C. DES ÉTABLISSEMENTS LOCALISÉS QUASI EXCLUSIVEMENT DANS LES ZONES URBAINES
1. La qualification en établissement d'éducation prioritaire déterminée par la proximité avec un QPV
La carte de l'éducation prioritaire a été refondue en 2015, sur le fondement d'un « indice social unique » affecté à chaque collège, qui comprenait :
- la proportion d'élèves appartenant aux catégories sociales défavorisées ;
- la proportion d'élèves boursiers ;
- la proportion d'élèves en retard à l'entrée en sixième ;
- le nombre d'élèves résidant à moins de 300 mètres d'un quartier prioritaire de la ville (QPV).
En utilisant cet indice, les recteurs ont ensuite interrogé les acteurs locaux, afin d'établir la carte de l'éducation prioritaire au niveau de l'académie. Or d'après la Cour, « la carte théorique correspondant à ces critères nécessitait 350 réseaux entrants et 350 réseaux sortants ». Au regard des spécificités locales, les recteurs ne sont parvenues qu'à faire sortir 195 établissements de l'éducation prioritaire, contre 206 entrées dans le réseau.
Il est justifié de laisser les recteurs d'académie conduire un dialogue au niveau local pour définir les établissements concernés par l'éducation prioritaire, tout en utilisant des critères définis au niveau national. Les spécificités locales peuvent ainsi être prises en compte, tout en limitant les inégalités de définition au niveau national.
Toutefois, la méthode de labellisation des établissements utilisée en 2015 présente plusieurs limites.
D'une part, elle conduit à favoriser les zones urbaines, au détriment de la ruralité, marquée pourtant par des difficultés propres génératrices d'inégalités scolaires. Le dialogue conduit par les recteurs a pu engendrer la classification de certains établissements ruraux dans l'éducation prioritaire, mais uniquement à la marge. Ainsi, seul un collège rural est classé en REP +, le collège de Bohain-en-Vermandois dans l'académie d'Amiens. Exclure la ruralité de la politique de l'éducation prioritaire n'est pourtant pas justifié, au regard de l'objectif de rattrapage des inégalités scolaires et des difficultés rencontrées par les élèves éloignés des grands centres urbains.
Par ailleurs, un tel indice n'était disponible qu'au niveau des collèges. Les écoles n'ont été classées en REP et en REP + qu'en fonction de leur proximité avec un collège marqué par des difficultés sociales spécifiques. Pour autant, en particulier dans les zones urbaines très denses, la sociologie d'un quartier peut changer du tout au tout sur quelques centaines de mètres. De plus, les données d'indice de position sociale sont maintenant disponibles au niveau de chaque école primaire. Il serait donc souhaitable de sortir d'une logique de réseau d'éducation prioritaire concernant les écoles, et de leur attribuer les moyens propres à l'éducation prioritaire grâce à une étude par établissement. Une telle méthode permettrait de se rapprocher des réalités du terrain, tout en favorisant une allocation efficiente des moyens.
Recommandation : en vue d'une allocation plus ciblée des moyens, passer d'une logique de réseau à une logique d'établissement pour définir les établissements du premier degré relevant de l'éducation prioritaire (ministère de l'éducation nationale).
2. Des dispositifs complémentaires indispensables pour pallier les angles morts de la politique d'éducation prioritaire
a) Les cités éducatives
La politique de l'éducation prioritaire ne permettait toutefois pas de répondre à toutes les problématiques d'inégalités scolaires. D'autres dispositifs ont été lancés par le ministère de l'éducation nationale pour pallier certains manques.
En particulier, les cités éducatives ont été lancées en 2018, en partenariat avec le ministère de la ville. Le dispositif, copiloté par l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) et le rectorat, a pour objectif de favoriser la réussite scolaire des jeunes entre 0 et 25 ans, dans une démarche associant l'ensemble des acteurs locaux (caisse d'allocation familiales, collectivités territoriales, établissements scolaires etc.). Chaque quartier prioritaire de la ville peut se porter candidat à un projet de cité éducative, qui entraine une contractualisation sur trois ans entre la préfecture, le rectorat et la collectivité. Aujourd'hui, 208 cités éducatives ont été lancées.
Comme le relève la Cour des comptes, les cités éducatives constituent un « exemple intéressant d'approche interministérielle et concertée avec les collectivités ». Elles permettent d'inclure des jeunes en-dessous des trois ans et après 16 ans, qui ne bénéficient pas de la politique de l'éducation prioritaire au vu de leur âge. L'implication d'un grand nombre d'acteurs différents, en particulier des élus locaux, autour de la politique prioritaire constitue une approche à privilégier.
Recommandation : renforcer le pilotage concerté entre le ministère de l'éducation nationale, le ministère chargé de la politique de la ville, les préfectures, les collectivités territoriales et les acteurs locaux de l'insertion concernant la politique de l'éducation prioritaire, sur le modèle des cités éducatives (ministère de l'éducation nationale, ministère chargé de la politique de la ville, collectivités, préfecture).
b) Les contrats locaux d'accompagnement
Les contrats locaux d'accompagnement, lancés en 2021, concernant dix académies hexagonales (notamment Versailles ou Lyon) et les cinq académies ultramarines, visent à apporter des moyens supplémentaires aux établissements qui ne font pas partie de l'éducation prioritaire, mais dont les indicateurs sociaux sont fortement dégradés. Il s'agit d'une expérimentation de trois ans, qui permet notamment de financer certaines missions supplémentaires des enseignants ou des postes supplémentaires dans le premier degré. Toutefois, la Cour regrette concernant ce dispositif que « la réflexion porte essentiellement sur la périphérie de la classe et peu sur les pratiques enseignantes et la prise en charge directe des difficultés des élèves ».
Par ailleurs, il est difficile pour les établissements d'engager des projets et une organisation de long terme avec les contrats locaux d'accompagnement, au vu du caractère expérimental du dispositif.
c) Les territoires éducatifs ruraux
Pour répondre aux problématiques de la ruralité, exclue de la politique de l'éducation prioritaire, le ministère de l'Éducation nationale a lancé le dispositif des territoires éducatifs ruraux (TER) en 2021 dans les académies de Normandie, Nancy-Mets et Amiens. Le dispositif a été étendu en 2024 à l'ensemble des départements, pour un budget de 5,5 millions d'euros. L'objectif des TER est de renforcer les synergies entre l'éducation nationale et les collectivités locales. Toutefois, les moyens mobilisés ont été très restreints, à hauteur de 90 000 par TER, contre par exemple 1 million d'euros par cité éducative. La Cour des comptes regrette également la « dispersion des moyens » ainsi que l'absence d'une politique de gestion des ressources humaines attractive dans les territoires ruraux.
Les TER, s'ils constituent une initiative intéressante, ne permettent pas de répondre aux enjeux scolaires des territoires ruraux.
Par ailleurs, il faut noter le manque de lisibilité de l'ensemble de ces politiques, trop enchevêtrées les unes aux autres. Chacune d'entre elles implique de plus la rédaction d'un projet par les établissements scolaires, source de lourdeur administrative, au détriment d'un temps consacré plus utilement aux élèves.