EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 10 AVRIL 2024

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous passons à l'examen du rapport d'information sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023.

Vous vous en souvenez, notre commission a choisi dès le 12 juillet dernier de lancer une mission d'information, dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, sur ces émeutes. Nous nous étions alors donné comme objectifs d'en analyser les causes et le déroulement, et d'en tirer les enseignements utiles en matière de rétablissement de l'ordre public et de réponse pénale.

Avec les collègues membres de la mission, nous avons entendu près de 80 personnes, réalisé trois déplacements et lancé une consultation d'un échantillon représentatif des communes touchées par les violences urbaines. Nous avons souhaité entendre l'ensemble des représentants de la police et de la justice, mais également des maires, des sociologues et des acteurs du monde culturel ou associatif afin de croiser les analyses et les regards portés sur ces événements.

Cela nous a permis de recueillir des informations et des témoignages afin d'affiner la première approche qui avait été donnée par le ministre de l'intérieur et par les médias dès juillet 2023. Ces éléments donnent à voir l'ampleur et la violence de ce qu'ont connu de si nombreux lieux du territoire.

Des travaux menés par la mission, il ressort que le décès du jeune Nahel Merzouk, le 27 juin 2023, a été l'élément déclencheur d'un mouvement qui, en définitive, n'avait que peu à voir avec cet évènement tragique.

Nous pouvons certes distinguer une première phase des émeutes - que l'on pourrait qualifier d'« émotionnelle » - concentrée dans les banlieues des grandes métropoles et directement liée à la mort du jeune Nahel, qui a présenté une charge politique importante. Toutefois, à compter du 30 juin 2023, s'opère un « basculement » des émeutes vers une phase « insurrectionnelle », marquée par une expansion des violences à l'ensemble du territoire national sous la forme d'une vague de destructions et de pillages sans précédent, mêlant comportements opportunistes et déchaînements aveugles de violence.

En quelques nuits d'affrontements, ces émeutes ont excédé, en termes de violence et de destruction, les trois semaines de violences urbaines qui avaient conduit à déclarer en octobre 2005 le régime de l'état d'urgence.

Les chiffres recueillis et analysés par la mission sont, en cela, éloquents.

Des actes de violences ont ainsi été recensés dans 672 communes, soit deux fois plus de communes qu'en 2005, et ont concerné près de quatre fois plus de départements.

L'estimation des dommages aux biens atteint le chiffre, colossal et en nette hausse par rapport à 2005, d'un milliard d'euros.

Surtout, les émeutes de 2023 ont donné lieu à près de sept fois plus de faits de dégradation de biens publics qu'en 2005. Parmi les bâtiments incendiés ou dégradés, figurent 273 bâtiments des forces de l'ordre, 105 mairies et 243 écoles.

Ces émeutes se sont également accompagnées d'une vague d'agressions et d'attaques directes contre les élus d'une ampleur inédite : 684 faits de violences à leur encontre ou à l'encontre de personnes chargées d'une mission de service public ont été recensés.

Enfin, nous pouvons évaluer à plus d'un millier le nombre de personnes blessées. Dans le détail, ce chiffre concerne 782 agents des forces de l'ordre et 3 sapeurs-pompiers, tandis que 2 décès sont directement imputables à ces violences.

À l'aune de ce constat, une question s'impose : comment en sommes-nous arrivés là ?

Écartons dès à présent une première hypothèse : ces évènements n'ont pas trouvé leur source dans une volonté d'action politique au niveau national. Les services de renseignement ont souligné l'absence de convergence entre la violence émeutière et des groupes militants d'ultragauche ou des mouvements séparatistes. Les émeutes ne sont donc pas le résultat d'entreprises de déstabilisation nationale contre les valeurs républicaines.

