B. LA FRANCE SE DISTINGUE PAR UN TAUX D'EMPLOI DES SENIORS RELATIVEMENT FAIBLE PAR RAPPORT AUX ÉCONOMIES VOISINES COMPARABLES
1. Les comparaisons internationales font ressortir la particularité française
Au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France apparaît comme un pays dans lequel le taux d'emploi des seniors est particulièrement faible. En effet, alors que l'Allemagne emploie en 2024 75,2 % de ses 55-64 ans et que ce taux atteint 75,3 % aux Pays-Bas, la France peine à atteindre 60,4 %.
Taux d'emploi des 55-64 ans dans plusieurs pays de l'OCDE en 2024
Source : commission des finances, données OCDE
Le taux d'emploi des seniors en France est en outre en deçà de la moyenne des pays de l'OCDE et de celle des pays de l'Union européenne (UE). Cette spécificité provient d'une structure du marché du travail plus rigide en France que dans d'autres pays et de réformes des retraites plus prudentes que dans d'autres pays de l'OCDE, notamment sur la question de l'âge de départ en retraite.
Cette analyse est ainsi mise en évidence dans la note10(*) de l'Institut des politiques macroéconomiques et internationales (i-MIP) de mars 2025. De 1970 au milieu des années 1990, l'ensemble des pays de l'OCDE tendent à réduire l'âge moyen de départ en retraite de leurs citoyens. Cela correspond à une sorte d'âge d'or du modèle de protection sociale occidentale, où les gains de croissance et de productivité ainsi que l'accroissement du nombre d'actifs permettent une hausse du niveau de vie et une réduction du temps passé au travail.
Cependant, à partir du milieu des années 1990, le reflux est significatif et, du fait d'un renversement tant des gains de productivité que de croissance et d'une diminution de la natalité, les âges moyens de départ à la retraite repartent à la hausse. Cette bascule est néanmoins différenciée en fonction des pays et la France se distingue par plusieurs spécificités.
Âge moyen de départ en retraite dans plusieurs pays de l'OCDE de 1975 à 2020
Source : commission des finances, données OCDE
La France, comme l'indiquent les économistes de l'i-MIP11(*), se distingue par un retard d'une dizaine d'année dans le début de relèvement de l'âge moyen de départ en retraite. Alors que le point bas est atteint dans les autres pays de l'OCDE en 1995, il ne survient en France qu'en 2005.
En outre, il apparaît que le relèvement de l'âge est non seulement plus lent mais aussi plus faible. Ainsi, la pente montante depuis 2005 forme une parabole inversée plus évasée que dans les autres pays. Ceci est notamment visible pour les hommes : la phase de baisse de l'âge de départ moyen est plus longue et plus pentue que dans les autres pays, celle de hausse plus tardive et plus timide. L'analyse pour les femmes est réplicable quoique moins apparente, du fait de carrières souvent incomplètes.
La conséquence première de cet âge de départ moyen en retraite plus faible en France que dans les autres pays de l'OCDE est le constat d'un taux d'emploi des seniors qui s'est creusé, notamment à partir du début des années 2000. Ainsi, l'écart d'environ 15 points de pourcentage par rapport à l'Allemagne sur le taux d'emploi des seniors s'est creusé particulièrement entre 2000 et 2008. Il est environ stable depuis, en lien avec la hausse progressive de l'âge moyen de départ en retraite en France.
Comme l'indique la direction générale du Trésor dans les réponses données au questionnaire envoyé par la rapporteure, la hausse de l'écart de taux d'emploi des seniors entre la France et l'Allemagne est une des conséquences des réformes du marché du travail outre-Rhin. Sur la période 2005-2012, près de 2,5 millions d'emplois y ont été créés. Ces réformes intégraient notamment la fermeture des options de départ anticipé à la retraite et une baisse des charges sociales patronales, ce qui a favorisé le maintien en emploi de personnes proches de l'âge de la retraite.
Taux d'emploi des 55-64 ans depuis 2003 dans plusieurs pays de l'OCDE
Source : commission des finances, données Eurostat et OCDE
Cette différence structurelle et de long-terme repose sur plusieurs spécificités françaises qui expliquent ce décalage.
