ANNEXE 1
UN DISPOSITIF DE
CONTRÔLE COMPLEXE
Pour assurer la protection de la pureté originelle de l'eau, qui ouvre droit à l'appellation « eau minérale naturelle », l'État a mis en place un dispositif de protection et de contrôle en théorie exigeant (A). Cependant, sa complexité et sa fragmentation entre plusieurs administrations le rendent d'une mise en oeuvre malaisée (B).
A. UN PROCESSUS D'AUTORISATION ASSIS SUR DES RÈGLEMENTATIONS ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES EXIGEANTES
Le cadre juridique régissant l'exploitation d'une source d'eau minérale naturelle mêle deux volets principaux :
- un volet environnemental en ce qui concerne l'autorisation de forer et la fixation des volumes de prélèvements, qui relève du ministère chargé de l'environnement. Cette règlementation, qui n'est pas spécifique aux eaux minérales naturelles ni aux eaux de source, correspond plutôt à une approche quantitative de la ressource en eau ;
- un volet sanitaire, spécifique aux eaux minérales naturelles et de source, en ce qui concerne l'autorisation de produire de l'eau à des fins d'embouteillage sous une dénomination particulière, « eau minérale naturelle » ou « eau de source », qui relève du ministère chargé de la santé. Cette règlementation, qui figure au code de la santé publique, correspond plutôt à une approche qualitative.
1) L'approche environnementale et quantitative : des prélèvements en eau encadrés
Conformément à l'article L. 214-3 du code de l'environnement, une autorisation environnementale est nécessaire pour prélever de l'eau souterraine au-delà de 200 000 mètres cubes par an, quel que soit l'usage de l'eau prélevée : les industriels embouteilleurs y sont donc soumis. En deçà de ce volume total annuel, seule une déclaration est nécessaire125(*). En 2023, on recense en France 262 captages destinés à la production d'eau conditionnée. La production est très concentrée : 10 sites de conditionnement produisent 50 % des volumes d'eaux conditionnées EMN et ES. Seules 14,8 % des 180 unités de conditionnement d'eau126(*) produisent plus de 500 m3 d'eau par jour en 2023.
Cette autorisation est délivrée par le préfet de département au titre de la police de l'eau. Elle inclut un volume maximal de prélèvements autorisés, déterminé en cohérence avec le schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) ainsi qu'avec les volumes prélevables fixés par le préfet coordinateur de bassin.
Le préfet coordinateur de bassin pilote et coordonne une stratégie d'évaluation des volumes prélevables sur des sous-bassins en zone de répartition des eaux ou identifiés dans le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux comme en déséquilibre quantitatif ou montrant un équilibre très fragile entre la ressource et les prélèvements127(*).
Il s'agit du volume maximum que les prélèvements directs dans la ressource en période de basses eaux, tous usages confondus, doivent respecter en vue du retour à l'équilibre quantitatif à une échéance compatible avec les objectifs environnementaux du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux128(*).
Ce volume prélevable correspond au volume pouvant statistiquement être prélevé huit années sur dix en période de basses eaux dans le milieu naturel aux fins d'usages anthropiques, en respectant le bon fonctionnement des milieux aquatiques dépendant de cette ressource et les objectifs environnementaux du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux.
Il est issu d'une évaluation statistique des besoins minimaux des milieux sur la période de basses eaux. Il est réparti entre les usages, en tenant compte des enjeux environnementaux, économiques et sociaux.
Les demandes d'autorisation sont instruites par les directions départementales des territoires (DDT) au sein des préfectures de département et/ou par les unités départementales des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).
À titre d'exemple, les prélèvements de Nestlé Waters dans le Gard sont autorisés par l'arrêté d'autorisation environnementale n° 19.008N du 16 janvier 2019. Ce dernier fixe des plafonds de prélèvements maximaux autorisés, en m3/h et en m3 par an, pour chaque forage et pour chaque usage - il en existe trois différents : la production d'eaux conditionnées, les eaux industrielles et l'extraction de gaz carbonique. Ces plafonds ont été actualisés à la baisse par l'arrêté préfectoral n° 2024-022-DREAL du 14 mai 2024.
