II. LA PRÉVENTION DE LA RÉCIDIVE SE JOUE À TOUTES LES ÉTAPES DE LA PRISE EN CHARGE DES AICS ET AVANT MÊME LE PREMIER PASSAGE À L'ACTE

A. DES OUTILS POUR ÉVITER LE PREMIER PASSAGE À L'ACTE : L'ÉDUCATION ET L'APPROFONDISSEMENT DES CONNAISSANCES

Pour prévenir la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles, le mieux est encore d'éviter le premier passage à l'acte.

En outre, seule une minorité d'auteurs étant formellement mise en cause et une minorité encore plus restreinte étant condamnée, les politiques de lutte contre les violences sexuelles ne sauraient se concentrer sur les seuls AICS identifiés par les services d'enquête et la justice et sur la prévention de leur récidive au sens légal du terme.

Pour reprendre les mots de Catherine Mathieu, présidente du tribunal judiciaire de Créteil, intervenant au titre de la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ), lors de son audition du 21 janvier 2025, compte tenu du caractère massif des violences sexuelles aujourd'hui, la justice ne saurait seule être concernée par le traitement des infractions à caractère sexuel, que ce soit celui de leur première commission ou celui de leur récidive.

De même, ainsi que le soulignait Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lorraine, dans sa contribution écrite transmise aux rapporteures, « l'un des moyens d'action sur la prévention de la récidive est d'abord la prévention du primo-passage à l'acte. Les spécialistes relèvent unanimement la prévalence des antécédents de violence, maltraitance ou de construction dysfonctionnelle (attachement insécure ; environnement familial « distraitant »). Il apparaît essentiel de concentrer l'action sur la détection et la prise en charge des victimes, notamment des violences intrafamiliales. Le « soin » doit intervenir au plus tôt dans le parcours de vie d'une personne afin de réduire les risques criminogènes et victimogènes. Les politiques à visée préventive supposent que soient associés les moyens humains et financiers de les mettre en oeuvre ».

Les rapporteures plaident donc pour la mise en oeuvre de politiques publiques ambitieuses de prévention du primo-passage à l'acte et plus globalement de prévention primaire des violences sexuelles.

Cette prévention primaire des violences sexuelles s'articule autour de plusieurs axes que les rapporteures estiment aujourd'hui indispensable de développer :

- l'accompagnement et le soutien à la parentalité ;

- l'éducation au consentement dans le cadre de l'application du programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS), dispensé à l'école ;

- la formation des intervenants sociaux au repérage et à la détection précoce des maltraitances ou carences dont peuvent être victimes les enfants dans leur cercle familial.

1. L'accompagnement à la parentalité : un enjeu central de prévention

Le nombre important de mineurs mais aussi de majeurs auteurs d'infractions à caractère sexuel qui présentent des carences affectives et qui ont évolué dans un contexte familial violent ou dysfonctionnel plaide pour la mise en oeuvre de mesures d'accompagnement et de soutien à la parentalité.

S'il n'existe pas de causalité directe entre des antécédents de maltraitance familiale et la commission d'infractions sexuelles, un environnement familial violent et générateur de carences affectives ou de maltraitances doit être considéré comme un facteur de risque supplémentaire de devenir auteur.

Lors de la table ronde du 6 février 2025 réunissant experts psychiatres et psychologues, le docteur Laurent Layet, expert psychiatre, représentant l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (ANPEJ), relevait ainsi que : « plus de la moitié des auteurs d'infraction à caractère sexuel ont évolué dans un environnement familial que l'on appelle dysfonctionnel : violence, abus, négligence. Cependant, il n'y a pas de relation de cause à effet : quelqu'un qui a été victime d'agression sexuelle ne deviendra pas forcément agresseur sexuel, mais il y a des facteurs de transition, c'est-à-dire que le fait d'avoir été victime de négligence, d'avoir été témoin de violence ou d'avoir été victime directement de violence sexuelle est un facteur de risque supplémentaire de devenir auteur. »