Pour autant, et de manière tout aussi inquiétante, plusieurs parties du territoire semblaient prêtes pour un affrontement avec les forces de l'ordre, comme en témoignent les importants stocks préconstitués de mortiers d'artifice ainsi que la coordination qui a pu être constatée et le modus operandi des participants. Les forces de sécurité intérieure ont ainsi fait face à des émeutiers démontrant un rapport décomplexé à la violence, ainsi qu'un degré d'organisation et de désinhibition déconcertant. Les services de renseignement ont souligné l'apparition de véritables techniques de « guérilla urbaine », impliquant des guet-apens et un usage massif et coordonné de mortiers d'artifice.

Derrière cette violence extrême et inadmissible à l'encontre de nos institutions, l'expression d'une colère et d'une défiance à l'égard de l'autorité ne doit pas être occultée. Selon l'analyse des chercheurs en sociologie et sciences politiques interrogés par la mission, cette réaction violente procèderait d'un sentiment de relégation sociale, tenant à un désancrage, subi ou entretenu, entre les émeutiers et le reste de la population. De fait, la présence d'un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) reste fortement corrélée à la survenue des émeutes en 2023, y compris dans les communes les moins peuplées.

Pourtant, au-delà de l'indignation suscitée par la mort de Nahel Merzouk, un certain nombre d'émeutiers se sont, semble-t-il, laissé entraîner dans cette entreprise de chaos par l'effet de groupe et par le biais des réseaux sociaux, qui conféraient aux violences une dimension ludique, compétitive, voire gratifiante. Plus influençables, les mineurs représenteraient un tiers des personnes interpellées au 4 juillet 2023 et, d'après les données disponibles, près de 60 % des personnes interpellées sont des primo-délinquants.

Plus généralement, selon les premières analyses, l'émeutier serait « un homme, de nationalité française, âgé de 23 ans en moyenne, célibataire, sans enfant, hébergé souvent par ses parents, ayant un diplôme de niveau secondaire, maximum baccalauréat, plutôt en activité ». Si les témoignages recueillis par la mission d'information semblent corroborer en partie ces constats, les données disponibles demeurent insuffisantes. En particulier, ne sont pris en compte, à ce stade, que les individus ayant été jugés dans les premières semaines suivant les émeutes. Subsiste donc une « partie immergée de l'iceberg » qui échappe encore à l'ensemble des acteurs : les interpellations et le travail judiciaire d'enquête se poursuivent et concernent désormais des délinquants plus aguerris.

Rappelons-le, le mot « émeute » trouve son origine dans le verbe « émouvoir ». Pour autant, devant cette coalition de groupes aux agendas divers - si tant est qu'ils en aient eu un -, devant la multiplicité des territoires touchés, les émeutes de l'été 2023 ne sauraient relever d'un seul mécanisme émotionnel et être, en cela, considérées comme un simple fait divers, fondé sur un alignement de causes univoques, ou encore comme un incident isolé qui ne se reproduira plus.

La nature et l'ampleur des violences et dégradations commises sur l'ensemble du territoire national démontrent ainsi la nécessité d'interroger les instruments dont dispose l'État pour assurer le rétablissement rapide de l'ordre public face à des violences urbaines, dans le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis.

Une telle question se pose avec une acuité renouvelée tant le risque de nouveaux phénomènes - le cas échéant plus localisés - de violences ou d'émeutes urbaines pourrait, à l'avenir, se présenter très rapidement.

Si la réponse institutionnelle a été particulièrement forte lors des émeutes de juin et juillet 2023, elle doit néanmoins être perfectionnée à six principaux égards. En effet, nous avons constaté qu'aucune préparation en amont d'une réponse policière coordonnée et nationale spécifique au contexte émeutier n'avait été établie et que, pour la première fois, des forces d'intervention spécialisées ont été mobilisées sur des opérations éloignées de leur champ d'action traditionnel, sans véritable doctrine d'emploi préalablement établie.

En premier lieu, il apparaît indispensable de moderniser les moyens du rétablissement et du maintien de l'ordre public en contexte émeutier par cinq mesures.