2. Plusieurs facteurs expliquent ce décalage français en termes de taux d'emploi des seniors
a) L'âge de départ en retraite est plus bas en France que dans d'autres pays comparables
Comme l'indiquait l'analyse dans le temps long développée supra, la France a accru l'âge légal de départ en retraite de façon moins rapide et de façon plus tardive que certains autres pays de l'OCDE. Aujourd'hui, par rapport notamment aux pays comparables en termes économiques ou de démographie, la France apparaît parmi les pays dont l'âge de départ à la retraite est parmi les plus bas.
L'OCDE calcule l'âge normal de la retraite (ANR), c'est-à-dire l'âge d'éligibilité à tous les régimes de retraite combinés sans pénalité, sur la base d'une carrière complète à partir de l'âge de 22 ans. Il ressort, lorsque l'on compare l'ANR des pays similaires à la France, que cette dernière se classe parmi les pays où le départ a lieu le plus tôt : par rapport à l'Allemagne, l'âge normal est par exemple moins élevé d'un an en France.
Âge normal de la retraite actuel et futur, en 2022, dans plusieurs pays de l'OCDE
Source : commission des finances, données OCDE
En outre, il convient de noter que l'âge normal futur de départ en retraite, c'est-à-dire l'âge auquel les personnes entrant aujourd'hui prendront leur retraite du fait de la montée en charge des réformes déjà adoptées, accentue le retard français. Ceci est particulièrement préoccupant au vu de l'effondrement de la natalité12(*), qui pouvait jusqu'à récemment être un argument pour expliquer la lenteur du recul de l'âge.
Or, l'un des déterminants principaux de l'âge de départ en retraite, et donc du taux d'emploi des seniors est celui de l'âge de départ. En effet, ce que les économistes appellent « l'effet horizon »13(*) met en évidence un lien direct entre la législation des retraites - en particulier les conditions de départ en fonction de l'âge - et le marché du travail pour les seniors.
L' « effet horizon » est mis en évidence dans l'UE lorsque l'on constate les principaux motifs de départ en retraite. Tant en France qu'en Allemagne que dans l'ensemble de l'UE, le principal motif de départ est l'atteinte des droits à la pension : l'âge légal de départ est donc bien le facteur principal qui détermine l'entrée en retraite. C'est donc aussi lui qui joue le plus mécaniquement sur le taux d'emploi.
Principal motif de départ en retraite en
France, en Allemagne
et dans l'Union européenne
Source : commission des finances, données Eurostat
Le motif de l'atteinte de l'âge est, d'ailleurs, plus élevé en France de 9 points qu'en Allemagne. La France présente en revanche un taux de maladie ou d'invalidité personnelle inférieur à la moyenne européenne - 5 %, contre 7 % au sein de l'Union européenne et 10 % en Allemagne - signe d'un accompagnement de la santé des travailleurs probablement de meilleure qualité.
Des âges de départs différenciés en fonction des régimes permettant d'identifier les potentielles sources de croissance du taux d'emploi
Fruits de l'histoire et de la montée en charge progressive des réformes des retraites, les âges de départ diffèrent selon le régime principal auquel adhèrent les pensionnés au cours de leur carrière.
Parmi les retraités - monopensionnés ou polypensionnés - nés en 1953 et résidant en France, génération choisie pour l'exemple par la DREES dans l'étude sur les retraités en 202414(*), on constate ainsi une disparité, notamment entre le régime général et les retraités de la fonction publique.
En moyenne, les assurés du régime général partent un peu plus de 2 ans plus tard que les retraités de la fonction publique. Avec les civils de la fonction publique d'État, l'écart est de deux ans, quand il atteint 2 ans et 2 mois avec les agents de la fonction publique territoriale et hospitalière (CNRACL).
Ce constat tient notamment au fait que certains fonctionnaires ont la possibilité de liquider plus tôt leurs droits au titre de la catégorie active.
Âge de départ à la retraite et
répartition des retraités nés en 1953,
selon le
régime principal
Note : Fonction publique d'État (FPE), Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), Mutualité sociale agricole (MSA).
