C. DANS LE CHAMP ASSOCIATIF : DES DISPOSITIFS À LA PORTÉE RÉELLE LIMITÉE ET MAL REÇUS PAR LES ACTEURS

1. Le contrat d'engagement républicain : une coquille (presque) vide ?

L'article 12 de la loi CRPR conditionne l'octroi de subventions publiques aux associations ou fondations à la signature d'un « contrat d'engagement républicain » (CER) et impose le retrait des sommes allouées en cas de violation de cet engagement. Ce dispositif entré en vigueur en janvier 2022 a certes utilement complété un cadre juridique lacunaire qui reposait en partie sur des instruments de droit souple pour assurer le respect des principes de la République5(*) et où le retrait d'une subvention n'était qu'une faculté laissée à l'administration dans certains cas de figure déterminés. Pour autant, force est de constater que le CER est loin de s'être imposé comme l'instrument de référence qu'il était censé devenir pour la lutte contre le séparatisme dans la sphère associative. Aux termes de leurs travaux, les rapporteures considèrent que cet échec s'explique par deux causes principales :

- la signature du CER relève davantage d'une formalité administrative que d'un réel engagement : de fait, il s'agit d'un document difficilement accessible. Il prend ainsi la forme d'un tiret au formulaire Cerfa de demande de subvention n° 12156*06 qui précise que l'association « souscrit au contrat d'engagement républicain annexé au décret pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ». Le contenu du contrat en lui-même n'est donc accessible que sur Légifrance, en annexe du décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021 ;

les services de l'État se sont insuffisamment emparés de ce nouvel outil : alors que près de 60 % des associations perçoivent des subventions publiques, seuls une poignée de cas de refus ou de retrait de subventions ont été portés à la connaissance des rapporteures6(*). Les subventions accordées par les collectivités territoriales représentent également un angle mort du dispositif. Outre la question récurrente de l'insuffisance des moyens alloués aux préfectures pour s'acquitter de cette mission, la validation récente par le Conseil d'État du décret d'application précité pourrait néanmoins favoriser un recours plus régulier à cet instrument7(*).

Dans ce contexte, les rapporteures appellent l'exécutif à faire du CER un document indépendant du formulaire de subvention, afin de traduire plus explicitement l'engagement consenti par la structure demandeuse d'une subvention publique.

2. Les autres dispositions applicables aux associations : des progrès ponctuels mais marginaux

La modernisation du régime des dissolutions administratives d'associations ou groupements de fait par l'article 16 de la loi CRPR a indéniablement sécurisé le recours à cet outil. Sur les six dissolutions décrétées en 2023 et 2024, quatre étaient par exemple partiellement fondées sur la nouvelle rédaction du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure8(*) tandis que le nouvel article L. 212-1-1 du même code, qui permet d'imputer à l'association les agissements de certains de ses membres, est mentionné dans 80 % des cas. S'il est vrai que la dissolution a pu être ponctuellement mobilisée à l'encontre d'associations ou de groupements qui n'étaient pas ceux initialement envisagés par le législateur, en particulier dans le cas des « Soulèvements de la Terre », les rapporteures n'y voient pas le dévoiement d'un instrument utile pour garantir un respect effectif des principes de la République. Pour plus d'efficacité, il gagnerait par ailleurs à être complété. Alors que le Sénat s'est récemment prononcé pour la création d'un régime spécifique de dévolution des biens des associations dissoutes, il convient notamment de faire aboutir ce processus au plus vite9(*).

Les rapporteures regrettent le bilan finalement maigre de la loi CRPR dans le champ de la lutte contre le séparatisme et soulignent que son application a entraîné une dégradation des relations avec le secteur associatif. Au-delà des exemples cités, la plupart des dispositifs adoptés ont une portée limitée, que ce soit en matière fiscale (seules deux amendes ont été prononcées pour une émission irrégulière de reçus fiscaux) ou s'agissant de la législation sur les fonds de dotation (qui semble faire l'objet d'une application très disparate selon les territoires). Alors que les associations séparatistes ont adopté une stratégie du « profil bas » qui leur permet d'échapper à la vigilance de l'administration, les nouvelles obligations pèsent finalement quasi-exclusivement sur des structures irréprochables sur le plan des principes de la République. Cela n'est pas sans conséquence, les acteurs du monde associatif ayant unanimement fait part d'un malaise face à une législation perçue, à tort mais de façon compréhensible, comme un signe de défiance à leur encontre.


* 5 En particulier la Charte des engagements réciproques du 14 février 2014.

* 6 Sans prétendre à l'exhaustivité, ont uniquement été recensés quatre cas en Isère en 2021, dans les Deux-Sèvres en 2023 ainsi que dans le Rhône et le Finistère en 2024.

* 7 Conseil d'État, 30 juin 2023, n° 461962.

* 8 Celui-ci sanctionne les associations ou groupements de fait « qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ». La dissolution des « Soulèvements de la Terre », postérieurement annulée, était par ailleurs fondée sur ce seul critère, tandis que celle de l'association « Les Alerteurs » mentionne les seuls éléments dudit 1° qui ont été rajoutés en 2021.

* 9 Dans le cadre de l'examen de la proposition de loi n° 2022 de François-Noël Buffet instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste (2023-2024).

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