EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 14 mai 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale, sur l'incidence du taux d'emploi des seniors sur l'équilibre du système de retraite.

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons avec notre collègue Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale, qui va nous présenter ses observations et ses recommandations concernant l'incidence du taux d'emploi des seniors sur l'équilibre financier du système de retraite. Madame la rapporteure spéciale, vous avez la parole.

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Comme je l'ai mentionné lors de la venue de Monsieur le Premier président de la Cour des comptes au Sénat mercredi dernier, j'ai souhaité conduire une réflexion sur la possibilité d'accroître le taux d'emploi des seniors. En abordant ce sujet structurel, en lien avec le conclave convoqué par le Premier ministre, j'ai tenté de trouver des solutions pour améliorer le financement à long terme de notre système de retraite.

Pour commencer, un constat : au sein de l'OCDE, la France est un pays dans lequel le taux d'emploi des seniors est particulièrement faible. En effet, alors que l'Allemagne emploie en 2024 75% de ses 55-64 ans, et ce taux est le même aux Pays-Bas, la France peine à atteindre 60,4%.

Les causes de cette faiblesse du taux d'emploi sont multiples.

D'abord, la France a relevé l'âge de départ avec plus de prudence et moins de rapidité que ses partenaires, alors que le choc démographique était similaire. Ainsi, le point bas de taux d'emploi des seniors est atteint dans les autres pays de l'OCDE en 1995, mais il ne survient en France qu'en 2005. Or, c'est bien avant tout la distance à la retraite qui permet d'arbitrer pour les employeurs comme pour les individus entre le choix de l'emploi et celui de la retraite ou de l'inactivité. C'est ce que les économistes appellent l'effet horizon.

Ensuite, les emplois proposés aux seniors ne sont pas toujours adaptés à ce à quoi ils aspirent à l'approche de leur fin de carrière : plus de temps partiel, des emplois plus proches de chez eux et qui leur permettent de rester socialement intégrés.

Enfin, le niveau de pension joue. En France, en 2022, le taux de remplacement pour les hommes est de 71,9 % contre 55,3 % en Allemagne. Un Allemand divise presque par deux ses revenus en passant à la retraite. Cela l'encourage évidemment à rester au travail.

Par ailleurs, le taux de pauvreté des retraités a diminué : 8,7 % aujourd'hui contre 14,6 % en 2019. Leur niveau de vie, en prenant en compte le fait que nombre d'entre eux sont propriétaires, est 9,5 % plus élevé que pour l'ensemble de la population.

J'affirme que ce niveau de vie est nécessaire pour financer le grand âge ou la dépendance. Tant que ce cinquième risque n'est pas financé, il faut préserver les ressources des premiers concernés.

Forte de ces constats, j'ai cherché à modéliser l'amélioration du solde de notre système de retraite qui serait consécutive à une hausse de l'emploi des seniors en France.

Grâce aux données transmises par les administrations auditionnées et au travail interne de la commission, nous avons pu obtenir quelques données chiffrées. Cependant, je précise que les chiffrages, quelle que soit la méthodologie retenue, sont fondés sur des hypothèses fortes. Celles-ci portent, par exemple, sur le nombre de seniors qui reviendraient en emploi, sur la productivité de ces derniers ou encore sur leur exposition aux risques sociaux. Il convient donc de traiter avec prudence les chiffres que je vais évoquer et de retenir, avant tout, des ordres de grandeur.

Le Conseil d'orientation des retraites (COR) propose une analyse de ce qui arriverait si la France alignait son taux d'emploi sur celui des Pays-Bas. Il en résulterait un bénéfice brut pour les finances publiques de près de 125 milliards d'euros par an. La direction générale du Trésor, qui a produit des travaux très approfondis sur la question, modélise l'amélioration du solde des finances sociales si la France alignait son taux d'emploi sur celui de l'Allemagne, en tenant compte de la prégnance plus forte des emplois à temps partiel outre-Rhin. Avec une hausse de 16,4 points de l'emploi des 60-64 ans et une hausse générale de 3,6 points de l'emploi dans la population française, le bénéfice pour le système de retraite serait d'environ 9 milliards d'euros.