L'exemple des droits à prélèvement de Perrier
Jusqu'en 2023, Nestlé Waters Supply Sud était autorisé à prélever 1 620 800 m3 d'eau par an pour la production d'eau minérale, 3 153 400 pour l'extraction du CO2 gazeux et 600 000 m3 par an pour les eaux industrielles soit un total de 5 374 200 m3.
D'après les données transmises par Nestlé Waters à la commission d'enquête, en 2024, les prélèvements pour l'eau conditionnée (forages Romaines III, IV, IV bis, V, VI, VII et VIII) s'élèvent à 874 078 m3. En 2023, ils s'élevaient à 1 051 814 m3. Cela représente 15,3 % de la production d'eau minérale naturelle française en 2023. Cette dernière s'élevait à 6,758 millions de m3 pour les eaux minérales naturelles et 6,875 millions pour les eaux de source pour un total de 13,67 millions de m3 d'eau conditionnée produite.
L'arrêté du 14 mai 2024 précité a réduit les volumes maximaux autorisés à un niveau qui reste supérieur aux prélèvements effectifs de 2023. Le prélèvement maximal autorisé s'élève à 3 413 800 m3 pour les eaux industrielles, 1 350 000 m3 pour l'extraction du CO2 gazeux et 1 570 800 m3 pour les eaux conditionnées. Une trajectoire baissière est prévue jusqu'en 2027 où les prélèvements totaux devront atteindre 2 500 000 m3, dont 1 350 000 m3 pour les eaux conditionnées - valeur qui était déjà respectée en 2023.
Des prescriptions spécifiques peuvent être énoncées par l'arrêté préfectoral en matière de suivi quantitatif de la ressource en eau. L'arrêté de 2019 concernant Nestlé dans le Gard prescrit par exemple la réalisation d'une étude sur le fonctionnement de « l'hydrosystème Perrier » et sur les interactions entre les différents aquifères mobilisés avant le 31 juillet 2020.
L'arrêté du 14 mai 2024 prévoit, quant à lui, des mesures spécifiques en cas de sécheresse, qui portent notamment sur une programmation des prélèvements en dehors de périodes identifiées comme sensibles et sur une réduction des prélèvements pour les eaux industrielles et d'extraction du CO2 , les eaux destinées à la consommation humaine et les eaux conditionnées étant hors du champ de ces mesures de restriction, conformément à l'arrêté ministériel du 30 juin 2023.
Outre ces aspects quantitatifs, les seules prescriptions liées à la qualité de l'eau, prises par le préfet au titre de la police de l'environnement, sont non-contraignantes : il s'agit de la délimitation, par arrêté préfectoral, d'une aire d'alimentation de captage (AAC)129(*) au sein de laquelle est instaurée un programme d'actions de protection de la ressource contre les protections diffuses.
2) L'approche sanitaire et qualitative : l'autorisation d'exploiter de l'eau en tant qu'eau minérale naturelle ou de source répond à des critères stricts
a) Une procédure censée garantir la qualité intrinsèque aux eaux minérales naturelles et de source
Lorsque le forage et les prélèvements en eau associés sont destinés à la production d'eau en bouteille, l'industriel doit obtenir une autorisation d'exploitation du préfet du département.
Les demandes d'autorisation d'exploitation d'une source en vue de la production d'eau destinée à la consommation humaine, qu'elle soit minérale naturelle ou non, sont instruites par les Agences régionales de santé (ARS) pour le compte des préfets. L'exploitation est autorisée par arrêté préfectoral pris après avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST)130(*).
L'autorisation d'exploitation porte sur une « source », qui peut être constituée d'une ou plusieurs émergences naturelles ou forées. Le recours à plusieurs émergences s'explique à la fois par les conditions d'exploitation des différents captages - le débit maximal autorisé pour une émergence étant limité - et par les besoins en eau - la possibilité de produire à partir de plusieurs émergences permet d'augmenter la production131(*). Le recours à un mélange est strictement encadré, notamment lorsque les concentrations physicochimiques des eaux des captages sont différentes132(*).