La première mesure serait la construction d'un schéma national de rétablissement et de maintien de l'ordre en contexte émeutier, avec une stabilisation de la doctrine d'emploi des forces de sécurité intérieure, ainsi qu'un décloisonnement et un dézonage facilités de l'emploi de ces forces, y compris au niveau des chaînes de commandement.

La deuxième mesure serait l'entretien des capacités humaines au regard des besoins opérationnels spécifiques d'un contexte émeutier par des formations régulières aux tirs et à l'usage des armes, et des formations communes aux diverses forces afin de faciliter leur coopération.

La troisième mesure serait la modernisation et l'adaptation des matériels et équipements aux contextes émeutiers longs et protéiformes. Il semble nécessaire de renforcer les capacités de production des munitions et des armements de la filière industrielle, ainsi que d'augmenter les quotas de munitions des armes de force intermédiaire et des armes classiques. Ces évènements ont également démontré l'urgence du déploiement et de l'équipement systématique des caméras-piétons des forces de l'ordre. Leur cadre d'usage doit, en complément, évoluer afin de permettre l'enregistrement en continu des interventions ou leur déclenchement à distance par les postes de commandement lors de violences urbaines. Enfin, il faut encourager la modernisation des flottes de drones et des caméras de vidéosurveillance pour permettre leur utilisation nocturne, et proposer d'expérimenter l'équipement et l'utilisation de matériels de marquage codés en cas d'émeutes.

La quatrième mesure serait la sécurisation des bâtiments et armureries des forces de l'ordre par la conduite d'un audit des besoins immédiats en la matière et la constitution d'un stock de matériels mobiles permettant d'assurer cette sécurisation, y compris en cas d'assaut.

La cinquième mesure serait le renforcement des moyens du suivi et de la connaissance des phénomènes de violences urbaines, ainsi que la cartographie des « quartiers sensibles » par les services de renseignement tout autant que par le biais d'outils transdisciplinaires.

En deuxième lieu, l'utilisation détournée des mortiers d'artifice est un phénomène nouveau qu'il convient d'endiguer rapidement par un ensemble de mesures relativement fortes. Je rappelle que ces mortiers, lorsqu'ils sont utilisés à « tir tendu », sont extrêmement dangereux.

En s'inspirant du modèle espagnol, je propose d'interdire la vente en ligne et par voie postale des mortiers d'artifice, de façon à contraindre le passage physique chez un revendeur agréé mieux à même de repérer une transaction suspecte, avec obligation d'enregistrer et de tracer toute transaction qui conduirait à l'édiction d'une déclaration. Pourrait alors être délictualisé le non-respect de l'obligation de déclaration et de passage chez un revendeur pour créer un cadre de contrôle et d'interception uniforme pour les forces de sécurité intérieure.

Il m'apparaît également nécessaire, au niveau européen, de sanctionner les États membres qui adoptent des comportements susceptibles de caractériser des manquements à leur obligation de mettre en oeuvre la réglementation européenne en ce qu'ils homologuent des articles pyrotechniques en dépit de leur dangerosité et de leur technicité comme des articles de divertissement accessibles librement sur le marché européen. Le fait que tout le monde n'applique pas la même règle pose effectivement des difficultés.

En troisième lieu, notre réponse policière et pénale doit s'adapter à l'usage protéiforme et déterminant des réseaux sociaux par les émeutiers.

À cet égard, il m'apparaît pertinent de prévoir : un renforcement de la coopération et des échanges entre les réseaux sociaux et les services de l'État par la réunion régulière du groupe de contact permanent pour mieux anticiper la coordination entre acteurs en période de crise ; la création d'un cadre général de blocage de certaines fonctionnalités des réseaux sociaux, sous de strictes conditions ; la facilitation de l'identification des délinquants par le biais des réseaux sociaux et supports numériques, notamment en permettant l'utilisation de traitements algorithmiques pour analyser des données en source ouverte ; la création d'un cadre pénal permettant de poursuivre les émeutiers mobilisant des supports numériques pour participer à des violences urbaines, singulièrement en portant à trois ans d'emprisonnement la peine encourue pour la participation à un groupement afin de rendre possible la réquisition des données de connexion.