De même, dans son rapport de recherche sur les parcours des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel (MAICS) publié en août 2024, la sociologue Marie Romero a pointé les « parcours émaillés de vulnérabilités sociales » des MAICS soulignant :

- d'une part, que les MAICS sont exposés à des vulnérabilités sociales multiples puisque la quasi-majorité d'entre eux vit au sein de familles présentant des fragilités (fratries nombreuses, familles recomposées, monoparentales) ;

- d'autre part, qu'ils ont pour la plupart vécu des antécédents de violences familiales se rapportant à de la maltraitance (physique et morale) ou à une exposition précoce aux violences conjugales. Pour plus d'un quart des mineurs étudiés, il s'agit de violences sexuelles commises par une personne de la famille ou de l'entourage, mais non détectées avant leur prise en charge institutionnelle.

Dès lors, l'accompagnement précoce à la parentalité, notamment pour les familles les plus vulnérables, constitue, pour les rapporteures, un enjeu central de prévention de la commission de violences sexuelles.

Une attention particulière doit, en outre, être portée aux territoires d'outre-mer, ainsi que le pointaient d'ailleurs la délégation aux droits des femmes et la délégation sénatoriale aux outre-mer dans un récent rapport72(*) commun intitulé Soutien à la parentalité : agir pour toutes les familles des outre-mer, appelant notamment à mieux sensibiliser aux enjeux et responsabilités de la parentalité, de même qu'à aider et accompagner les familles précaires et vulnérables.

Lors d'une table ronde organisée le 22 janvier 2025 réunissant des représentants du ministère de la santé et de la prévention et de plusieurs agences régionales de santé (ARS), le directeur général de l'ARS de La Réunion, Gérard Colleton, a souligné la spécificité des territoires d'outre-mer au regard des enjeux de soutien à la parentalité et précisé qu'à La Réunion, marquée par une forte prévalence de précarité socio-économique et un taux élevé de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, la question des agressions dans les milieux familiaux défavorisés était prégnante. Il a plaidé pour le développement de programmes de prévention et de sensibilisation en milieu scolaire compte tenu, d'une part, du taux élevé de grossesses précoces parmi les jeunes filles réunionnaises et, d'autre part, du nombre important de signalements de gestes incestueux.

2. L'éducation au consentement : une arme contre le primo-passage à l'acte

Éviter le premier passage à l'acte c'est, par définition, éviter la récidive. Et, pour éviter la commission d'une première infraction à caractère sexuel, la meilleure arme demeure encore la prévention primaire des violences sexuelles, dès l'enfance, au moyen notamment des programmes d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS), dispensés tout au long de la scolarité, adaptés à chaque âge et chaque étape de la scolarité.

Dans sa contribution écrite transmise aux rapporteures, la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice le formulait d'une façon limpide : « la prévention primaire apparaît comme le premier facteur d'évitement du passage à l'acte délictuel, et ce notamment en matière de délinquance sexuelle. L'éducation à la vie affective et sexuelle dès l'enfance, ainsi que l'octroi de moyens humains et financiers pour les services intervenant dans le champ de la prévention primaire des violences sexistes et sexuelles, apparaît notamment indispensable. En effet, au-delà de la prévention du risque de récidive, qui suppose qu'il y ait déjà eu passage à l'acte, la prévention primaire permettrait d'éviter ce premier passage à l'acte. La majorité des AICS ne relèvent pas de mesures de soins et ne présentent pas de pathologie psychiatrique. Les iolences sexuelles sont souvent systémiques et les causes ne sont pas uniquement à chercher du côté psychologique ou psychiatrique de l'auteur. Si la DAP et les soignants doivent maintenir leur mobilisation, une partie des réponses concerne, plus largement, l'ensemble du corps social (éducation, protection de l'enfance, etc.) ».