Conformément au droit européen133(*) et au même titre que tous les industriels produisant des denrées alimentaires, l'embouteilleur doit garantir la traçabilité de l'eau conditionnée tout au long du processus de production. Le code de la santé publique précise ainsi qu'une eau minérale naturelle et une eau de source peuvent être conditionnées sur une même chaîne de conditionnement, sous réserve que l'exploitant soit en mesure d'apporter, à tout moment, la preuve de la nature de l'eau conditionnée au regard de la dénomination de vente figurant sur l'étiquetage134(*).
Le dossier de la demande d'autorisation d'exploitation d'une source en eau minérale naturelle inclut notamment135(*) :
- une étude portant sur les caractéristiques géologiques et hydrogéologiques de l'aquifère concerné, ayant une incidence sur les caractéristiques de l'eau ;
- les résultats d'analyses chimiques, physico-chimiques et microbiologiques de l'eau permettant d'évaluer sa pureté et sa stabilité ;
- la justification des produits et des procédés de traitement éventuels ;
- la description des installations de production et de distribution et notamment leur capacité et leurs matériaux en contact avec l'eau, dont la conformité sanitaire doit être attestée ;
- l'avis d'un hydrogéologue agréé en matière d'hygiène publique, désigné par le directeur général de l'ARS. Cet avis est remis au préfet et à l'industriel et porte sur les conditions de la stabilité des caractéristiques de l'eau et sur le débit maximum d'exploitation, le périmètre sanitaire d'urgence proposé ainsi que les vulnérabilités de la ressource et les mesures de protection à mettre en oeuvre136(*) ;
- la description des modalités de surveillance de la qualité de l'eau.
C'est à l'ARS qu'il appartient de vérifier la complétude du dossier de l'industriel, de proposer la nomination d'un hydrogéologique agréé, de consulter les services de l'État - notamment les directions départementales de la protection des populations137(*) concernant les mentions d'étiquetage, de rédiger le rapport de synthèse présenté au Coderst ou encore le projet d'arrêté préfectoral motivé.
Une fois l'autorisation obtenue, l'ARS réalise une visite de récolement règlementaire et définit le programme des analyses de vérification de la qualité de l'eau. Si les résultats sont conformes, l'exploitant est informé par le préfet de l'obtention de l'autorisation d'exploitation.
b) Des périmètres de protection pour préserver la pureté originelle des sources
L'arrêté inclut des mesures de protection. Elles découlent de servitudes liées à la délimitation de périmètres, souvent facultatifs, qui ne couvrent qu'une partie minoritaire de la zone d'impluvium.
Le cas échéant, ces périmètres sont complémentaires de l'aire d'alimentation du captage (AAC).
Pour les eaux de source, lorsque les installations sont déclarées d'utilité publique, sont délimités, d'une part, un périmètre de protection immédiate autour du point de prélèvement, dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété et, d'autre part, un périmètre de protection rapprochée à l'intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagements ou occupations des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux. Si le périmètre de protection immédiate recouvre en règle générale quelques centaines de mètres, la surface d'un périmètre de protection rapprochée peut aller de quelques hectares à plusieurs centaines d'hectares.
Lorsque les résultats d'analyse de la qualité de l'eau ne satisfont pas aux critères de qualité, établissant un risque avéré de dégradation de la qualité de l'eau, un périmètre de protection éloignée peut également être délimité au sein duquel peuvent être règlementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagements ou occupations des sols et dépôts138(*).
En ce qui concerne les eaux minérales naturelles, l'autorisation d'exploitation de la source détermine un périmètre sanitaire d'émergence pour lequel le propriétaire doit disposer de la peine propriété ou acquérir des servitudes garantissant sa protection contre les pollutions ponctuelles ou accidentelles139(*). Ce périmètre, de faible superficie, n'a pour objectif que d'éviter les intrusions et de supprimer le risque de déversement de produits polluants à proximité immédiate du captage pouvant entraîner une contamination de l'eau140(*).
À titre d'exemple, l'arrêté préfectoral141(*) d'autorisation d'exploitation de la source Perrier prévoit que le périmètre sanitaire d'émergence des captages correspond à des rectangles d'une dizaine de mètres de long et de large.
