N° 650

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 mai 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) et de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (2) sur la prévention de la récidive en matière de viol
et d'
agressions sexuelles,

Par Mmes Annick BILLON, Evelyne CORBIÈRE NAMINZO, Catherine DI FOLCO, Audrey LINKENHELD, Marie MERCIER et Laurence ROSSIGNOL,

Sénatrices et Sénateurs

Tome I - Rapport

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

(2) Cette délégation est composée de : Mme Dominique Vérien, présidente ; Mmes Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Laure Darcos, Béatrice Gosselin, M. Marc Laménie, Mmes Marie Mercier, Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Marie-Laure Phinera-Horth, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Anne Souyris, vice-présidents ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Agnès Evren, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Hussein Bourgi, Mmes Colombe Brossel, Samantha Cazebonne, M. Gilbert Favreau, Mme Véronique Guillotin, M. Loïc Hervé, Mmes Micheline Jacques, Lauriane Josende, Else Joseph, Annie Le Houerou, Marie-Claude Lermytte, Brigitte Micouleau, Raymonde Poncet Monge, Olivia Richard, Marie-Pierre Richer, M. Laurent Somon, Mmes Sylvie Valente Le Hir, Marie-Claude Varaillas, M. Adel Ziane.

L'ESSENTIEL

Créée en novembre 2024 à la suite du viol et du meurtre de la jeune Philippine, dont l'auteur présumé avait déjà été condamné pour viol, la mission conjointe de contrôle de la commission des lois et de la délégation aux droits des femmes a évalué la pertinence des textes en vigueur et l'efficacité de l'action publique en matière de lutte contre la récidive du viol et des agressions sexuelles. Après avoir entendu près de cent personnes et effectué trois déplacements, elle formule 24 recommandations pour garantir la prise en compte des spécificités des auteurs d'infractions sexuelles et prévenir le risque de récidive.

I. LA RÉCIDIVE DES INFRACTIONS SEXUELLES : UN PHÉNOMÈNE DONT L'AMPLEUR ET LES DÉTERMINANTS NE SONT QU'IMPARFAITEMENT CONNUS

1. Un taux documenté de récidive légale qui apparaît faible au regard de l'ampleur des violences sexuelles

Dans un contexte de libération de la parole à la suite du mouvement #MeToo, le nombre de plaintes pour violences sexuelles a augmenté de près de 120 % entre 2016 et 2023, atteignant 114 100 plaintes en 2023, année au cours de laquelle 1 300 condamnations pour viol et 5 399 condamnations pour agression sexuelle ont été prononcées. Le nombre de condamnations pour infractions sexuelles, entre 2017 et 2022, n'a, pour sa part, augmenté que de 13 %.

En dépit de l'ampleur des violences sexuelles, les taux officiels de récidive légale et de réitération pour ces infractions sont largement inférieurs à ceux des autres crimes et délits.

Taux moyen de récidive légale sur la période 2019-2023

pour les viols

pour les délits à caractère sexuel

pour l'ensemble des crimes

pour l'ensemble des délits

2. Des auteurs de violences à caractère sexuel (AICS) aux profils divers

Il manque de statistiques fiables permettant d'évaluer l'efficacité des dispositifs juridiques et médicaux, pourtant nombreux, qui visent à prévenir la récidive.

II. UNE PRISE EN CHARGE DES AICS INSUFFISANTE, EN DÉPIT DE NOMBREUX DISPOSITIFS SPÉCIFIQUES

1. Jusqu'au jugement, un processus long et insatisfaisant

Les délais de jugement des AICS (avec un délai théorique d'écoulement du « stock » d'affaires criminelles de 16 mois) et les modalités de leur gestion avant l'audience peuvent être une source de retards dans la prise en charge médicale, psychologique et sociale de ceux-ci. S'agissant des AICS en détention provisoire, l'accès à une prise en charge est complexe avec un taux de surpopulation de 160 % en maison d'arrêt, des dispositifs disparates selon les établissements, un manque de professionnels de santé et des difficultés à entamer un suivi psychologique ou psychiatrique en cas de non-reconnaissance des faits. Quant aux individus soumis à une obligation de soins dans le cadre d'un contrôle judiciaire, la qualité et la rapidité de la mise en oeuvre de cette mesure ne font l'objet d'aucun suivi ni évaluation.

La conduite des expertises des auteurs, pourtant obligatoires avant tout jugement au fond, se heurte à un manque criant d'experts psychiatres.

2. Une prise en charge spécifique en détention

88 % des auteurs de viol et 39 % des auteurs d'agression sexuelle sont condamnés à une peine d'emprisonnement ferme ou en partie ferme, avec un quantum moyen de peine s'élevant respectivement à 10,2 et 1,2 années.

La période de détention est donc une étape cruciale, qui suppose un travail pluridisciplinaire - psychologique, criminologique, médical et social - visant à limiter le risque d'une récidive. Alors que les sorties sèches concernent deux tiers des AICS condamnés, la préparation à la sortie est cruciale.

Conformément à la loi du 17 juin 1998 et au protocole santé-justice de 2011, les AICS condamnés sont en principe orientés vers l'un des 22 établissements pénitentiaires « fléchés AICS », devant disposer de moyens sanitaires adaptés et d'une prise en charge pénitentiaire spécifique, avec en particulier des programmes de prévention de la récidive (PPR) proposés par les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP). Le taux de détenus AICS dans ces établissements fléchés n'est toutefois que de 37 %.

Si un travail de qualité est effectué dans certains établissements, la prise en charge est très disparate et non coordonnée entre établissements - et parfois même entre professionnels intervenant au sein d'un même établissement - et se heurte bien souvent à des pénuries de moyens humains. En outre, aucune évaluation de l'efficacité de cette spécialisation et des dispositifs associés n'a été menée à ce jour.

3. Hors de la détention, une prise en charge qui pâtit d'un manque de moyens et de coordination

Le suivi socio-judiciaire est un dispositif central dans la prise en charge des AICS post-détention mais il ne concerne que 20 % d'entre eux, faute de moyens et d'une réelle coordination pluridisciplinaire entre acteurs.

Ce suivi emporte, par principe, le prononcé d'une injonction de soins, qui elle-même donne lieu à un emprisonnement en cas de refus. Cependant, l'efficacité de cette injonction se heurte à des difficultés d'accès aux soins (manque de médecins coordonnateurs et de psychiatres) et, là encore, à un défaut de communication et de coordination entre les différents professionnels impliqués dans la mise en oeuvre du suivi socio-judiciaire. Plus fondamentalement, cette mesure n'intervient qu'à la sortie de détention, souvent longtemps après les faits, et conduit à un ciblage excessif de la prise en charge sur un plan psychiatrique, ne tenant pas compte d'autres facteurs décisifs de désistance (accès à un logement/hébergement, insertion socio-professionnelle...).

4. Le post-sentenciel : un champ sous-investi

Le recours aux mesures de sûreté (surveillance judiciaire, surveillance de sûreté, rétention de sûreté) reste aujourd'hui très limité.

Tout au long de la peine et après celle-ci, des outils innovants, tels ceux de la justice restaurative, existent mais sont encore insuffisamment investis.

Mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel (MAICS)

La prise en charge des mineurs - théoriquement plus favorable en raison de la possibilité donnée aux magistrats compétents de mettre en place des mesures éducatives dès le début de la procédure judiciaire -présente de réelles difficultés à toutes les étapes : distension des délais, manques de visibilité des parcours de soins et des parcours judiciaires, ruptures de parcours, appréhensions et défaut de coordination des professionnels censés les prendre en charge...

III. LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION : PRÉVENIR LA RÉCIDIVE EN INTERVENANT À TOUTES LES ÉTAPES DE LA PRISE EN CHARGE DES AUTEURS D'INFRACTIONS À CARACTÈRE SEXUEL

1. Renforcer la prévention primaire et la prise en charge des mineurs auteurs

Recommandation n° 1 : Renforcer les politiques de prévention primaire et d'information sur les violences sexuelles dès l'enfance, notamment sur les risques liés à l'exposition précoce à la pornographie, mettre en place de larges campagnes de communication, dépister et signaler les violences sexuelles.

Recommandation n° 7 : Former les magistrats et tous les professionnels (protection judiciaire de la jeunesse, police, gendarmerie...) intervenant auprès des mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel (MAICS) afin de mieux identifier les mineurs auteurs étant par ailleurs victimes.

Recommandation n° 17 : Développer les programmes spécifiquement tournés vers les mineurs AICS dans les centres éducatifs fermés et renforcés.

2. Produire des statistiques fiables sur les AICS pour évaluer leur prise en charge

Recommandation n° 6 : Produire des statistiques en matière de récidive des délinquants sexuels en permettant les analyses croisées en fonction des profils des auteurs et des mesures, obligations et traitements auxquels ils ont été soumis.

Recommandation n° 20 : Évaluer systématiquement les prises en charge des auteurs d'infraction sexuelle en détention afin d'harmoniser la doctrine de lutte contre la récidive.

Recommandation n° 9 : Établir des statistiques fiables en matière d'injonction de soins pour pouvoir, à moyen terme, lancer une évaluation approfondie des critères de leur prononcé par les juridictions, des motifs conduisant à écarter leur application et de leur efficacité concrète dans la lutte contre la récidive des AICS.

Recommandation n° 22 : Produire des statistiques sur le nombre de personnes éligibles à la rétention de sûreté.

3. Prévenir la récidive par une prise en charge spécialisée des AICS

Recommandation n° 2 : Mieux accompagner les personnes mises en cause au stade pré-sentenciel, sur la base du volontariat et selon des formes couvertes par le secret médical.

Recommandation n° 13 : Affecter effectivement les AICS dans des établissements fléchés afin, notamment, de permettre la mise en oeuvre de soins en groupes de parole.

Recommandation n° 14 : Créer une véritable injonction de soins en détention pour les AICS.

Recommandation n° 16 : Éviter les sorties sèches pour les personnes incarcérées qui ont accepté les soins en détention et s'engagent à les poursuivre à l'extérieur.

Recommandation n° 19 : Pour les étrangers AICS condamnés à une interdiction du territoire français, informer le juge des libertés et de la détention de la dangerosité de la personne concernée afin qu'il puisse en tenir compte dans ses décisions en matière de rétention administrative.

4. Rationaliser les outils d'expertise

Recommandation n° 5 : Revoir les critères de l'automaticité du recours à une expertise psychiatrique du mis en cause en amont du jugement.

Recommandation n° 12 : Envisager la prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel (AICS) par des psychologues dès lors qu'ils ne sont pas atteints de pathologies relevant spécifiquement de la compétence des psychiatres afin de faire face au contexte de pénurie d'experts-psychiatres et à la saturation des services psychiatriques.

Recommandation n° 11 : Créer une formation de psychologie légale au cours du cursus des psychologues afin de favoriser, dès que possible, le recours à des experts au sein de cette profession, notamment dans les ressorts où l'on trouve peu de psychiatres.

AVANT-PROPOS

Le viol et le meurtre de la jeune Philippine en septembre 2024, dont l'auteur présumé avait déjà été condamné pour viol par la cour d'assises des mineurs du Val d'Oise en 2021 - et qui, ressortissant étranger en situation irrégulière, était par ailleurs frappé par une obligation de quitter le territoire français - ont tristement mis en avant la gravité de la récidive en matière d'infractions à caractère sexuel.

Le phénomène de récidive est, selon les statistiques disponibles du ministère de la justice, plus rare pour de telles infractions que pour les autres formes de délinquance ou de criminalité. Le taux moyen de récidive légale du viol, sur la période 2019-2023, était de 5,7 %, contre 9 % pour l'ensemble des crimes ; s'agissant des délits à caractère sexuel (agression sexuelle, atteinte sexuelle...), la récidive est presque trois fois moins fréquente que pour l'ensemble des délits (7,2 % contre 17,5 %). Mais ces chiffres ne doivent pas masquer la complexe réalité de la récidive en matière d'infractions sexuelles. Non seulement celle-ci est sous-évaluée sous l'effet de la rareté notoire de la dénonciation des infractions aux services d'enquête - les études menées par le ministère de l'intérieur démontrent, avec constance, que moins de 10 % des victimes portent plainte contre leur agresseur, alors même qu'elles le connaissent dans l'immense majorité des cas -, mais surtout la société juge, légitimement, inacceptable la récidive en la matière , de même qu'elle accueille avec une vive émotion les faits d'actualité qui portent sur des violences sexuelles.

C'est dans ce contexte que le Sénat a souhaité engager des travaux sur la prévention de la récidive du viol, en vue d'évaluer la pertinence des textes en vigueur et de l'action des institutions et services publics concernés (police, gendarmerie, juridictions, protection judiciaire de la jeunesse, services d'insertion et de probation...). Cette initiative de la délégation aux droits des femmes a pris la forme, originale, en novembre 2024, d'une mission conjointe de contrôle de la commission des lois, présidée par Muriel Jourda, et de la délégation aux droits des femmes, présidée par Dominique Vérien. Reflétant la diversité des sensibilités politiques représentées au Sénat, Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Catherine Di Folco, Audrey Linkenheld, Marie Mercier et Laurence Rossignol en ont été désignées co-rapporteures.

Au cours de six mois de travaux, la mission conjointe de contrôle a entendu près de cent personnes - professionnels, chercheurs, représentants des administrations centrales, psychiatres et psychologues, représentants associatifs... - au cours d'une trentaine d'auditions et de trois déplacements à Joux-la-Ville, à Caen et à Fresnes. Les données et observations recueillies lui ont permis d'établir un diagnostic qui témoigne non seulement de la remarquable mobilisation des hommes et des femmes engagés dans le suivi et l'accompagnement des auteurs d'infractions sexuelles, mais aussi des limites des outils et des moyens actuellement disponibles en matière de lutte contre la récidive de ces infractions. Elles ont également conduit les rapporteures à formuler vingt-quatre recommandations, articulées autour de trois objectifs majeurs :

- la prévention effective de la récidive, en renouvelant les leviers dont disposent les intervenants et en tenant compte de la situation générale de pénurie de moyens dans laquelle se trouve le secteur médico-social dans son ensemble ;

- la juste sanction des auteurs d'infractions sexuelles et la mobilisation de leur temps de peine pour identifier et limiter les facteurs de réitération ;

- la réinsertion des auteurs afin d'offrir à la société une protection efficace contre la récidive.

I. LA RÉCIDIVE DES INFRACTIONS SEXUELLES : UN DÉCALAGE ENTRE LES CHIFFRES CONNUS, LES TEXTES ET LES FAITS

A. LA RÉCIDIVE DES AUTEURS D'INFRACTIONS À CARACTÈRE SEXUEL : UN PHÉNOMÈNE MAL APPRÉHENDÉ AU PLAN STATISTIQUE MALGRÉ UN ARSENAL LÉGISLATIF PARTICULIÈREMENT DÉVELOPPÉ

De nombreux dispositifs juridiques et médicaux sont prévus par la loi afin d'accompagner les auteurs d'infractions à caractère sexuel (AICS) majeurs et mineurs dans l'exécution de leur peine et en post-sentenciel. Malgré cet encadrement législatif, la récidive des AICS demeure une réalité dont l'ampleur ne peut être que partiellement saisie à travers les données statistiques disponibles.

1. Une réalité difficile à appréhender en raison d'un manque de données statistiques et d'évaluation

Si le mouvement #MeToo a mené à une judiciarisation croissante des affaires de violences sexuelles, les statistiques disponibles ne reflètent pas toute l'ampleur du phénomène des violences sexuelles ni de la récidive de leurs auteurs.

a) La récente hausse des condamnations pour des faits d'infractions sexuelles

En premier lieu, il convient de rappeler que la grande majorité des victimes de viol ou d'agressions sexuelles ne portent pas plainte auprès de la justice. Le rapport d'enquête statistique nationale « Vécu et ressenti en matière de sécurité » estime ainsi qu'en 2022, seules 6 % des femmes victimes de violences sexuelles ont porté plainte contre leur agresseur1(*). Les raisons en sont multiples : méconnaissance, incompréhension ou crainte des dispositifs légaux et du système judiciaire, manque de confiance dans les services d'enquête et dans la justice, pressions ou menaces de l'auteur ou de l'environnement familial, incapacité à s'exprimer en raison du traumatisme, honte, sentiment de culpabilité ou encore appréhension des conséquences familiales, sociales et professionnelles que peut entraîner le dépôt de plainte... 38 % des victimes n'ayant pas fait de déclaration ont exprimé un manque de confiance face à l'efficacité des procédures. En outre, 23 % ont estimé que « ce n'était pas assez grave ». Les chiffres suivants doivent donc être appréhendés au regard de cette sous-estimation globale qui crée un biais d'interprétation important.

Dans un contexte de libération de la parole des victimes à la suite du mouvement #MeToo, le nombre de victimes de violences sexuelles enregistrées par la police et la gendarmerie nationales a augmenté de près de 120 % entre 2016 et 2023. Cette augmentation concerne à plus forte raison des faits de viol et de tentative de viol. En 2023, les femmes représentaient 85 % des victimes enregistrées pour l'ensemble des infractions de violences sexuelles. Les violences intrafamiliales et conjugales représentaient plus de 30 % des mises en cause.

Nombre de victimes de violences sexuelles enregistrées par les services de la police et de la gendarmerie nationales entre 2016 et 2023

Source : Service statistique du ministère de l'intérieur (SSMI)

96 % des 76 621 personnes mises en cause pour des violences sexuelles élucidées en 2023 étaient des hommes2(*). Les individus mis en cause étaient majoritairement âgés de 18 à 44 ans, et seulement 7 % avaient plus de 60 ans. Environ 25 % des mis en cause étaient mineurs, la plupart d'entre eux étant âgés de 13 à 17 ans. Par ailleurs, 87 % des mis en cause pour des violences sexuelles étaient français. Parmi les mis en cause étrangers, la plupart (85 %) étaient originaires de pays hors Union européenne. Les auditions menées par la mission ont permis de mettre en avant plusieurs caractéristiques fréquentes des AICS.

La question de l'expérience de violences sexuelles en tant que victime préalable à un passage à l'acte a ainsi été fréquemment évoquée. La Conférence nationale des procureurs de tribunaux judiciaires (CNPTJ) a ainsi précisé que « l'absence de prise en charge et de protection adaptées des victimes dans la sphère tant familiale que sanitaire, aboutit à une augmentation du risque de commission d'infractions sexuelles par ces personnes ayant été victimes ». Si les AICS ont souvent été victimes de violences sexuelles, notamment dans leur enfance, toutes les victimes - notamment les femmes - ne passent pas à l'acte. La population des AICS demeure donc un groupe hétérogène, présentant des profils particulièrement variés. La part d'individus atteints de pathologies psychiatriques serait minoritaire selon la plupart des acteurs interrogés à ce sujet (experts psychiatres, procureurs, police judiciaire, administration pénitentiaire).

La nette augmentation du nombre de plaintes enregistrées s'est également traduite, dans une moindre mesure, par une augmentation du nombre de condamnations pour des infractions à caractère sexuel. Ainsi, le nombre de condamnations prononcées à l'encontre d'auteurs majeurs pour des infractions relatives à des violences sexuelles (viol, agression sexuelle, harcèlement sexuel, atteinte sexuelle sur mineur) a augmenté de 13 % entre 2017 et 20223(*). En 2023, 6 700 condamnations ont été prononcées, dont 5 400 pour des faits d'agression sexuelle (81 %) et 1 300 pour viol (19 %)4(*).

Source : Ministère de la justice

Une tendance inquiétante concerne les auteurs mineurs, qui forment une part croissante des mis en cause et des condamnés pour des faits d'infractions sexuelles. Ils représentent désormais près d'un quart des condamnés, et un tiers des auteurs de viols et d'agressions sexuelles sur mineurs (voir infra).

Les peines prononcées varient en fonction du type d'infraction et de la gravité des faits. Sur la période 2017-2022, on constate que, pour les auteurs majeurs5(*) :

· dans 92 % des cas, une condamnation pour viol s'accompagne d'une peine d'emprisonnement ferme ou de réclusion ;

· les condamnations pour agression sexuelle donnent lieu à des peines d'emprisonnement avec sursis total (48 %) ou partiel (26 %).

Focus sur l'augmentation des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel (MAICS)

On note une surreprésentation des mineurs de 18 ans parmi les individus mis en cause pour des infractions sexuelles : alors qu'ils représentent environ 21 % de la population, ils représentaient 28 % des mis en cause pour ces infractions de violence sexuelle en 2023. Pour les faits de viols et d'atteintes sexuelles, les mineurs représentent près d'un tiers des mis en cause.

S'agissant des condamnations pour violences sexuelles, entre 2017 et 2022, les mineurs représentent 23 % des condamnés, tandis que 31 % des viols et agressions sexuelles sur mineurs sont commis par un auteur mineur. La proportion de mineurs parmi les condamnés pour ICS a baissé de 11 % sur la période, mais masque des dynamiques distinctes en fonction de la classe d'âge. Ainsi, en valeur absolue, les condamnations des mineurs de moins de 16 ans sont en baisse, alors que le nombre de condamnations de mineurs âgés de 16 à 17 ans a augmenté de 22 %. Ces données confirment qu'il existe bien une problématique liée à la commission de violences sexuelles par les mineurs, en particulier dans le cadre familial.

Les peines prononcées à l'encontre des mineurs sont en moyenne moins sévères : moins de 7 % des mineurs de plus de 13 ans sont condamnés à des peines de prison ferme pour des faits de violence sexuelle. Dans 28 % des cas, les mineurs AICS sont condamnés à des mesures et sanctions éducatives.