Source : commission des finances, données DREES
Il apparaît que l'ensemble du secteur public tend à prendre, en analyse brute, sa retraite à un âge moins élevé que le régime général et les autres régimes du secteur privé. Il convient cependant de noter que les effets des réformes des retraites précédentes tendent à accroître l'âge de départ mécaniquement. Ainsi, les artistes des choeurs de l'Opéra de Paris ont vu, en 2011, leur âge d'ouverture des droits (AOD) reculer de 50 à 57 ans. Les personnels administratifs de ce même établissement ont vu l'AOD être décalé à 62 ans lors de cette même réforme.
En outre, il est possible de neutraliser les départs anticipés en fixant conventionnellement à l'AOD - 61 ans et 2 mois pour la génération 1953 - l'âge de départ pour tous les régimes. Ceci permet de savoir si certains d'entre eux sont propices à des départs anticipés à l'approche de l'ouverture des droits.
Les distinctions sont alors très resserrées : l'écart d'âge moyen de départ à la retraite n'est plus que de 1 mois entre le régime général et les fonctionnaires civils de l'État et de 3 mois avec les agents de la fonction publique territoriale et hospitalière.
Ceci montre que l'âge d'ouverture des droits est bien le premier des paramètres qui influence l'âge de départ en retraite.
Source : commission des finances
Comme l'indiquent les réponses des économistes de l'i-MIP sollicités par la rapporteure, tant les seniors que les entreprises doivent fournir un investissement pour demeurer en emploi.
D'une part, les seniors au chômage doivent faire l'effort de rechercher du travail ou de s'investir dans leur emploi pour le conserver.
D'autre part, les entreprises doivent investir dans le recrutement, la formation et l'organisation du travail pour créer des postes de travail qui conviennent aux qualifications et aux aspirations des seniors.
Or, ces efforts ne sont rentables que si la relation d'emploi qui pourrait se créer ou perdurerait dure suffisamment longtemps pour rembourser, grâce à richesse qu'elle crée, les investissements effectués pour que cette relation existe.
Si cette réflexion s'applique pour l'ensemble des actifs, elle concerne particulièrement les seniors, car leur sortie définitive du marché du travail est par défaut plus proche que celle des actifs de moins de 55 ans. Il en ressort que l'accroissement de l'âge légal de départ à la retraite est le moyen le plus sûr pour accroître le taux d'emploi des seniors.
Représentation schématique de
l'effet des réformes d'âge
sur la distance des seniors
à la retraite et sur leur maintien en emploi
Source : Commission des finances, d'après les réponses au questionnaire envoyé aux économistes de l'i-MIP.
Cependant, l'allongement de l'âge de départ ne résout pas la problématique de maintien en emploi des seniors lorsque la distance à la retraite se retrouve réduite. En France, le recul de l'âge est aujourd'hui un point bloquant de toute négociation. Il convient donc de rechercher des moyens d'accroître l'employabilité pour une distance à la retraite donnée, peu importe l'âge d'atteinte du taux plein.
b) Plusieurs aspects structurels du marché du travail français encouragent la sortie anticipée du marché du travail des seniors
Plusieurs particularités de la France quant à la structure de son marché du travail expliquent la sortie prématurée de certains seniors.
D'abord, le marché du travail en France est très polarisé et, s'il permet sans difficulté aux personnes avec un haut niveau de diplôme de s'insérer et de demeurer en emploi, les personnes moins diplômées ont de grandes difficultés à le faire. En particulier, on constate que le taux d'emploi des seniors peu diplômés tend à se réduire particulièrement rapidement.
Taux d'emploi par tranche d'âge et selon le niveau de diplôme en France en 2023
Source : commission des finances, données INSEE
Entre les 25-49 ans et les plus de 50 ans, on voit ainsi que le taux d'emploi des personnes titulaires d'un diplôme supérieur, s'il se réduit fortement de 36,5 points, celui des moins diplômés se réduit de 40,9 points. Cela indique, outre la propension moindre à être en emploi tout au long du cycle de vie, une difficulté plus grande pour les seniors les moins diplômés à se maintenir en emploi ou à y demeurer.
L'âge de première perception d'une retraite en France confirme cette idée. En effet, l'âge moyen de première perception d'une pension s'élève à 60,4 ans en France mais masque une forte hétérogénéité par niveau de diplôme.
En 2023, les individus les plus diplômés partent en moyenne à plus de 62 ans, tandis que les moins diplômés sont centrés autour de 61 ans.
