent difficile à tenir, écartelés entre les directives ou l'absence de directives rectorales et une insatisfaction forte des enseignants. Dans certains établissements, cela fonctionne mieux que dans d'autres, en fonction de la personnalité des chefs d'établissement concernés.

Nous avons essayé, pour cette raison, de dépersonnaliser la réflexion et l'action concernant la transmission des valeurs de la République, qui doit être partagée par l'ensemble des personnels éducatifs.

Mme Monique de Marco. - Ne pourrait-on pas ajouter « une information en début d'année à tous les fonctionnaires afin qu'ils puissent saisir directement le pôle national de lutte contre la haine en ligne » à la recommandation visant à « fluidifier le rapport judiciaire pour les agents victimes » ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - L'enjeu est d'encourager les signalements sur la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Nous pouvons l'ajouter, bien sûr.

Mme Monique de Marco. - Je m'abstiendrai tout de même, en définitive.

Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.

La commission de la culture et la commission des lois adoptent le rapport d'information ainsi modifié et en autorisent la publication.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Je vous rappelle qu'aucune communication n'est possible sur le présent rapport avant un délai de vingt-quatre heures, conformément à la réglementation applicable aux commissions d'enquête.

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