Les caractéristiques des mineurs condamnés sont très hétérogènes, comme l'a relevé la docteure en sociologie Marie Romero6(*). En premier lieu, la part de mineurs de moins de 13 ans parmi les affaires traitées par les parquets est particulièrement élevée : « près d'un mineur sur trois a moins de 13 ans, contrairement à la population globale des mineurs délinquants dans laquelle cette catégorie d'âge est seulement de 8,9 % ». Elle note également que les MAICS « se singularisent par la grande hétérogénéité des milieux sociaux d'origine à la différence de la population des mineurs délinquants principalement issue des classes populaires ». La plupart sont également inconnus de la justice et bien intégrés au parcours scolaire.

Source : Mission conjointe de contrôle7(*).

Il est cependant important de mettre ces différents chiffres en perspective et de garder en mémoire que les statistiques des condamnations prononcées chaque année pour des infractions à caractère sexuel ne reflètent pas l'ampleur réelle du phénomène.

Ainsi, le nombre de condamnations est relativement faible en comparaison du nombre de plaintes déposées et encore davantage en comparaison du nombre de victimes estimées. Ainsi, en 2023, seules 6 700 condamnations ont été prononcées alors que, la même année, plus de 114 000 victimes ont été enregistrées par les services de police et de gendarmerie et que le service statistique du ministère de l'intérieur estime que, chaque année, plus de 200 000 femmes sont victimes de violences sexuelles.

Le faible nombre de condamnations, même en cas de plainte, est dû à de nombreux classements sans suite, en raison de difficultés liées à l'enquête et à l'insuffisance des moyens d'enquête, notamment humains. Ces difficultés sont aggravées par l'augmentation des dépôts de plainte plus tardifs. Ainsi, les données du ministère de l'intérieur témoignent qu'en 2023, la part des violences sexuelles dont la date de commission des faits est supérieure à un an au moment du dépôt de plainte est de 39 %, contre 29 % en 2016. Les tribunaux judiciaires se heurtent également à des délais d'enquête qui se comptent parfois en années et « un délai d'audiencement qui tend actuellement à s'allonger en raison de l'augmentation des stocks d'affaires à juger »8(*).

b) La récidive : un phénomène qui paraît limité parmi les AICS

L'état de récidive légale est défini par les articles 132-8 à 132-11 du code pénal. Il correspond à la situation dans laquelle un individu définitivement condamné par une juridiction française ou européenne commet une nouvelle infraction et où, en vertu de la loi pénale, il encourt pour ce motif une aggravation de la peine encourue. En ce qui concerne les infractions sexuelles, l'article 132-16-1 du code pénal établit qu'au regard de la récidive, les délits d'agressions sexuelles et d'atteintes sexuelles sont considérés comme une même infraction.

En ce qui concerne les délits et les crimes, la récidive correspond à des critères restrictifs, qui correspondent à plusieurs cas de figure résumés ci-dessous9(*) :

Nature de la première infraction

Nature de la nouvelle infraction

Délai de commission de la nouvelle infraction

Aggravation de la peine encourue

Article du Code pénal

Crime ou délit puni de 10 ans d'emprisonnement

Crime passible de 20 ou 30 ans de réclusion

Pas de délai

Réclusion à perpétuité

132-8

Crime passible de 15 ans de réclusion

30 ans de réclusion

Délit passible de 10 ans d'emprisonnement

10 ans

Doublement de l'emprisonnement et de l'amende encourue

132-9

Délit passible d'un emprisonnement compris entre 1 et 10 ans

5 ans

Délit puni d'une peine d'emprisonnement inférieure à 10 ans

Délit identique

5 ans

· 132-10

· Délit assimilé

· · Source : Service de la statistique des études et de la recherche du ministère de la justice.

Ainsi, lorsqu'un individu se trouve, selon cette définition, dans un état de récidive légale, la réponse pénale est alourdie et il encourt des peines plus sévères. Un délai de commission de la nouvelle infraction est également prévu entre la première et la seconde infraction afin de limiter dans le temps la possibilité de retenir la récidive légale, sauf en cas de « récidive générale et perpétuelle » (article 132-8 du code pénal) pour les cas les plus graves.

La récidive désigne donc, au sens légal du terme, un nombre de cas en réalité limité, qui ne correspond pas à l'ensemble des situations qui peuvent exister. C'est pourquoi le terme de réitération est également utilisé pour désigner les situations dans lesquelles un individu déjà condamné pour un crime ou un délit commet une nouvelle infraction qui ne répond pas aux critères de la récidive légale (article 132-7-16 du code pénal). La notion de réitération, plus large, peut ainsi désigner des cas où, après un délit puni de moins de dix ans d'emprisonnement, une nouvelle infraction d'une autre nature est commise. La réitération peut également faire référence à des situations dans lesquelles le délai maximum de récidive est dépassé lorsque la seconde infraction est commise, lorsqu'il ne s'agit pas d'une situation de récidive générale et perpétuelle.

En ce qui concerne les infractions sexuelles, les taux de récidive et de réitération transmis par le ministère de la justice semblent moins importants parmi les condamnés AICS que dans l'ensemble de la population pénale. Ainsi, le taux de récidive légale pour des faits de viol est en moyenne de 5,7 %, contre 9 % pour l'ensemble des crimes. De même, le taux de récidive est deux fois moins important pour les délits sexuels (7,2 %) que pour l'ensemble des délits (17,5 %). Il en va de même pour les taux de réitération qui sont deux fois moins importants pour les infractions sexuelles que pour l'ensemble des infractions10(*).

Taux moyen de récidive et de réitération parmi les condamnations prononcées pour des infractions sexuelles entre 2019 et 2023

 

Taux moyen de récidivistes légaux

Taux moyen de réitérants

Viol

5,7 %

9,1 %

Agression sexuelle

5 %

10 %

Source : ministère de la justice

Les caractéristiques des AICS récidivistes et réitérants sont comparables aux caractéristiques des mis en cause pour des affaires de violences sexuelles : il s'agit uniquement d'hommes, pour la plupart de nationalité française. Ainsi, la part de Français dans les récidivistes légaux pour des faits de viols est de 89 % en moyenne entre 2019 et 2023 (86 % pour les agressions sexuelles). La part d'étrangers est plus élevée en ce qui concerne les réitérants (25 % pour les viols et 22 % pour les agressions sexuelles). La majorité des AICS récidivistes et réitérants ont entre 18 et 39 ans. En revanche, la tranche d'âge des 18-29 ans représente plus de la moitié des réitérations de viol11(*).

Il faut ajouter à ces chiffres les cas sans doute plus nombreux où un AICS déjà condamné commet une nouvelle infraction sans que celle-ci soit judiciarisée, par exemple si la victime ne porte pas plainte. On peut donc penser que les statistiques officielles sont incomplètes au regard de l'ampleur réelle du phénomène.

En ce qui concerne les mineurs, on constate également que le taux de récidive en matière d'infractions à caractère sexuel est en-deçà de la récidive pour l'ensemble de la population des mineurs délinquants. Ainsi, le taux de récidive légale est particulièrement bas pour les infractions sexuelles (0,3 %, contre 2,2 % de récidive globale). Il en va de même pour le taux de réitération, qui est cinq fois moins important pour les MAICS que dans l'ensemble de la population des mineurs condamnés12(*). Par ailleurs, selon des études scientifiques et cliniques présentées par Marie Romero lors de son audition par la mission, les MAICS ayant participé à un traitement spécialisé présentent des taux de récidive inférieurs de 24 % à ceux qui n'en ont pas bénéficié, avec une efficacité du traitement 3,8 fois plus élevée chez les adolescents que chez les adultes.

c) Un manque de statistiques fiables permettant d'évaluer les facteurs de récidive et l'efficacité des dispositifs juridiques et médicaux

Il est apparu au cours des travaux de la mission que le ministère de la justice ne disposait pas de plusieurs éléments statistiques qui permettraient de mieux saisir l'ampleur du phénomène de récidive des AICS et, plus largement, d'informations relatives à la judiciarisation des affaires de violences sexuelles. En particulier, les données quantitatives sur le nombre d'expertises réalisées ainsi que le nombre de rétentions de sûreté prononcées par des juridictions n'ont pas pu être évaluées. Par ailleurs, en l'absence de statistiques plus affinées quant aux différents types de prise en charge, il semble difficile d'évaluer l'impact des dispositifs juridiques en place sur le taux de récidive.

Ainsi, plusieurs données indisponibles à ce jour seraient de nature à enrichir l'analyse proposée à ce sujet, particulièrement dans les domaines suivants en ce qui concerne :

· l'expertise médicale : le ministère de la justice ne dispose d'aucune donnée relative au nombre d'expertises médicales menées dans le cadre de la procédure judiciaire. Ainsi, le nombre d'AICS soumis à une expertise psychologique ou psychiatrique, ainsi que le nombre d'éventuelles expertises menées sur les victimes sont inconnus. Le taux de prescription d'inhibiteurs de libido est également inconnu ;

· la récidive : le taux de récidive associé à chaque dispositif (établissements pour peine classiques ou fléchés AICS, suivi socio-judiciaire, libération conditionnelle, aménagement de peine) n'a pas été évalué ;

· les peines : la durée effective de la détention des AICS, compte tenu des réductions de peine et des libérations anticipées, n'a pas été calculée ;

· les mesures de sûreté : aucune donnée concernant le nombre de rétentions de sûreté prononcées par les juridictions depuis 2008 n'est disponible.

2. De nombreuses dispositions législatives encadrent l'accompagnement des AICS afin de réduire le risque de récidive d'infractions sexuelles

La loi française prévoit un accompagnement renforcé des AICS majeurs et mineurs au sein des structures judiciaires et médicales. Ces dispositifs visent à prévenir la récidive à travers une prise en charge sanitaire et des interdictions spécifiques.

a) Les dispositifs juridiques et médicaux pour les AICS majeurs

La loi française prévoit de nombreuses mesures visant à prévenir le risque de récidive des AICS, qu'il s'agisse de dispositifs non seulement judiciaires, mais aussi médicaux visant à accompagner l'auteur et à protéger la victime d'une possible réitération.

La plupart de ces dispositions interviennent après le prononcé d'une condamnation pour une infraction sexuelle. La prise en charge des AICS dans l'attente de leur jugement ne fait l'objet d'aucune disposition à l'heure actuelle, ce qui entraîne une prise en charge relativement tardive dans la procédure judiciaire.

Ainsi, les articles 706-47 et suivants du code de procédure pénale définissent, au sein d'un titre dédié (le titre XIX), des mesures spécifiques applicables aux auteurs reconnus coupables d'infractions sexuelles et commises sur des mineurs, mais aussi aux infractions violentes particulièrement graves et/ou commises en état de récidive légale. Il s'agit en particulier :

· de l'obligation d'une expertise médicale avant tout jugement de fond pour les individus poursuivis pour des infractions à caractère sexuel, conformément à l'article 706-47-1 du code de procédure pénale. Cette disposition permet aux magistrats de prononcer une sanction en ayant une vision précise de la personnalité du prévenu et du suivi le plus adapté, notamment d'un point de vue de la prise en charge médicale ;

· des dispositifs d'obligation de soins (article 132-45 du code pénal), sous le régime du contrôle judiciaire ou du sursis probatoire, et d'injonction de soins (article 706-47-1 du code de procédure pénale), dans le cadre d'une condamnation. Une telle injonction peut être prononcée en complément de la peine de suivi socio-judiciaire conformément à la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et la répression d'infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs ;

Le dispositif d'injonction de soins

L'injonction de soins est une mesure de suivi médical et judiciaire introduite par la loi du 17 juin 1998. Il s'agit d'une mesure dite de « soins pénalement ordonnés » qui peut être prononcée par la juridiction de jugement ou le juge de l'application des peines (JAP) dans le cadre du suivi d'un individu condamné, notamment en matière d'infractions sexuelles. Initialement conçue pour accompagner le suivi socio-judiciaire, une injonction de soins peut désormais également s'appliquer dans d'autres cadres (ajournement ou sursis probatoire, surveillance électronique, libération conditionnelle, surveillance judiciaire...). Il s'agit d'un outil de lutte contre la récidive qui impose une prise en charge médicale ou psychologique de la personne condamnée pendant une durée maximale de trente ans.

Une mesure d'injonction de soins peut uniquement être prononcée après la déclaration de culpabilité et nécessite une expertise psychiatrique préalable (article 706-47-1 CPP). Il s'agit d'une mesure contraignante : dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire, le JAP peut prononcer la mise à exécution de l'emprisonnement en cas de violation des obligations liées à l'injonction de soins (article 763-5 CPP). Dans le cadre d'une mesure de surveillance judiciaire, le non-respect des obligations peut entraîner le retrait des réductions de peine13(*).

L'injonction de soins se déroule uniquement en dehors de la prison : en cas de prononcé d'une peine privative de liberté, l'injonction de soins débute donc à la libération du condamné, bien que le condamné ait la possibilité d'entamer des soins lors de sa détention. Un médecin coordonnateur, désigné par le JAP, est chargé de faire l'intermédiaire entre l'autorité judiciaire et le médecin ou psychologue traitant. Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) sont également chargés d'assurer le suivi des personnes condamnées à une injonction de soins dans le cadre du suivi socio-judiciaire.

L'injonction de soins ne doit pas être confondue avec l'obligation de soins, une mesure plus souple qui peut être prononcée à tout moment de la procédure (avant ou après la déclaration de culpabilité) et qui ne nécessite pas d'expertise psychiatrique préalable ni l'intervention d'un médecin coordonnateur14(*). L'obligation de soins peut également prendre la forme d'une injonction thérapeutique, qui vise à traiter les problématiques d'addiction.

Source : Mission conjointe de contrôle

· de l'obligation faite au procureur de la République d'informer par écrit l'administration de toute condamnation prononcée pour l'une des infractions sexuelles ou violentes visées au titre XIX à l'encontre d'une personne qui exerce une activité professionnelle ou sociale en contact habituel avec des mineurs et dont l'exercice est contrôlé par ladite administration (article 706-47-4 CPP) ;

· de l'inscription automatique des condamnés (et, dans certaines conditions, des mis en examen) au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv). Les informations sont conservées jusqu'à trente ans et concernent les crimes et les délits de nature sexuelle punis d'une peine d'emprisonnement de cinq ans ou plus, ainsi que toutes les infractions commises sur des mineurs. Le Fijaisv peut être consulté par les autorités judiciaires et le préfet, mais aussi de manière indirecte (sous l'égide des services déconcentrés) par les autres employeurs concernés, pour le recrutement à certains emplois (articles 706-53-1 à 706-53-12 du code de procédure pénale) ;

· de la possibilité de prononcer une mesure de rétention ou de surveillance de sûreté (articles 706-53-13 à 706-53-22).

L'article 222-48-4 du code pénal prévoit également une peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs : celle-ci est prononcée à titre définitif en cas de condamnation pour viol, inceste ou agression sexuelle commise sur un mineur, sauf décision motivée de la juridiction.

Plusieurs mesures complémentaires sont également prévues par le code civil pour le cas particulier des infractions sexuelles commises dans un contexte incestueux. Ainsi, la juridiction pénale peut ordonner le retrait total de l'autorité parentale en cas de condamnation d'un parent comme auteur, coauteur ou complice d'une infraction incestueuse commise sur son enfant (article 378 du code civil). Le code civil prévoit également la suspension des droits de visite et d'hébergement d'un parent poursuivi ou mis en examen pour des faits d'agression sexuelle commis sur son enfant (article 378-1).

D'autres dispositifs visent à protéger les victimes de violences intrafamiliales d'un risque de réitération de la part de l'auteur. Ces mesures font l'objet d'un titre spécifique (titre XIV) au sein du code civil et comprennent, notamment, les mesures relatives à l'ordonnance de protection. Ce dispositif d'urgence vise à rendre effective la séparation entre l'auteur présumé et la victime dans l'attente d'un éventuel jugement pénal grâce à différentes mesures inspirées du droit pénal (interdiction d'entrer en relation, interdiction de se rendre dans certains lieux, port d'un bracelet antirapprochement, par exemple). La durée de cette ordonnance de protection temporaire a été portée à douze mois (contre six auparavant) par la loi du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection.

Sans qu'il s'agisse à proprement parler de mesures de lutte contre la récidive, certaines mesures relatives aux peines et à la procédure en cas de nouvelle infraction constituent une aggravation15(*) et peuvent, en tant que telles, avoir un caractère dissuasif. Il s'agit en particulier :

· de l'augmentation du quantum encouru en cas de récidive, prévue par les articles 132-8 et suivants du code pénal ;

· des règles dérogatoires de prescription : non seulement le délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs est aujourd'hui de 30 ans et commence à courir à la majorité de la victime, mais ce délai est également prorogé en cas de récidive ou de réitération avant l'arrivée à échéance de la prescription initiale16(*).

Parallèlement aux procédures judiciaires, l'engagement des auteurs d'infraction sexuelle dans des mesures de justice restaurative peut également contribuer à lutter contre le risque de récidive. L'article 10-1 du code de procédure pénale indique que ces mesures sont systématiquement proposées et peuvent être engagées à tous les stades d'une procédure pénale, sous réserve que les faits aient été reconnus par l'auteur.

b) Les aménagements prévus par la loi pour les auteurs mineurs

En ce qui concerne les mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel (MAICS), plusieurs aménagements de la procédure pénale sont prévus par la loi.

En premier lieu, les peines encourues par des mineurs AICS sont diminuées, comme pour l'ensemble des mineurs auteurs d'infractions, en raison du principe constitutionnel d'atténuation de leur responsabilité pénale, aussi appelé « excuse de minorité ». De plus, les mineurs de moins de treize ans ne peuvent pas être soumis à des peines pour des faits de violences sexuelles, car présumés « non-discernants » et donc pénalement irresponsables, sauf s'il peut être prouvé que le mineur concerné « a compris et voulu son acte » et qu'il « est apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l'objet » (article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs).

Lors de ses auditions et déplacements - notamment dans l'Yonne -, la mission a constaté avec une vive préoccupation que le cas des mineurs de moins de treize ans commettant des infractions à caractère sexuel n'était pas une hypothèse d'école : la situation de jeunes adolescents, voire d'enfants auteurs d'actes de violences sexuelles lui a ainsi été rapportée par plusieurs professionnels.

Ensuite, plusieurs mesures pénales peuvent être prononcées dans le cadre de procédures concernant des MAICS afin de lutter contre le risque de récidive :

· Les mesures éducatives judiciaires provisoires (MEJP) et les mesures éducatives judiciaires (MEJ) visent à apporter un accompagnement éducatif permettant un travail de responsabilisation du mineur auteur avant et après sa condamnation. Ces mesures sont prévues par l'article L. 112-2 du code de la justice pénale des mineurs et peuvent être accompagnées de plusieurs modules (insertion, réparation, santé, placement) ainsi que d'interdictions (entrer en contact avec la victime, paraître sur les lieux de l'infraction...) et d'obligations (remettre un objet ayant servi à la commission de l'infraction, suivre un stage de formation civique). Dans le cadre d'une mesure de santé, une orientation vers une prise en charge sanitaire ou un placement en établissement de santé ou médico-social peuvent être prononcés (articles L. 112-11 CJPM).

· L'obligation de soins peut également être prononcée pour des mineurs de plus de treize ans dans le cadre d'un contrôle judiciaire en pré-sentenciel ou dans le cadre d'une condamnation à une peine d'emprisonnement ferme17(*).

· L'article 706-53-2 du code de procédure pénale prévoit que les décisions concernant des mineurs auteurs d'infractions sexuelles de moins de treize ans ne sont pas inscrites dans le Fijaisv. Pour les mineurs de treize à seize ans, l'inscription au Fijaisv n'est pas automatique : elle doit faire l'objet d'une décision expresse de la juridiction de jugement ou du procureur de la République. Par ailleurs, la durée de conservation des informations inscrites au Fijaisv est de seulement dix ans pour les mineurs.

Par ailleurs, et outre les mesures également applicables aux majeurs auxquels ils sont éligibles (à l'instar de la justice restaurative), les MAICS peuvent bénéficier de dispositifs spécifiques prévus par le droit ou par la pratique afin de prévenir leur récidive. Certains de ces dispositifs prennent en charge les mineurs avant leur condamnation : il peut s'agir, dans le cadre d'un mandat judiciaire, de groupes éducatifs ou thérapeutiques avec un contenu spécifique aux infractions sexuelles. D'autres sont liés à la forme même de la condamnation, à l'instar de l'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) spécifique, principalement pour des faits d'inceste.

3. Plusieurs acteurs sont formés à la prise en charge spécifique des AICS au cours de leur parcours pénal

Un nombre important d'acteurs intervient auprès des AICS à partir de leur condamnation. Ils sont chargés de veiller à la prévention de la récidive à travers des programmes de sensibilisation et un encadrement renforcé.

a) Les acteurs de la chaîne pénale

Au cours de leur parcours pénal, les AICS sont pris en charge par différents acteurs, avec pour objectif de construire, dès leur condamnation, un accompagnement judiciaire adapté et individualisé afin de limiter le risque de récidive en vue de la réinsertion.