Âge de première perception d'une
pension en France
en fonction du diplôme
Source : commission des finances, données enquête emploi en continue (EEC)
Cet écart entre les niveaux de diplômes s'explique en partie par la durée des études supérieures : elle conduit à allonger le temps nécessaire, pour les diplômes les plus élevés, à obtenir les annuités requises pour partir en retraite.
Néanmoins, la qualification des travailleurs apparaît comme un facteur clé du retour à l'emploi ou du maintien en emploi. Il convient alors de développer des solutions pour que les seniors puissent revenir en formation ou puissent se former au long de la vie, afin de réduire l'incidence primitive et déterminante du diplôme obtenu dans les jeunes années.
La difficile intégration des personnes les moins productives au marché du travail est d'autant plus problématique que la population des NER en bonne santé et pas mise au chômage est justement constituée de personnes aux qualifications qui sont généralement faibles : l'INSEE indique en 2021 que 38 % de ces derniers n'ont soit pas de diplôme soit un certificat d'études primaires (CEP) ou le brevet des collèges et que 43 % ont un niveau baccalauréat, CAP, BEP ou équivalent. Ainsi, 81 % des NER qui ne sont ni au chômage ni arrêtés pour maladie ont un bas niveau de diplôme, ce qui renforce la difficulté de leur employabilité.
En outre, certaines caractéristiques françaises posent des difficultés au maintien en emploi ou à la reprise d'un emploi pour les personnes ayant bénéficié d'études supérieures et possédant un haut niveau de diplôme. Ainsi, la courbe des salaires, en particulier pour les personnes les plus diplômées, connaît une croissance ininterrompue, au contraire de la majorité des pays européens15(*).
Évolution des salaires en fonction de
l'âge et du niveau de diplôme
en France en 2018
(Basse 100 à 25 ans)
Note de lecture : les hommes avec un diplôme supérieur ou égal au bac ont un salaire 86 % plus élevé à 60 ans qu'à 25 ans, contre 60% plus élevé pour ceux ayant un diplôme inférieur au bac.
Source : commission des finances, données France Stratégie et d'après l'enquête emploi de l'INSEE
Cette évolution croissante constante pèse nécessairement sur les entreprises qui peuvent hésiter à embaucher, du fait des exigences salariales qui sont inhérentes à l'emploi d'un senior à haut niveau de qualification.
S'ajoute à ces deux premiers aspects une difficulté des employeurs, en France, à proposer des emplois qui correspondent aux aspirations des seniors, à savoir des emplois à proximité de leur domicile, à temps partiel ou à durée limitée. Ce manque de flexibilité du marché français, où par exemple le temps partiel est bien moins développé qu'en Allemagne, pénalise le maintien ou l'e retour des seniors en emploi.
Or, comme le montre une étude récente de l'Unédic16(*), une part importante des allocataires seniors déclare rechercher au moins deux des trois critères que sont la proximité du domicile, le temps partiel ou la durée limitée pour l'obtention d'un nouvel emploi.
Évolution en fonction de l'âge et de la situation d'emploi précédant le chômage de la part d'allocataires déclarant chercher dans leur prochain emploi au moins deux des trois critères suivants : proximité, temps partiel ou durée limitée
Source : commission des finances, données Unédic et MiDAS
Le graphique ci-dessus montre bien comment, pour toute situation confondue, le désir de travailler proche de chez soi, pour une durée moindre, s'accroît à mesure que se rapproche la retraite.
Le développement de solutions de travail à temps partiel, dans des métiers parfois à moins haute valeur ajoutée et assurant le lien social, pourrait être une manière de favoriser le maintien en emploi des seniors.
Enfin, le point le plus systémique est l'existence des filières seniors, qui encouragent les entreprises à licencier ou accepter des ruptures conventionnelles avec leurs salariés lorsqu'ils approchent de l'âge de la retraite. L'« effet horizon » peut alors jouer en faveur de la mise au chômage des seniors, dans la mesure où ces derniers peuvent être indemnisés parfois jusqu'à l`atteinte de l'âge d'ouverture de leurs droits à la retraite.