En quatrième lieu, le rôle des polices municipales en cas d'émeutes doit être précisé. En effet, il est indispensable de renforcer la complémentarité opérationnelle entre les polices municipales et les forces de l'ordre en période d'émeutes, dans le respect des prérogatives, en modernisant les outils de coordination existants et en facilitant la constitution de patrouilles mixtes entre policiers municipaux et forces de sécurité intérieure.

Parallèlement, lorsque le maire est d'accord, l'action des polices municipales doit être facilitée en période d'émeutes. Pour ce faire, il m'apparaît utile d'aligner les prérogatives de police judiciaire confiées aux policiers municipaux sur celles des gardes-champêtres, en élargissant celles-ci à la saisie d'objets dangereux - mortiers d'artifices, armes par destination - afin de répondre aux nécessités du contexte émeutier.

Enfin, un renforcement de l'équipement en vidéoprotection de toutes les communes, y compris rurales ou de petite taille, est nécessaire. Il doit passer par le renforcement des moyens du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) et par une simplification des procédures de transmission des images.

En cinquième lieu, la place des élus locaux dans la gestion des émeutes doit être confortée et améliorée. Il importe d'assurer l'information systématique du maire sur les interventions organisées sur le territoire de la commune, en particulier celles qui sont lourdes ou ont un effet médiatique fort, et de permettre sa présence aux centres territoriaux de crise et aux réunions locales de sécurité.

En sixième - et dernier - lieu, nous devons améliorer le traitement judiciaire des émeutiers et mettre ainsi fin au sentiment d'impunité que peut procurer le fait d'opérer par groupe de plusieurs dizaines de personnes et par le biais de messageries en ligne privées ou de fonctionnalités offertes par les réseaux sociaux.

Pour ce faire, il nous faut adapter et renforcer la palette de mesures et de sanctions applicables aux mineurs impliqués dans des émeutes urbaines, y compris s'ils sont primo-délinquants : il semble nécessaire de permettre leur placement sous contrôle judiciaire, en centre éducatif fermé (Cef) et sous surveillance électronique mobile, et de faciliter la tenue d'audience unique sur la culpabilité et la sanction.

Il convient également d'adapter l'arsenal pénal aux comportements des émeutiers, en favorisant le développement des travaux d'intérêt général (TIG) en lien avec les collectivités, et d'adapter le contenu des stages de citoyenneté pour les mineurs ayant commis des dégradations volontaires de biens.

L'organisation du traitement judiciaire doit être perfectionnée en période d'émeutes, en particulier en équipant l'ensemble des tribunaux de moyens techniques pour visionner et écouter les données numériques et visuelles et en assouplissant le mécanisme de réquisition des agents de greffe pour garantir la mobilisation de l'ensemble de la chaîne pénale, y compris en cas de grève.

Enfin, de trop nombreuses communes nous ont fait part de difficultés assurantielles à la suite de ces émeutes. Une réflexion d'ensemble a été initiée par la commission des finances et le Gouvernement sur le modèle assurantiel des collectivités territoriales. Formulons le voeu que la question de la couverture assurantielle des collectivités en cas d'émeutes y trouve pleinement sa place, par exemple en s'inspirant du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.