Dès la détention et jusqu'à l'achèvement des obligations liées à leur peine (et notamment du suivi socio-judiciaire), les condamnés AICS sont accompagnés par les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP). Ces derniers sont notamment chargés de l'évaluation de la dangerosité et du risque de récidive de chaque détenu, qui doit permettre de construire un plan d'accompagnement individualisé. Afin de réaliser cette évaluation, les CPIP placés dans des établissements fléchés AICS ont parfois à leur disposition des outils d'évaluation actuarielle dont certains sont spécifiques à ce public (Statique 99R, Stable 2007, Aïgu007, CPORT). Ces outils permettent de structurer la méthodologie d'évaluation mais restent employés de façon expérimentale dans le système judiciaire français, nécessitant une formation longue. Les CPIP disposent d'une offre de formation continue fournie par l'École nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP), dont certaines visent spécifiquement la prise en charge des AICS.

Selon les indications recueillies par les rapporteures au cours de leurs déplacements et de leurs auditions, le rôle des CPIP dans l'accompagnement et l'évaluation des condamnés AICS a récemment connu de larges évolutions sous l'effet des échanges internationaux et des règles européennes de probation. Ainsi, l'apport des recherches dans le domaine des sciences criminologiques a permis aux CPIP de mieux identifier les ressorts de la récidive notamment dans le cadre de leur mission d'évaluation. Les CPIP sont également en charge de la construction et de l'animation des programmes de prévention de la récidive (PPR), des actions collectives dont certaines sont spécialement conçues pour les détenus AICS. Enfin, les CPIP accompagnent les condamnés AICS dans le cadre de leur suivi socio-judiciaire, au cours duquel ils veillent à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive. Ils entretiennent, plus largement, un dialogue régulier avec les autres acteurs de la chaîne pénale, l'autorité médicale et peuvent impulser de façon bénévole des mesures de justice restaurative.

En coordination avec les CPIP, les juges de l'application des peines (JAP) accompagnent également les condamnés AICS majeurs au cours de l'exécution de leur peine, en milieu fermé et en milieu ouvert. Ils interviennent notamment dans le cadre du suivi socio-judiciaire et partagent les objectifs de réinsertion et de prévention de la récidive. Tout comme les CPIP, les JAP participent au suivi du dispositif d'injonction de soins qui peut être mis en place lors du suivi socio-judiciaire des AICS ; ce sont principalement eux qui échangent et travaillent avec le médecin coordonnateur dont ils ordonnent la nomination pour chaque condamné suivi. Ils ont également la possibilité de tenir compte, dans la définition du régime applicable aux condamnés, du bon respect par ces derniers des obligations qui leur sont imposées dans le cadre de leur suivi socio-judiciaire, ce qui participe à la prévention de la récidive.

Les MAICS, en raison de leur âge, sont pris en charge par des magistrats et juridictions spécialisées pour mineurs, à savoir le tribunal pour enfants (ou le juge des enfants pour les faits d'une moindre gravité). Au sein du ministère de la justice, le service de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est chargé de l'organisation de la justice des mineurs. La PJJ accompagne les mineurs condamnés et assure leur suivi éducatif et judiciaire.

b) Les acteurs du domaine médico-social

En dehors de la prise en charge judiciaire, les condamnés AICS peuvent (voire doivent, lorsque celle-ci est ordonnée par l'autorité judiciaire) bénéficier d'une prise en charge médicale tout au long de leur parcours pénal. Celle-ci implique plusieurs acteurs qui doivent s'articuler avec l'autorité judiciaire tout en conservant l'exigence du secret médical.

L'expertise médicale prévue par l'article 706-47-1 du code de procédure pénale requiert l'intervention d'experts, psychiatres ou psychologues, en phase pré-sentencielle, étant souligné que les travaux des rapporteures démontrent, sans que cette spécialisation résulte de la loi, que les experts psychiatres disposent d'un quasi-monopole sur l'évaluation des individus mis en cause.

Les experts sont d'abord chargés de déterminer le degré de discernement de l'individu mis en cause au moment des faits. Leur évaluation doit par ailleurs permettre d'évaluer la dangerosité et le risque de récidive.

Malgré le caractère obligatoire de l'expertise médicale, les juridictions font souvent face à une forte pénurie d'experts psychiatres. Il en résulte d'importants délais d'expertise qui allongent la procédure judiciaire, et peuvent parfois affecter la qualité des expertises menées, comme le souligne la Conférence nationale des procureurs de la République : « La ressource en experts est un élément important. Faisant défaut, dans un contexte d'exigences légales et de volumétrie conséquente des procédures, elle impose des arbitrages sur la qualité des expertises et les qualifications pénales pour réserver le travail des meilleurs (voire des seuls) experts aux procédures à plus fort enjeu. ».

Lors de l'exécution d'une injonction de soins, les condamnés AICS sont suivis par un praticien traitant, médecin ou psychiatre, qui les prend en charge en tant que patients et définit un traitement personnalisé. Ce praticien est désigné par le condamné lui-même.

En raison du secret médical, le médecin ainsi choisi n'a pas de lien direct avec les acteurs judiciaires : la transmission des informations et la coordination du suivi sont assurées par un médecin coordonnateur. Celui-ci est désigné par le JAP sur une liste de psychiatres ou de médecins ayant suivi une formation appropriée. Cependant, les différents professionnels du champ judiciaire auditionnés ont fait part d'une pénurie importante de professionnels pouvant assurer cette fonction, ce qui entraîne une surcharge de travail des médecins coordonnateurs sur le territoire.

Acteurs complémentaires, les Centres de ressources pour intervenants auprès d'auteurs de violences sexuelles (CRIAVS) assurent également des missions d'information et de « mise en réseau » des professionnels chargés de la prise en charge des AICS. Issus du champ sanitaire, les CRIAVS interviennent également auprès du personnel du secteur judiciaire, social ou éducatif. Leur ancrage territorial leur permet de structurer la coordination des différents services impliqués au niveau local.

Les centres de ressources pour les intervenants auprès d'auteurs de violences sexuelles (CRIAVS)

Les CRIAVS sont des structures de service public issues de la circulaire n° 2006-168 du 3 avril 2006 relative à la prise en charge des auteurs de violences sexuelles. Financés par les agences régionales de santé (ARS), ils sont présents dans chaque région et souvent rattachés à un établissement public de santé. Les CRIAVS sont fédérés au sein de la Fédération française des CRIAVS (FFCRIAVS), ce qui leur permet de partager des outils et de porter des projets communs. À titre d'exemple, les CRIAVS sont à l'origine d'initiatives comme le numéro STOP, un dispositif téléphonique destiné aux personnes sexuellement attirées par les enfants et permettant une prise en charge adaptée pour éviter le passage à l'acte.

Leurs missions s'articulent autour du partage d'information, de la mise en réseau et de la formation des professionnels chargés de prendre en charge des AICS. Grâce à leur fonction de centre de ressources, les CRIAVS contribuent au dialogue inter-institutionnel entre les services de santé, l'administration pénitentiaire et les juridictions. Si leur rôle initial consistait à assurer la mise en relation des professionnels de la justice et de la santé, ils interviennent désormais de façon plus large auprès de toutes les personnes pouvant être au contact d'auteurs de violences sexuelles (forces de l'ordre, personnels du milieu éducatif, du monde du sport, etc.).

Les CRIAVS jouent également un rôle dans la prévention de la récidive des AICS en construisant des programmes de prévention et de sensibilisation aux violences sexuelles et en les diffusant auprès des professionnels partenaires. Leur action de prévention est structurée en trois niveaux : primaire (en population générale), secondaire (auprès de publics plus à risque de commettre ce type d'infractions), tertiaire (auprès des personnes déjà condamnées).

Source : informations transmises par les CRIAVS auditionnés

B. JUSQU'AU JUGEMENT : UN PROCESSUS JUDICIAIRE LONG ET INSATISFAISANT

Les travaux de la mission commune de contrôle ont permis d'établir que la prise en charge des AICS en amont du procès est tributaire de facteurs limitants. Si certains d'entre eux existent pour l'ensemble des procédures pénales et ne présentent pas de particularités notables en matière de violences sexuelles (délais d'audiencement, notamment), d'autres sont spécifiques à de telles infractions ou voient leur poids aggravé par les caractéristiques matérielles ou juridiques des violences concernées (expertises, gestion des détenus en maison d'arrêt, etc.).

La mission a ainsi observé que :

- les délais de jugement des AICS et les modalités de leur gestion avant l'audience peuvent être une source de retards dans la prise en charge médicale, psychologique et sociale de ceux-ci ;

- la conduite des expertises des auteurs, pourtant obligatoires de jure, se heurte à des obstacles pratiques importants ;

- la situation des mineurs - théoriquement plus favorable en raison de la possibilité donnée aux magistrats compétents de mettre rapidement en place des mesures éducatives - comporte, elle aussi, de réelles lacunes.

1. Le stade pré-sentenciel : une étape « clé » de la prise en charge des AICS, pourtant peu tournée vers le soin

Les individus mis en cause pour des infractions à caractère sexuel (ICS) peuvent, entre la fin des investigations et leur convocation devant une juridiction de jugement, être soumis à deux types de statut : ils sont soit placés en détention provisoire dans une maison d'arrêt lorsque cette mesure est indispensable pour répondre à certaines conditions posées par le code de procédure pénale, notamment pour empêcher une pression sur les victimes ou pour éviter le renouvellement de l'infraction18(*), soit laissés libres et placés sous contrôle judiciaire.

Dans les deux cas, cette situation est susceptible de s'inscrire dans la durée : l'engorgement des juridictions a pour effet mécanique d'allonger le temps entre la fin de l'enquête ou de l'instruction et le démarrage effectif du procès, en particulier en l'absence de détention provisoire - puisqu'une telle détention est soumise à des délais stricts avant l'échéance desquels l'individu concerné doit impérativement être jugé, faute de quoi il sera automatiquement remis en liberté. Les délais d'audiencement ont ainsi été unanimement cités par les personnes auditionnées comme un facteur de complexification du traitement des AICS, même si ces délais ne sont évidemment pas propres aux infractions concernées : les « stocks » devant les cours d'assises et les cours criminelles départementales, donc pour l'ensemble de la matière criminelle, sont marqués par un phénomène d'accroissement (3 968 affaires en attente de jugement devant les cours fin 2023, contre 3 544 fin 2022 et 3 246 fin 2021, soit une augmentation de 22 % en deux ans, selon les chiffres communiqués par le ministère de la justice), avec un délai théorique d'écoulement du « stock » qui atteint désormais 16 mois.

Ainsi, bien que la création des cours criminelles départementales ait permis, de l'opinion générale, de réduire le recours à des « correctionnalisations d'opportunité » en matière de crimes sexuels19(*), et en particulier pour les viols, elle n'a pas eu d'effet significatif à la baisse sur les délais, à la fois parce que l'absence de jurés populaires n'engage que des gains de temps résiduels à l'audience et parce que la libération de la parole des victimes a généré une augmentation des plaintes sans proportion avec l'évolution des moyens des juridictions et des services enquêteurs.

En ce qui concerne la matière correctionnelle, donc la commission de délits à caractère sexuel, les tribunaux correctionnels présentent une situation apparemment moins défavorable - comme en attestent les statistiques transmises aux rapporteures sur le jugement des agressions sexuelles. Pour autant, le constat n'est pas satisfaisant :

- premièrement, le délai moyen écoulé entre la date d'enregistrement de la plainte par le parquet et le jugement demeure élevé : il était de 20,2 mois en 2023, globalement stable depuis cinq ans ;

- ensuite, cette stabilité n'a pu être maintenue que grâce au poids accru donné aux procédures dites « rapides » dans les jugements : comparutions immédiates, convocations par procès-verbal du procureur de la République, comparutions à délai différé ou comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC ou « plaider-coupable ») représentaient ainsi 46% des jugements en 2023, contre 41% en 2019 ;

- enfin, les affaires d'agression sexuelle ayant fait l'objet d'une instruction - qui représentaient 22 % des dossiers correspondants en 2023 - souffrent de délais de traitement extrêmement longs et en nette dégradation : 48 mois en 2023, contre 43 en 2019 et 42 en 202020(*).

Plus largement, l'enjeu des délais d'audiencement reflète le paradoxe d'une réponse pénale accrue mais qui demeure comme bloquée au stade pré-sentenciel sous l'effet d'une insuffisance des moyens donnés à la justice.

Le taux de réponse pénale en matière d'ICS :
l'exemple du viol et des agressions sexuelles

La mission a pris connaissance avec intérêt des chiffres transmis par l'administration pour apprécier l'efficacité de la réponse pénale en matière de viol et d'agressions sexuelles.

Selon les statistiques transmises par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice, en matière de viol, le nombre des réponses pénales s'est accru de 83 % entre 2015 (3 878) et 2023 (7 114), tandis que le nombre de personnes concernées par une ouverture d'information judiciaire augmentait sur la même période de 80 %. Cela étant, la DACG ajoute que « compte tenu de la longueur des procédures d'instruction, l'accroissement des poursuites ne se traduit que très partiellement par un accroissement des condamnations. En 2023 (données provisoires), 1 315 personnes ont été condamnées pour une infraction principale de viol, soit un accroissement de 29 % par rapport à 2015 (1 021). Cet accroissement s'explique principalement par les condamnations d'auteurs majeurs, en hausse de 45 % au cours de cette période ». L'augmentation des condamnations reste donc inférieure à celle des réponses pénales, ce qui explique largement la tension sur les délais de traitement des dossiers.

La situation est, étonnamment, inversée en matière d'agressions sexuelles, la réponse pénale augmentant moins rapidement que les condamnations (ce qui doit permettre, en théorie, une meilleure tenue des « stocks ») : la réponse pénale a ainsi augmenté de 22 % entre 2015 (8 651 réponses) et 2023 (10 531), et le nombre de poursuites de 25 % (7 065 poursuites en 2015 contre 8 842 en 2023), tandis que les condamnations par les juridictions correctionnelles pour une infraction principale d'agression sexuelle ont augmenté de 36 % sur la même période (6 535 condamnations en 2023).

Source : MCC du Sénat, sur la base des chiffres transmis par la DACG.

Le stade pré-sentenciel est donc une période longue dans le parcours des AICS, bien que leur culpabilité ne soit pas encore établie. En dépit de la nécessaire présomption d'innocence, l'importance de cette étape ne doit pas être sous-estimée : le pré-sentenciel représentera bien souvent, pour les AICS, une part non-négligeable du temps de privation de liberté ou de placement sous supervision par des acteurs judiciaires.

Or, alors que le moment du placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire constitue une phase « clé », la mission n'a pu que constater qu'aucune de ces deux situations n'était favorable à une prise en charge psychologique, psychiatrique et sociale des AICS.

Le placement sous contrôle judiciaire ouvre, certes, la possibilité pour le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention de mettre en place des mesures coercitives, y compris une obligation de soins prévue par le 10° de l'article 138 du code de procédure pénale. Cependant, cette obligation comporte plusieurs limites :

- au plan juridique, elle n'est pas tournée vers la mise en oeuvre de soins liés à la réalité des faits commis, l'individu concerné étant encore, à ce stade du dossier, présumé innocent : de manière révélatrice, le code prévoit que si des « mesures d'examen, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation » peuvent être prévues, elles s'appliquent « notamment aux fins de désintoxication », ce qui atteste qu'elles répondent davantage à l'objectif d'un traitement en urgence de pathologies déjà identifiées ou d'une situation de dépendance qu'à celui d'un démarrage d'une prise en charge psychologique ou psychiatrique. Le même texte instaure, de plus, un régime de communication entre l'autorité judiciaire et les acteurs du soin qui ne semble guère propice à la reconnaissance des faits. En effet, le code prévoit que « les rapports des expertises réalisées pendant l'enquête ou l'instruction sont adressés au médecin ou au psychologue, à leur demande ou à l'initiative du juge d'instruction » et que ce dernier « peut également leur adresser toute autre pièce utile du dossier »21(*) : cette situation est de nature à limiter l'adhésion de l'individu mis en cause au traitement dès lors qu'il a un lien direct avec l'infraction commise, puisque celle-ci se trouve dans le même temps dans la nécessité de préparer sa défense, y compris en niant ou en minorant une partie des faits ;

- en pratique, la possibilité d'avoir accès à des spécialistes pendant la période de contrôle judiciaire se heurte aux obstacles qui existent pour toute prise en charge des AICS en milieu ouvert, et qui tiennent à la fois à la saturation des services compétents et à la réticence de certains professionnels face à la mise en place d'un traitement auprès d'individus qui ne se sont pas inscrits dans le parcours de soins de leur propre initiative - voire qui, parfois, s'y maintiennent contre leur volonté. Ainsi, et comme le relevait Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Île-de-France, lors de son audition par la mission le 5 décembre 202422(*), « le secteur psychiatrique est débordé et ne trouve pas nécessairement sa place dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles, peut-être en raison d'un manque de formation, mais sans doute aussi en raison d'un élargissement considérable des missions. Mes collègues [...] sont également fatigués par des obligations et injonctions de soins qui se sont systématisées et qui s'apparentent davantage à des pseudo-mesures de sécurisation sociale qu'à de véritables dispositifs d'incitation à la rencontre et au soin psychique ». Cette situation est aggravée par le sentiment d'une déconnexion entre les caractéristiques des soins à prodiguer et la nature des mesures prononcées par l'autorité judiciaire, notamment dans le temps du pré-sentenciel : « L'engorgement est aussi dû à une quasi-absence de sélection et à la faiblesse de l'évaluation mise en oeuvre pour choisir une prise en charge appropriée des différents profils. De nombreuses décisions de justice se basent désormais sur une obligation ou sur une injonction de soins, avec des durées parfois incroyables : je suis, ainsi une partie de mes patients, depuis cinq ou six ans dans la phase pré-sentencielle, ce qui contribue à congestionner le dispositif »23(*) ;

- matériellement, la gestion des AICS en amont de leur procès est également rendue plus difficile par la saturation - déjà évoquée - des services psychiatriques et psychologiques. Les représentants de la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires ont ainsi souligné, dans leurs échanges avec la mission, qu'il était désormais impossible dans le ressort de certains tribunaux de trouver des psychiatres - ou des médecins - acceptant d'être requis dans le cadre d'une procédure pénale24(*), et toute tentative de ciblage des profils prioritaires pour limiter la charge pesant localement sur les professionnels de santé se heurte à des échecs puisqu'une telle initiative suppose, pour les magistrats, de disposer d'expertises psychiatriques ou psychologiques « qui ne sont que très rarement à disposition des magistrats au début de la phase judiciaire »25(*) ;

- enfin, en termes d'efficacité pour la prévention de la récidive, le dispositif semble sous-exploité : au cours de la même audition, Hélène Denizot-Bourdel, responsable médical régional du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes, a souligné que les psychiatres de ces structures « remett[aient] une attestation de suivi qui ne fait pas état de la qualité du soin, l'obligation étant en général d'une assez courte durée, d'un à deux ans. Elle est pourtant très utile, à mon sens, car elle permet de démarrer les soins. Dans le Puy-de-Dôme par exemple, elle est particulièrement prononcée en cas d'attaques sexuelles ou de consultation de contenus à caractère pédopornographique ».

Les obligations de soins prononcées en matière d'infractions à caractère sexuel ne s'inscrivent donc pas suffisamment dans la nécessité d'une prise en charge rapide des AICS, pourtant essentielle à leur réinsertion et à la limitation du risque de récidive. Ce constat reste cependant difficile à objectiver : à cet égard, la mission regrette vivement de n'avoir pas pu obtenir, de la part du ministère de la justice, des chiffres permettant de connaître la proportion des dossiers d'ICS dans lesquels l'obligation de soins pendant la période de contrôle judiciaire était appliquée - tout simplement parce que les bases statistiques du ministère ne permettent pas de les connaître, ce qui est à tout le moins préoccupant.

La situation n'est pas plus favorable aux personnes placées en détention provisoire, étant rappelé que celle-ci est la règle pour les infractions les plus graves : comme l'a rappelé la direction nationale de la police judiciaire du ministère de l'intérieur auprès des rapporteures, lorsque le parquet retient la qualification de viol, la détention provisoire du mis en cause - lorsque celui-ci est majeur - est quasi-systématique.

Cette analyse est pleinement cohérente avec les statistiques transmises par la direction de l'administration pénitentiaire, qui attestent de la très forte proportion des prévenus (donc des personnes en détention provisoire, qui n'ont pas encore été condamnées par une juridiction de jugement) parmi les détenus : au 1er octobre 2024, sur 13 130 individus en détention pour au moins une infraction à caractère sexuel, 5 197 étaient prévenus ou condamnés-prévenus26(*), ce qui représente près de 40 % des détenus concernés.

Proportion et nombre d'individus détenus pour au moins une infraction à caractère sexuel au 1er octobre 2024

Catégorie pénale

Nombre de détenus

Détenus pour au moins une infraction à caractère sexuel (AICS)

Effectif

En proportion du total de détenus

Condamnés

55 073

7 933

14,4 %

Condamnés-prévenus

3 509

371

10,6 %

Prévenus

21 049

4 826

22,9 %

Total

79 631

13 130

16,5 %

Source : direction de l'administration pénitentiaire

La mission ne remet pas en cause la nécessité d'un placement en détention provisoire des AICS : à ses yeux, le taux important de prévenus parmi les détenus pour des faits de violence sexuelle traduit, au moins pour partie, la pleine prise en compte de la réalité de cette violence par la sphère judiciaire et la volonté d'assurer une juste répression pénale des individus concernés ; elle reflète vraisemblablement par ailleurs une meilleure conduite des enquêtes dans la mesure où le placement en détention provisoire est d'autant plus probable que la réalité matérielle des faits reprochés à un individu est établie.