Les rapporteures ont relevé, au cours de leurs travaux, une forme de contradiction entre la dimension systémique et massive des violences sexuelles et la pathologisation voire la psychiatrisation de leurs auteurs. Comme évoqué précédemment, tous les auteurs de violences sexuelles ne souffrent pas d'une pathologie psychiatrique et ne relèvent donc pas nécessairement du soin psychiatrique. Dès lors, leur prise en charge procède plus d'une logique « éducative », psychologique et sociétale, que psychiatrique.

Les experts psychiatres et psychologues entendus par la mission ont, tous, pointé l'importance de l'éducation au consentement dès le plus jeune âge et de la prévention primaire en matière de violences sexuelles, tout en pointant l'influence de l'exposition à la pornographie chez les auteurs d'infractions à caractère sexuel, majeurs comme mineurs.

Ainsi, Hélène Denizot-Bourdel, psychiatre, responsable médicale régionale du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes, entendue par la mission le 5 décembre 2024, a-t-elle déclaré : « nous sommes parfois atterrés par le niveau d'éducation sexuelle des auteurs que nous recevons, d'où l'intérêt d'intervenir sur ces thématiques dans une démarche de prévention. »

S'agissant de l'influence de la pornographie, plusieurs experts psychiatres entendus par la mission ont établi un lien direct entre l'exposition précoce aux contenus pornographiques accessibles en ligne et les violences sexuelles, notamment celles commises par des auteurs mineurs.

Charles-Olivier Pons, expert psychiatre, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), entendu par la mission le 6 février 2025, a indiqué constater « dans les services de pédopsychiatrie l'exposition de plus en plus précoce aux écrans et à la pornographie, qui est un miroir déformant pour l'identification d'adolescents accédant à la sexuation et la sexualité. (...) Quand il s'agit de démontrer le caractère irréaliste des films pornographiques, beaucoup d'adolescents considèrent qu'il s'agit d'une représentation fidèle de la réalité, puisque c'est sur internet. Cela peut être conjugué avec des attitudes et positionnements parentaux incestueux, car le visionnage de la pornographie peut se faire avec les parents. Il peut également arriver que les ébats sexuels de parents aient lieu devant leurs enfants. »

De même, Roland Coutanceau, psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (SNEPP), lors de la table ronde du 6 février 2025, a relevé la dimension nécessairement sociétale de la prise en charge des auteurs de violences sexuelles et de leur rapport à la pornographie, en précisant : « les films pornographiques mettent en scène une sexualité qui n'est pas la sexualité relationnelle réelle. Je me souviens d'avoir entendu un jour dans un groupe un homme me dire : ``Mais où sont ces femmes que l'on voit dans les films pornographiques ? Je n'en rencontre jamais aucune'' ».

Il a ajouté, s'agissant de la consommation de pornographie par les adolescents : « il y a une nocivité, une pathogénie pour nos adolescents à regarder des films pornographiques sans médiation par l'adulte. (...) nos sociétés ont mis à la disposition des hommes une visualisation extraordinairement sombre de la violence physique, de la violence sexuelle, avec des mises en scène qui ne correspondent pas à la réalité relationnelle de l'être humain. Et cette représentation touche le plus directement les jeunes hommes ».

La nocivité de la consommation précoce de contenus pornographiques par de jeunes adolescents a d'ailleurs été pointée par la sociologue Marie Romero comme un des facteurs communs des parcours des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel dans son rapport de recherche datant d'août 2024 dans lequel elle identifie l'exposition précoce à la pornographie comme une des vulnérabilités sociales émaillant ces parcours : « de nombreux mineurs auteurs ont été exposés de façon précoce à de la pornographie en ligne avant l'âge pubertaire. Les études sur le sujet montrent que le visionnage précoce d'expériences pornographiques peut être vécu comme une effraction psychique par les mineurs, impacter leur développement psycho-sexuel, et engendre un risque accru de passage à l'acte sexuel, en particulier chez les adolescents les plus vulnérables et les plus isolés socialement ».