Enfin, plus spécifiquement, la chaire Transition démographique, transition économique, se fondant sur une hausse théorique de 10 points du taux d'emploi des 60-64 ans, obtient un bénéfice brut pour le système de retraite d'environ 9,7 milliards d'euros.

Voici pour les ordres de grandeur, qui sont tout de même substantiels.

Au-delà de savoir combien rapporterait la remise en emploi des seniors, il faut imaginer, surtout, comment y parvenir et à quel prix.

En imaginant réintégrer au marché du travail l'intégralité des personnes entre 55 et 64 ans qui ne sont ni en emploi ni en retraite, qui ne sont pas au chômage et en bonne santé, soit environ 590 000 personnes, le bénéfice brut pour les finances publiques serait de 11,7 milliards d'euros. Cependant, pour y parvenir, il faudrait consentir à au moins 5,9 milliards de dépenses dans différentes mesures de formation et d'adaptation.

Au final, l'on obtiendrait un bénéfice net d'environ 5,8 milliards d'euros.

Même en comptabilisant le coût de remise en emploi des plus âgés, l'accroissement du taux d'emploi a donc un effet très positif sur le solde de notre système de retraite.

Il ne suffira cependant pas à équilibrer le système, car la Cour des comptes chiffre à 6,6 milliards d'euros le déficit moyen du système dès 2025, et prévoit une dégradation du solde à 15 milliards d'euros hors inflation en 2035, puis à 30 milliards d'euros en 2045. Cependant, si le réemploi des seniors pèse 6 milliards d'euros, vous conviendrez qu'il mérite toute notre attention.

Je souhaite donc proposer à notre commission des pistes pour avancer sur le sujet du taux d'emploi des seniors et, plus largement, sur le système de retraite.

Dans la construction de ces recommandations, mon premier objectif a été, comme l'a souligné Pierre Moscovici le 7 mai dernier, de préserver l'équité intergénérationnelle de notre système de retraite. Je rejoins le Premier président de la Cour des comptes : au vu des évolutions auxquelles nous faisons face, notamment d'un point de vue démographique, il est nécessaire que le poids du déficit du système d'aujourd'hui ne soit pas résolu en pénalisant les retraités de demain.

Pour continuer à croire dans le système de répartition dont nous héritons, il est nécessaire que, d'une génération à une autre, les droits ne soient pas diminués injustement.

Pour parvenir à cet objectif, il est indispensable de développer l'investissement dans les compétences des seniors et dans la formation à partir de 50 ans pour maintenir l'employabilité des salariés les plus âgés. Il nous faut, comme en Allemagne, développer une culture du travail senior par la création d'emplois adaptés, notamment à temps partiel, qui répondent aux attentes des actifs en fin de carrière. L'arrivée du projet de loi transposant l'accord national interprofessionnel sur l'emploi des seniors au Sénat en juin prochain pourra favoriser le développement de ces recommandations.

Dans un deuxième temps, et plus largement, il faut soulager et simplifier notre système par répartition trop déséquilibré.

En 1960, il y avait 4,69 actifs par retraité. Aujourd'hui, on compte seulement 1,71 actif par retraité. Face à ce ratio, je m'étonne qu'aucun des récents rapports sur le sujet des retraites ne soulève la nécessaire question de la « natalité ». Pourquoi la baisse du taux de fécondité en France serait une fatalité ? Le gouvernement doit soutenir des politiques natalistes par tous moyens : aide à la garde d'enfants, crèches, allongement de la durée du congé maternité, allocation familiale bonifiée pour 2 et 3 enfants, plafonnée après 5, politique résolue en faveur du logement, facilitation de l'entrée des jeunes sur le marché du travail. Aucune société ne peut parler d'avenir sans parier sur sa jeunesse. Certes, les politiques natalistes ont un coût et des bénéfices de long terme, mais sans cela, il est vain de chercher des solutions pour les retraites.

Ensuite, il me paraît indispensable de toiletter le système par répartition dont les financements croisés sont d'une complexité inouïe : la CSG, les cotisations, les impôts, les taxes, l'assurance chômage, les allocations familiales, les subventions, les transferts entre régimes, les réserves etc. Tout finance les retraites et inversement.