Sans que cela remette en cause ce constat, les rapporteures ont toutefois observé que la prise en charge des individus présumés AICS en détention provisoire présentait des failles susceptibles de porter atteinte à l'objectif de lutte contre la récidive.

De manière générale, la surpopulation carcérale en maisons d'arrêt (qui s'établit, à l'heure où ces lignes sont écrites, à environ 160 % de taux d'occupation) n'est que peu compatible avec un accès serein à des soins médicaux ou à des dispositifs d'accompagnement de toute nature permettant de préparer un parcours de réinsertion, et donc de lutter contre la récidive. L'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP) a ainsi souligné que, « si globalement en centre de détention on trouve des situations plus favorables, en maison d'arrêt l'accès aux soins est souvent bien plus compliqué », alors même que « tous les AICS détenus passent par la maison d'arrêt, en détention provisoire, parfois pour de longues périodes, et/ou dans les premiers temps de l'exécution de leur peine »27(*).

Les AICS sont, par ailleurs, soumis à des situations disparates selon leur lieu de détention provisoire, les dispositifs proposés en maison d'arrêt n'étant pas uniformes sur l'ensemble du territoire national : la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires a ainsi indiqué aux rapporteures que, bien que certaines associations de contrôle judiciaire aient mis en place des programmes de suivi spécifiques aux AICS, celles-ci n'étaient pas actives dans tous les départements.

Il convient également de souligner que, aux yeux de l'ensemble des personnes auditionnées ou rencontrées par la mission conjointe de contrôle, l'efficacité du dispositif repose sur la participation et l'adhésion de l'auteur, ce qui suppose une reconnaissance au moins partielle de sa responsabilité : cette condition est, par nature, plus difficile à réaliser avant le stade du jugement, et il peut arriver qu'un individu ayant nié les faits avant sa condamnation accepte mieux son statut d'AICS une fois que celui-ci a été établi par une juridiction. Un phénomène de reconnaissance seulement partielle des faits avant la condamnation semble, de même, être observé par la plupart des professionnels compétents, sans qu'il soit possible d'en faire une quelconque estimation quantitative.

Les rapporteures relèvent, par ailleurs, que les initiatives de justice restaurative, possibles « à l'occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, [...] sous réserve que les faits aient été reconnus »28(*), donc y compris au stade pré-sentenciel, quelle que soit la situation de la personne mise en cause, n'ont pas atteint la volumétrie espérée. Au vu des éléments recueillis par la mission, notamment lors d'une audition consacrée à la thématique de la justice restaurative au cours du mois de février 2025 qui a réuni plusieurs associations dont le travail mérite d'être salué, il ne semble pas que cette possibilité soit particulièrement exploitée en amont de la condamnation éventuelle, même pour les auteurs qui reconnaissent les faits. Toutefois, là encore, les rapporteures n'ont pas pu obtenir de chiffres sur la mise en oeuvre de mesures de justice restaurative en amont du procès pénal et n'ont donc pas été mises en mesure d'apprécier leur éventuel impact sur le traitement des AICS et sur la prévention de leur récidive.

Il convient enfin de rappeler que la place accordée aux soins à ce stade de la procédure pénale reste aujourd'hui trop limitée, dans la mesure où les acteurs juridictionnels restent liés par le principe - que nul ne saurait remettre en cause - de la présomption d'innocence : au-delà de cas marginaux, et contrairement à ce qui a pu être observé au stade de l'exécution de la peine (voir infra), ce principe exclut que l'adhésion aux soins en pré-sentenciel puisse être véritablement prise en compte dans l'appréciation du profil de l'individu mis en cause et, partant, dans celle du risque de récidive. En somme, et comme l'a opportunément résumé la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires auprès des rapporteures, « dans l'hypothèse d'une détention provisoire avant jugement, il ne peut être tiré du refus ou du manque d'engagement de l'intéressé dans les soins qu'un élément défavorable d'appréciation de la personnalité. Dans le cadre d'un contrôle judiciaire, même lorsqu'une obligation de soins est imposée, très rares sont les cas de révocation de cette mesure et de placement en détention provisoire liés au seul refus de suivre des soins ».

2. Une prise en charge rendue plus complexe par la pénurie d'experts et de professionnels

Le stade pré-sentenciel est également le temps des expertises qui permettent aux juridictions, en vue du procès pénal, de mieux comprendre la personnalité des AICS et les ressorts de leur passage à l'acte. Or, de même que pour les professionnels de la psychologie et de la psychiatrie susceptibles d'intervenir pour prendre en charge les soins à prodiguer aux AICS (voir supra), le manque criant d'experts est une source de lourdes difficultés, a fortiori dans un contexte où, comme les rapporteures l'ont déjà rappelé, l'expertise des AICS est obligatoire avant tout jugement au fond.

Le nombre d'experts psychiatres inscrits sur les listes des cours d'appel est ainsi en diminution constante à tel point, par exemple, que la juridiction de Cayenne n'en dispose plus (voir infra).

Le ministère de la justice affiche sa préoccupation sur ce sujet et apparaît conscient des difficultés liées à l'insuffisance de l'offre médico-judiciaire sans, toutefois, qu'il paraisse possible d'y apporter une réponse pertinente à droit constant.

Le point de vue de la DACG sur l'expertise judiciaire des AICS

Le sujet de l'offre médico-judiciaire en matière pénale a fait l'objet d'un chapitre dédié dans le rapport annuel du ministère public pour l'année 2022.

Toutes les juridictions de France avaient, à cette occasion, indiqué être confrontées à des difficultés en matière d'offre d'experts psychiatres. Elles entraînaient dans certains ressorts un recours massif aux experts hors ressort ou non-inscrits sur les listes d'experts judiciaires, dont la qualité des expertises était jugée moindre.

En 2023, la situation n'avait pas connu d'amélioration, une majorité de parquets faisant état à des titres divers de difficultés pour la réalisation d'expertises psychiatriques et psychologiques sur leur ressort.

Le nombre d'experts psychiatres inscrits sur les listes des cours d'appel est en effet en constante diminution : il est passé de 537 en 2011 à 300 en 2024. Il est particulièrement notable qu'une cour d'appel (Cayenne) et de nombreux tribunaux judiciaires s'étendent sur des ressorts ne comptant désormais plus aucun expert psychiatre.

L'inadéquation entre le caractère très largement obligatoire des expertises en matière d'infractions sexuelles et la rareté pratique de l'offre d'experts psychiatres a des conséquences dommageables importantes.

En matière pré-sentencielle, elle entraîne des délais de procédure rallongés ainsi que de fréquents renvois d'audiences, afin que l'expertise psychiatrique, préalable nécessaire à toute décision de justice, puisse être réalisée. Outre les conséquences sur le fonctionnement des juridictions et les victimes de ces infractions, qui voient l'aboutissement de la procédure rendu plus difficile, cette situation retarde aussi le jugement au fond, donc le cas échéant le prononcé d'une peine permettant de sanctionner l'infraction et de limiter le risque de récidive (par une mesure privative de liberté, une injonction de soins...).

[...] Conformément aux préconisations de la DACG, de nombreux tribunaux ont cherché à susciter des vocations auprès de psychiatres, soit par l'organisation de séminaires et journées de découverte de l'expertise médicale judiciaire ou par des réunions avec des psychiatres et psychologues libéraux et hospitaliers, soit par des courriers-types adressés directement aux psychiatres et psychologues.

Cependant, les difficultés ont des causes structurelles nationales, sur lesquelles l'autorité judiciaire a peu de prise : baisse de la démographie médicale, désaffection des jeunes médecins pour les fonctions de psychiatre, contexte budgétaire ne permettant pas d'offrir aux psychiatres une tarification jugée attractive pour la réalisation d'expertises judiciaires.

Source : DACG

L'insuffisance d'experts psychiatres a été confirmée par la table ronde organisée le 6 février 202529(*) par la mission conjointe de contrôle. Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), président de la Compagnie nationale des experts psychiatriques près les cours d'appel (CNEPCA), rappelait ainsi, au cours d'une déclaration qui mérite d'être extensivement citée :

« Je me dois également de tirer la sonnette d'alarme sur la démographie des experts psychiatres. Aujourd'hui, nous sommes 300 à 320 inscrits sur les listes des cours d'appel. Il y a une quinzaine d'années, nous étions plus de 800 ! La structuration de la pyramide des âges va encore aggraver le problème. L'aspect positif, c'est qu'il y a un effet de concentration et d'aguerrissement. L'aspect négatif, c'est une charge de travail énorme, avec une pression insurmontable. Il importe de former de nouveaux psychiatres experts. Les autorités universitaires commencent à s'intéresser au problème. Ils ont d'ailleurs inclus la psychiatrie légale comme spécialité à part entière au sein de la psychiatrie. Il y a maintenant la pédopsychiatrie, la psychiatrie du sujet âgé, l'addictologie et la psychiatrie légale. La situation va donc s'améliorer, mais il faudra du temps.

« [...] Sur la démographie, plus il y aura de médecins, plus il y aura de spécialistes ; et plus il y aura de spécialistes, plus il y aura de psychiatres. Cependant, il y a un véritable manque en matière de formation à la psychiatrie médico-légale. Les universitaires se sont désintéressés du sujet pendant 50 ans : ils doivent apprendre des experts auprès des tribunaux pour mettre au point les formations. Il faut de surcroît une homogénéisation sur tout le territoire pour que les évaluations ne diffèrent pas selon les ressorts de tribunaux. »

Son confrère Charles-Olivier Pons, expert psychiatre et président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), mettait lui aussi en avant les difficultés rencontrées par la psychiatrie (y compris, d'ailleurs, hors de la seule thématique de l'expertise médico-judiciaire,) avec notamment un mouvement de croissance continue des tâches non-médicales confiées aux psychiatres qui contribuent à la désaffection tendancielle que la profession semble rencontrer auprès des étudiants en médecine. Il soulignait que les missions confiées aux psychiatres dans le cadre de leurs expertises s'apparentent à des « expertises `flash' qui comportent différentes questions : discernement, compréhension du sens de la peine éventuelle, compatibilité de l'état avec une garde à vue », souvent réalisées, en l'absence d'expert disponible, par le praticien qui était de garde pour la journée au moment de la réquisition.

Ces facteurs, réunis, constituent un mélange explosif qui met les experts psychiatres en grande difficulté : à la saturation du côté de la « demande » d'expertises, particulièrement pour ce qui concerne le cadre de l'expertise obligatoire prévu par la loi pour les AICS, répond une pénurie de l'« offre » d'experts, celle-ci étant accentuée par les conditions contestables de délais et de rémunération dans lesquelles sont conduites les expertises.

Cette situation a des conséquences indéniables pour les magistrats et n'est pas sans lien avec la pertinence des éléments qui seront mis à la disposition de la juridiction de jugement pour évaluer la gravité des faits commis ou la dangerosité du profil de la personne mise en cause. La Conférence nationale des procureurs de la République indiquait ainsi aux rapporteures que, « dans un contexte d'exigences légales et de volumétrie conséquente des procédures, [la pénurie d'experts] impose des arbitrages sur la qualité des expertises et les qualifications pénales pour réserver le travail des meilleurs (voire des seuls) experts aux procédures à plus fort enjeu ». Pire encore, « l'obligation légale (article 706-47-1 du CPP, mais aussi expertise des majeurs protégés) peut donc parfois être un obstacle au traitement diligent des procédures de violences sexuelles, voire aux poursuites sous les qualifications les plus graves ».

Ce diagnostic, issu du « terrain », est particulièrement inquiétant. Il paraît, d'ailleurs, partagé par le ministère de la justice lui-même. La DACG s'est ainsi interrogée auprès de la mission sur le caractère obligatoire de l'expertise pour toute la vaste série d'infractions énumérées à l'article 706-47-1 du code de procédure pénale, indiquant pudiquement - mais clairement - que « si les expertises psychiatriques des mis en cause [...] sont de nature à apporter des éléments permettant à la juridiction de prononcer une peine la plus adaptée possible à la personnalité du condamné ou d'évaluer la compatibilité de cette dernière avec une mesure d'aménagement de peine, participant ainsi de la prévention de la récidive, force est de constater que son caractère obligatoire sur un champ d'application aussi large, sans égards pour les faits de l'espèce et sans laisser de place à l'appréciation du magistrat, n'est pas sans générer de difficultés ».

La même table ronde consacrée à l'expertise a, a contrario, montré que les « ressources » en experts psychologues étaient suffisantes et ne se heurtaient pas aux mêmes limites capacitaires que celles mises en avant pour les psychiatres ; les deux professions rencontrent toutefois des difficultés communes, comme la faiblesse de la rémunération (à titre d'illustration, une déposition aux assises est rémunérée 104 €, quels que soient le temps passé et le nombre d'affaires concernées) ou encore les délais contraints, liés au temps judiciaire, pour traiter un nombre souvent élevé de dossiers.

Il apparaît cependant que les magistrats en charge des expertises (parquets ou juges d'instruction) continuent de privilégier une tradition, sans fondement juridique ou scientifique particulier, faisant des psychiatres la profession de référence pour les auteurs tandis que les psychologues se voient plutôt confier l'examen des victimes. Comme le synthétisait Laurent Layet au cours de la table ronde précitée, « l'idée est répandue chez les magistrats que les auteurs d'infractions doivent être analysés par des experts psychiatres et que les victimes sont plutôt réservées à des experts psychologues. Pourquoi ? Cela n'a aucune base scientifique. [...] L'image du psychologue étant plus douce que celle du psychiatre, on considère qu'il convient de lui confier la victime. Mais il ne s'agit pas de soins. Je pense qu'il faut dépasser ce clivage délétère ».

Les expertises « de crédibilité » des victimes

La vigilance des rapporteures a été attirée sur l'existence d'expertises dites « de crédibilité de la victime », c'est-à-dire d'expertises diligentées pour tenter d'évaluer la sincérité des déclarations de celle-ci. Dès lors, et si l'existence d'expertises pour les victimes peut répondre à un objectif utile (puisque cet exercice permet, par exemple, d'évaluer le préjudice psychologique subi par celles-ci), la pratique de l'expertise « de crédibilité » paraît à l'inverse particulièrement contestable, en particulier lorsque des preuves matérielles sont disponibles.

Interrogée sur cet enjeu, la direction des affaires criminelles et des grâces a rappelé qu'une réflexion avait été engagée à la suite de l'affaire dite « d'Outreau », laquelle avait donné lieu à des expertises ayant pour objet d'évaluer la « crédibilité » de certaines victimes et qui avaient renforcé le crédit accordé aux déclarations d'enfants dont il était subséquemment apparu qu'elles n'étaient pas corroborées par les éléments de l'enquête, et qui avaient plus tard été rétractées.

Le rapport du groupe de travail du ministère de la justice chargé de tirer des enseignements de l'affaire d'Outreau s'était intéressé à ce sujet et il avait noté « qu'au sens médico-légal, la crédibilité est déterminée par la présence ou non chez le sujet examiné de traits de délire, mythomanie, affabulation ou insuffisance intellectuelle. En l'absence de signes cliniques de ces traits, le sujet est estimé `crédible' au sens médico-légal, ce qui n'indique pas qu'il dit la vérité, aucun expert ne pouvant évaluer avec certitude sur la base d'un examen clinique la véracité d'un propos tenu. Il notait que la notion avait pourtant connu, y compris dans le monde judiciaire, un glissement malvenu vers son sens commun, et préconisait en conséquence la suppression du terme de `crédibilité', `sujet à un dévoiement sémantique', des expertises psychologiques et psychiatriques ordonnées à l'avenir30(*). »

Ce constat avait conduit la DACG à préciser dès 200531(*) que, du fait de la « confusion entre crédibilité médico-légale et vérité judiciaire [...] il est indispensable de proscrire le terme-même de crédibilité » dans une expertise judiciaire. Il ne semble, pour autant, pas acquis qu'une telle pratique ait pleinement quitté les tribunaux correctionnels et les juridictions criminelles32(*), qui est encore aujourd'hui dénoncée par plusieurs associations de défense des droits des femmes ou des victimes de violences sexuelles.

Source : mission conjointe de contrôle.

La mission aurait souhaité pouvoir appuyer son analyse sur des chiffres permettant d'évaluer le nombre d'AICS soumis chaque année à la procédure d'expertise obligatoire prévue par l'article 706-47-1 du code de procédure pénale, ou encore de connaître le nombre de victimes soumises à une expertise psychologique ou psychiatrique. Toutefois, l'analyse des chiffres n'a pas été possible pour la simple raison que les statistiques précitées n'existent pas, le ministère de la justice ne disposant pas d'une base par le biais de laquelle il pourrait avoir accès au nombre d'expertises diligentées par les juridictions.

3. Des mineurs qui, en dépit de dispositions facialement plus favorables, restent dans une situation analogue à celle des majeurs

Le code de la justice pénale des mineurs divise, sauf exception, le procès pénal en deux phases (cette distinction étant couramment appelée la « césure ») : une première audience a d'abord lieu pour statuer sur la culpabilité du mineur et, lorsque celle-ci est acquise, une seconde audience sur la peine, six à neuf mois plus tard, permettant à la juridiction de jugement à la fois d'imposer des mesures éducatives ou coercitives dans l'intervalle, mais aussi de mettre en oeuvre in fine une sanction adaptée au vu, notamment, du suivi accordé aux mineurs pendant la « césure » et de son degré d'adhésion et d'investissement dans les premières mesures auxquelles il a été soumis.

Des dérogations à ce principe (appelées « audience unique » et qui permettent à la juridiction de se prononcer simultanément sur la culpabilité et sur la sanction) sont toutefois opportunément prévues par le code de la justice pénale des mineurs pour ceux d'entre eux qui sont déjà connus de la justice, et qui ont donc déjà fait l'objet d'une évaluation : ce dispositif permet le prononcé rapide d'une sanction tenant compte du profil du mineur mis en cause.

En théorie, cette situation est de nature à garantir une meilleure exploitation de la phase pré-sentencielle, si on l'entend cette fois comme l'étape qui précède le prononcé de la sanction, étant notamment rappelé que les « modules » qui peuvent être prévus pour le mineur pendant cette période permettent de prévoir des mesures de réparation mais aussi, voire surtout, des soins33(*). Comme le résume Benoît Le Dévédec, docteur en droit privé et sciences criminelles auditionné par la mission conjointe de contrôle, grâce à la « césure », « les acteurs de la Protection judiciaire de la jeunesse auront eu une période pour travailler efficacement avec le mineur le sens de la décision de culpabilité. Contrairement au contrôle judiciaire où le mis en cause est présumé innocent et où la véracité de l'accusation est questionnée, la mise à l'épreuve éducative permettra d'avancer sans que ces éléments soient un frein (mais plutôt un élément de réflexion et d'introspection, tout comme la question du discernement) »34(*).

Le droit en vigueur permet également d'impliquer les parents dans cette phase par le biais d'outils d'accompagnement et de soutien à la parentalité, particulièrement utiles lorsque les faits se sont produits dans le cadre familial ; ce point n'est pas à négliger dans un contexte où, selon les deux rapports Les parcours des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel à la protection judiciaire de la jeunesse de Marie Romero d'octobre 2022 et d'août 202435(*), la majorité des mineurs mis en cause pour une ICS sont poursuivis pour une infraction qualifiée d'agression sexuelle, commise dans plus d'un cas sur deux au sein de la famille.

Les dispositifs de soutien à la parentalité

Certains terrains ont expérimenté un soutien à la parentalité. Il peut prendre la forme de séances d'entretiens familiaux adossées au travail du groupe, comme par exemple à Nantes (dispositif Guidado), ou de séances de groupe de parole pour la famille comme à Saint-Denis (Jean Cotxtet) ou à Fort de France (UEMO Atlantique nord en Martinique). Ce travail implique de différencier les espaces d'intervention entre le mineur et sa famille, et de soutenir les parents dans leurs compétences éducatives, les accompagner vers l'extérieur, autres que le cadre judiciaire contraint. Au-delà du nécessaire travail sur la parentalité, il en existe un autre propre aux situations de violences sexuelles au sein de la famille (inceste fratrie). Dans ces situations intrafamiliales qui impliquent un mineur auteur, la question fondamentale que se posent les professionnels est de savoir comment faire, pour les aider, accompagner une nouvelle organisation familiale après l'inceste ? Ainsi, des dispositifs d'AEMO proposent un travail spécifique autour de l'inceste fratrie. Ce travail consiste en un accompagnement avec et pour le mineur, à « faire famille autrement après l'inceste », différencier et individualiser les places et fonctions de chacun, réparer les liens familiaux rompus par l'inceste.

Source : contribution de Marie Romero aux travaux de la MCC.

Le traitement des mineurs est également facilité par l'un des outils juridiques qui leur est spécifique, à savoir le recueil de renseignements socio-éducatifs ou RRSE, qui permet une évaluation rapide du mineur AICS (MAICS), dès sa première rencontre avec un éducateur de la PJJ. Il s'agit, selon les rapports précités de Marie Romero, d'une « étape clef du parcours judiciaire du mineur qui permet d'identifier certains points de vigilance propres à ces affaires (isolement social du mineur, état de sidération de l'entourage, mécanismes de `silenciation' autour des faits), et d'orienter sans plus tarder le mineur vers un dispositif de prise en charge spécifique ».