Durée potentielle maximale d'indemnisation
chômage
selon l'âge lors de la perte du dernier
emploi
Moins de 50 ans |
50 à 52 ans |
53 et 54 ans |
55 et 56 ans |
57 ans et plus |
|
Depuis avril 2025 |
18 mois |
18 mois |
18 mois |
22,5 mois |
27 mois |
Entre février 2023 et mars 2025 |
18 mois |
18 mois |
22,5 mois |
27 mois |
27 mois |
Entre novembre 2017 et janvier 2023 |
24 mois |
24 mois |
30 mois |
36 mois |
36 mois |
Source : commission des finances
Les nouvelles règles d'indemnisation chômage en vigueur depuis le mois d'avril 2025 reculent l'âge à partir duquel les seniors bénéficient d'une protection chômage allongée. En effet, les seniors sont éligibles aux mesures protectrices à partir de 55 ans et non plus de 53 ans. Néanmoins, dès 57 ans, il est possible d'atteindre plus de 2 ans d'indemnités chômage.
En outre, des mesures comme le dispositif de maintien des droits jusqu'à la retraite à taux plein ou l'allongement de la durée d'indemnisation au titre des périodes de formation suivies viennent accentuer cette mise en chômage facilitée des seniors.
Une étude17(*) de l'UNEDIC de mars 2024 mettait en évidence l'existence, entre 58 et 60 ans, d'un léger rebond du nombre de personnes entrant à l'Assurance chômage, alors que ce chiffre baisse régulièrement avec l'âge. Ces personnes, de 6 000 à 10 000 selon l'étude, sur une tranche d'âge d'1,3 million de salariés du privé, sont très majoritairement des personnes qui présentent deux caractéristiques : elles ont rompu un CDI d'au moins 10 ans après une rupture conventionnelle ou connu un licenciement et entrent, pour 75 % d'entre elles, pour la première fois à l'Assurance chômage en 30 ans.
S'il est difficile de mettre en évidence un lien de causalité direct entre l'existence d'une filière senior et cette hausse du nombre de personnes au chômage à l'approche de l'âge d'ouverture des droits, la question de l'effet d'aubaine potentiel doit être posée.
L'étude indique, en outre, que le coût du rebond de ces entrées en chômage reste relativement marginal. En 2022, il représenterait environ 6 % des dépenses d'assurance chômage des 55 ans ou plus, soit 1 % des dépenses tous âges confondus, pour une valeur de 334 millions d'euros18(*).
Il convient cependant de noter que le profil des allocataires seniors concerne très marginalement des personnes dont le dernier contrat était dans la sphère publique. En effet, la DARES19(*) indique que seul 4% des allocataires du chômage âgés de 55 ans et plus avaient eu un dernier contrat dans une administration publique. Ce taux monte à 17 % en intégrant les personnes dont le dernier contrat était dans l'enseignement et la santé humaine et l'action sociale - qui regroupent aussi des activités dans la sphère privée- : il reste néanmoins en dessous du taux d'emploi public en France, qui atteint près de 20% en 202420(*).
c) Des facteurs de représentation et de niveau de vie à la retraite entrent en outre en jeu pour limiter le maintien en emploi des seniors en France
Outre les aspects d'organisation du marché du travail, on constate pour expliquer la spécificité des seniors français vis-à-vis de leur maintien en emploi à l'approche de la retraite l'existence de facteurs de représentation influents sur les désirs de départ ou non.
Ainsi, les réponses en 201521(*) à la question « jusqu'à quel âge voulez-vous travailler ? » différaient fortement entre la France et l'Allemagne. Les Français indiquaient vouloir partir à 60,8 ans en moyenne, alors que les Allemands répondaient 64,5 ans.
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce décalage de ressenti. D'abord, les Français sont, par rapport à leurs voisins allemands, moins satisfaits au travail, comme le montre l'enquête européenne sur les conditions de travail (EWSC22(*)).
En outre, la focalisation du débat public sur la question de l'âge légal de départ lors des différentes réformes contribue à faire de cette question de l'âge de départ un marqueur ancré dans les représentations des citoyens. En particulier, la réforme de 2023 ne semble avoir laissé dans les esprits qu'un seul souvenir : le recul progressif de l'âge de départ à 64 ans. Comme l'indiquait la rapporteure dans son rapport annexé au projet de loi de finances pour 202523(*), les aspects redistributifs de la réforme demeurent largement occultés et l'abrogation de la réforme aurait pour effet de revenir sur de nombreuses avancées en faveur du niveau de pension des femmes, des personnes ayant eu une carrière hachée ou encore des personnes les plus pauvres.