L'industriel peut également demander au préfet la déclaration d'intérêt public (DIP) de la source d'eau minérale naturelle, qui permet de lui assigner un périmètre de protection, plus large que le périmètre sanitaire d'émergence142(*). Il s'agit d'un périmètre à l'intérieur duquel aucun travail souterrain ne peut être réalisé sans autorisation préalable du préfet. Un périmètre de protection permet d'encadrer les travaux, installations, activités, dépôts, ouvrages, aménagements ou occupations des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux. Il est donc facultatif.
Ces périmètres sont néanmoins relativement restreints par rapport à la zone d'impluvium, où les eaux de pluie pénètrent dans le sol et alimentent l'aquifère - cette zone pouvant représenter plusieurs milliers d'hectares. Guillaume Pfund, docteur en géographie économique et chercheur à l'Université Lumière Lyon II, a ainsi souligné à la commission d'enquête les limites du périmètre de protection : « Le périmètre de protection, outil juridique facultatif, ne correspond pas aujourd'hui à 100 % du gisement, que ce soit l'impluvium ou la zone d'émergence ; donc il y a un décalage entre l'outil juridique et la surface à protéger. Cet outil, qui permet d'imposer aux tiers des limitations d'activité, est néanmoins assez vieillissant. »143(*)
B. UN DISPOSITIF DE CONTRÔLE FRAGMENTÉ MALGRÉ LA TRANSVERSALITÉ DES ENJEUX
1) Quatre autorités administratives différentes interviennent à des stades différents de la chaîne de production pour contrôler l'action des embouteilleurs
Au niveau central, les eaux minérales naturelles et de source relèvent de quatre autorités administratives différentes :
- la direction générale de la santé (DGS), chargée de la règlementation et de la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine ;
- la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), compétente en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement et de police de l'eau ;
- la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), compétente en matière d'étiquetage et de loyauté des produits ;
- la direction générale de l'alimentation (DGAL), responsable de la sécurité sanitaire des produits alimentaires commercialisés.
Si les administrations centrales définissent la réglementation, le contrôle du respect de son application relève principalement des autorités locales : cela inclut les ARS, mais aussi les services déconcentrés de l'État, notamment les directions départementales de protection des populations (DDPP) ou les directions départementales de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETS-PP) au sein des préfectures.
Les contrôles reposent, au moins en partie, sur des informations détenues par les industriels. L'efficacité des contrôles suppose par conséquent une relation constructive entre industriels et autorités compétentes et une attitude loyale de la part des industriels.
a) Les contrôles en matière environnementale
Sur le volet environnemental, les embouteilleurs sont soumis aux mêmes contrôles que les autres catégories d'utilisateurs d'eau (autres industriels, agriculteurs, etc.).
Les directions départementales des territoires ou les inspecteurs des installations classées des DREAL exercent des contrôles sur place ou sur pièce au titre de la police administrative de l'eau afin de s'assurer du respect des volumes de prélèvements maximum autorisés et du respect des conditions d'exploitation, éventuellement en complémentarité avec les agents de l'office français de la biodiversité (OFB) qui interviennent au titre de la police administrative et judiciaire144(*) à la demande du Parquet.
Les contrôles des volumes prélevés peuvent être sur pièce via la vérification des données déclaratives, ou sur place pour vérifier la présence de compteurs ou de registres des volumes prélevés.
Le contrôle des prélèvements en eau repose, au moins en partie, sur des données détenues par les industriels. Les données des piézomètres des industriels des eaux conditionnées ne sont transmises à l'administration que si le préfet l'impose dans les prescriptions de l'autorisation environnementale. En principe, le préfet peut définir les données de suivi requises pour assurer les impacts du prélèvement. Mais en l'absence de demande, les industriels ne sont pas tenus de transmettre les données des piézomètres.
b) Les contrôles en matière sanitaire
Conformément à la législation alimentaire de l'Union européenne145(*), les exploitants sont responsables de la sécurité alimentaire des denrées qu'ils placent sur le marché et doivent dès lors exercer une surveillance de la qualité et de la sécurité des produits commercialisés. Les contrôles des services de l'État n'interviennent qu'à un second niveau. Cette surveillance, parfois appelée « autosurveillance » comprend une partie principale146(*) assurée par un programme d'analyses, et une partie complémentaire définie par l'exploitant en fonction des dangers identifiés147(*).