La réponse pénale auprès des MAICS présente, selon la même source, la particularité d'être plus sévère que pour les majeurs. Ainsi, entre 2018 et 2022, environ 9 000 MAICS ont été poursuivis, ce qui correspond à un taux de réponse pénale deux fois plus important que chez les majeurs ; de même, nombre de mesures ont été prononcées au stade pré-sentenciel, avec une majorité de mesures coercitives (comme le contrôle judiciaire, pourtant rare chez les mineurs) face aux mesures éducatives (sur ce terrain, avec une prégnance de mesures malgré tout « englobantes », comme la liberté surveillée préjudicielle). Un mineur sur dix a fait l'objet d'un placement en détention provisoire ou d'une mesure de placement pénal (par exemple en unité éducative d'hébergement collectif ou diversifié, ou en centre éducatif renforcé ou fermé) : parmi les MAICS poursuivis, près d'un tiers a été déferré, cette proportion étant nettement supérieure à celle que l'on trouve pour l'ensemble des mineurs auteurs d'infractions pénales (environ 5 %).

Sans que ce chiffre puisse être mis en relation avec la statistique identique pour les majeurs, puisque cette dernière n'a pas été transmise à la mission et qu'elle ne semble pas exister, les rapporteures constatent que le délai moyen entre les faits et leur révélation à l'autorité judiciaire est élevé pour les infractions qui concernent des auteurs mineurs. Le délai moyen de révélation est ainsi, selon Marie Romero, de deux ans et demi ; la moyenne atteint même sept ans pour les affaires de viols incestueux.

La même source permet d'établir que, en dépit du cadre efficace globalement posé par le code de la justice pénale des mineurs, les délais restent longs entre le début de l'affaire et les poursuites (7,7 mois en moyenne), de même qu'entre les poursuites et le jugement de première instance (deux ans et demi, voire plus de quatre ans en cas de viol, étant rappelé que les délais prévus par le code de la justice pénale des mineurs ne s'appliquent pas en cas d'instruction, donc en cas de crime).

Le cumul entre le délai de révélation et le délai de traitement de l'affaire jusqu'à son audiencement est ainsi particulièrement élevé : plus de cinq ans (65 mois) pour les infractions à caractère sexuel, contre environ deux ans (23 mois) pour l'ensemble des affaires impliquant des mineurs, tous types d'infractions confondues.

S'agissant, enfin, du délai moyen de « suivi pénal » des MAICS, c'est-à-dire de la durée moyenne entre le prononcé de la première décision et la date du jugement, celui-ci s'établit à un an et demi. Par conséquent, certaines mesures éducatives ou répressives peuvent arriver à échéance avant la fin de la procédure pénale, ce qui introduit des ruptures de parcours et des discontinuités préjudiciables à la qualité de la prise en charge - comme au respect accordé par le mineur au cadre fixé par la loi et par l'autorité judiciaire chargée de son application. Ainsi, les rapports précités soulignent que 38 % des MAICS sont majeurs au moment de leur procès (64 % pour les affaires de viol) et qu'ils sont âgés en moyenne de 17 ans au moment de leur condamnation.

Cette distension des délais est, par elle-même, problématique dans un contexte où, « selon les professionnels, les révélations tardives des faits, la longueur des délais de procédure, peuvent avoir un impact sur la prise en charge : sans intervention la plus en amont possible des faits et de leur révélation, la prise en charge risque d'être plus difficile, moins efficiente »36(*). Elle constitue, par ailleurs, un obstacle au repérage des moments propices à la prise en charge, esquivant le double piège d'une trop grande précocité qui n'aurait pas laissé le temps au mineur de comprendre la réalité des faits commis et d'une trop grande tardiveté qui éloigne l'acte de la mémoire de l'auteur mineur, donc d'une temporalité du soin permettant d'« éviter que le mineur s'enferme dans des mécanismes de défense (déni, évitement, banalisation) »37(*).

En dépit de la primauté accordée à l'éducation et au « relèvement moral » du mineur38(*) par la jurisprudence constitutionnelle et par les textes en vigueur, la prise en charge médicale des MAICS demeure, comme celle des AICS majeurs, entravée. Outre les éléments généraux déjà mis en avant (pénurie de professionnels, disparités sur le territoire dans l'accès aux soins...), les mineurs semblent en effet présenter une particularité défavorable qui tient au regard que portent sur eux les professionnels : « la prise en charge des MAICS suscite chez les professionnels qui les accompagnent, un certain malaise, une incompréhension, parfois du découragement face à des mineurs qui ont tendance à s'enfermer rapidement dans des mécanismes de défense (banalisation, évitement à parler des faits, déni de l'éprouvé de l'autre) »39(*). Parallèlement, et alors que la prise en charge psychologique ou psychiatrique des mineurs présente d'indéniables spécificités, les services de santé spécialisés dans la prise en charge des MAICS sont rares ; les structures médicales recevant des mineurs ou les services de pédiatrie, outre leur état global de saturation, paraissent en outre « parfois réticentes » à accueillir des MAICS. Enfin, et peut-être surtout, la moindre maturité psychique des mineurs crée une situation dans laquelle ils ont, plus encore que les majeurs, « beaucoup de mal à aller vers le soin et à y adhérer (réticence, méfiance, évitement) »40(*).

Au cours de son audition par la mission, Marie Romero a par ailleurs indiqué que, en dépit du déploiement de programmes et d'outils visant à lutter contre la récidive des MAICS (à l'image du programme « PACIS »41(*) récemment mis en place par le centre éducatif fermé de Guadeloupe, et qui propose une prise en charge groupale à partir d'une approche cognitive et d'une évaluation structurée autour des facteurs de risque et de protection), les professionnels de la PJJ restaient insuffisamment formés aux problématiques spécifiques des MAICS. Ils pallient cependant cette difficulté par « la construction d'un écosystème partenarial en réponse au manque de visibilité du parcours de prise en charge du mineur auteur, à l'absence de maillage et de connaissances mutuelles entre les différents intervenants, aux difficultés d'accès et d'adhésion aux soins des mineurs en général (et de leurs parents) » et qui implique « un travail coconstruit avec et pour le jeune, en faisant sens pour lui, sa famille, les professionnels » : il s'agit là d'un travail innovant et méritoire auquel la mission ne peut que rendre hommage.

C. L'EXÉCUTION DE LA PEINE : UNE INSUFFISANTE ADAPTATION AUX SPÉCIFICITÉS DES PROFILS AICS, MALGRÉ L'AUGMENTATION DU NOMBRE D'ÉTABLISSEMENTS « FLÉCHÉS », DÉDIÉS À LEUR PRISE EN CHARGE

Alors que 88 % des auteurs de viol et 39 % des auteurs d'agression sexuelle sont condamnés à une peine d'emprisonnement ferme ou en partie ferme (voir tableau infra), la période de détention est une étape cruciale afin de réduire le risque de récidive : si elle permet d'une part de protéger la société d'une récidive immédiate, elle suppose également un travail de réinsertion, incluant un travail psychologique, criminologique, médical et social, qui doit limiter le risque d'une récidive à la sortie.

Pour les auteurs d'infraction sexuelle, cette période se caractérise par une durée conséquente (10,2 années d'emprisonnement ferme en moyenne42(*)), pouvant ainsi permettre une réelle évolution de l'individu. Pour autant, comme rappelé par les personnels du centre pénitentiaire de Caen, cette incarcération longue peut également conduire à « un phénomène de lassitude, complexifiant le travail sur les faits ».

La sortie de détention constitue également une période charnière qui suppose une évaluation méticuleuse de la dangerosité du détenu, afin de garantir, dans le respect de la peine prononcée, que sa remise en liberté ne constitue pas un risque pour la société.

Condamnations et peines prononcées pour viol et agression sexuelle en 2023

 

Viol

Agression sexuelle

Nombre de condamnations

1 300

5 399

Peines principales

Emprisonnement

Effectif

1 287

4 697

En proportion du nombre de condamnations

99 %

87 %

Dont emprisonnement ferme ou en partie ferme

Effectif

1145

2079

En proportion du nombre de condamnations

88 %

39 %

Suivi socio-judiciaire

<5

73

Autres peines (1)

nc

629

Total

1 300

5 399

Quantum moyen ferme prononcé (2)

10,2 années

1,9 année

Peines complémentaires

Suivi socio-judiciaire

Effectif

721

530

En proportion du nombre de condamnations

55 %

10 %

Retrait d'autorité parentale

77

124

Interdiction

490

2 146

Privation de droits (3)

658

1 884

Confiscation

210

768

Amende

nc

60

Obligation d'accomplir un stage (4)

nc

58

Autres peines (5)

28

181

Total

2 184

5 751

(1) amende, jours-amende, retrait de l'autorité parentale, travail d'intérêt général, interdiction, confiscation, obligation d'accomplir un stage, sanction réparation, avertissement judiciaire, mesure éducative, ....

(2) réclusion criminelle (hors perpétuité) ou emprisonnement ferme ou en partie ferme

(3) droits civiques, civils et de famille, droit de vote, droit d'éligibilité, droit d'être témoin en justice, droit d'exercer une fonction juridique

(4) stage de citoyenneté, stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes, stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes, ...

(5) en cas de viol : amende, obligation d'accomplir un stage, admonestation, avertissement judiciaire ou solennel, mesure éducative, mise sous protection judiciaire, ...

en cas d'agression sexuelle : admonestation, avertissement judiciaire ou solennel, mesure éducative, mise sous protection judiciaire, ...

Source : calculs de la mission à partir de données du ministère de la justice

1. Une prise en charge spécifique en détention est prévue pour les auteurs d'infraction à caractère sexuel

Au 1er octobre 2024, 13 130 personnes étaient incarcérées pour au moins une infraction à caractère sexuel, dont 8 304 étaient définitivement condamnées. Afin de tenir compte des spécificités des AICS détenus, une spécialisation accrue du suivi des détenus condamnés pour des faits de nature sexuelle est prévue par des dispositions législatives depuis la fin des années 1990.

Aux cours de trois déplacements en établissements pour peines ainsi que de nombreuses auditions, les rapporteures ont pu apprécier la richesse de cette prise en charge, tout en observant ses limites. Il apparaît ainsi que :

- la prise en charge des détenus AICS présente de fortes disparités, y compris au sein d'établissements désignés pour leur accueil et recevant à cet égard des moyens spécifiques ;

- les établissements spécialisés dans la prise en charge des profils rencontrent, comme l'ensemble des établissements pour peine, des enjeux de rareté des moyens qui peuvent diminuer la portée de l'encadrement prévu pour les détenus AICS ;

- l'étape cruciale de préparation à la sortie pâtit de difficultés qui renforcent le risque de récidive précoce.

a) L'évaluation et l'orientation des AICS en début de peine

L'orientation initiale des condamnés vers un établissement pénitentiaire est effectuée, pour les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à 15 ans pour des faits de viols sur mineur ou sur majeur (le cas échéant, accompagnés d'une circonstance aggravante), par l'un des cinq centres nationaux d'évaluation répartis sur le territoire national, où ils font l'objet d'une évaluation pluridisciplinaire d'une durée de six semaines.

Le Centre national d'évaluation (CNE)

L'article D. 112-6 du code pénitentiaire prévoit que « la direction de l'administration pénitentiaire comprend un centre national d'évaluation, chargé de concourir à la procédure d'orientation prévue par l'article D. 211-9 et aux évaluations mentionnées aux articles R. 545-3 et D. 422-9 ».

Le CNE est une entité spécifique au sein de l'administration pénitentiaire qui est répartie en cinq sites d'évaluation, intégrés au sein d'établissements pénitentiaires : le site du centre pénitentiaire de Fresnes (94) ; le site du centre pénitentiaire Sud-Francilien (77) ; le site du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin (59) ; le site du centre pénitentiaire d'Aix-Luynes (13) et le site du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (62), ce dernier étant réservé à l'évaluation d'auteurs d'infractions à caractère terroriste.

Initialement créé à des fins d'observation (Centre National d'Observation), puis d'évaluation (Centre National d'Évaluation) de la personnalité de certaines personnes détenues condamnées, préalablement à leur affectation en établissement pour peines, mais également au cours de l'exécution de leur peine, le CNE dispose désormais d'une nouvelle mission d'évaluation de la dangerosité des condamnés, destinée à éclairer l'autorité judiciaire.

En 2024, 44 % des personnes accueillies par le centre étaient condamnées pour des faits de nature sexuelle.

Le CNE procède à deux types d'évaluation :

l'évaluation de la personnalité en vue de l'orientation en établissements pour peines de la personne détenue auteure de crimes aggravés condamnés à 15 ans ou plus de réclusion criminelle. Le CNE formule également des préconisations de prise en charge.

l'évaluation de la dangerosité qui vise à déterminer l'existence ou la persistance d'une dangerosité dans le cadre d'une mesure de sûreté ou pour une personne détenue inscrite dans un parcours d'aménagement de peine. Elle constitue une aide à la décision pour l'autorité judiciaire, dans l'objectif de prévenir la récidive. Ainsi, elle consiste à identifier chez la personne détenue les facteurs de risque et de protection face au risque de commission d'une nouvelle infraction.

Ces deux types d'évaluation ont en commun leur nature pluridisciplinaire. Les équipes du CNE, sous la responsabilité d'un directeur et de son adjoint, sont composées de quatre pôles d'évaluation : le pôle surveillance, le pôle insertion et probation, le pôle psychologique et le pôle psychotechnique.

Source : Direction de l'administration pénitentiaire

Pour les condamnés non soumis à l'évaluation par le CNE mais dont le temps d'incarcération est supérieur à deux ans, la procédure d'orientation et de décision d'affectation des condamnés telle que prévu par le code de procédure pénale s'applique. Le ministère de la justice dispose alors de la compétence d'affectation des condamnés sur la base d'un dossier d'orientation comprenant les renseignements relatifs à la situation pénale et pénitentiaire du condamné, les éléments afférents aux conditions de prise en charge sanitaire et l'avis du SPIP de l'établissement et du juge de l'application des peines réalisé par le chef d'établissement où le condamné est détenu.

b) Le protocole Santé-Justice relatif à la prise en charge des auteurs d'infraction à caractère sexuel définit une prise en charge particulière pour ce public

Conformément à l'article 40 de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, lorsqu'une personne condamnée à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins doit subir une peine privative de liberté, elle exécute cette peine dans un établissement pénitentiaire lui assurant un suivi médical et psychologique adapté. Il revient donc à l'administration pénitentiaire d'orienter ces personnes dans un établissement pénitentiaire adapté à la prise en charge spécifique qu'implique la nature des faits commis.

Dans cette perspective, en 2009, la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) a désigné 22 établissements pour peines spécialisés dans la prise en charge des AICS, devant disposer de moyens sanitaires adaptés et d'une prise en charge pénitentiaire spécifique. Les personnes condamnées pour des faits de nature sexuelle doivent ainsi y être affectées prioritairement, dans le respect de l'individualisation de l'orientation ainsi que du maintien des liens familiaux.

Outre un suivi spécifique, ces établissements spécialisés garantissent la sécurité de ces profils, plus susceptibles de faire l'objet de représailles de la part de co-détenus en détention « classique ».

Liste des établissements « fléchés » pour la prise en charge des auteurs d'infraction à caractère sexuel

Établissement

Nombre de détenus

dont pour au moins une infraction sexuelle (AICS)

Taux de détenus AICS

Centre de détention d'Argentan

596

120

20,1 %

Centre de détention de Bapaume

539

321

59,6 %

Centre de détention de Bedenac

190

132

69,5 %

Centre de détention de Casabianda

128

89

69,5 %

Centre de détention de Joux La Ville

578

340

58,8 %

Centre de détention de Le Port

502

173

34,5 %

Centre de détention de Mauzac

363

288

79,3 %

Centre de détention de Melun

292

250

85,6 %

Centre de détention de Muret

607

245

40,4 %

Centre de détention de Roanne

533

141

26,5 %

Centre de détention de Salon De Provence

633

274

43,3 %

Centre de détention de Toul

399

256

64,2 %

Centre de détention de Val De Reuil

792

240

30,3 %

Centre pénitentiaire de Caen

401

336

83,8 %

Centre pénitentiaire de Liancourt

586

176

30,0 %

Centre pénitentiaire de Nantes

1 463

310

21,2 %

Centre pénitentiaire de Perpignan

753

97

12,9 %

Centre pénitentiaire de Poitiers Vivonne

794

146

18,4 %

Centre pénitentiaire de Riom

729

148

20,3 %

Centre pénitentiaire de Saint Quentin Fallavier

623

108

17,3 %

Maison centrale d'Ensisheim

183

96

52,5 %

Maison centrale de Saint Martin De Re

370

178

48,1 %

Total

12 054

4 464

37,03 %

Source : Direction de l'administration pénitentiaire

Les modalités spécifiques de prise en charge des AICS au sein de ces établissements ont été définies par le protocole conclu entre le ministère de la justice et le ministère de la santé le 16 décembre 2011, dit « protocole Santé-Justice ».

Celui-ci prévoit premièrement une prise en charge spécialisée sur le plan sanitaire, développée grâce à la dotation exceptionnelle attribuée à chaque agence régionale de santé siège d'un établissement « fléché ». Le protocole rappelle ainsi que « si l'organisation régionale de l'offre de soins concerne l'ensemble des établissements pénitentiaires de la région, une attention particulière doit être portée aux établissements spécialisés où les personnes détenues condamnées pour des faits de nature sexuelle sont orientées ». Pour ces établissements, l'organisation de la prise en charge de ces détenus est décrite au sein d'un projet d'organisation régionale validé par l'ARS, ainsi que d'un protocole local entre l'établissement de santé et l'établissement pénitentiaire. Ce dispositif sanitaire et médical spécifique se justifie par la prévalence de problématiques psychologiques et psychiatriques chez les AICS, mais également par leur moyenne d'âge élevée et la durée conséquente des peines qui nécessitent, au sein de l'établissement, un travail quant à la prise en charge du vieillissement en détention.

Les moyens renforcés de ces établissements doivent permettre au personnel médical d'inciter les personnes détenues à entreprendre, si cela est nécessaire, une démarche de soins, dans le respect du consentement du détenu ainsi que du secret médical. Comme pour tout détenu, les AICS sont également informés par le JAP de la possibilité d'entreprendre un traitement dès le début de l'incarcération, puis de manière annuelle43(*). Pour les personnes condamnées pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, le médecin traitant du détenu délivre à ce dernier, une fois par trimestre, des attestations indiquant si le patient suit ou non de manière régulière le traitement proposé par le JAP. Ces documents peuvent ainsi permettre à ce dernier de se prononcer sur l'octroi ou le retrait de peine ou l'octroi d'une libération conditionnelle44(*).

Le protocole définit par ailleurs un cadre de prise en charge pénitentiaire propre aux établissements spécialisés, visant à prendre en compte les spécificités des détenus AICS et à travailler à la prévention de la récidive. En complément du suivi individuel s'inscrivant dans le parcours d'exécution des peines effectué par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) assuré pour chaque détenu, le protocole prévoit que les établissements spécialisés proposent des méthodes d'intervention adaptées à la nature des faits commis et au profil des détenus, notamment par la mise en place de programmes de prévention de la récidive (PPR). Ces programmes consistent en une prise en charge sous forme de groupes de parole rassemblant des personnes condamnées présentant une problématique commune liée au type d'infraction commise. Ils visent ainsi à sortir l'auteur d'un éventuel déni, à développer l'expression et la réflexion sur le passage à l'acte délinquant et sur les conditions de non réitération dans un cadre collectif, ainsi qu'éventuellement à inciter les détenus à entreprendre un suivi médical.

Outre les PPR, les SPIP mettent en place différents programmes et actions collectives à l'attention des auteurs de violences sexuelles autour de l'insertion sociale, de l'accès aux droits, de la parentalité, et des habiletés sociales au travers d'interventions cognitivo-comportementales. Selon la DAP, « ces prises en charge collectives encouragent les personnes placées sous-main de justice à prendre conscience des conséquences de leur comportement et à amorcer un cheminement personnel axé sur le sens des responsabilités », contribuant à diminuer le risque de récidive.

Enfin, le protocole prescrit des modalités d'évaluation des détenus au cours de leur détention. Les professionnels pénitentiaires rencontrés par la mission ont en effet rappelé le phénomène de sur-adaptation de ces profils aux règles de la vie en détention, ce qui peut conduire les professionnels pénitentiaires et les magistrats à sous-estimer le niveau de dangerosité réel de l'individu, et ainsi anticiper sa sortie en dépit du risque (non-identifié) de récidive.

En conséquence, les articles 717-1 et 706-53-14 du code de procédure pénale prévoient des bilans spécifiques afin d'évaluer la dangerosité des personnes visées par le protocole :

deux ans avant la fin de peine, la personne condamnée éligible à la rétention de sûreté est convoquée par le juge d'application des peines afin d'établir un bilan sur le suivi médical mis en oeuvre. À cette fin, ce bilan peut notamment être établi au vu des certificats fournis par le médecin ou psychologue traitant. Si nécessaire, un psychiatre expert peut être sollicité pour éclairer le juge d'application des peines. Au vu du bilan, le juge d'application des peines peut proposer à la personne condamnée de suivre un traitement dans un établissement pénitentiaire spécialisé ;

- un an avant la fin de peine, la situation de la personne est examinée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté afin d'évaluer sa dangerosité. À cette fin, lors de cet examen de situation, la commission demande le placement de la personne, pour une durée d'au moins six semaines, dans un centre national d'évaluation. Ce service est chargé d'effectuer une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité. Parallèlement, est diligentée une expertise médicale réalisée par deux experts.