Âge désiré de départ à la retraite en Allemagne et en France en 2015
Source : Commission des finances, EWCS vague 2015
Enfin, on constate en France une quasi-absence de différentiel d'âge désiré de départ en retraite entre les femmes et les hommes, sous l'effet d'un plus grand alignement en termes de temps de travail. En effet, entre 15 et 64 ans, 48,8 % des emplois occupés par des Allemandes sont à temps partiel, contre 26,1 % des emplois occupés par des Françaises. Ce plus grand recours, en Allemagne, au temps partiel pour les femmes explique aussi leur désir d'entrer en retraite plus tôt que les hommes.
L'écart de niveau de vie au moment de liquidation de la pension peut aussi pousser les Allemands à se maintenir en emploi plus longtemps. En effet, le taux de remplacement net des pensions, c'est-à-dire selon l'OCDE « les droits à retraite individuels nets divisés par le salaire net, compte tenu de l'impôt sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale versés par les salariés et les retraités », est plus élevé en France qu'en Allemagne.
Taux de remplacement net des hommes, en
pourcentage
des gains pré-retraite en 2022
Source : Commission des finances, données OCDE
Avec 16,6 points de pourcentage de différence entre les taux nets de remplacement en France et en Allemagne, il apparaît que l'arbitrage entre arrêt et maintien en emploi plaide bien plus, outre-Rhin, à se maintenir au travail qu'en France.
3. Les effets en montée en charge des réformes des retraites pourraient réduire mais pas combler l'écart
La France présente un profil spécifique par rapport aux autres économies comparables de l'OCDE en termes de taux d'emploi des seniors. Cependant, ce constat ne doit pas occulter le fait que les effets successifs des réformes des retraites ont mené à une évolution progressive des taux d'emploi, en lien notamment avec le recul de l'âge de départ.
L'observation, dans le temps long, de l'évolution du taux d'emploi des seniors, lorsqu'il est mis en regard de la montée en charge des différentes réformes, montre un effet direct de ces dernières.
Évolution du taux d'activité des
seniors, constaté puis simulé,
de 1990 à 2040, en
moyenne annuelle
Source : commission des finances, données INSEE
Il apparaît à la lecture du graphique qu'à mesure que s'accroissent le nombre de trimestres nécessaires pour partir à taux plein ou l'âge de départ en retraite, un effet mécanique de hausse du taux d'activité, et donc du taux d'emploi, a lieu. On constate ainsi que la hausse du taux d'activité des 55-59 ans est arrivé aujourd'hui à un point haut : malgré la réforme de 2023, les marges à gagner sont maigres et ce dernier devrait demeurer aux environs du taux atteint aujourd'hui de 80,9 %.
En revanche, la réforme de 2023 a mécaniquement une incidence sur le taux d'activité des 60-64 ans et la montée en charge devrait se poursuivre jusque dans les années 2040. « L'effet horizon » joue ainsi à plein : le recul de l'âge rend plus facilement employable une personne de 60 ans dont l'âge de départ est à 64 ans, plutôt qu'à 62 ans. Les entreprises, pour un âge donné, ont un intérêt plus grand à investir dans le recrutement d'une personne expérimentée lorsque cette dernière est plus à même de rester à moyen terme en poste.
Il convient donc, lors de l'étude de l'effet sur le solde du système de retraite du taux d'emploi des seniors, de prendre en compte la hausse naturellement induite par le déploiement des réformes. En effet, elle a pour conséquence d'améliorer le solde de façon mécanique dans les années à venir et est d'ailleurs déjà intégrée aux modélisations du Conseil d'orientation des retraites (COR).
La modélisation du chiffrage du gain pour le solde du système de retraite d'une hausse du taux d'emploi doit reposer sur une hypothèse forte indépendante de la montée en charge des réformes précédentes : que cette hausse ait lieu de façon soudaine et immédiate.
Les effets des précédentes réformes sur les régimes spéciaux
Le graphique présenté supra permet de prendre conscience, au global, de la montée en charge des réformes des retraites et de leur incidence sur le taux d'emploi des seniors.