L'influence délétère de l'exposition à la pornographie sur les plus jeunes mais aussi sur les adultes consommateurs de ces contenus, de plus en plus violents et très facilement accessibles, a été parfaitement démontrée par le récent rapport73(*) de la délégation aux droits des femmes sur l'industrie de la pornographie intitulé Porno : l'enfer du décor, publié en septembre 2022. Ce rapport formulait 23 recommandations autour de quatre grands axes majeurs dont, notamment :

- l'application de la loi sur l'interdiction d'accès des mineurs aux contenus pornographiques et la protection de la jeunesse74(*) ;

- la mise en oeuvre des séances d'éducation à la vie affective et sexuelle à l'école ainsi que la sensibilisation des parents, professionnels de santé et professionnels de l'éducation aux enjeux liés à la pornographie.

Les rapporteures de la mission sont convaincues du caractère traumatogène de l'accès précoce voire très précoce aux images pornographiques et plaident pour que l'éducation à la sexualité dispensée à l'école intègre des messages de prévention relatifs à la consommation de contenus pornographiques dont l'accès est, en tout état de cause, légalement interdit aux mineurs.

Elles partagent, en ce sens, l'analyse de Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France, entendu par la mission le 5 décembre 2024, qui exhortait à mener « une réflexion sur les aspects éducatifs (...) car travailler sur le systémique, c'est travailler sur la prévention et sur les modalités relationnelles dans la société, les programmes de prévention primaire ayant toute leur utilité. La majorité des mineurs auteurs de violences sexuelles que nous rencontrons ne sont pas des grands malades, mais ont pu être poussés par la pornographie, ainsi que par des enjeux interpersonnels qui les dépassent, à faire n'importe quoi ».

Il apparaît donc indispensable de renforcer la mise en oeuvre, dès l'école, de politiques de prévention et d'information sur les violences sexuelles et sur les risques liés à la pornographie, en lien avec la pédagogie du consentement. Comme l'a rappelé Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP), il est essentiel de « marteler » les messages relatifs au consentement, qui « constituent d'ailleurs l'une des composantes, avec la protection des victimes et la création de juridictions spécialisées, du programme que l'Espagne applique en matière de prévention de la récidive des violences et agressions sexuelles. Dans ce pays, de tels messages ont fait l'objet de tout un travail de communication et des sondages ont servi à en mesurer l'écho dans la population. Jusqu'à 90 % des personnes interrogées les avaient entendus du fait de leur répétition ».

De telles campagnes pourraient utilement être organisées en France, non seulement dans les écoles, mais plus largement à destination de la population dans son ensemble.

Recommandation n° 1 : Renforcer les politiques de prévention primaire et d'information sur les violences sexuelles dès l'enfance, notamment sur les risques liés à l'exposition précoce à la pornographie, mettre en place de larges campagnes de communication, et dépister et signaler les violences sexuelles.

3. La formation des professionnels au contact des mineurs : pour une détection précoce des situations à risque

Au cours de leurs travaux, les rapporteures ont pu constater les défaillances de la prise en charge des victimes mineures de violences sexuelles et, par conséquent, de la reconnaissance de leur statut de victimes. Or, les experts et acteurs de terrain rencontrés par les rapporteures au cours de leur mission ont tous pointé la fréquence des antécédents « victimologiques » chez les auteurs de violences sexuelles. Si la majorité des victimes ne deviennent pas agresseurs, les experts estiment que les violences « subies » sont un facteur de risque de violences « agies ». Dans le même temps, ils relèvent que si les garçons victimes de violences dans leur enfance ont une plus forte probabilité de devenir auteurs, à l'inverse les filles ont une plus forte probabilité d'être de nouveau victimes au cours de leur vie.

