PARTIE I
LE SCANDALE DES EAUX MINÉRALES :
CONTRÔLES MIS EN ÉCHEC, LOBBYING DÉCOMPLEXÉ, LES PRATIQUES INTERDITES DE CERTAINS INDUSTRIELS
ET LEUR DISSIMULATION PAR L'ÉTAT ONT MIS À MAL
LA CONFIANCE DANS LE SECTEUR

La commission et son rapporteur ont mené l'enquête pour comprendre ce qui avait permis l'existence de ce scandale des eaux minérales. C'est d'abord fortuitement que les premières pratiques illégales sont découvertes (I). Mais en analysant les origines de l'affaire, force est de constater que la mise au jour de ces pratiques a révélé une impressionnante série de dysfonctionnements, pour certains structurels, et qui conduisent à s'interroger sur les capacités d'actions de l'État (II).

I. UNE DÉCOUVERTE FORTUITE DE PRATIQUES ILLÉGALES

Chronologie des débuts de l'affaire

27 Janvier 2020 : Ouverture d'une enquête du service national d'enquête (SNE) de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à la suite d'un signalement effectué par un salarié du groupe Alma portant sur le recours à des traitements non autorisés de l'eau minérale naturelle sur deux sites d'embouteillage du groupe.

Décembre 2020 : Perquisition par le SNE qui met en évidence les traitements dénoncés (adjonction de gaz carbonique à une eau naturellement gazeuse, injection illicite de sulfate de fer dans l'objectif de faire baisser le taux d'arsenic naturel présent dans les sources), et conduit le SNE à investiguer le recours à des mélanges d'eaux non autorisés, à des filtres à charbon actif et aux UV interdits ainsi qu'au traitement de l'eau par air enrichi en ozone.

Été 2021 : Dans le cadre de son enquête, le SNE interroge les fabricants de filtres qui lui transmettent la liste de leurs clients ainsi que les preuves d'achats de filtres.

31 août 2021 : Muriel Liénau, directrice de Nestlé Waters, est reçue à sa demande par Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l'industrie, afin de révéler aux pouvoirs publics le recours à des traitements de filtration au charbon actif et aux lampes à ultraviolets (UV) sur les sites d'eau minérale naturelle de Nestlé en France, dans le Gard (Perrier) et dans les Vosges (Vittel, Contrex, Hépar). Elle sollicite également la validation des plans de transformation visant à remplacer ces traitements par une microfiltration à 0,2 micron, qui ne figure toutefois pas sur la liste des traitements explicitement autorisés par la commission européenne.

19 novembre 2021 : Saisine conjointe de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) par les ministres de l'économie et de la santé ainsi que par la ministre déléguée chargée de l'industrie, afin d'inspecter les usines de conditionnement d'eaux minérales naturelles et de source pour y déceler les pratiques contraires à la règlementation, et d'expertiser la justification de ces traitements et l'impact de leur arrêt sur la qualité des eaux conditionnées. Le rapport, attendu sous trois mois, sera finalement livré en juillet 2022 et gardé secret.

Février 2024 : À la suite des révélations de presse de la fin janvier, publication du rapport de l'Igas sur les eaux minérales naturelles et eaux de source.

A. LA RÉVÉLATION DES TRAITEMENTS PAR UN SALARIÉ CHEZ UN PREMIER INDUSTRIEL ET L'ENQUÊTE DU SNE

À la fin de l'année 2019, un salarié du groupe Alma16(*) a signalé auprès de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) de l'Allier le recours à des traitements non autorisés sur au moins un des sites de production du groupe.

Ce signalement a ensuite été transmis au service national des enquêtes (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui a ouvert une enquête le 27 janvier 2020. Les agents du SNE disposent de pouvoirs d'officiers de police judiciaire qui leur permettent de dresser procès-verbal d'infractions et de mener des enquêtes préliminaires sous le contrôle du procureur de la République. Si la DGCCRF n'est pas chargée de la sécurité sanitaire des eaux embouteillées, elle est toutefois responsable de la loyauté des produits, ce qui suppose qu'elle s'assure de la conformité des caractéristiques des eaux embouteillées aux mentions qui figurent sur leur étiquetage, afin que le consommateur ne soit pas trompé.


* 16 Le groupe Sources Alma, dont le siège est dans l'Orne, numéro 1 en France sur le marché des eaux plates en bouteille, commercialise des eaux minérales naturelles sous les appellations Vichy Célestins, St-Yorre, Thonon ou encore Châteldon, ainsi que des eaux de source (Cristaline) et des boissons aromatisées. Il détient 17 filiales qui exploitent 19 marques d'eau en bouteille.

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