La personnalité de la personne condamnée est également discutée lors des instances de concertation préalable à d'éventuels aménagements ou réductions de peine, telles que les commissions d'application des peines, qui réunissent l'ensemble des acteurs de l'administration pénitentiaire (personnels de surveillance et SPIP) afin d'apporter à l'autorité judiciaire des éléments et analyses sur la personnalité et le comportement de la personne placée sous-main de justice, ou les débats contradictoires, au cours desquels le juge de l'application des peines entend les réquisitions du ministère public puis les observations du condamné. Sont également versés aux débats contradictoires le rapport rédigé par le SPIP concernant le détenu et l'avis du représentant de l'administration pénitentiaire.

Il convient enfin de rappeler que le SPIP ne procède pas à une évaluation de la dangerosité dans ses rapports transmis à l'autorité judiciaire, mais opère une évaluation de la situation globale de la personne et vient identifier quels sont chez la personne placée sous main de justice les facteurs de protection et les facteurs de risque de récidive. Cette évaluation est mise à jour régulièrement afin d'adapter au mieux la prise en charge, les objectifs et les modalités de travail.

L'application concrète du protocole santé-justice

Les rapporteures ont pu constater la qualité du travail effectué au sein des établissements spécialisés, lors de déplacements au centre pénitentiaire de Caen ainsi qu'au centre de détention de Joux-la-Ville.

Dans ce premier, accueillant plus de 83 % de détenus AICS, une offre de soins spécifique a été établie grâce à la présence d'un service médico-psychologique régional au sein du centre. De plus, un effort de pluridisciplinarité du suivi des détenus est mis en oeuvre, avec la participation des personnels soignants aux instances pluridisciplinaires.

La prise en charge pénitentiaire a été étoffée grâce à une équipe dédiée au parcours d'exécution des peines, avec comme objectif d'insérer les AICS dans un parcours de travail et de responsabilisation vis-à-vis des faits. Une commission pluridisciplinaire unique, composée des personnels de direction, des SPIP, ainsi que des détenus, est chargée de faire régulièrement le bilan de l'évolution de la détention du détenu, évaluée à l'aune d'objectifs définis collectivement.

Le centre pénitentiaire de Caen a également eu recours à des expériences de justice restaurative, sur la base du volontariat des détenus, ayant donné des résultats particulièrement positifs quant à l'avancée du détenu dans son travail vis-à-vis de la reconnaissance des faits.

Source : données recueillies lors du déplacement au centre pénitentiaire de Caen

Enfin, les établissements non spécialisés dans la prise en charge de ce public étant eux aussi amenés à accueillir des détenus auteurs d'infraction sexuelle, les SPIP y assurent des actions spécifiques à destination des AICS, en sus du suivi individuel prévu pour chaque détenu reposant sur les principes d'évaluation, d'individualisation du parcours d'exécution de la peine et d'un travail réalisé en pluridisciplinarité.

2. En dépit d'un parcours spécifique, la prise en charge des AICS en détention se heurte à de regrettables lacunes
a) Une prise en charge inégale des AICS au sein des établissements spécialisés

Si la mission a pu apprécier la finesse de la prise en charge des détenus AICS dans certains établissements spécialisés, les rapporteures ont également constaté de fortes disparités dans la prise en charge des AICS ainsi que des faiblesses dans l'application du protocole national.

(1) Les limites de la cartographie d'établissements spécialisés dans l'accueil des AICS

Premièrement, des limites ont été observées sur la répartition actuelle des établissements « fléchés AICS » sur le territoire national. De fait, alors qu'il était prévu à leur création en 2009 que les établissements fléchés AICS accueilleraient entre 50 et 80 % d'AICS, ce seuil n'est pas atteint dans douze des établissements fléchés, soit plus de la moitié (et est même inférieur à 20 % pour trois d'entre eux). Cette faible affectation de détenus AICS dans des établissements pourtant conçus pour les recevoir se justifie, certes, par la prise en compte de critères de maintien des liens familiaux lors de l'orientation initiale vers les établissements sur peine. Ces taux traduisent néanmoins les limites de la cartographie actuelle des établissements spécialisés, parfois trop éloignés de certains bassins de vie afin d'être « attractifs ».

Afin de répondre à ces limites, la DAP a annoncé engager une révision de la cartographie des établissements pour peines fléchés ICS afin de mieux répondre aux besoins constatés. Une nouvelle liste de 24 établissements a donc été élaborée, en collaboration avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Celle-ci prévoit :

- la fin du fléchage de deux établissements, le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne et le centre de détention de Perpignan, qui présentaient des taux de détenus AICS les plus bas (respectivement 18,4 % et 12,9 %), remplacés par deux autres établissements au sein des mêmes directions interrégionales des services pénitentiaires ;

- l'ajout du centre de détention de Tatutu de Papeari, en raison de l'identification d'un besoin de soutien sur la thématique des AICS ;

- l'ajout du centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand afin de proposer deux centres fléchés sur la DISP de Dijon ;

- une réflexion sur l'ajout d'un centre, à moyen terme, sur la DISP de Paris, désigné parmi les futures constructions de nouveaux établissements.

Cette actualisation supposerait donc une augmentation nette de trois établissements fléchés AICS, mieux répartis en fonction des besoins constatés sur les différents bassins de vie.

(2) L'application parcellaire du protocole santé-justice au sein des établissements fléchés

En outre, la mission a constaté de réelles lacunes dans l'application du protocole santé-justice, pourtant signé il y a presque quinze ans désormais.

Les deux évaluations de l'application de celui-ci conduites par la DAP, en 2015 et 2023, font en effet état d'une grande disparité dans la prise en charge des détenus entre les 22 centres (seuls 19 ayant répondu à ces deux enquêtes). Ainsi, en 2023 :

- seuls cinq établissements sur les 19 répondants ont mis en oeuvre des PPR ; soit un recul regrettable puisque ce nombre s'élevait à 18 en 2015. Si sept établissements indiquent par ailleurs avoir mis en place des actions collectives hors PPR à destination des AICS, l'absence de mise en oeuvre d'au moins un programme de prévention de la récidive, dispositif explicitement prévu par le protocole, dans la totalité des établissements spécialisés ne peut qu'interroger les rapporteures ;

- en outre, seuls 10 établissements ont conclu un protocole entre les services pénitentiaires et les services de soins fixant les modalités d'intervention des services de santé au sein de l'établissement pénitentiaire. De la même façon, ce protocole est explicitement prévu dans la doctrine établie par les ministères de la justice et de la santé, il est donc tout à fait surprenant que moins de la moitié des établissements concernés ne le mettent pas en oeuvre ;

- enfin, seuls 11 établissements bénéficient d'un accompagnement par un CRIAVS, ce qui apparaît très dommageable aux rapporteures au regard de l'expertise précieuse qu'ont développée ces structures dans l'accompagnement des professionnels intervenant auprès des AICS.

La direction générale de l'offre de soins (DGOS) a également conduit une évaluation de l'application du volet sanitaire du protocole en 2024, à laquelle n'ont répondu que 15 des 22 établissements concernés. L'enquête a établi un niveau de spécialisation sanitaire globalement satisfaisant au sein des établissements ayant répondu, puisque 89 % de ceux-ci ont constitué une équipe médicale spécialisée dans la prise en charge des AICS et 94 % des unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) proposent des prises en charge spécifiques aux AICS détenus. Néanmoins, les rapporteures regrettent que le faible taux de réponse des établissements pénitentiaires ne permette pas de garantir la fiabilité de ces résultats.

L'évaluation conduite par la DGOS a, en outre, permis d'établir, d'une part, la faible connaissance par certaines ARS des protocoles locaux et des moyens dédiés à la prise en charge des AICS en détention, et d'autre part, l'absence d'une culture du partage et de l'évaluation au sein de ces établissements, 69 % des répondants indiquant n'entretenir aucun lien avec les autres établissements spécialisés. Ce constat semble corroboré par les professionnels de terrain, comme en témoignait Caroline Kazanchi, avocate, juriste correspondante pour le Criavs Provence-Alpes-Côte d'Azur, devant la mission conjointe de contrôle, soulignant que « nous disposons donc, en théorie, des dispositifs nécessaires en termes de soins et de suivi, mais sont-ils bien déployés en pratique ? J'en doute : ni le ministère de la santé, ni le ministère de la justice, ni l'administration pénitentiaire - tous trois concernés par la prévention de la récidive des auteurs d'infractions à caractère sexuel - n'ont réellement coopéré, en dépit du fait que la loi de 1998 était le fruit de leur association. Je ne dispose ainsi pas d'éléments chiffrés relatifs à la mise en oeuvre de ce protocole de 2011, en particulier au niveau des Spip, alors que ces services peuvent assurer le relais entre le soin en détention - spécifique - et le soin post-carcéral ».

Les conclusions de ces trois études amènent donc les rapporteures de la mission à constater une prise en charge très inégale des AICS, particulièrement regrettable a fortiori au sein d'établissements fléchés dont les moyens ont été ajustés à la hausse afin de proposer un suivi renforcé à ces profils et ainsi lutter contre le risque de récidive. La mission déplore également l'absence de partage d'information et de collaboration entre ces différents établissements, ainsi que l'impulsion bien trop faible au niveau national d'orientations permettant une prise en charge standardisée et régulièrement évaluée.

Face à ces constats, la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) a indiqué avoir procédé à la diffusion d'une note à l'ensemble des services rappelant les attendus de prise en charge des AICS dans les établissements spécialisés :

Extrait de la note du 10 juin 2024 du directeur de l'administration pénitentiaire, adressée aux chefs d'établissement pénitentiaire

« Afin de garantir une prise en charge adaptée des AICS, il vous est demandé de bien vouloir mobiliser vos services et de veiller à ce que :

« - Dans chaque établissement fléché, un programme de prévention de la récidive par an a minima soit proposé par le SPIP aux personnes détenues condamnées pour ce type de fait.

« - Les personnels intervenant en établissement fléché AICS et en CNE puissent se voir proposer une formation adaptée à cette spécificité à leur arrivée en établissement. À ce titre, il conviendra de prévoir des sessions de formation en lien avec les différents profils d'AICS, leur évaluation et les modalités de prise en charge.

« - Par ailleurs, la mise en place de formations aux outils d'évaluation spécifiques aux auteurs de violences sexuelles est également fortement conseillée afin de permettre aux professionnels d'évaluer et d'accompagner ce public de la façon la plus probante.

« Il importe également de veiller à ce que :

« - des liens réguliers soient pris avec les CRIAVS afin de mettre en place des sessions de formations, d'informations, d'analyse des pratiques ;

« - les cercles de soutien et de responsabilité (CSR) se développent, conformément aux recommandations européennes.

« Enfin, les directions d'insertion et de probation pénitentiaires sont également encouragées à mettre en place des réunions régulières inter établissements AICS afin d'échanger sur les différentes modalités de prise en charge, les difficultés, et de mutualiser les bonnes pratiques et les besoins de formation. »

Si ces orientations sont les bienvenues, les rapporteures appellent à leur mise en oeuvre rapide, assortie d'un contrôle accru de la part de la DAP afin de ne plus permettre de tels retards dans l'application d'un protocole indispensable à la lutte contre la récidive, adopté il y a plus de dix ans.

Plus encore, la mission ne peut que déplorer l'absence d'une évaluation concrète des effets de la spécialisation de certains établissements dans la prise en charge des AICS sur la récidive. À date, aucune étude n'a été conduite afin d'objectiver les effets de cette spécialisation sur la récidive en comparaison à la détention « classique ». Aussi, aucun élément ne permet de corroborer le bien fondé des dispositifs mis en place, rendant dès lors abstrait tout travail d'amélioration de cette prise en charge.

La DAP a néanmoins indiqué qu'une étude visant à évaluer et comparer le contenu des prises en charge à destination des AICS, leurs disparités et l'intérêt même du fléchage vers des établissements spécialisés a été initiée et devrait présenter ses conclusions en 2027. Ensuite seulement, la DAP envisage de mettre en place une recherche afin d'évaluer l'impact d'une détention en établissement fléché sur la récidive. La direction a enfin indiqué que le protocole Santé-justice serait en cours d'actualisation, sans préciser si ce processus devait aboutir au terme des deux évaluations mentionnées ci-avant.

b) Une prise en charge qui pâtit d'un manque de moyens et d'une coordination trop peu aboutie des professionnels concernés

En outre, la mission a également constaté que la prise en charge des AICS lors de la détention se heurte non seulement au manque de moyens disponibles mais aussi à un défaut de coordination et de formation des différents acteurs impliqués dans ce suivi.

De fait, il est apparu aux rapporteures que les établissements spécialisés dans la prise en charge des AICS connaissent des difficultés liées au manque de moyens en milieu carcéral, puisque, comme le souligne l'Association nationale des juges de l'application des peines, « la situation de surpopulation pénale induit mécaniquement une dégradation de la prise en charge des personnes incarcérées, les personnels n'étant pas renforcés ».

Les enjeux de disponibilité des personnels médicaux, a fortiori pour certains établissements en zone rurale, entraînent de véritables difficultés dans le suivi médical des détenus, mais peuvent également être un obstacle à une préparation à la sortie progressive. En effet, les permissions de sortie et les aménagements de peine n'étant accordés que sous la condition d'avoir procédé à une expertise médicale de moins de deux ans, les longs délais de prise en charge peuvent ralentir le projet d'exécution des peines des détenus et favoriser une sortie de détention brutale et non préparée pour les AICS. Les rapporteures ont à cet égard été vivement alertées par la situation du centre pénitentiaire de Caen, ville dans laquelle seuls deux experts, de plus de 70 ans, sont recensés, ainsi que celle de la maison centrale d'Ensisheim, qui ne dispose pas de psychiatre.

S'agissant de la prise en charge pénitentiaire, l'inflation du nombre de dossiers suivis par un seul conseiller pénitentiaire a également été portée à l'attention des rapporteures. Cette situation conduit inévitablement à un suivi plus lâche des détenus et, de l'aveu de certains conseillers rencontrés lors des auditions, à une priorisation des détenus les plus volontaires à s'engager dans une démarche de travail, au détriment des profils plus isolés. Le manque de moyens et l'alourdissement de la charge de travail des CPIP peuvent également constituer un obstacle au développement d'ateliers annexes, tels que les expériences de justice restaurative et les cercles d'accompagnement et de responsabilités, pour lesquels ces derniers ne disposent pas de temps spécifique dédié. Les syndicats représentatifs des services d'insertion et de probation ont également souligné la nécessité d'aller plus loin dans la formation des professionnels à la prise en charge des AICS, formation qui n'est pas obligatoire hormis en formation initiale à l'École nationale d'administration pénitentiaire. Il semblerait ainsi que la formation aux enjeux spécifiques de la prise en charge des AICS, priorisée il y a quelques années, soit désormais quelque peu éclipsée par les formations liées aux violents intrafamiliaux.

En outre, la mission a pu constater des difficultés propres à la prise en charge des AICS hors des établissements spécifiquement dédiés. En effet, alors que les établissements fléchés peuvent facilement constituer des groupes de profils similaires pour mettre en place des ateliers de travail collectifs - dont les professionnels reconnaissent unanimement l'utilité -, il peut être moins aisé de reproduire ces expériences dans le reste des établissements, du fait de l'hétérogénéité des profils accueillis. Les besoins spécifiques des AICS, notamment sur le volet médical, peuvent également faire l'objet d'une offre de soins moins adaptée dans les centres non spécialisés.

Outre les enjeux de ressources, il a été porté à l'attention des rapporteures des faiblesses dans la collaboration entre différents corps de métier intervenant en détention, pouvant amenuiser le suivi du détenu ainsi que l'évaluation de sa situation personnelle. Comme souligné par Maître Caroline Kazanchi, juriste correspondante pour le CRIAVS de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur lors de la table ronde organisée par la mission le 5 décembre 2024, « lorsqu'on évoque l'enjeu de la pluridisciplinarité, il est ainsi triste de constater, au moment où les juridictions de l'application des peines se prononcent, que les rapports des Spip, des experts et des intervenants sociaux sont isolés les uns des autres. Une prise en charge de la récidive plus solide devrait s'appuyer sur une véritable pluridisciplinarité ». Ces difficultés peuvent pour partie être imputées à la prépondérance du « prisme du soin », décrit par les CRIAVS, pouvant conduire à la marginalisation du travail conduit par les CPIP sur le volet criminologique, au profit d'une approche médicale des infractions de nature sexuelle. Ces biais sont regrettables pour la prise en charge des AICS puisque, comme rappelé par le Dr. Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), pour les AICS « la présence de troubles psychiatriques, pris au sens large - troubles de la personnalité, psychopathes, personnalités borderline -, est de l'ordre de 40 % à 60 %, environ la moitié des auteurs ne présentant donc aucun trouble ».

c) Les limites de la préparation à la sortie

Les travaux de la mission ont également permis de constater les difficultés relatives à la préparation des détenus à la sortie de détention. Sans qu'aucune étude statistique ne permette de corroborer cela, les professionnels rencontrés au cours des auditions et des déplacements ont unanimement affirmé que la préparation à la sortie est une étape cruciale pour la diminution du risque de récidive pour l'auteur d'infraction sexuelle, en tant qu'elle suppose souvent un cumul de problématiques matérielles, juridiques, administratives, sociales et psychologiques pour l'individu, après une peine longue.

Or, la préparation à la sortie se heurte à un taux élevé de sortie sèche de détention pour les AICS, qui peut conduire à un risque accru de récidive précoce. Les AICS font, en 2023, moins souvent l'objet d'un aménagement de peine que l'ensemble des condamnés (33 % d'entre eux contre 39,4 % selon les données de la DAP). Or, selon les professionnels rencontrés au cours des travaux de la mission, une sortie non anticipée est susceptible de renforcer le risque de récidive, en replongeant le condamné dans un environnement social peu stable, voire criminogène, après une période durable de rupture avec la société. Les représentants du syndicat des personnels d'insertion et de probation UFAP-UNSA rappellent en outre que le risque de récidive est le plus élevé dans les six premiers mois qui suivent la sortie de détention.

Ce phénomène est renforcé par les difficultés que rencontrent les services pénitentiaires et sociaux pour établir des partenariats avec des structures externes permettant une réinsertion réussie des AICS s'agissant du volet social (hébergement, emploi, réseau social). Comme l'a rappelé la fédération française des CRIAVS, « beaucoup de patients sortent après de longues peines sans emploi, sans hébergement, sans aucun réseau social, et parfois même sans papiers ni carte vitale », dans ces conditions une sortie sans accompagnement est particulièrement propice à la récidive.

À cet égard, le manque d'assistants de service social en SPIP a été pointé du doigt par les professionnels rencontrés. De même, la direction de l'administration pénitentiaire constate des difficultés dans la mise en oeuvre du partenariat45(*) entre le SPIP et le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO, en charge de l'offre de logement) qui vise à favoriser l'insertion des sortants de détention sans solution d'hébergement. Des difficultés identiques sont constatées avec d'autres structures d'hébergement d'aval, notamment des maisons de retraite puisqu'une partie conséquente des AICS en fin de peine sont âgés ou dépendants. Les partenaires de l'hébergement sont en effet souvent réticents à accueillir ce public ou en raison de contraintes inhérentes aux publics qu'ils accueillent déjà au sein de leurs structures. À titre d'exemple, le SIAO est tenu de prendre en compte la personnalité de l'auteur d'infraction sexuelle dans l'accès aux droits, l'orientation et l'accompagnement pour ne pas mettre en difficulté les autres hébergés dans les structures et le personnel d'accueil de ces lieux (notamment des victimes de violence sexuelle). La DAP signale toutefois que les SPIP bénéficient de certains partenariats locaux avec des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou des associations disposées à accueillir des personnes sous main de justice à leur sortie de détention. En somme, comme le résume l'ANJAP, la continuité de la prise en charge au terme de la détention « semble plus relever d'initiatives locales que d'une organisation plus institutionnalisée ».

La difficile prévisibilité de la date de sortie pour les courtes peines a également été soulignée lors des travaux de la mission, en raison des effets induits par la récente réforme des réductions de peine entrée en vigueur en 202346(*) visant à rendre plus systématique les sorties sous liberté conditionnelle en fin de courte peine. Comme en a témoigné un juge de l'application des peines, « il arrive que nous prolongions quelque peu la période d'incarcération avant la sortie conditionnelle, afin de disposer de quelques semaines pour éviter une sortie trop brutale et notamment prévoir des rendez-vous avec le psychiatre, entamer des démarches pour trouver un hébergement, éventuellement, prévenir la victime ».

Enfin, comme souligné par l'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP), « les juges de l'application des peines ne disposent pas de statistiques sur l'efficacité des aménagements de peine et de la probation et, l'on ne peut que le regretter, car cela serait très utile pour évaluer [les] modèles de prise en charge et les rendre plus performants » ; constat auquel ne peuvent que souscrire les rapporteures, qui déplorent une fois encore l'absence de la culture de l'évaluation au sein du ministère de la justice.

3. Les spécificités de la prise en charge des mineurs en milieu fermé

La prise en charge des MAICS, par nature complexe, n'a fait que récemment l'objet de dispositifs spécifiques en France.