Les analyses sont réalisées par des laboratoires accrédités pour la réalisation des prélèvements et des analyses des paramètres concernés par le Comité français d'accréditation (COFRAC) ou par tout autre organisme d'accréditation équivalent. Dans certaines conditions, il peut aussi s'agir du laboratoire de surveillance de l'industriel situé dans l'usine de conditionnement148(*).
Les résultats des analyses de la partie principale de la surveillance doivent être transmis au directeur général de l'agence régionale de santé qui en informe le préfet en tant que de besoin149(*). L'exploitant doit porter immédiatement à la connaissance du directeur général de l'ARS, qui en informe aussitôt le préfet, tout incident pouvant avoir des conséquences pour la santé publique, concernant notamment la ressource en eau et les modalités de son aménagement, les conditions de transport et de sa conservation150(*).
Conformément au cadre européen, les autorités compétentes au niveau national sont quant à elles tenues d'exercer en matière sanitaire des contrôles officiels151(*). Ces contrôles officiels correspondent à :
- l'inspection des installations : selon la DGS, 19 inspections ont été réalisées en 2021, 52 en 2022 et 16 en 2023 ;
- le contrôle des mesures de sécurité sanitaire mises en oeuvre par l'exploitant (autocontrôles, traçabilité de tous les lots produits, etc.).
En France, la règlementation ajoute à la surveillance de l'exploitant un contrôle sanitaire de la qualité des eaux conditionnées mis en place par l'ARS, qui n'est pas requis par le cadre européen, mais permet à l'administration de disposer de sa propre source d'information sur les performances des installations de conditionnement et le respect de l'arrêté préfectoral.
Ce contrôle sanitaire, exercé par les ARS, comprend la réalisation d'un programme d'analyses de la qualité de l'eau à la ressource, au niveau des eaux brutes, en cours de production et lors du conditionnement de l'eau. Ces prélèvements et analyses sont réalisés par les ARS ou par un laboratoire agréé par l'Anses152(*).
La fréquence des prélèvements au titre du contrôle sanitaire requise par la règlementation est de 4 contrôles annuels153(*).
À titre d'exemple, le laboratoire CARSO-LSHEHL, auditionné par la commission d'enquête, a indiqué être titulaire du marché public du contrôle sanitaire de tous les embouteilleurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes et de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, ainsi que de celui d'un ou deux embouteilleurs de la région Hauts-de-France et d'un autre en région Bourgogne-Franche-Comté, soit environ 38 sites d'embouteillage sur l'ensemble du territoire. La responsable technique, Caroline Paquet, a également indiqué à la commission d'enquête qu'« en plus du contrôle sanitaire, de nombreux petits embouteilleurs nous confient par ailleurs leurs analyses internes, ce que l'on nomme « l'autocontrôle. Ils ne disposent pas forcément eux-mêmes de gros laboratoires et ont besoin de nous pour réaliser leurs analyses d'autocontrôle. »154(*)
La liste des polluants - comme les pesticides - recherchés dans le cadre du contrôle sanitaire mis en oeuvre par les ARS est identique quel que soit le type d'eau.
En 2023, le contrôle sanitaire des eaux brutes (émergences) des eaux minérales naturelles et eaux de source a représenté 1 317 prélèvements d'échantillons et 48 840 résultats d'analyses de paramètres microbiologiques et physico-chimiques, permettant de vérifier le respect des critères de pureté originelle prévus par la directive de 2009. Tous ces prélèvements et analyses sont en principe réalisés sur les eaux brutes.
Lors de son audition155(*), le directeur général de la santé, Grégory Emery, a indiqué que « plus de 150 000 analyses sont réalisées chaque année dans le cadre du contrôle sanitaire des ARS [à la fois sur les eaux brutes et les eaux conditionnées] et le taux de conformité aux limites de qualité réglementaires est supérieur à 99 % pour les paramètres microbiologiques et physico chimiques ».