En conclusion, au-delà de nos propositions qui sont volontairement restreintes au champ de compétence de la commission des lois, je tiens à souligner que les évènements de l'été 2023 appellent des réponses de long terme dans d'autres champs de l'action publique. Je pense, en particulier, aux questions du rapport à l'autorité - que celle-ci soit incarnée par les parents, les enseignants, les élus locaux ou les forces de l'ordre - ou de la pertinence, dans leur forme actuelle, des politiques publiques de logement ou d'accompagnement en faveur des quartiers prioritaires. En résumé, il faut repenser l'ensemble ! Nous avons tout de même trouvé des collègues maires en larmes : alors qu'ils réalisent un travail considérable, certains ont vu, en une soirée, tous les équipements à caractère social de leur commune détruits...

Je forme donc le voeu que nos travaux puissent être complétés par d'autres études et propositions, afin qu'une réponse globale puisse être apportée à ces accès de violences dont rien ne permet d'affirmer qu'ils ne se reproduiront pas dans un proche avenir. Notre approche met effectivement l'accent sur la dimension régalienne, propre à notre commission, mais bien d'autres dimensions entrent en jeu et pourraient être traitées par d'autres commissions ou structures.

J'ajoute à cela que, pour ma part, je vois quelques similitudes entre ces émeutes et le mouvement des « gilets jaunes » dans la façon dont le phénomène s'est enclenché et développé. Il suffit d'un événement, ici dramatique, pour qu'un nombre conséquent de personnes se mobilisent et descendent dans la rue, avec, après un mouvement spontané dans les premiers jours, une contagion à tous les territoires sans plus forcément de lien avec l'événement initial.

Dans le cas des émeutes, on a effectivement constaté des réactions opportunistes, accompagnées d'une forme de compétition entre émeutiers et d'une coordination via les réseaux sociaux, avec pour conséquences des forces de l'ordre dans l'incapacité d'agir sur ces mêmes réseaux et des commissariats parfois en très grande difficulté.

C'est pourquoi, d'ailleurs, le rôle des polices municipales est à mon sens l'un des sujets les plus importants à traiter : certains territoires, en l'absence de polices municipales suffisamment bien équipées, ont connu des situations extrêmement dangereuses ; parfois seule une intervention du Raid ou du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), alors même que ce n'est pas là leur doctrine d'emploi, a permis de calmer les choses.

Il faut donc poursuivre le travail. Ce rapport ne pouvait traiter le sujet de fond ; or, à défaut de le faire, nous connaîtrons à l'avenir d'autres difficultés de cette nature.

Mme Corinne Narassiguin. - Je salue le travail qui a été réalisé ; il était important de le faire pour mieux comprendre les émeutes survenues à partir du 27 juin dernier, à la fois sous l'angle des motivations, des éléments déclencheurs et des améliorations qui peuvent être apportées pour l'avenir. Au vu de l'étendue des auditions et déplacements réalisés, de leur variété, le groupe socialiste exprime un accord assez général sur les constations établies et l'essentiel des préconisations.

Je concentrerai donc mon propos sur un certain nombre de nuances et de points que nous aurions souhaité voir aborder plus précisément.

Il ressort des auditions que les personnes arrêtées lors des émeutes n'avaient pas de revendications identifiées en lien avec la mort de Nahel Merzouk. Pour autant, on ne peut pas nier la relation détériorée entre une partie de notre population et la police : lors de son audition, le docteur en science politique Sébastien Roché a identifié un déclencheur direct - le choc moral de la mort de ce jeune - et un déclencheur indirect - la multiplication des petits incidents et frustrations qui diminuent la confiance dans la police et créent un fort sentiment d'injustice. Cela se passe souvent lors des contrôles d'identité, qui font partie du quotidien des jeunes dans de nombreux quartiers et donnent lieu à de la brutalité, des tutoiements, des contrôles sans raison valable, etc. Une partie de la solution tient donc, aussi, dans les pratiques des forces de l'ordre, sujet sur lequel la Défenseure des droits a émis plusieurs recommandations d'ordre réglementaire et législatif. Nous regrettons qu'il n'y ait rien dans le rapport sur ce sujet.