Partant de ces constats, les rapporteures plaident pour une réelle formation des intervenants sociaux au repérage des situations familiales à risque et à la détection des carences ou actes de maltraitance subis par les enfants dans leur cercle familial. Une prise en charge psychosociale précoce et adéquate des mineurs victimes de violences sexuelles est, en effet, susceptible de diminuer le risque de passage à l'acte de ces mineurs en tant qu'auteur de violences sexuelles, à l'âge adulte voire avant même leur majorité.

a) Mieux détecter et prendre en charge les victimes mineures pour interrompre le cycle de violences sexuelles

Au cours de leurs travaux, les rapporteures ont fréquemment été alertées par leurs interlocuteurs sur le taux élevé de violences sexuelles subies dans l'enfance parmi les auteurs d'infractions à caractère sexuel.

Lors de la table ronde réunissant experts psychiatres et psychologues le 6 février 2025, Charles-Olivier Pons, expert psychiatre, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), a ainsi relevé que « le taux de violences sexuelles subies dans l'enfance est plus élevé chez les agresseurs que dans la population générale. Cependant, les auteurs des études insistent aussi sur le fait que la grande majorité des victimes ne deviendront pas agresseurs. Avoir été agressé sexuellement dans l'enfance n'est une condition ni nécessaire ni suffisante pour devenir agresseur à son tour. Il s'agit d'un facteur de risque. Il est important de le repérer, dans le but d'agir par des stratégies de prévention centrées sur la victime ».

De la même façon, Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), a souligné que « les facteurs de transition de victime à auteur sont les troubles de l'attachement et les expériences adverses. Il faut aujourd'hui être capable d'accepter qu'un auteur ait pu être victime sans que cela n'atténue sa responsabilité. Toutes les victimes ne deviennent en effet pas auteurs. Mais plus on a été confronté tôt à la violence physique ou sexuelle, soit comme témoin soit comme victime directe, plus le risque du passage au statut d'auteur est fort. Et moins on bénéficie d'un support familial solide, moins on peut se rattacher à des schémas protecteurs, et plus grand est le risque du passage à l'acte. Ces facteurs de transition sont aujourd'hui connus et permettent une analyse assez fine du risque. Les spécialistes parlent à présent de cycle de violences, dans lequel une même personne peut être tour à tour victime et auteur ».

De nombreuses études criminologiques établissent, en effet, un lien entre violences « subies » et violences « agies », comme le soulignait devant les rapporteures Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lorraine. Elle estimait ainsi que 30 à 50 % des hommes auteurs d'infractions à caractère sexuel ont eux-mêmes été victimes pendant l'enfance et que la très grande majorité des AICS a grandi dans un environnement familial global dysfonctionnel.

Ainsi que l'a résumé Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP), lors de la table ronde précitée du 6 février 2025, « les auteurs ont souvent été victimes, mais les victimes ne sont pas forcément auteurs ».

La sociologue Marie Romero, dans son rapport de recherche précité sur la prise en charge des MAICS d'octobre 2022, relève que les mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel sont plus à risque d'avoir vécu des violences intrafamiliales dans l'enfance (surtout sexuelles), pour la plupart non détectées, ni prises en charge : « ces violences ont causé des troubles dans leur développement psycho-affectif et sexuel, et entraîné des dérégulations émotionnelles (colère, anxiété, angoisse, hyperactivité) ».

Au cours de leurs déplacements sur le terrain, notamment à Migennes dans l'Yonne où elles ont rencontré des représentants de la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse, ou encore à Caen dans le Calvados où elles se sont entretenues avec les différents acteurs locaux en charge de la lutte contre les violences sexuelles, les rapporteures ont été confrontées au même constat, celui d'une proportion importante de jeunes auteurs d'infractions à caractère sexuel ayant eux-mêmes été victimes de violences sexuelles non détectées dans l'enfance.