Enfin, pour réussir la transition démographique à laquelle nous faisons face, il est nécessaire de redonner au Fonds de réserve des retraites (FRR) sa mission initiale, à savoir jouer un rôle d'amortisseur des chocs démographiques et économiques. J'invite donc à réabonder le FRR en mettant ses missions en cohérence avec les motivations qui ont poussé à sa création. Imaginé en 2001 pour provisionner les futures dépenses de retraite liées aux baby-boomers, le FRR devait atteindre 150 milliards d'euros en 2020. Et curieusement, c'est le chiffre que cherchait à combler la réforme des retraites en 2023. Or, notre FRR ne compte plus que 20 milliards d'euros aujourd'hui, en raison de son changement d'affectation en 2010, pour rembourser la dette de la CADES, c'est-à-dire 2,1 milliards par an depuis 2011 jusqu'en 2024. On a donc ponctionné 30 milliards d'euros sur le FRR jusqu'en 2024, puis on ponctionnera 1,45 milliard par an de 2025 à 2033. Les retraites financent donc la maladie et l'on s'étonne du déficit du système !

Selon moi, un système par répartition doit obligatoirement s'accompagner d'un fonds de réserve qui absorbe et provisionne les effets démographiques de chaque génération. Si la natalité est en baisse, il faut prévoir des modalités de financement et anticiper les manques. Il n'est pas raisonnable de déclencher des réformes au coup par coup alors que l'on sait parfaitement modéliser le système. Cela l'expose aux critiques alors qu'il est robuste, bien plus que la capitalisation, qui fut notre premier système de retraite en 1910, ruiné par la Première Guerre mondiale. De nouveau à l'essai en 1930, l'inflation et la Deuxième Guerre mondiale ont de nouveau ruiné ceux qui s'y étaient réessayés.

C'est en raison de ces échecs successifs que la France a choisi après-guerre la répartition afin d'octroyer rapidement et sûrement une pension à ses retraités. La répartition peut s'accompagner de capitalisation, et c'est le cas aujourd'hui pour 15 % des Français, mais le socle reste le plus sûr à condition de provisionner les deltas dans un fonds dédié.

En conclusion, s'il s'agit de maintenir notre système sans augmenter les cotisations et sans travailler plus, j'espère que mon travail vous aura convaincu de la nécessité d'améliorer le taux d'emploi des seniors en bonne santé, dont le bénéfice net peut être estimé à près de 6 milliards d'euros. Cela ne suffira pas, mais c'est un début de solution.

M. Michel Canévet. - Je voudrais remercier l'excellente rapporteure spéciale pour ce sujet particulièrement important qui concerne l'emploi des seniors. Le graphique qui se trouve à la première page de la synthèse du rapport est particulièrement explicite sur la situation de la France, où nous sommes en complet décalage avec le taux d'emploi des seniors dans les autres pays autour de nous, ce qui montre l'effort qui est à faire effectivement.

Je partage l'appréciation sur le Fonds de réserve des retraites. Il me paraît tout à fait anormal qu'un prélèvement soit opéré sur ce fonds alors qu'il faudrait au contraire le renforcer pour les retraites compte tenu des besoins de financement à l'avenir. Il faudrait que l'on puisse déposer des amendements tendant à supprimer ce prélèvement.

Concernant l'emploi des seniors, beaucoup affirment un souhait de travailler moins. Par ailleurs, la transmission des savoirs est une habitude bénéfique qu'il faudrait introduire dans un certain nombre de professions. Je pense par exemple aux enseignants. En effet, un certain nombre d'entre eux sont usés à la fin de leur carrière et ils ont un savoir-faire pédagogique. Pourquoi pas imaginer qu'ils puissent y avoir dans la même classe un jeune professeur et un professeur très expérimenté pendant un certain temps, ce qui permettrait ainsi d'éviter que des jeunes soient lancés sans aucune expérience ? Et ce qui est vrai pour l'enseignement, l'est également pour d'autres professions, notamment dans le domaine industriel, ce qui permettrait peut-être de relancer l'industrie dans notre pays.