Je voudrais également nuancer le terme « opportunisme » employé dans le rapport. Certes, des pillages ont été organisés de manière opportuniste, probablement par des réseaux délinquants capables d'organiser la revente - les enquêtes en cours permettront de le déterminer de manière certaine. Mais on a aussi assisté à des vols de produits de première nécessité, ce qui fait ressortir la question d'un pouvoir d'achat très diminué en pleine période d'inflation. Il ne faut pas non plus négliger cette dimension.

Il faut effectivement rendre automatique l'enregistrement de toutes les interventions par des caméras-piétons. L'effet viral de la vidéo du contrôle routier a aussi été lié à une mauvaise maîtrise de la communication. Dans ce type de situations, il est crucial, pour la crédibilité des forces de l'ordre, que la communication officielle soit immédiate et aussi transparente que possible, avec un déclenchement rapide des enquêtes, y compris en interne.

S'agissant des propositions sur la police municipale, des coordinations sont effectivement nécessaires en amont, mais il faudra toujours respecter le choix du maire. Celui-ci doit pouvoir décider à quel niveau et par quels moyens sa police municipale intervient, voire si elle n'intervient pas du tout.

Nous ne sommes pas à l'aise avec la proposition de porter à trois ans d'emprisonnement la peine prévue pour la participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations. J'en comprends la logique - permettre la réquisition de données de connexion -, mais une telle durée peut sembler disproportionnée par rapport à l'acte commis. Rappelons également que le prononcé de la peine doit être laissé à l'appréciation du juge.

Je salue la volonté de privilégier le recours à des peines alternatives. Les sanctions doivent aussi être individualisées et accompagnées, pour une plus grande efficacité. Je suis opposée aux mesures de sûreté pour les jeunes primo-délinquants. Dans certains cas, ce peut être nécessaire, mais - je vous renvoie aux propos de Muriel Eglin, vice-présidente du tribunal pour enfants de Bobigny - pour d'autres cas, la détention ne peut pas être la réponse.

Si l'absence de revendication politique articulée est un fait indéniable, elle constitue en soi, conjointement à la force de la colère exprimée, un message politique, et celui-ci est encore plus inquiétant. Les jeunes concernés n'estiment même plus nécessaire de revendiquer quoi que ce soit d'un système institutionnel et économique dont ils se sentent complètement exclus.

Je vous rejoins sur le fait que d'autres commissions doivent s'emparer du sujet, même si, j'y insiste, des propositions relevant de notre commission, par exemple des mesures favorisant le rétablissement des liens de confiance entre la police et la population, auraient pu être incluses dans le rapport. Il faudra continuer de travailler à la compréhension de ces événements, en évaluant mieux les conséquences à long terme, notamment au regard du traumatisme subi par les élus - vous avez évoqué les maires -, mais aussi par les commerçants et, plus largement, les acteurs de proximité dans ces quartiers.

Il faut donc espérer que ce rapport ne soit que le début d'un travail qui sera repris par d'autres.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Cela ne vous étonnera pas, mes chers collègues, je ne partage pas tout à fait l'analyse de Corinne Narassiguin. Nous avançons des propositions tout à fait intéressantes dans ce rapport, qui, cela a été rappelé, s'inscrit dans le cadre des travaux de la commission des lois. Il est effectivement essentiel d'aller plus loin au travers de démarches qui seraient engagées par d'autres commissions, en particulier sur l'analyse sociologique.

À cet égard, notons que tous les sociologues ne dressent pas les mêmes constats. Nous en avons entendu nous expliquer que certains jeunes n'avaient jamais connu d'interdits, de limites et de lois ; dès lors, il ne fallait pas s'étonner de les voir tout casser et tout piller sans se poser de questions.