Néanmoins, il convient de relativiser ces statistiques puisque, sur certains de ses captages, Nestlé Waters plaçait des filtres à charbon actif et des traitements aux lampes à UV en amont des points de prélèvements du contrôle sanitaire des eaux brutes, ce qui avait pour conséquence de biaiser les analyses effectuées.
c) Les contrôles au titre de la loyauté des produits
La DGCCRF est l'autorité chargée d'assurer le respect de la loyauté des produits distribués sur le territoire national : il s'agit de veiller à ce que les caractéristiques des produits commercialisés soient conformes à leurs mentions d'étiquetage afin que le consommateur ne soit pas trompé.
À ce titre, les agents CCRF contrôlent les mentions d'étiquetage des eaux conditionnées prévues par l'arrêté préfectoral d'autorisation d'exploitation : dénomination, mentions d'étiquetage relatives aux traitements, nom de la source, du lieu d'exploitation, déclaration des teneurs en certains constituants et, le cas échant, avertissements s'y rapportant.
Tout changement dans les mentions d'étiquetage est soumis à la validation des préfets.
Les agents CCRF contrôlent également toutes les autres mentions d'étiquetage obligatoires ou facultatives comme les allégations nutritionnelles ou de santé.
d) Les contrôles au titre de la sécurité sanitaire des produits après leur embouteillage
La direction générale de l'alimentation (DGAL) et ses agents au sein des DDPP sont chargées de la sécurité sanitaire des eaux embouteillées distribuées sur le territoire français depuis la mise en oeuvre de la police sanitaire unique, achevée le 1er janvier 2024. À ce titre, ils contrôlent les conditions de transport, d'entreposage et de distribution des eaux embouteillées.
Les auditions de la commission d'enquête ont souligné le caractère morcelé du dispositif de contrôle des eaux minérales naturelles et des eaux de source. Outre l'autorité compétente en matière environnementale, trois autorités interviennent à différents stades de la chaîne de production : les ARS de l'émergence à l'embouteillage, la DGCCRF après embouteillage et la DGAL après commercialisation.
Le rapporteur ne peut que constater que les préfets, pour le compte desquels ces différentes autorités exercent leurs missions, n'interviennent qu'en bout de chaîne avec une faible capacité d'orientation des services. La rationalisation de ce dispositif est un des enjeux pour l'avenir, qui est abordé plus loin.
2) La transversalité des enjeux et l'enchevêtrement des compétences imposent une coopération entre autorités
En matière environnementale, les administrations ont mis en oeuvre plusieurs instances pour articuler pouvoirs de police administrative et judiciaire. Les contrôles effectués en matière de police de l'eau et de la nature et les dossiers traités par les services préfectoraux sont mis en cohérence dans le cadre d'une mission interservices de l'eau et de la nature (Misen), qui regroupe les acteurs autour du préfet de département et du procureur de la République. Il existe également une stratégie des contrôles en matière de police de l'eau et de la nature (SNCPEN)156(*) depuis 2020 qui s'appuie sur les « comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale (Colden) pour mieux articuler police administrative et police judiciaire157(*).
Les orientations des contrôles sont définies par le plan de contrôle départemental qui décline les priorités de la stratégie nationale des contrôles en matière de police de l'eau et de la nature. Ce plan est piloté par le préfet et validé lors d'une réunion des membres permanents de la Misen et du Colden. Cette validation permet aux titulaires des pouvoirs de police administrative et judiciaire de partager l'information sur les contrôles susceptibles d'être programmés dans l'année. Il est à regretter que cette stratégie de contrôle ne comporte pas de volet « eaux minérales et eaux de source », en dépit de l'affaire apparue depuis 2021.
En matière de sécurité sanitaire et de loyauté des produits, les compétences respectives des ARS et des agents de la DGCCRF imposent une coopération.
Il n'appartient pas aux agents de la CCRF de s'assurer de l'adéquation des pratiques effectives des opérateurs avec les exigences des arrêtés d'autorisation d'exploitation. Une telle vérification relève de l'inspection des installations et des contrôles avant embouteillage et donc de la compétence des ARS. Néanmoins, des résultats non-conformes des contrôles des installations réalisés par les ARS peuvent avoir des implications sur les mentions d'étiquetage des produits : dans ce cas, il revient aux agents de la CCRF d'engager les suites appropriées au stade de la mise sur le marché.