À titre liminaire, on rappellera que le droit pénal des mineurs et la procédure pénale applicable aux délinquants âgés de moins de 18 ans - qu'il s'agisse ou non d'infractions à caractère sexuel - constituent un corpus de règles spécifiques par rapport au reste du droit pénal et de la procédure pénale. Outre une réduction de moitié du quantum de peine encouru (qui, sauf exception et pour les seuls mineurs de seize ans ou plus, ne peut pas excéder la moitié de la peine encourue par les majeurs), les mesures pénales applicables aux mineurs doivent en effet, selon le principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) dégagé par le Conseil constitutionnel en 200247(*),, s'inscrire dans « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité » ; elles doivent par ailleurs être « prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ». Si ces règles n'impliquent pas que « les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives », ni d'écarter par principe le prononcé « en cas de nécessité, [...] [de] mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention »48(*), elles supposent l'intervention de professionnels (magistrats et éducateurs) spécialisés, ainsi que le traitement de la plupart des mineurs selon des procédures qui diffèrent de celles qui s'appliquent aux majeurs.

S'agissant des mesures éducatives et des sanctions appliquées en milieu ouvert, les difficultés constatées sont analogues à celles observées par les rapporteures au stade pré-sentenciel (voir supra). Ainsi, les professionnels de la PJJ sont confrontés à de multiples difficultés dans la prise en charge de ces jeunes : problème d'accès et d'adhésion aux soins, lenteur et complexité du système judiciaire, limites de l'accompagnement individuel, embarras, voire malaise, des équipes en charge du suivi du mineur face à la gravité des faits commis, solitude, découragement des professionnels, etc. D'autres difficultés ont été identifiées, telles que le manque de visibilité du parcours de soins et du parcours judiciaire des jeunes, l'insuffisance des échanges entre les professionnels de justice et du soin, le manque de connaissances mutuelles, les résistances en miroir entre les services, et la solitude et parfois le découragement des professionnels.

S'agissant du milieu fermé, les mineurs sont soumis à des dispositions particulières qui tendent à les séparer des majeurs. Il convient, à cet égard, de distinguer deux enjeux : celui de l'incarcération des mineurs - étant souligné que celle-ci reste exceptionnelle et réservée à des infractions particulièrement graves, en raison du principe constitutionnel précité de primauté de l'éducatif sur la sanction en ce qui concerne les délinquants mineurs - et celui de leur placement dans des structures d'enfermement spécifiques que sont les centres éducatifs fermés (CEF) ou renforcés (CER).

Pour ce qui concerne l'incarcération des mineurs, qui concernait (toutes infractions confondues) 732 d'entre eux au 1er janvier 202449(*), le code de la justice pénale des mineurs (CJPM) dispose que ceux-ci ne peuvent être détenus qu'au sein d'un quartier pour mineurs ou dans un établissement pénitentiaire spécialisé « garantissant l'intervention continue d'un service de la protection judiciaire de la jeunesse » (article L. 124-1). Il précise par ailleurs que ces établissements ou quartiers « garantissent une stricte séparation des détenus mineurs et majeurs » (article L. 124-2).

Selon un arrêté du 27 mai 2021 annexé au code de la justice pénale des mineurs, on dénombre à ce jour 6 établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs et 47 établissements disposant de quartiers pour mineurs50(*). Le taux d'occupation des places correspondantes était, au 1er janvier 2024, de 62 %51(*) en moyenne pour l'ensemble des structures concernées.

Comme le rappelait la Cour des comptes dans un rapport consacré aux CEF et aux établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) d'octobre 202352(*), les structures de milieu fermé pour les mineurs reposent sur « un projet ambitieux, consistant à organiser la détention [ou le placement] autour de l'action éducative et à engager d'importants moyens afin de favoriser la réinsertion des mineurs détenus ». Or, ce projet n'est, selon la Cour, plus respecté dans les faits.

S'agissant des EPM, ils doivent en théorie être dotés d'un projet d'établissement visant, entre autres, à permettre une prise en charge pluridisciplinaire des mineurs avec notamment un « binômage » entre administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse. La Cour relève que ces projets font défaut dans cinq EPM sur six. Elle y a également observé une insuffisance du temps consacré aux activités et à la scolarisation, largement inférieur à l'objectif (pourtant modeste) de 20 heures hebdomadaires fixé par une circulaire de 2013.

Plus encore, la Cour a constaté que le profil des surveillants pénitentiaires et des éducateurs de la PJJ affectés au sein des EPM n'était pas toujours « adapté aux missions particulières de ces établissements » : il va de soi que ce constat, qui pose problème pour les mineurs délinquants dans leur ensemble, est particulièrement préoccupant pour les MAICS, dont la prise en charge ne saurait aller sans un surcroît de formation pour l'ensemble des professionnels impliqués.

S'ajoutent à ce constat des difficultés liées à la répartition des mineurs entre les EPM et les quartiers « mineurs » des établissements généralistes (qui accueillent donc aussi des majeurs) : à cet égard, la Cour pointe l'existence d'« importantes différences de moyens et de prise en charge qui distinguent les établissements pour mineurs des quartiers pour mineurs », alors même que rien n'indique que les mineurs concernés présentent des profils différenciés.

En d'autres termes, s'agissant spécifiquement des MAICS incarcérés, il ne semble pas que ceux-ci soient prioritairement orientés vers des EPM, alors même que c'est au sein de ces établissements qu'ils pourraient faire l'objet d'une prise en charge certes imparfaite, mais plus efficace qu'au sein d'un quartier pour mineurs. Plus largement, même pour ceux qui seraient détenus en EPM, rien ne démontre que ces établissements disposent de moyens adaptés pour tenir compte des particularités de la réinsertion des auteurs d'infractions sexuelles, a fortiori mineurs : les rapporteures rappellent à ce titre que, contrairement à ce qui existe pour les majeurs, aucun établissement pour mineurs - quelle qu'en soit la nature - n'est à ce jour « fléché » pour les auteurs d'ICS.

Le constat n'est guère plus satisfaisant dans les CEF. La révélation, respectivement en 2017 et en 2018, de lourds dysfonctionnements par des rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme - qui pointaient l'existence de phénomènes importants de violences - a conduit à la suspension d'activité ou à la fermeture, parfois définitive, de plusieurs structures jusqu'en 2021.

Dans son rapport précité, la Cour des comptes alerte sur le fait que « ces difficultés répétées [qui] traduisent des défaillances graves dans l'encadrement des mineurs [...] perdurent, amplifiées par une insuffisante structuration des relations avec les partenaires institutionnels ». Outre les difficultés applicables aux mineurs délinquants dans leur ensemble (manque de professionnels qualifiés lié à un déficit d'attractivité des métiers du travail social, avec un recours croissant à l'intérim ; manque de coopération avec les éducateurs de milieu ouvert, y compris pendant la phase - pourtant cruciale - de préparation de la sortie ; articulation défaillante avec l'Éducation nationale, menant à l'isolement des professeurs affectés en CEF et partenariats insuffisants avec les établissements scolaires du secteur...), les rapporteures relèvent que des problèmes substantiels ont été pointés par la Cour s'agissant de la prise en charge des questions sanitaires, particulièrement essentielle pour les MAICS. En effet, selon le rapport précité :

« La prise en charge des questions sanitaires dans les CEF, quand elles dépassent les compétences de l'infirmière de l'équipe, est trop tributaire des arrangements trouvés localement avec les services hospitaliers et les professionnels libéraux de proximité. Contrairement au partenariat avec les forces de sécurité intérieure et l'éducation nationale, la coopération avec les établissements et professionnels de santé n'est pas encadrée par une circulaire. Au ministère chargé de la santé, la direction générale de l'offre de soins est engagée dans une collaboration avec l'administration pénitentiaire, avec l'appui des agences régionales de santé (ARS). Les antennes des hôpitaux qui sont implantés dans les établissements pénitentiaires sont dotées et organisées pour traiter, parallèlement à la patientèle adulte, les mineurs incarcérés qui ont besoin de soins, que les affections dont ils souffrent soient somatiques ou psychiques. Les CEF, en revanche, vu du ministère de la santé et des ARS, se situent dans un angle mort s'expliquant en partie par la petite taille de ces structures. Ni la PJJ ni le secteur associatif ne parvient à formaliser suffisamment son partenariat avec les établissements de santé. Les difficultés d'accès à la pédopsychiatrie, en particulier, alors que les jeunes enfermés dans les CEF sont particulièrement affectés par les troubles psychiques, sont expliquées par la DPJJ en premier lieu par le manque de moyens du secteur, aboutissant à des listes d'attente dans les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) et à l'insuffisance des hôpitaux de jour. Elle constate toutefois une augmentation des collaborations entre les DTPJJ et les ARS. »

Ce constat est d'autant plus inquiétant que les éléments réunis par les rapporteures n'ont pas accrédité l'idée d'une reprise en main du sujet par les ministères compétents à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes : il apparaît ainsi que les défaillances pointées en 2023 n'ont, à ce jour, pas été résolues, ce qui est de nature à susciter de lourdes difficultés pour la gestion des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel en milieu fermé.

Les rapporteures relèvent également que le ministère de la justice n'est pas doté d'un outil statistique permettant d'évaluer la pertinence du recours au milieu fermé, quelle qu'en soit la forme, pour les MAICS. Comme le rappelait Laurence Harribey dans son avis budgétaire sur les crédits de la PJJ au titre du projet de loi de finances pour 202553(*), faute pour le ministère d'être parvenu à déployer le logiciel prévu à cet effet, appelé « PARCOURS », il n'est toujours pas possible d'assurer le suivi statistique des mineurs délinquants, ce qui empêche de recenser les actes pris à leur égard par les acteurs compétents (magistrats, associations du secteur associatif habilité (SAH), éducateurs et personnels administratifs), y compris en ce qui concerne leur suivi en réinsertion à la sortie des services et établissements de la PJJ. Le projet prend aujourd'hui le visage d'un véritable « naufrage », et l'absence de suivi des parcours des mineurs rend impossible l'évaluation de l'efficacité des mesures prises envers les MAICS en termes de prévention de la récidive : cette situation est particulièrement préjudiciable aux mineurs eux-mêmes, mais aussi aux pouvoirs publics qui se trouvent privés d'outils pour déterminer les solutions les plus pertinentes pour éviter que des mineurs déjà condamnés pour des infractions à caractère sexuel ne commettent, à nouveau, des crimes ou des délits de même nature.

4. Hors de la détention : une exécution de la peine qui pâtit d'un manque de moyens et de coordination entre acteurs

Lorsque la peine est exécutée en tout ou partie hors de la détention, plusieurs mesures sont susceptibles de s'appliquer aux AICS, de nature à limiter le risque de récidive :

- mesures de sursis probatoire ou sursis probatoire renforcé (ainsi que d'autres obligations probatoires - de mise à l'épreuve - prévues par les articles 132-44 et 132-45 du code pénal), suspendant la peine d'emprisonnement à condition que l'auteur respecte les obligations et interdictions fixées par le juge, y compris le cas échéant une obligation de soins ;

aménagement de peine hors établissement pénitentiaire, par le biais d'une détention à domicile sous surveillance électronique, d'un placement à l'extérieur, d'une liberté conditionnelle, ou d'un fractionnement de peine ;

suivi socio-judiciaire, qui constitue le principal dispositif auquel les juges ont recours s'agissant du suivi des AICS à la sortie de détention et qui peut être assorti d'une injonction de soins.

La mise en place d'un suivi socio-judiciaire (SSJ) est décidée par la juridiction de condamnation, dans la majorité des cas à titre de peine complémentaire à une peine d'emprisonnement. Ce suivi prend alors le relais de la détention, dans le but notamment d'éviter les « sorties sèches », de faciliter la réinsertion sociale et de prévenir le risque de récidive.

Part des « sorties sèches » des AICS au sein de la population carcérale totale

Champ

Année

Écroués condamnés libérés au cours de l'année

dont libérés sans aménagement de peine

Part des condamnés libérés sans aménagement de peine (%)

 

Total condamnés libérés

2019

59 512

44 204

74,3 %

 

2020

56 700

38 985

68,8 %

 

2021

51 947

36 646

70,5 %

 

2022

55 582

39 544

71,1 %

 

2023

55 413

34 162

61,6 %

 

dont condamnés AICS libérés

2019

2 424

1 745

72,0 %

 

2020

2 491

1 657

66,5 %

 

2021

2 257

1 518

67,3 %

 

2022

2 304

1 594

69,2 %

 

2023

2 423

1 600

66,0 %

 

Source : Direction de l'administration pénitentiaire

Alors que les « sorties sèches » concernent plus de deux tiers des AICS condamnés libérés, un taux similaire à celui de la population carcérale générale, une meilleure prise en charge des AICS à la sortie de détention est indispensable ; d'autant que, comme ont rappelé aux rapporteures les représentants du syndicat des personnels d'insertion et de probation UFAP-UNSA Justice lors de leur audition du 18 février 2025, le risque de récidive est le plus élevé dans les six premiers mois qui suivent la sortie de détention.

Toutefois, les conditions dans lesquelles se mettent en place les mesures de prise en charge des auteurs à l'issue de leur détention ne permettent pas toujours un suivi approprié des AICS, du fait, d'un manque de moyens et d'un défaut de coordination pluridisciplinaire entre acteurs.

En outre, la pathologisation du traitement des auteurs de violences sexuelles, qui fait essentiellement reposer la prévention de la récidive sur le soin psychiatrique, rencontre des limites et doit, à tout le moins, être complétée par une action sociétale et des mesures visant à la réinsertion socio-professionnelle des auteurs rendue parfois difficile par le profil très particulier de cette population « post-carcérale ».

Enfin, il faut saluer l'émergence, timide mais réelle, de mesures alternatives au soin pour améliorer la prévention de la récidive, telles que le recours aux outils de justice restaurative.

a) Le suivi socio-judiciaire : un dispositif conçu pour les AICS qui souffre d'un manque de moyens, d'un défaut de coordination entre acteurs et d'une relative inadaptation des outils
(1) Le suivi socio-judiciaire et l'injonction de soins, des outils centraux dans la prise en charge des AICS post-détention

Au moment de sa condamnation, l'auteur d'infractions à caractère sexuel peut faire l'objet d'une décision de suivi socio-judiciaire (SSJ) prononcée par la juridiction de jugement, sur la base des articles 131-36-1 et suivants du code pénal.

Ce dispositif, créé par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs a été, dès l'origine, conçu comme un outil de prévention de la récidive des AICS. Il emporte des mesures de surveillance et d'assistance et suppose une articulation étroite entre les professionnels de la justice, de la santé et du secteur social.

Ainsi que le soulignait Maître Caroline Kazanchi, juriste correspondante pour le CRIAVS de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur lors de la table ronde organisée par la mission le 5 décembre 2024, « formellement, la question de la prévention de la récidive apparaît après la condamnation, principalement au travers de l'injonction de soins et, plus encore, du suivi socio-judiciaire, qui innerve l'intégralité du parcours carcéral et post-carcéral des auteurs d'infractions à caractère sexuel. Fruit d'une longue et intéressante recherche de consensus entre les sphères médicale et judiciaire, le suivi socio-judiciaire, introduit dans la loi en 1998, peut éventuellement être assorti d'une injonction de soins, dont la pertinence sera obligatoirement évaluée par un expert psychiatre, contrairement à l'obligation de soins. (...) l'objectif consiste à assurer un suivi post-carcéral, avec l'espoir d'éviter les sorties sèches et de guider les sorties. »

En matière criminelle ou délictuelle, le SSJ est prononcé à titre de peine complémentaire de la peine principale de réclusion, en même temps que la condamnation de l'auteur. Selon les données communiquées aux rapporteures par le ministère de la justice, entre 2019 et 2023, 51 % des condamnations pour viol et 11 % des condamnations pour agression sexuelle ont été assorties d'une peine complémentaire de SSJ. Au total, 20 % des individus condamnés pour viol ou agression sexuelle ont ainsi vu leur condamnation assortie d'un suivi socio-judiciaire.

Selon le ministère de la justice, cette situation s'explique par la nature même du SSJ : la mesure requérant l'intervention d'un nombre important d'acteurs (conseillers d'insertion et de prévention, juge d'application des peines, et médecin coordonnateur en cas d'injonction de soins...) et présentant, de ce fait, une certaine complexité opérationnelle, elle serait privilégiée dans les hypothèses de profils inquiétants ou récidivistes. Pour les autres profils, la pratique paraît être davantage celle du sursis probatoire avec obligation de soins, voire - plus étonnamment - celle du sursis simple lorsque l'infraction est de moindre gravité et que le « positionnement de l'auteur » le permet.

Le SSJ peut également être prononcé à titre de peine principale mais uniquement en matière délictuelle (article 131-36-7 du code pénal). Cela n'a concerné qu'1 % des condamnations pour agression sexuelle entre 2019 et 202354(*).

Le prononcé d'un suivi socio-judiciaire s'applique pour une durée proportionnée à la gravité de l'infraction.

Source : guide de l'injonction de soins du ministère de la santé

Le SSJ a vocation à s'appliquer à compter du jour où la privation de liberté a pris fin, donc à la sortie de détention, pour la durée fixée par la décision de condamnation.

Ce suivi emporte, sauf décision contraire de la juridiction de condamnation, une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi que le condamné est susceptible de faire l'objet d'un traitement, après une expertise médicale. Cette expertise doit être réalisée avant tout jugement au fond, le cas échéant dès le stade de l'enquête, dans les affaires de viol et d'agressions sexuelles, et l'expert est alors interrogé sur l'opportunité d'une injonction de soins (article 706-47-1 du code de procédure pénale). 

L'injonction de soins peut également être prononcée, postérieurement à la condamnation, dans le cadre du suivi socio-judiciaire d'une libération conditionnelle, d'une surveillance judiciaire ou d'une surveillance de sûreté.

Ce dispositif de soins pénalement ordonné a été spécifiquement conçu pour les AICS et peut être assorti d'un traitement inhibiteur de libido.

Il ne s'applique qu'à l'issue de la peine privative de liberté lorsqu'une telle peine a été prononcée, le condamné ayant toutefois la possibilité d'entreprendre des soins dès la détention, ce qui peut alors lui permettre d'obtenir alors des réductions de peine.

À sa sortie de détention, le condamné est informé qu'aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement mais que, s'il refuse les soins, l'emprisonnement prononcé dans le cadre du suivi sera mis à exécution ; en outre, il est systématiquement convoqué par le juge de l'application des peines pour rappel des obligations auxquelles il est soumis.

Le suivi socio-judiciaire peut également comprendre, à titre de mesure de sûreté, un placement sous surveillance électronique mobile (PSEM)55(*). Cependant, selon les données transmises aux rapporteures par le ministère de la justice, entre 2019 et 2023, seuls 53 PSEM ont été prononcés dans le cadre de condamnations pour au moins une infraction sexuelle.

(2) Les limites d'une injonction de soins insuffisamment ciblée : difficultés matérielles d'application et limites conceptuelles
(a) Des limites quantitatives : des injonctions dont la fréquence effective ne peut pas être mesurée à ce jour

Les premières limites des injonctions de soins concernent, comme pour d'autres outils pourtant essentiels à la prévention de la récidive des AICS, l'impossibilité d'en établir une évaluation quantitative fiable.

En effet, les données communiquées aux rapporteures par le ministère de la justice indiquent que 650 à 800 injonctions de soin sont prononcées chaque année en complément à un sursis probatoire ou un suivi socio-judiciaire (les données ne distinguant pas ces deux cas de figure) pour une infraction sexuelle. Ainsi, environ 10 % des AICS condamnés (mais un quart de ceux condamnés pour viol) semblent faire l'objet d'une injonction de soins.

Condamnations, suivis socio-judiciaires et injonctions de soins prononcées à l'encontre d'auteurs de viol ou d'agressions sexuelles en 2023

 

Viol

Agression sexuelle

Total

Suivi socio-judiciaire (à titre de peine principale ou complémentaire)

721

55 % des condamnations

603

11 % des condamnations

1 324

19 % des condamnations

Injonction de soin

339

26 % des condamnations

371

7 % des condamnations

11 % des condamnations

Total des condamnations

1 300

5 399

6 699

Source : calculs de la mission à partir de données du ministère de la justice

Selon la même source, en 2023, 710 injonctions de soins et 131 injonctions thérapeutiques ont été prononcées dans le cadre d'un sursis probatoire ou d'un suivi socio-judiciaire pour infraction sexuelle, soit 13 % du total des condamnations pour viol ou agressions sexuelles la même année, sans même évoquer les condamnations pour d'autres infractions à caractère sexuel.

Ces chiffres soulèvent deux difficultés.

D'une part, ils sont singulièrement bas et contrastent avec l'état du droit, qui impose, « sauf décision contraire de la juridiction », qu'une telle injonction soit prévue pour toute personne soumise à un suivi socio-judiciaire (article 131-36-4 du code pénal). Ils sont également en contradiction avec les déclarations recueillies par les rapporteures lors de leurs déplacements et auditions sur la systématicité des injonctions de soins pour les AICS ayant commis un viol, une agression sexuelle ou toute autre infraction grave.

Les représentants de l'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP) ont ainsi estimé, au cours de leur audition par les rapporteures le 12 février 2025, que la loi était très incitative au prononcé de SSJ par les juridictions de condamnation et que la définition du public éligible à l'injonction de soins comme étant « susceptible de recevoir un traitement » était très large. Par conséquent, ils ont appelé à s'interroger sur son caractère trop systématique, d'autant plus que son application concrète est souvent percutée par la réalité des moyens dévolus à la prise en charge sanitaire des auteurs de violences sexuelles.