En tant qu'élus, nous savons à quel point la situation a été compliquée. N'oublions pas non plus les habitants, dont certains ont été lourdement victimes. Globalement, le pillage et la casse des commerces posent question : certains commerçants, épuisés, n'ont même pas rouvert. Il faut donc aussi responsabiliser et, à ce titre, on ne peut pas faire l'économie du rôle des parents ; il me semble même anormal de les extraire du cadre des événements que nous avons vécus.

J'estime qu'à un moment il faudra évoquer la question du rapport à l'autorité, car un jeune ne respectant pas l'autorité ne respectera pas la police. Or, il faudra l'expliquer à ces jeunes, celle-ci est là pour protéger tout le monde, y compris eux-mêmes. Quand il y a des contrôles - cela nous arrive à tous de nous faire contrôler -, on respecte la loi et on ne caillasse pas tout !

Mme Nathalie Delattre. - Je voudrais saluer le travail réalisé : la liste des propositions est dense et le rapport sera très fourni. Effectivement, il s'agit bien d'un rapport de la commission des lois, qu'il sera absolument nécessaire de compléter. On pourrait notamment s'interroger sur les dispositifs de la politique de la ville, existants depuis des années, ou encore sur les thématiques d'éducation ou de responsabilité parentale.

J'ai trois remarques à formuler.

Dans les propositions, le corps spécialisé des compagnies républicaines de sécurité (CRS) n'est jamais cité. Le décloisonnement et le dézonage sont moins évidents pour eux. C'est donc bien la doctrine d'engagement qu'il faut revoir à ce niveau, et non simplement la chaîne de commandement. Il aurait été intéressant de pouvoir le spécifier.

Il serait également intéressant d'indiquer dans le rapport que nous nous emploierons à défendre la ligne budgétaire du FIPD lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF). Nous voyons effectivement la demande augmenter dans les villes pour l'installation de caméras de surveillance, et l'on sait l'importance que cela pourrait avoir, dans le contexte que nous traitons ici ou plus largement.

Enfin, s'agissant de la reconstruction, on fait appel à la seule couverture assurantielle. Sans évoquer un recours au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), qui ne met pas tout le monde d'accord, nous pourrions envisager un fonds d'urgence exceptionnel et la compensation de la fermeture des services publics.

Mme Marie Mercier. - Merci pour cet excellent travail. Nous essayons de trouver comment faire à l'avenir, mais peut-être faut-il comprendre pourquoi tout cela est arrivé... Je vous rejoins sur la comparaison avec le mouvement des « gilets jaunes ». Toutefois, alors que des « gilets jaunes », il y en avait partout, nous constatons que certaines communes ont connu des émeutes et d'autres non, pour des populations très ressemblantes. D'où la nécessité d'une analyse sociologique plus fine.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Quand nous les avons auditionnés, les représentants de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et les sociologues nous ont donné l'explication : en croisant les cartes, on voit vite que les émeutes ont concerné des secteurs dont les habitants perçoivent de faibles revenus, avec des difficultés financières et d'emploi, et ce indépendamment du caractère urbain ou rural de la zone. Ainsi, 53 % des communes touchées sont des communes de moins de 20 000 habitants. C'est également très parlant. Par ailleurs, comme l'a justement indiqué Corinne Narassiguin, à l'opportunisme du début, qui a conduit des personnes à aller se servir dans des magasins vendant des produits plutôt luxueux, on est ensuite passé au tout-venant de la vie quotidienne.

Mme Catherine Di Folco. - Une des propositions du rapport vise à interdire la vente en ligne ou par voie postale de mortiers d'artifice. Quid des individus qui traversent les frontières pour faire le ravitaillement ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Effectivement, on a vu des ravitaillements par véhicule, mais cela vient beaucoup par le biais de la vente en ligne.