Les agents de la CCRF peuvent également être sollicités par les agents des ARS pour mettre en oeuvre des pouvoirs d'enquête extraordinaires dont ne disposent pas les ARS. Il s'agit notamment d'« opérations de visites et de saisies » (OVS), équivalentes à une perquisition. Ces pouvoirs sont mis en oeuvre sous le contrôle d'un juge des libertés et de la détention (JLD), et nécessitent une impossibilité de collecter les preuves des pratiques prohibées par les moyens ordinaires. Tel pourrait être le cas dans un dossier ayant pour origine des éléments transmis par un lanceur d'alerte, qui décrirait un système de fraude sophistiqué, dont les preuves sont bien dissimulées.
La DGCCRF peut également être saisie ou cosaisie par le procureur de la République pour réaliser, par exemple, une enquête préliminaire. Tel a été le cas dans le dossier ayant conduit à la conclusion, avec l'entreprise Nestlé Waters Supply Est, d'une convention judiciaire d'intérêt public en matière environnementale. Le procureur de la République d'Épinal, saisi par l'ARS Grand Est au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, a lui-même saisi le Service national des enquêtes (SNE) de la DGCCRF pour mener l'enquête pénale sur les faits constatés par l'ARS.
En matière de traçabilité des eaux conditionnées, la coopération entre les agents des ARS et les agents de la CCRF est particulièrement pertinente : si la traçabilité des eaux et les règles entourant la possibilité de conditionner plusieurs eaux sur une même ligne découlent du code de la santé publique, de même que l'inspection des installations relève des ARS, il n'en demeure pas moins que la traçabilité s'apprécie en comparant la nature de l'eau conditionnée et la dénomination de vente figurant sur l'étiquetage - ce qui a trait à la loyauté des produits, compétence de la DGCCRF.
Néanmoins, les échanges ne sont pas systématisés. Comme l'a indiqué la préfecture de Haute-Savoie à la commission d'enquête, « il y a des échanges d'informations ponctuels entre agents de la DDPP et de l'ARS, notamment lors des instructions de dossiers ou des incidents de fabrication. Cependant, il n'y a pas de coordination formalisée à une fréquence donnée. (...) Au niveau départemental, il serait également intéressant d'instaurer une rencontre a minima annuelle entre les agents de l'ARS et de la DDPP pour faire un point régulier concernant le contrôle des sites d'embouteillage. »158(*)
Enfin, les enjeux qualitatifs et quantitatifs de la ressource sont parfois si liés qu'il est difficile de les dissocier dans le cadre de l'instruction des dossiers, bien qu'ils relèvent de plusieurs autorités.
Sébastien Ferra, DDTM du Gard, a ainsi évoqué devant la commission d'enquête la préoccupation de son administration sur « la relation entre la quantité d'eau disponible et sa qualité ». L'arrêté d'autorisation préfectorale d'exploitation de la source Perrier de 2019 demandait ainsi à Nestlé Waters de réaliser une étude de l'hydrosystème Perrier pour évaluer l'impact potentiel de l'exploitation sur les circulations d'eau, la stabilité des sols et, in fine, la qualité de l'eau - sans pour autant que la DDTM n'ait été associée aux travaux de l'ARS sur la qualité de la ressource à l'aune du principe de pureté originelle, dont le rapport définitif de décembre 2024 questionne la possibilité de continuer à exploiter les eaux minérales naturelles de la source Perrier159(*).
* 125 Article R. 214-1 du code de l'environnement.
* 126 Les unités de conditionnement désignent les chaînes de conditionnement d'eau de qualité homogène - à distinguer des sites de conditionnement, qui peuvent comporter plusieurs unités de conditionnement. Bilan de la qualité des eaux conditionnées en France, Direction générale de la santé, décembre 2024.
* 127 Article R. 214-3 du code de l'environnement.
* 128 Article R. 211-21-1 du même code.
