B. LA PREMIÈRE CONSÉQUENCE : LE LANCEMENT D'UNE ENQUÊTE DE LA DGCCRF ET LA MISE À JOUR DE DISPOSITIFS DISSIMULÉS

Le 10 décembre 2020, après presque un an d'enquête, le SNE a procédé, sous le contrôle d'un juge des libertés et de la détention, à une perquisition sur deux sites d'embouteillage du groupe Alma. Cette perquisition a mis au jour l'utilisation, sur le site de Saint-Yorre, de sulfate de fer afin de faire baisser le taux d'arsenic (traitement autorisé pour les eaux rendues potables par traitement, mais non pour les eaux minérales naturelles), et de filtres à charbon actif ayant notamment pour objectif de retenir des traces de résidus de pesticides, ainsi que, sur le site de Châteldon, le stockage de sphères de gaz carbonique pour carbonatation de l'eau embouteillée de la marque Châteldon.

À la suite de cette intervention, l'usine de Saint-Yorre a arrêté sa production et réalisé une mise à l'égout de ses stocks.

Les pratiques constatées lors de l'opération de visite et de saisine par les agents de la DGCCRF consistaient en :

- l'injection illicite de sulfate de fer dans l'objectif de faire baisser le taux d'arsenic naturel présent dans les sources, ce qui est interdit pour les eaux minérales naturelles ;

- l'adjonction masquée de CO2, interdit pour les eaux disposant de la dénomination « eau minérale naturellement gazeuse » ;

- la modification des résultats d'analyse non-conformes des eaux.

Une note confidentielle de la DGCCRF datée du 15 décembre 2020 souligne que l'injection illicite de sulfate de fer est pratiquée depuis les années 1980.

L'annexe 1 du rapport de l'Igas a, quant à elle, mentionné l'utilisation de filtres à charbon sur le site de Saint-Yorre.

Des investigations ont ensuite été menées auprès de six autres usines du groupe Alma et de 14 fournisseurs, et elles ont mis en lumière un recours important, chez plusieurs industriels, à des traitements de microfiltration inférieurs à 0,8 micron, qui est le seuil de filtration minimal considéré depuis 200117(*) par l'ex-agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) comme n'ayant pas d'impact avéré sur la composition de l'eau et dès lors toléré par les autorités sanitaires.

L'enquête du SNE s'est ensuite intéressée aux fournisseurs de filtres, qui lui ont transmis les listes de leurs clients et les preuves d'achat de filtres ayant un seuil de coupure inférieur à 0,8 micron.

C. LA DEUXIÈME CONSÉQUENCE : L'AVEU DE NESTLÉ WATERS AUPRÈS DU CABINET DE LA MINISTRE DE L'INDUSTRIE

Le 31 août 2021, Nestlé Waters, représenté par sa présidente Muriel Liénau, a rencontré à sa demande le cabinet de la ministre déléguée chargée de l'industrie, Agnès Pannier-Runacher, en présence d'un représentant de la DGCCRF. Cette réunion a été organisée par les responsables des affaires publiques de Nestlé France18(*).

Selon les déclarations concordantes de François Rosenfeld, alors directeur de cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, et de Muriel Liénau, Nestlé Waters aurait fait état de l'utilisation de filtres à charbon et de traitements ultraviolets dans ses usines d'eaux minérales naturelles des Vosges et du Gard, traitements qui peuvent s'apparenter à des mesures de désinfection. Muriel Liénau a déclaré devant la commission d'enquête avoir pris connaissance de l'existence de ces traitements fin 2020 lors de sa prise de fonction en qualité de présidente de Nestlé Waters. Ils seraient, selon ses dires, « hérités du passé », sans qu'elle accepte de répondre aux questions relatives à leurs dates d'installation. Les autres responsables de Nestlé ont, eux aussi, refusé de répondre aux questions du rapporteur et des membres de la commission d'enquête sur ce point.

Virginie Cayré, directrice générale de l'ARS Grand Est de 2020 à juin 2024, a déclaré à la commission d'enquête que l'installation des filtres sur charbon actif daterait de 1993, et que les lampes à ultra-violet auraient été remplacées en 2000. Ces informations lui auraient été fournies par Nestlé Waters en réponse au questionnaire de l'Igas, et réitérées lors de la visite d'inspection diligentée par l'ARS le 6 avril 2022.

Lors de la réunion du 31 août 2021, Nestlé Waters a reconnu la non-conformité de tels traitements au cadre européen19(*). Ses représentants ont toutefois déclaré, sans apporter le moindre commencement de preuve, que ces filtres n'avaient ni mis en cause la sûreté alimentaire, ni modifié le microbisme de l'eau, de sorte que la composition de cette dernière aurait été toujours conforme aux critères de minéralité figurant sur l'étiquetage. Le compte rendu à la ministre de l'industrie établi le lendemain, le 1er septembre, par son directeur de cabinet, François Rosenfeld, précise cependant que, « selon (Nestlé), (son plan de transformation) suppose de la part de l'État (...) une interprétation plus large de la directive, car ils auront toujours besoin de méthodes de microfiltration dont la validité n'est pas établie ».

Il apparaît donc que, dès ce moment-là, Nestlé Waters bien sûr, mais aussi un cabinet ministériel et sa ministre savaient que l'eau embouteillée sur deux sites parmi les plus importants en France présentait un problème.

La réunion du 31 août 2021 est aussi la première apparition du sujet de la microfiltration. Du compte rendu de François Rosenfeld il ressort clairement que Nestlé Waters savait que sa validité n'était « pas établie » et que l'objet de la sollicitation de l'industriel était d'obtenir « une interprétation plus large de la directive ».

Enfin, Muriel Liénau aurait, lors de cet entretien, sollicité auprès de ses interlocuteurs l'autorisation de contacter les autorités locales que sont l'ARS, chargée du contrôle sanitaire, et la préfecture, qui délivre des arrêtés d'autorisation d'exploitation. François Rosenfeld, de son côté, indique qu'elle a demandé un appui pour coordonner la réponse à apporter aux autorités locales de contrôles, en mettant en avant un manque de cohérence dans l'interprétation des normes par les arrêtés préfectoraux, notamment au regard de la microfiltration à 0,2 micron. En d'autres termes, Nestlé Waters tente d'agir sur les deux extrémités des administrations publiques : au sommet, pour obtenir un blanc-seing sur sa microfiltration au niveau national et européen, et à l'échelon local pour que les arrêtés préfectoraux valident l'exploitation des nappes avec cette microfiltration.


* 17 Avis de l'ex-Agence française de sécurité sanitaire des aliments relatif à une demande d'approbation d'un procédé de traitement pour les eaux de source et les eaux minérales naturelles.

* 18 Audition de Nicolas Bouvier, représentant d'intérêts de Nestlé Waters à compter de mai 2022, par la commission d'enquête.

* 19 Directive européenne 2009/54/ CE relative à l'exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles.

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