M. Guy Benarroche. - Merci pour le travail effectué, qui est très documenté et argumenté.

Pour moi, il n'est pas question d'un moindre respect de l'autorité. Ce qui me semble primer chez les émeutiers, c'est un sentiment de déclassement, de mise à l'écart de la société, pour des éléments souvent liés à la consommation. Sans faire de lien entre les deux - il n'y en a pas -, j'observe que c'est ce même sentiment que l'on retrouve dans le lumpenprolétariat du narcotrafic. Il y a partout des images de consommation à outrance et d'argent facile, amplifiées par les réseaux sociaux. Ceux-ci, en plus de favoriser l'organisation des émeutes, véhiculent une réalité déformée et renforcent ce sentiment de déclassement.

Je suis d'accord avec la plupart des préconisations avancées, mais je rejoins les propos de ma collègue Corinne Narassiguin sur la vision de la police : certains citoyens ne s'estiment pas représentés par la police, et je le déplore. Il faut restaurer la confiance. Dans la réalité, tout le monde n'est pas contrôlé de la même manière : certains ne le sont pas, d'autres le sont toujours et ils le perçoivent.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous évoquons très clairement la question des relations avec la police dans le rapport, tout comme le rôle des parents, dont certains - précisons-le - sont descendus dans la rue pour récupérer leurs enfants.

S'agissant des peines encourues, l'idée est de donner au juge la palette la plus large pour que celui-ci puisse adapter la sanction au cas particulier sur lequel il doit statuer.

Par ailleurs, l'inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie d'une quarantaine de dossiers, pour lesquels nous n'avons pas tous les résultats.

Enfin, vous avez entendu comme moi que le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur voulaient travailler sur une évolution de la police municipale : j'appelle à la plus grande prudence sur le sujet, car l'objectif ne doit pas être que la police municipale supplée la police nationale. On peut entendre que, ponctuellement, elle puisse collaborer au regard d'un besoin particulier, mais cela ne peut être permanent.

Pour clore la discussion, je vous redonne les principaux éléments chiffrés contenus dans le rapport. Le nombre de communes concernées atteint 672 communes dans 95 départements, dont 300 communes réparties sur 65 départements ont connu des tirs de mortiers. Par ailleurs, 53 % des communes concernées sont des communes de moins de 20 000 habitants. En volume, on estime le nombre d'émeutiers à 50 000 pour 45 000 membres des forces de l'ordre mobilisés. Il y a eu 4 282 personnes placées en garde à vue entre le 27 juin et le 10 juillet 2023 ; 2 personnes décédées et plus de 1 000 blessés, dont 782 parmi les agents des forces de l'ordre et 3 parmi les sapeurs-pompiers ; près de 2 000 atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publiques et 684 faits de violences à l'encontre d'élus ou de personnes chargées de missions de service public ; 2 508 bâtiments incendiés ou dégradés, dont 273 bâtiments des forces de l'ordre, 105 mairies et 243 bâtiments scolaires ; 12 031 véhicules incendiés, plus d'un millier de commerces vandalisés ou pillés, dont 436 débits de tabac et 370 agences bancaires ; près de 1 milliard d'euros de dommages aux biens, dont 27 % du montant est supporté par les collectivités territoriales. L'Île-de-France est la première région touchée, avec 38,9 % des sinistres déclarés et 42,5 % du coût total.

Mme Catherine Di Folco. - Votre liste à la Prévert éveille en moi le souvenir de la loi du 25 juillet 2023 relative à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 dont j'ai été rapporteur. Nous avons fait un travail en extrême urgence pour permettre aux communes de reconstruire rapidement, notamment les écoles. Je ne suis pas certaine que cela ait servi...

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Effectivement, nous le mentionnons dans le rapport : on nous a fait voter dans des délais extrêmement contraints un texte qui ne s'est appliqué que trois mois plus tard et dont seulement 12 communes, parmi celles que la mission d'information a consultées, ont pu bénéficier.

Les recommandations sont adoptées.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Je vous propose par ailleurs d'intituler le rapport : « Émeutes de juin 2023 : comprendre, évaluer, réagir. »

Le titre du rapport est adopté.

La mission d'information adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

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