En tout état de cause, ce rapport sur l'emploi des seniors arrive à propos parce que nous avons parallèlement, comme cela a été dit, une baisse très significative de la natalité dans notre pays. Donc il faut qu'on puisse compenser cela, même si la baisse de la natalité n'aura des effets que dans quelques années. Il convient d'anticiper. Des mesures sont-elles prévues aujourd'hui pour permettre de concilier un emploi à temps choisi et la possibilité de pouvoir aller jusqu'à la retraite ?

Mme Isabelle Briquet. - Notre rapporteure s'est attaquée à un sujet délicat et épineux.

Nous aurons sans doute d'autres débats où nous ne serons pas forcément d'accord sur les solutions à apporter. Néanmoins, j'apprécie le travail qui a été fait, parce qu'il est très objectif. Le constat n'échappe aujourd'hui à personne : il suffit de comparer les ressources qu'apportent les cotisants et le coût des retraites pour voir que le compte n'y est pas.

À propos de la dernière recommandation qui encourage l'emploi des seniors et la création d'emplois adaptés, je souscris à l'idée que ces emplois seraient bien majoritairement à temps partiel. Est-ce à dire, cependant, que les seniors vont travailler plus longtemps pour avoir une retraite moins importante à la fin ? En effet, le temps partiel est synonyme de cotisations moins élevées, donc probablement de moindre pension. Ce maintien en emploi à temps partiel serait-il associé à un mécanisme de garantie ?

M. Arnaud Bazin. - Je me joins aux remerciements adressés à notre rapporteure pour ces éléments de réflexion éclairants.

Je m'étonne cependant que l'influence du régime d'assurance chômage n'ait pas été prise en compte dans les paramètres envisagés. Nous savons qu'un certain nombre de seniors au chômage ne retrouvent pas un niveau de rémunération qui les encourage à reprendre rapidement un emploi, ce qui doit avoir des conséquences sur ce taux d'emploi.

J'ai entendu que vous avez évoqué les seniors qui ne sont ni en emploi, ni en retraite, ni en formation, mais pas nécessairement ceux qui se trouvent dans le régime de l'assurance chômage. Pouvez-vous fournir des éléments complémentaires sur ce point ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je tiens à souligner l'excellente qualité du rapport présenté par madame la Rapporteure, avec des diagnostics et des prises de position très nettes. Je partage sans réserve, c'est le cas de le dire, vos observations sur le fonds de réserve des retraites et m'associe à la proposition qui vient d'être faite.

Il est catastrophique qu'au cours des quinze dernières années on ait rendu de plus en plus opaque la tuyauterie financière générale de la Sécurité Sociale, participant ainsi à une méconnaissance et une incompréhension majeure des enjeux, y compris par beaucoup de décideurs publics. Le fonds de réserve en est un exemple. Ce qui lui est arrivé participe à l'affaiblissement de la crédibilité globale du système par répartition, lequel repose sur la confiance que l'ensemble des Français, quel que soit leur âge, peuvent en avoir ainsi que dans l'utilité des cotisations qu'ils paient et la pérennité de leurs droits, une fois arrivés à la retraite.

Je trouve que l'on aurait pu faire une critique sur la transposition tardive de l'accord national interprofessionnel sur l'emplois des seniors. Il y a deux façons de ne pas respecter les partenaires sociaux : soit on ne leur demande pas leur avis, soit, quand ils négocient, on met un an à inscrire dans la loi le fruit de leur accord. Évidemment, il y a beaucoup de circonstances politiques qui expliquent cet état de fait, mais prendre un an pour transposer un tel accord me semble disproportionné alors qu'il y a de nombreuses dispositions qui pourront faire bouger les curseurs. Même s'il ne s'agit pas d'un accord décisif pour traiter du sujet, il y a urgence car on voit que la situation du chômage des seniors se dégrade rapidement. Les menaces qui pèsent sur leurs emplois se sont renforcées, alors que la tendance précédente était à son amélioration.

