B. UNE CARTOGRAPHIE DE L'ÉDUCATION PRIORITAIRE PEU ADAPTÉE AUX ENJEUX TERRITORIAUX
1. Une localisation des établissements de l'éducation prioritaire en inadéquation avec certains indicateurs sociodémographiques
La non révision de la carte scolaire depuis 2015 conduit à une labellisation des établissements dans l'éducation prioritaire qui n'est plus adaptée à la réalité du territoire, alors que les indicateurs socio-économiques ont fortement évolué. Les inégalités se sont accentuées entre les territoires en dix ans d'après l'INSEE et la ségrégation spatiale s'est accentuée dans certaines villes et atténuée dans d'autres. Elle est particulièrement forte à Marseille, Lille ou encore Angers.
Comme le relève la Cour des comptes, « cinq collèges avec un indice de position sociale (IPS) supérieur à 110 sont classés en éducation prioritaire ; à l'inverse, seize collèges avec un IPS inférieur à 80 sont situés hors éducation prioritaire, dont le 104ème collège qui présente un IPS le plus bas (70,5) ». De même, 48 écoles de l'éducation prioritaire ont un IPS supérieur à 110 en 2022 et 174 écoles un IPS compris entre 100 et 110, alors que l'IPS moyen en France est de 105.5.
Nombre d'écoles de l'éducation prioritaire par décile d'IPS en 2022
Source : commission des finances d'après la DEPP
La géographie des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) a par ailleurs été remise à jour en 2024 dans l'hexagone, et au 1er janvier 2025 dans la métropole. Elle témoigne de l'évolution des situations territoriales.
Localisation des écoliers en fonction du périmètre de QPV retenu
Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale et l'ANCT
Ainsi, au sens des QPV définis en 2015, plus de 450 000 collégiens en REP/REP + étaient scolarisés dans un établissement localisé en dehors d'un QPV. Suite à la refonte du périmètre des QPV, ce nombre a diminué de 18 % pour s'établir à 373 000 collégiens. Près de 700 000 écoliers en REP/REP + étaient scolarisés dans un établissement localisé en dehors d'un QPV. Suite à la refonte du périmètre des QPV, ce nombre a diminué de près de 20 % pour s'établir à 564 000 écoliers. De façon surprenante, la nouvelle géographie de l'éducation prioritaire parait plus adaptée que la précédente aux dynamiques territoriales de l'éducation prioritaire.
Une révision de la carte de l'éducation prioritaire est toutefois absolument urgente et indispensable, pour garantir une meilleure adéquation des moyens aux réalités territoriales et pour permettre la prise en compte de territoires laissés de côté par la politique de l'éducation prioritaire dans la ruralité.
Recommandation : mettre à jour la carte de l'éducation prioritaire (ministère de l'éducation nationale).
2. Les territoires ruraux, oubliés de l'éducation prioritaire
Les territoires ruraux sont en particulier les « oubliés » de l'éducation prioritaire, au vu du critère de proximité avec un QPV utilisé pour la labellisation d'un établissement dans l'éducation prioritaire.
Pour autant, les difficultés de la ruralité sont très importantes. Ainsi, les résultats au diplôme national du brevet des territoires ruraux sont inférieurs de 10 points à ceux de la moyenne nationale. De même, comme le relève la Cour des comptes, « les élèves résidant dans les communes rurales ont un taux de passage en seconde générale et technologique de 10 points inférieur aux élèves des communes urbaines très denses ». En effet, les décisions d'orientation dépendent fortement également de la proximité géographique des lycées généraux et technologiques avec le foyer des élèves. En zone rurale, les élèves subissent ainsi une difficulté complémentaire liée à l'isolement géographique.
Ainsi, dans la redéfinition de la carte de l'éducation prioritaire, il faut utiliser des critères permettant d'intégrer les difficultés propres à la ruralité. Par exemple, le critère de l'indice d'éloignement constituerait un apport bénéfique pour prendre en compte la ruralité. De plus, un critère de mobilité résidentielle pourrait être intégré à la redéfinition de l'éducation prioritaire. En effet, le fait de changer souvent de domicile caractérise les populations fragiles.
Recommandation : intégrer des critères propres aux difficultés de la ruralité dans la future redéfinition de la cartographie de l'éducation prioritaire (ministère de l'éducation nationale).
Par ailleurs, les départements disposent de capacités d'aménagement de la carte scolaire, dont ils se sont très peu saisis. Pourtant, il pourrait s'agit d'une opportunité bénéfique pour rapprocher la carte de l'éducation prioritaire des réalités et spécificités locales, avec une implication des élus. De telles initiatives sont à encourager pour améliorer l'efficience de l'allocation des moyens.
3. La nécessité d'une allocation progressive des moyens aux établissements dans le cadre de la politique de l'éducation prioritaire
Enfin, il serait opportun de revoir dans sa globalité la politique d'allocation des moyens. Comme le relève la Cour des comptes, « la logique de zonage, par nature binaire, apparaît mal adaptée pour rendre compte de la difficulté sociale et scolaire dispersée ou en évolution ». En effet, certains établissements classés REP + ont pourtant des difficultés sociales moindres par rapport à d'autres établissements classés de la même manière, par exemple.
C'est d'ailleurs le sens de la mise en oeuvre des contrats locaux d'accompagnement, des cités éducatives ou encore des territoires éducatifs ruraux. Ces politiques contribuent pourtant à brouiller la lisibilité des politiques publiques. Elles complexifient par ailleurs la tâche administrative des directeurs d'établissement.
Une politique d'allocation progressive des moyens serait donc bienvenue, les établissements recevant plus ou moins de financements en fonction d'un indice national et d'un dialogue local, qui serait reconduit chaque année. L'allocation progressive permettrait une allocation plus efficiente des crédits budgétaires entre les établissements. Elle pourrait s'accompagner d'une contractualisation unique entre les établissements et le rectorat, mise à jour chaque année. L'objectif serait d'impulser une dynamique pédagogique commune aux équipes, tout en limitant le nombre de projets d'établissement à rédiger, par la suppression des politiques de cités éducatives par exemple.
Recommandation : mettre en oeuvre une véritable progressivité des moyens consacrés à la politique d'éducation prioritaire pilotée au niveau académique, en refondant l'ensemble des dispositifs existants (cités éducatives, contrats locaux d'accompagnement, territoires éducatifs ruraux, REP et REP +) en un seul continuum de moyens alloués aux établissements selon certains indicateurs socio-économiques (ministère de l'éducation nationale).
Un effet de bord bénéfique serait en plus de supprimer la labellisation d'un établissement en REP ou en REP +, qui peut faire office de repoussoir pour les familles et les encourager à des phénomènes d'évitement. Ainsi, la mixité sociale pourrait s'en trouver renforcée plus largement, avec des effets bénéfiques en termes de réduction des inégalités scolaires et de cohésion sociale à l'échelle du territoire.