Pour les rapporteures, cette prévalence des victimes de violences sexuelles parmi les auteurs d'infractions à caractère sexuel, mineurs comme majeurs, plaide pour la détection, la prise en charge et le traitement des victimes mineures de violences sexuelles. En effet, elles estiment que la reconnaissance du statut de victime des enfants ayant subi des violences sexuelles contribue à limiter le risque de futur passage à l'acte en tant qu'auteur d'infractions sexuelles. S'il est donc nécessaire d'encourager la parole des enfants victimes, encore faut-il être en mesure d'accueillir et de croire cette parole.

Entendu par la mission le 6 février 2025, Roland Coutanceau, psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (SNEPP), a ainsi précisé que, « dans les expertises que nous réalisons, nous constatons que, le plus souvent, les personnes abusées qui deviennent agresseurs sont celles qui n'ont pas parlé de l'agression sexuelle qu'elles ont subie. Et elles ne la reconnaissent qu'au moment de leur interpellation. Dans un objectif de prévention, la société a tout intérêt à favoriser plus tôt leur parole ».

Les enseignements du rapport public75(*) de novembre 2023 de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise)

« Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit »

En France : 160 000 enfants sont victimes de viol ou d'agression sexuelle chaque année dont 81 % par un membre de leur famille ; 5,4 millions de femmes et d'hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance ; l'impunité des agresseurs et l'absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d'euros chaque année en dépenses publiques.

Ces jeunes victimes ne sont qu'une sur dix à révéler ces violences au moment des faits et leur parole est trop souvent remise en cause. De plus, près d'un enfant victime sur deux (45 %) n'est pas mis en sécurité par le tiers auquel il se confie, un enjeu de taille lorsque l'on connaît le potentiel effondrement psychique des victimes et l'impact durable de ces violences. En effet, le fait d'avoir été victime de violences sexuelles dans son enfance augmente par deux le risque d'être victime de violences conjugales au cours de sa vie. En outre, parmi la moitié de victimes prises en charge, seules 38 % de ces victimes portent plainte.

Une réelle reconnaissance et la prise en charge des mineurs victimes de violences sexuelles supposent que l'ensemble des acteurs sociaux amenés à repérer et traiter ces situations soit formé pour le faire.

b) Former les acteurs sociaux au repérage des violences sexuelles subies

Au cours de leurs travaux, les rapporteures ont été sensibilisées au manque de formation des intervenants sociaux s'agissant de la détection de potentielles victimes mineures de violences sexuelles. Elles estiment indispensable de renforcer cette formation dans le but de les aider à repérer ce type de violences et à prendre en charge les victimes le plus en amont possible.

En outre, leur attention a été attirée par certains experts sur le fait que, parmi les victimes de violences sexuelles, figurait une proportion importante d'enfants pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE).

Ainsi, Charles-Olivier Pons, expert psychiatre, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), entendu par la mission le 6 février 2025 lors de la table ronde réunissant experts psychiatres et psychologues : « au fil de l'accompagnement d'adolescents autant victimes qu'auteurs, nous constatons l'émergence et la croissance des actes d'agression à caractère sexuel au sein des lieux substitutifs de vie, dans les maisons d'enfants à caractère social (Mecs), dans les familles d'accueil ».

Lors de leur déplacement dans l'Yonne, les rapporteures ont également été alertées par leurs interlocuteurs de la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (DTPJJ) sur l'absence de formation des travailleurs sociaux et des éducateurs spécialisés à la protection de l'enfance, en particulier, s'agissant de la détection des situations de violences sexuelles dont sont victimes les mineurs qu'ils sont amenés à rencontrer ou à encadrer. Ce déficit de formation explique notamment pourquoi ces acteurs sociaux se retrouvent souvent dans l'incapacité d'accueillir la parole des mineurs victimes ou de la susciter.