M. Laurent Somon. - On nous a vendu la baisse de l'âge de la retraite avec la possibilité d'une substitution des emplois seniors supprimés par une augmentation de l'emploi des jeunes. A-t-on vraiment des chiffres tangibles qui démontrent cette théorie de l'effet de substitution qui nous a été proposée à une époque ?

À l'inverse, y a-t-il effectivement, et notamment en comparaison avec nos partenaires de l'Union européenne, la démonstration que l'employabilité des personnes de plus de 50 ans ne dégrade pas et même parfois améliore l'embauche des jeunes ?

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Michel Canévet a soulevé la question du Fonds de réserve des retraites. Je réponds également à Marie-Claire Carrère-Gée qui en a fait mention.

Effectivement, les prélèvements sur le FRR ont été très dommageables au système par répartition. Ce fonds avait atteint près de 38 milliards d'euros en 2010, lorsqu'il a été décidé de verser chaque année 2,1 milliards à la CADES pour rembourser la dette de la Sécurité sociale. Il est excellemment géré par la Caisse des dépôts et consignations, avec un taux de rendement supérieur à 10 % certaines années.

Si l'on imagine un fonds de réserve des retraites d'environ 40 milliards d'euros en 2010, qui aurait engrangé environ 4 milliards d'euros chaque année, on peut facilement se représenter le montant qu'il aurait atteint en 2023. Peut-être aurions-nous pu éviter la réforme de 2023.

En tout cas, lors de sa création, ce fonds de réserve était destiné à provisionner les cotisations surnuméraires de l'époque, liées au pic d'activité des baby-boomers, pour pouvoir encaisser le choc démographique qui était à venir. Aujourd'hui, ces fonds nous font cruellement défaut : le FRR aurait dû atteindre 150 milliards d'euros de réserves en 2020. Même avec seulement 80 milliards d'euros en réserve, avouez que la question du financement de nos retraites aurait été singulièrement différente en 2023.

Lorsque je dis qu'il faut cesser de ponctionner le fonds de réserve des retraites pour financer la dette de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), on me répond favorablement, mais qu'il faut quand même rembourser la dette de la CADES. Je suis bien d'accord, la dette sociale doit être remboursée : néanmoins, à cause de cette utilisation dévoyée du FRR que l'on a ponctionné, on se retrouve obligé de réformer souvent les retraites.

Je ne peux pas faire une autre recommandation que de dire qu'a minima, laissons ce qui appartient aux retraites au financement du régime des retraites. Effectivement, cette fragilisation du système par répartition crée des poussées pour développer de la capitalisation.

Je suis très claire, je ne suis pas opposée à la capitalisation, mais seulement en complément du système par répartition. En effet, le jour où l'on remet en question le système actuel par répartition en voulant le remplacer par une part de capitalisation, on va créer un gouffre immense, car il manquera les cotisations éventuelles qu'on a aujourd'hui par répartition. Si elles partent en capitalisation, il manquera ces cotisations pour financer les pensions actuelles. Il ne faut pas l'oublier. On ne peut pas substituer de la répartition par de la capitalisation, sauf à générer des gouffres très importants.

Michel Canévet, vous posiez la question : y a-t-il des mesures prévues aujourd'hui sur la transmission des savoirs enseignants ou industriels ? Il y a la montée en puissance des cumuls emploi-retraite, des retraites progressives qui est en train de s'opérer grâce à la réforme de 2023. Dans les mesures supplémentaires, l'accord national qui sera bientôt transposé obligera, dans l'entretien professionnel à 60 ans, à aborder la question de l'aménagement de la fin de carrière, ce qui est une bonne chose.

De plus, l'investissement sur la formation des seniors des plus de 50 ans est extraordinairement bénéfique, en tout cas davantage - et c'est peut-être contre-intuitif - que la formation pour les 20-50 ans. Selon les chiffres dont je dispose, investir sur les compétences d'un senior est 1,75 fois plus efficace que sur celles des 20-50 ans. Pourquoi ? Essentiellement à cause de l'absentéisme qui est plus fréquent pour les 20-50 ans. La formation des plus de 50 ans a donc un bon retour sur investissement.