S'ils ne représentent que 2,6 % des retraités, les agents des régimes spéciaux encore ouverts ne sont pas restés à côté des évolutions importantes liées tant à l'âge de départ qu'au déploiement des outils permettant un maintien en emploi plus important.
Par exemple, l'Opéra de Paris, régime spécial ouvert, a connu en 2011 des modifications importantes des AOD de l'ensemble des 6 corps de métiers qui le composent, avec parfois un recul de sept ans de l'AOD.
Évolution de l'âge d'ouverture des droits (AOD) induites par la réforme de 2011 pour les personnels de l'Opéra de Paris
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire pour le projet de loi de finances pour 2025
La réforme de 2023, pour les régimes de la culture, a en outre étendu la possibilité du cumul emploi retraite à toutes les catégories d'emploi, alors que jusqu'ici seuls les danseurs y avaient accès, et a rendu possible la retraite progressive pour toutes les catégories d'emploi.
Les régimes de transport terrestres ont en outre été fermés par de précédentes réformes. Celui de la Régie autonome du transport parisien (RATP), géré par la caisse de retraite du personnel de la RATP (CRPRATP), est fermé depuis la réforme de 2023.
L'ensemble de ces évolutions permettent de relativiser l'existence pérenne de privilèges pour les régimes spéciaux, qui sont peu à peu réintégrés aux conditions générales. Les différences qui demeurent sont liées surtout à des métiers atypiques, comme les danseurs de l'Opéra, ou encore à des impératifs stratégiques autres comme la compétitivité de la marine civile française, pour le régime des marins.
Source : commission des finances
* 10 François Langot, Thepthida Sopraseuth et Jean-Olivier Hairault, Institut des politiques macroéconomiques et internationales (i-MIP), note 2025-03, « Réforme des retraites, âge de départ et emploi des seniors : quelles leçons tirer des réformes passées ? », mars 2025.
* 11 Réponses des économistes au questionnaire envoyé par la rapporteure et note de l'i-MIP précitée.
* 12 L'indice conjoncturel de fécondité a atteint 1,62 enfant par femme en 2024 selon l'INSEE, soit un point bas depuis 1919. Pour rappel, le seuil de renouvellement des générations, c'est-à-dire le nombre moyen d'enfants par femme nécessaire pour que chaque génération en engendre une suivante de même effectif, est atteint lorsque les femmes ont en moyenne 2,07 enfants.
* 13 Patrick Aubert, Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), « L'effet horizon » : de quoi parle-t-on ?, Note technique, avril 2011
* 14 DREES, Les retraités et les retraites, édition 2024.
* 15 « Classe sociale et trajectoires de revenu par âge dans 14 pays européens », « Social class and age-earnings trajectories in 14 European countries », Leonie Westhoff, Erzsébet Bukodi, John H. Goldthorpe, Université d'Oxford, octobre 2022.
* 16 Unédic, « Quel accès à l'emploi durable pour les allocataires seniors ? », avril 2025
* 17 UNEDIC, « Les entrées à l'assurance chômage à l'approche de la retraite », mars 2024.
* 18 Les dépenses d'allocation chômage atteignent 33,4 milliards d'euros en 2022. Voir UNEDIC, Trajectoire financière de l'assurance chômage pour 2023-2026, septembre 2023.
* 19 DARES, Quel accès à l'emploi durable pour les allocataires seniors ?, avril 2025.
* 20 Ministère de la Fonction publique, Chiffres clés de la fonction publique, 2024.
* 21 Les réponses sont issues de l'Enquête européenne sur les conditions de travail. Cette enquête a lieu tous les cinq ans. L'enquête de 2024 est achevée mais les résultats ne seront publiés qu'à la fin de l'année 2025 ; celle de 2020 a été repoussée en 2021 et effectuée au téléphone, à cause des restrictions causées par la pandémie de Covid-19. Par conséquent, les derniers résultats fiables disponibles sur le sujet de l'âge désiré datent de 2015.
* 22 European working conditions survey (EWCS).
* 23 Sylvie Vermeillet, Tome III du Rapport général sur le projet de loi de finances pour 2025, Annexe n°25 « Régimes sociaux et de retraite et Compte d'affectation spéciale : Pensions », novembre 2024.