* 129 Article L. 211-3 du code de l'environnement.
* 130 Article R.1321-7 du code de la santé publique pour les eaux de sources et article R.1322-6 pour les eaux minérales naturelles.
* 131 Lignes directrices pour l'évaluation des eaux minérales naturelles au regard de la sécurité sanitaire, Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), 2008.
* 132 À titre d'exemple, l'eau minérale de la « Source Contrex », commercialisée sous la désignation commerciale « Contrex » est un mélange qui provient de cinq captages : Anger-Lorraine et Belle-Lorraine situés sur la commune de Crainvilliers (Vosges) et Reine-Lorraine, Grande Source et Thierry-Lorraine situés sur la commune de Contrexéville. De même, la « Source Perrier » est issue des captages Romaine IV et Romaine IV bis à Vergèze et Romaine VI, Romaine VII et Romaine VIII à Uchaud (actuellement suspendu).
* 133 Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire.
* 134 Article R. 1322-37-1 du code de la santé publique.
* 135 Article R. 1322-5 du code de la santé publique.
* 136 Arrêté du 5 mars 2007relatif à la constitution du dossier de demande d'autorisation d'exploiter une source d'eau minérale naturelle pour le conditionnement, l'utilisation à des fins thérapeutiques dans un établissement thermal ou la distribution en buvette publique.
* 137 Qui accueillent les agents locaux de la DGCCRF.
* 138 Article L. 1321--2 du code de la santé publique.
* 139 Article R. 1322-16 du code de la santé publique.
* 140 Lignes directrices pour l'évaluation des eaux minérales naturelles au regard de la sécurité sanitaire, Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), 2008.
* 141 Arrêté préfectoral n° 30-2023-12-22-00 009 modifiant l'arrêté ministériel du 27 juillet 2005 relatif à l'exploitation de l'eau minérale de la source Perrier embouteillée sur le site sis au lieu-dit « Les Bouillens » sur la commune de Vergèze (Gard).
* 142 Articles L. 1321-2 et L. 1322-3 à L. 1322-13 du code de la santé publique.
* 143 Audition du mardi 11 décembre 2024.
* 144 Audition de Célia de Lavergne, directrice de l'eau et de la biodiversité, mercredi 22 janvier 2025.
* 145 « Paquet hygiène » : règlement CE n° 178/2002 ; règlement CE n° 852/2004 ; règlement CE n° 863/2004 ; règlement CE n° 183/2005 ; règlement UE n° 2017 /625.
* 146 Article R. 1322-43 du code de la santé publique.
* 147 Article R. 1322-29 du code de la santé publique.
* 148 Arrêté du 30 décembre 2022 relatif aux conditions auxquelles doivent satisfaire les laboratoires réalisant les prélèvements et les analyses de surveillance des eaux conditionnées et des eaux minérales naturelles utilisées à des fins thérapeutiques dans un établissement thermal ou distribuées en buvette publique.
* 149 Article R. 1322-44 du code de la santé publique.
* 150 Article R. 1322-44-1 du code de la santé publique.
* 151 Règlement (UE) 2017/625 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 concernant les contrôles officiels et les autres activités officielles servant à assurer le respect de la législation alimentaire et de la législation relative aux aliments pour animaux ainsi que des règles relatives à la santé et au bien-être des animaux, à la santé des végétaux et aux produits phytopharmaceutiques.
* 152 Article L. 1321-5 du code de la santé publique.
* 153 Arrêté du 22 octobre 2013 relatif aux analyses de contrôle sanitaire et de surveillance des eaux conditionnées et des eaux minérales naturelles utilisées à des fins thérapeutiques dans un établissement thermal ou distribuées en buvette publique.
* 154 Audition du mardi 21 janvier 2025.
* 155 Audition du mercredi 22 janvier 2025.
* 156 Instruction du Gouvernement du 2 janvier 2024 relative à la stratégie des contrôles en matière de police de l'eau et de la nature (SNCPEN).
* 157 Audition de Célia de Lavergne, mercredi 22 janvier 2025.
* 158 Réponse au questionnaire écrit de la commission d'enquête.
* 159 Audition du jeudi 30 janvier 2025.