Isabelle Briquet, vous évoquiez la création d'emplois adaptés. Cela me semble logique, et l'Allemagne le fait beaucoup d'ailleurs. C'est une culture qu'il est nécessaire de développer, avec une part plus importante des emplois à temps partiel et des emplois adaptés. Les estimations tiennent compte du fait que si les seniors qui sont en bonne santé travaillent davantage, cela va produire des cotisations supplémentaires. Cela fera également sans doute des prestations sociales en moins. En revanche, oui cela génèrera des pensions de retraite supplémentaires, car les seniors auront cotisé davantage. Cet effet est bien inclus dans l'estimation et ces pensions vont se déporter dans le temps.

Arnaud Bazin, sur la question de l'assurance chômage : mon travail n'a pas porté sur ces aspects-là. Néanmoins, je mentionnerai l'existence des dispositifs, notamment dans le domaine privé, qui ont accompagné les départs anticipés en retraite, bien que ces derniers se soient aujourd'hui beaucoup réduits. Il faut aussi rappeler que la France est un pays où l'on accompagne beaucoup plus que les autres pays à partir de 55 ans en matière de chômage. Est-ce qu'il faut encore y toucher ? Je préconise évidemment de plutôt basculer sur la formation que sur l'indemnisation chômage. Les dispositifs de pré-retraite et de chèques ont faibli parce que la France a aussi besoin de main-d'oeuvre. Cela n'enlève rien au constat que la France accompagne beaucoup plus : les plus de 57 ans peuvent bénéficier d'indemnisations chômage jusqu'à 27 mois consécutifs, ce qui est beaucoup plus par rapport aux pays européens. Cependant, je n'ai pas de chiffrage particulier sur cet aspect.

Marie-Claire Carrère-Gée, sur le fonds de réserve des retraites : je l'ai évoqué précédemment, et effectivement, l'accord des partenaires sociaux sur l'emploi des seniors tarde à être mis en oeuvre, ce que je ne comprends pas car il ne s'agit pas d'un sujet qui fâche. Ce sont des gens qui recherchent, qui ont besoin de travailler, qui demandent à travailler. On a simplement trop de difficultés à créer des emplois adaptés. Pour le temps partiel, je considère que la limite est que ce soit bien le minimum pour valider des trimestres. Il faut que les personnes qui ont eu des carrières hachées ne soient pas désavantagées - il y a les femmes, mais pas uniquement. Notre taux d'emploi senior chez les hommes est aussi faible par rapport aux autres pays, ce qui signifie qu'il y a une culture de l'emploi senior à développer. Je pense qu'on aurait pu aller beaucoup plus vite sur ces aspects-là.

Laurent Somon, vous posiez une question sur les jeunes. Nous avons assez peu d'éléments qui documenteraient un effet d'éviction des jeunes sur le marché du travail si les seniors se maintenaient en emploi. Par exemple, en 2022, le taux d'emploi senior chez les hommes est de 77,2 % en Allemagne et de 58,3 % en France. Mais le taux d'emploi des jeunes est aussi plus élevé en Allemagne : c'est 52,5 % contre 36,3 % en France. Il faut évidemment travailler à la fois sur l'emploi des jeunes et sur l'emploi des seniors.

J'ai souhaité me positionner dans ce rapport sur l'emploi senior parce que c'était un sujet sur lequel nous avions encore assez peu de chiffres.

J'ai également voulu souligner l'importance de l'investissement et de la formation dans les compétences des seniors. Le rapport Draghi a mis en lumière le fait que nos compétences étaient extrêmement déterminantes dans la croissance de notre PIB. Il a montré que ce n'est pas seulement le temps de travail qui compte, mais aussi nos compétences. Puisque nous avons naturellement acquis des compétences à 50 ans, et que le retour sur investissement en formation est 1,75 fois plus élevé que pour les plus jeunes, je pense qu'il n'y a pas beaucoup de questions à se poser. C'est pourquoi je peux faire des recommandations qui peuvent paraître parfois un peu simplistes, mais qui visent à mettre des priorités dans les marges de manoeuvre que nous pouvons avoir, par exemple sans augmenter les cotisations ou sans reculer l'âge de départ à la retraite.

La commission a adopté les recommandations de la rapporteure spéciale et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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