Au cours de ce même déplacement, la directrice territoriale Yonne-Nièvre de la PJJ, Laurence Houzard, a également indiqué aux rapporteures que, dans le département de l'Yonne, une très grande quantité d'enfants placés étaient victimes de violences sexuelles et que, parmi ces enfants placés pour être protégés, certains devenaient eux-mêmes auteurs de violences sexuelles sur d'autres enfants. Parmi ces auteurs, elle a relevé des cas d'enfants âgés d'à peine sept ans, donc trop jeunes pour être poursuivis. Par conséquent, elle a fait état de professionnels démunis face à ce type de situations et de violences.

Comme évoqué supra par les rapporteures dans leurs développements concernant le traitement pénal des affaires de violences sexuelles, la question de la temporalité de la prise en charge des enfants victimes constitue également un défi pour les intervenants sociaux : les enfants victimes parlent souvent plusieurs mois après les faits et plusieurs années peuvent s'écouler avant qu'une réelle prise en charge ne se mette en place, ce qui peut être décourageant à la fois pour les victimes et pour les professionnels qui les prennent en charge.

Certaines structures d'accueil ont cependant réfléchi à la structuration d'une offre de soins prenant en charge le psycho-traumatisme de ces victimes, du repérage jusqu'à la réparation. C'est le cas, par exemple, de l'agence régionale de santé Bourgogne-Franche-Comte, entendue par les rapporteures au cours d'une table ronde réunissant les acteurs de santé le 22 janvier 2025, et qui a mis en place des outils de repérage précoce de violences sexuelles subies. Depuis 2021, le centre hospitalier du Doubs, en coopération avec le Criavs, a construit un outil de repérage des enfants ayant un comportement sexuel problématique, notamment les mineurs de moins de 12 ans.

Une convention tripartite a également été signée entre le directeur territorial de l'ARS dans l'Yonne, la directrice territoriale de la PJJ Yonne-Nièvre et le directeur des pôles SMS PEP CBFC du territoire de l'Yonne afin de créer un service d'accompagnement de jeunes de 0 à 21 ans auteurs et/ou victimes d'infractions à caractère sexuel (SAVI) à Migennes, dans l'Yonne. Ce service propose une prise en charge globale des jeunes, avec un suivi thérapeutique, un accompagnement dans les démarches judiciaires et la co-construction d'un projet éducatif personnalisé en lien avec les services éducatifs référents. Il apporte également un soutien aux professionnels partenaires pour les aider à repérer et orienter les mineurs auteurs et/ou victimes de violences sexuelles.

Les rapporteures appellent à encourager le développement de ce type d'outils et à former l'ensemble des travailleurs sociaux et éducateurs spécialisés en contact avec des mineurs au repérage de situations de maltraitance ou de violences, notamment sexuelles.

Par ailleurs, et étant souligné que ce sujet excède le périmètre des travaux de la mission conjointe de contrôle, elles souhaitent que, dans le cadre des travaux de la mission commune d'information qui sera prochainement lancée par les commissions des lois et des affaires sociales du Sénat sur la protection de l'enfance, la réflexion se poursuive sur deux sujets : la détection des victimes de violences sexuelles parmi les enfants pris en charge par l'ASE d'une part, et de l'autre, la lutte contre les violences sexuelles dans les institutions qui accueillent les mineurs en danger.


* 72 Rapport d'information n° 870 (2022-2023), déposé le 11 juillet 2023.

* 73 Rapport n° 900 (2021-2022), d'Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, déposé le 27 septembre 2022.

* 74 La loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, dite loi SREN, comporte un volet consacré à la protection des mineurs en ligne contre les contenus pornographiques et le cyberharcèlement, et impose désormais aux plateformes proposant des vidéos pornographiques, sous le contrôle de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et selon des procédures respectant le droit européen, de mettre en place des systèmes de vérification d'âge pour empêcher l'accès des mineurs aux sites pornographiques, sous peine de lourdes amendes et de blocage d'accès aux sites.

* 75 https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-2023

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