D'autre part, les renseignements recueillis par les rapporteures permettent d'établir que ces statistiques ne reflètent pas l'intégralité des mesures d'injonction de soins mises en application à l'encontre des AICS. Il apparaît en effet, toujours selon les services du ministère de la justice, que :

la juridiction de jugement peut prononcer un SSJ sans ordonner une injonction de soins pour plusieurs raisons : cette absence peut résulter soit du fait que la mesure n'est pas préconisée par le rapport d'expertise, soit d'une volonté de laisser le juge de l'application des peines prévoir cette injonction s'il l'estime utile, soit - et de manière plus surprenante - d'une analyse tendant à estimer que le prononcé d'une injonction est inutile en raison de l'automaticité prévue par la loi. S'agissant du second point, le ministère indique qu'un certain nombre (dont la proportion n'est pas quantifiée...) de JAP estiment que l'injonction de soins s'applique dès lors qu'elle n'a pas été expressément écartée par la juridiction de jugement, les conduisant à l'intégrer au SSJ au stade de l'exécution de la peine ;

les chiffres transmis n'intègrent pas intégralement les mesures ajoutées en cours d'exécution. Si le JAP a la faculté de mettre en place une injonction de soins en fin de peine, lorsque l'expertise ordonnée en amont de la libération du condamné AICS révèle que la conduite d'un tel traitement est possible, et si cette mise en place est normalement reflétée par les applicatifs du ministère, il n'en reste pas moins que dans certains ressorts, les mesures d'injonctions de soins ajoutées par les JAP ne sont pas enregistrées dans les bases de données de l'administration centrale, que ce soit en raison de la charge de travail pesant sur ces magistrats ou de l'absence d'un médecin coordinateur pour garantir la mise en oeuvre effective des traitements.

En tout état de cause, les rapporteures s'interrogent sur le faible nombre d'injonctions de soins effectivement recensées par les services du ministère comme sur les difficultés que ceux-ci rencontrent dans la mise en place d'un réel suivi des mesures prononcées - sans même évoquer la perspective d'une évaluation, pourtant opportune, de leur efficacité.

(b) Des difficultés d'ordre « matériel »

Les rapporteures ont également pu constater, au cours de leurs travaux, les difficultés matérielles liées à l'application du suivi socio-judiciaire. Si, comme l'a rappelé l'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP) au cours de son audition le 12 février 2025, les AICS sont rarement réfractaires aux soins, la vraie difficulté réside dans les délais d'attente et la possibilité d'avoir accès à des soignants.

Le bon déroulé de l'injonction de soins à laquelle a été condamné l'auteur à la sortie de sa détention se heurte non seulement au manque de moyens disponibles (manque de médecins et de soignants, manque de structures sanitaires susceptibles de l'accueillir) mais aussi à un défaut de coordination et de communication entre les différents acteurs impliqués dans la mise en oeuvre de son suivi socio-judiciaire, comme l'ont souligné plusieurs interlocuteurs de la mission.

La mise en place effective d'une injonction de soins exige d'abord la présence d'un médecin coordonnateur qui joue le rôle d'interface entre l'autorité judiciaire et les soignants du condamné.

Lors de la table ronde avec des représentants de Criavs organisée par la mission le 5 décembre 2024, la docteure Hélène Denizot-Bourdel, psychiatre, responsable médicale régionale du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes, a rappelé que, « nommé par le juge, le médecin coordonnateur reçoit le dossier pénal et sert d'interface entre la justice et le thérapeute. (...) Il revoit l'auteur une fois par trimestre afin d'évaluer son implication dans les soins et son évolution ; il établit aussi un rapport destiné au service de l'application des peines une fois par an, rapport qu'il transmet également au Spip. Distinct d'un expert, le médecin coordonnateur n'a donc pas vocation à se prononcer sur la dangerosité psychiatrique ou criminologique de l'auteur, il n'est pas non plus thérapeute traitant. »

Or, l'attention des rapporteures a été, à de multiples reprises, attirée sur la pénurie de médecins coordonnateurs susceptibles d'accomplir cette mission. Cette pénurie est aggravée par des règles d'incompatibilité qui interdisent de nommer comme coordinateur le psychiatre qui a réalisé l'expertise du condamné ou celui qui est chargé de ses soins.

Interrogée sur ce point par les rapporteures, la Conférence nationale des procureurs généraux (CNPG) a tenu à souligner « les difficultés à recruter des médecins coordonnateurs et à assurer le suivi psychiatrique, notamment dans le cadre des injonctions de soins. Toutes les juridictions ont les plus grandes difficultés à mobiliser les psychiatres et les services de psychiatrie. C'est un problème majeur qui passe d'abord par une mobilisation de la psychiatrie lorsqu'elle intervient au bénéfice et dans le cadre d'une procédure judiciaire ».

De même, dans sa contribution adressée aux rapporteures, la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaire (CNPTJ) relève que, « pour les personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire, le nombre trop peu important de médecins coordonnateurs ne permet pas de tirer tous les avantages des mécanismes de l'injonction de soins. Il s'agit d'un mécanisme où le médecin coordonnateur (...) peut être un véritable levier d'incitation à l'engagement dans les soins et permettre à terme une prise de conscience nécessaire de l'importance des soins mais aussi du questionnement sur les mécanismes personnels en action. En effet, le condamné sait que si le médecin coordonnateur estime insuffisants les soins mis en place, il en avisera le juge d'application des peines qui pourrait mettre à exécution une partie de la peine d'emprisonnement envisagée en cas d'irrespect du suivi socio-judiciaire. »

De fait, l'ANJAP, lors de son audition, a pointé la faible disponibilité des médecins coordonnateurs, précisant que ces derniers ne devraient pas avoir à traiter plus de soixante auteurs condamnés à un SSJ par trimestre (soit vingt entretiens par mois). Dans la mesure où ces médecins continuent, par ailleurs, d'exercer leur activité de psychiatre au quotidien, leur prise en charge spécifique des AICS dans le cadre d'une injonction de soins est de plus en plus complexe.

L'ANJAP a également soulevé les difficultés associées à un éventuel questionnement de la responsabilité du médecin coordonnateur en cas de récidive de l'auteur, peu incitatif à l'exercice de cette mission spécifique par les psychiatres.

Enfin, outre la faible rémunération dont bénéficient ces psychiatres au titre de leur activité de médecins coordonnateurs, l'ANJAP a souligné le vieillissement de la population des médecins coordonnateurs, redoutant qu'arrivant à l'âge de la retraite, ils ne soient tout simplement pas remplacés.

Les conditions de sortie de détention des AICS condamnés à un SSJ assorti d'une injonction de soins s'avèrent donc problématiques dès lors que le vivier de médecins coordonnateurs n'est pas suffisant pour assurer ce suivi.

La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice a indiqué aux rapporteures ne pas disposer d'étude menée sur l'efficacité de la peine de suivi socio-judiciaire sur la prévention de la récidive, notamment pour les auteurs d'infractions à caractère sexuel.

Elle a, en revanche, été alertée à plusieurs reprises sur les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre des peines de suivi socio-judiciaire, en raison des contraintes liées à l'offre de soins, lesquelles relèvent du ministère de la santé et de l'accès aux soins.

Elle a notamment souligné qu'« alors qu'ils sont indispensables au suivi de la peine de suivi socio-judiciaire, les médecins coordonnateurs sont en nombre insuffisant pour les ressorts qui en sont dotés, certains ressorts n'en disposant pas. Au 1er février 2023, 419 postes de médecins coordonnateurs ont été recensés sur les listes établies par les procureurs de la République dont 106 exerçant sur le ressort de plusieurs tribunaux judiciaires, soit un effectif global de médecins d'environ 300. 11 tribunaux judiciaires et 4 cours d'appels n'avaient aucun médecin coordonnateur sur leur ressort, correspondant à 8 départements. »

À cet égard, lors de leur déplacement à Caen, les rapporteures ont été informées par la juge de l'application des peines du tribunal judiciaire que le ressort de Caen ne disposait que d'un seul médecin psychiatre coordonnateur pour 150 suivis socio-judiciaires.

De même, dans une communication transmise aux rapporteures, l'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France a souligné le nombre restreint de médecins coordonnateurs inscrits sur les listes, « insuffisant pour permettre aux juges de l'application des peines de désigner sereinement systématiquement des médecins coordonnateurs ». Elle a également regretté le manque d'encadrement de l'exercice de leurs missions ainsi que l'absence de définition d'un référentiel de bonnes pratiques et d'outils communs partagés, destinés à l'ensemble des médecins coordonnateurs.

Outre le rôle du médecin coordonnateur, le bon déroulé du SSJ, et plus particulièrement de la mise en oeuvre de l'injonction de soins, suppose que l'AICS puisse effectivement accéder aux soins thérapeutiques qui lui ont été prescrits. Or, la crise majeure que connaît la psychiatrie en France aujourd'hui ne permet pas d'assurer une prise en charge adéquate des auteurs d'infractions à caractère sexuel.

Pour Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des Criavs, intervenant lors de la table ronde précitée réunissant des représentants de Criavs, la pénurie et la faible disponibilité de psychiatres « expliquent que les personnes sortant de prison avec une injonction de soins à la suite d'une condamnation pour viol éprouvent autant de mal à obtenir l'aide d'un professionnel. Nous ne progresserons pas sans soutenir et étoffer notre système de soins psychiatriques. »

De même, Hélène Denizot-Bourdel, psychiatre, responsable médicale régionale du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes, a relevé que « parmi les difficultés à signaler, le système de santé peine à accueillir les personnes souffrant de troubles psychiques puisqu'il faut parfois six mois pour obtenir un rendez-vous, tandis que les listes d'attente sont démesurées. Les CMP [Centres médico-psychologiques] sont, quant à eux, submergés par des personnes souffrant de maladies très aiguës. (...) Les difficultés résident dans l'accès aux soins et dans la mise en place - ou le maintien, parfois - de traitements spécifiques pour une minorité d'auteurs davantage à risque de rechute et de récidive. »

Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France, a quant à lui souligné l'existence de différences d'accès aux soins entre régions : « la problématique à l'origine des différences que l'on constate entre les régions tient à ce que, dans certaines d'entre elles, les personnes incitées à suivre des soins ne peuvent guère obtenir autre chose, y compris auprès d'établissements fléchés ou de structures extérieures spécialisées comme les CMP, que la preuve qu'elles sont inscrites sur une liste d'attente. Les pratiques varient selon les régions en fonction des contraintes qui y prévalent. Par endroits, des injonctions de soins interviennent sans médecin coordonnateur faute d'un tel spécialiste. Ailleurs, les Spip et les JAP doivent se satisfaire d'un document qui atteste d'une démarche pour obtenir des soins auprès d'un psychologue ou d'un psychiatre, à défaut de disponibilité de ces professionnels. »

Enfin, l'efficacité de l'injonction de soins trouve également ses limites dans le manque de coordination, pourtant indispensable, entre les différents acteurs concernés par sa mise en oeuvre.

Comme l'ont souligné de nombreux interlocuteurs de la mission, la réussite de l'injonction de soins repose notamment sur le respect de sa logique pluridisciplinaire, gage d'une prise en charge plus solide du risque de récidive.

Lors de la table ronde du 5 décembre 2024, maître Caroline Kazanchi, juriste correspondante pour le Criavs Provence-Alpes-Côte d'Azur, rappelait qu'« un suivi s'intègre dans une logique pluridisciplinaire, comme nous l'enseigne la criminologie : le passage à l'acte criminel ne peut être appréhendé au seul prisme d'un trouble psychiatrique - quel qu'il soit -, mais doit également intégrer des critères d'ordre environnemental. »

Pourtant, selon elle, cette logique pluridisciplinaire fait souvent défaut lors de la mise en oeuvre du suivi socio-judiciaire : « ni le ministère de la santé, ni le ministère de la justice, ni l'administration pénitentiaire - tous trois concernés par la prévention de la récidive des auteurs d'infractions à caractère sexuel - n'ont réellement coopéré, en dépit du fait que la loi de 1998 était le fruit de leur association », précisait encore maître Kazanchi.

Or, l'articulation entre les acteurs qui accompagnent les AICS est primordiale pour la réussite du SSJ : il importe que les professionnels de la justice, de l'administration pénitentiaire - au premier rang desquels les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) - et du secteur sanitaire travaillent de concert et avec le même objectif d'un accompagnement cohérent.

L'échange d'informations entre tous ces acteurs constitue une des clés de la réussite du suivi socio-judiciaire des auteurs. Or, la difficulté tient non seulement à leur nombre important (JAP, CPIP, médecin coordonnateur, psychiatre traitant, psychologue traitant) mais aussi au changement de personnes assurant le suivi tout au long de sa durée.

Lors d'une table ronde organisée par les rapporteures le 22 janvier 2025 avec des représentants du ministère de la santé et de la prévention, et de différentes agences régionales de santé, l'ARS de Bourgogne-Franche-Comté a particulièrement insisté sur la nécessité de développer une « culture commune » entre les différents intervenants en détention et hors détention, notamment entre les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et les personnels des unités sanitaires en organisant des formations ou événements les regroupant.

La période qui suit la libération pouvant être particulièrement critique pour l'auteur d'infractions à caractère sexuel, des expériences d'équipes mobiles transitionnelles (EMOT) spécifiquement destinées aux AICS ont vu le jour : elles ont vocation à faciliter la continuité des prises en charge dans la période de transition entre le milieu carcéral et le milieu ouvert, et visent à accompagner les individus détenus souffrant de troubles psychiatriques sévères lors de leur libération. D'après l'Association des juges de l'application des peines (ANJAP), entendue par les rapporteures le 12 février 2025, ces expériences sont très concluantes mais limitées sur l'ensemble du territoire. En effet, à ce jour, seules deux initiatives de ce type ont vu le jour : à Lille et à Toulouse.

(c) Les limites « conceptuelles » du dispositif

Outre les limites d'ordre matériel à la bonne mise en oeuvre du suivi socio-judiciaire, les rapporteures ont également identifié les limites conceptuelles de ce dispositif.

Tout d'abord, elles s'interrogent sur la temporalité du suivi socio-judiciaire : par nature, lorsqu'elle n'est prononcée en lieu et place de l'incarcération dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire, l'injonction de soins s'applique à l'auteur longtemps après les faits, souvent après plusieurs années de détention durant lesquelles l'auteur a pu souhaiter ne se soumettre à aucune forme de soins. Cette situation est de nature à remettre en cause l'efficacité de la mesure elle-même, et soulève des interrogations quant à sa pertinence lorsqu'elle est prononcée à l'issue d'une peine privative de liberté.

Par ailleurs, le principe même du caractère théoriquement systématique de l'injonction de soins dans le cadre du SSJ peut être questionné.

Ainsi que le formulait Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des CRIAVS, « le soin ne constitue pas l'alpha et l'oméga de la prise en charge des auteurs de violences sexuelles. Il est plus ou moins adapté selon les profils et n'est jamais suffisant pour prévenir la récidive », ajoutant qu'« il faut d'abord, en matière sociétale, rééduquer les esprits et circonscrire les systèmes de domination - de l'adulte sur l'enfant, de l'homme sur la femme, du supérieur hiérarchique sur son subordonné -, ce qui ne relève nullement du soin ». 

Si l'intérêt du soin en matière de prévention de la récidive des auteurs de violences sexuelles ne doit pas globalement être remis en question, il ne saurait constituer l'unique instrument de leur prise en charge ni être uniquement conçu comme du soin psychiatrique car, comme l'ont souligné de nombreux interlocuteurs de la mission, de nombreux AICS ne souffrent pas d'une pathologie psychiatrique.

Or, la pathologisation des violences sexuelles fait reposer la prévention de la récidive en matière d'infractions sexuelles sur le soin. Ce principe est aujourd'hui discuté par différents experts.

De l'avis de Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France, entendu lors de la table ronde précitée du 5 décembre 2024, « l'engorgement [des services psychiatriques] est aussi dû à une quasi-absence de sélection et à la faiblesse de l'évaluation mise en oeuvre pour choisir une prise en charge appropriée des différents profils ». C'est pourquoi, « le secteur psychiatrique est débordé et ne trouve pas nécessairement sa place dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles, peut-être en raison d'un manque de formation, mais sans doute aussi en raison d'un élargissement considérable des missions ». La systématisation de l'injonction de soins résulte notamment d'un manque « d'outils et de consensus d'experts qui permettraient de dire que telle problématique relève d'une injonction de soins, [nous] procédons en quelque sorte au doigt mouillé. »

Lors de la table ronde du 6 février 2025 réunissant experts psychiatres et psychologues, plusieurs intervenants ont insisté sur le fait que les auteurs d'infractions à caractère sexuel ne relèvent pas tous d'une prise en charge psychiatrique.

Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), président de la Compagnie nationale des experts psychiatriques près les cours d'appel (CNEPCA), s'est ainsi exprimé : « la dernière question que tout le monde se pose est celle de savoir si tous les auteurs d'infraction à caractère sexuel (AICS) présentent des maladies psychiatriques ou des déviances sexuelles. Absolument pas ! La présence de troubles psychiatriques, pris au sens large - troubles de la personnalité, psychopathes, personnalités borderline -, est de l'ordre de 40 % à 60 %. Environ la moitié des auteurs ne présente donc aucun trouble. La déficience mentale, surtout en institution, ainsi que les états dépressifs passagers et les conduites addictives peuvent également se retrouver dans le passage à l'acte. »

De même, Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP), a relevé que, « concernant les auteurs, assez peu d'entre eux sont atteints de troubles psychiatriques. Dès lors, il ne semble pas totalement pertinent de penser la notion de récidive sous l'angle unique de la psychopathologie ou de la psychiatrie ».

Dès lors, il apparaît nécessaire de réfléchir à une nouvelle architecture de la prévention de la récidive qui ne reposerait pas exclusivement sur le traitement psychiatrique mais privilégierait également d'autres formes de prise en charge, par le relais de psychologues et sans se dispenser d'un accompagnement social et éducatif.

Il apparaît, plus largement, indispensable de s'interroger sur la mise en place d'une véritable évaluation du dispositif de l'injonction de soins dans sa forme actuelle, a fortiori dans un contexte où celle-ci est conçue à ce jour comme un outil majeur de prévention de la récidive des AICS.

En effet, et comme l'a souligné Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France lors de la table ronde du 5 février 2024, « la loi de 1998 n'a jamais fait l'objet d'une véritable évaluation. (...) À ce jour, nous sommes incapables en France de savoir immédiatement combien d'injonctions de soins sont en cours d'exécutionL'absence de données nous met en difficulté et une étude ne suffirait pas ; il faudrait, à l'instar de ce qui existe à l'étranger, accumuler et conserver les informations, pendant dix ou quinze ans, pour disposer ensuite d'éléments concrets d'appréciation sur les profils des récidivistes et leurs divers déterminants socio-économiques, psychologiques, etc. »

L'absence d'évaluation de l'efficacité des outils déployés par la loi de 1998 en matière de suivi post-carcéral des auteurs d'infractions à caractère sexuel suscite l'interrogation des rapporteures car, ainsi que l'a souligné Maître Caroline Kazanchi, juriste correspondante pour le CRIAVS de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, « le suivi socio-judiciaire a été rendu générique, tout comme l'injonction de soins. (...) Cette injonction de soins est pourtant lourde puisqu'elle nécessite, à la différence de l'obligation de soins, un médecin coordonnateur, alors que nous connaissons bien la pénurie qui affecte cette professionLorsque seulement deux ou trois médecins sont présents pour toute une région, il est difficile d'expliquer que ce soin et ce suivi post-carcéral peuvent être efficaces. »

(3) Outre le soin, les autres facteurs décisifs du processus de désistance post-détention

Faire du soin psychiatrique la pierre angulaire du traitement préventif de la récidive des AICS peut mener à une impasse si les autres facteurs susceptibles de favoriser la récidive, notamment ceux en lien avec l'environnement social de l'auteur, ne sont pas pris en compte, d'autant plus que cette population présente des spécificités de nature à freiner le processus de désistance, qui correspond à l'abandon de comportements délinquants et à l'orientation vers la réinsertion sociale.

Comme l'a indiqué à la mission Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des Criavs, le processus de désistance est « le processus de sortie des parcours de délinquance - en l'occurrence d'agressions sexuelles - qui permet d'éviter la récidive, ce qui conduit à mettre en évidence les facteurs protecteurs davantage que les facteurs de risque. Les études internationales sont claires : le soin y contribue dans une certaine mesure, mais l'hébergement, le travail ou le réseau social jouent également. » Selon elle, « toutes les études montrent que, pour diminuer le risque de récidive, il est essentiel de prévoir des aménagements de peines et d'éviter à tout prix les sorties sèches de prison. Les facteurs sociaux - hébergement, emploi, réseau social - comptent encore plus que les soins pour protéger du risque de récidive. Or, beaucoup de patients sortent encore après de longues peines sans emploi, sans hébergement, sans aucun réseau social, et parfois même sans papiers ni carte vitale... Dans ces conditions, il n'est pas possible pour eux de poursuivre les soins. »

Les AICS sortant de détention présentent un profil à part au sein de la population post-carcérale avec les principales caractéristiques suivantes :

- une moyenne d'âge plus élevée que le reste de la population carcérale, si bien qu'à la sortie de détention les AICS, souvent condamnés à de longues peines de réclusion (dix ans ou plus), sont déjà âgés, dans l'incapacité de se réinsérer professionnellement et parfois même en situation de dépendance ;

- un délitement des liens familiaux et sociaux au fil des années : à la sortie de détention, les AICS se retrouvent souvent sans attache ni lien familial ou amical. La rupture des liens familiaux et sociaux complique le processus de désistance et la réinsertion post-carcérale ;

- un accès à l'hébergement et au logement à la sortie de détention très difficile dans un contexte global extrêmement tendu en matière d'hébergement d'urgence et de logement social ;

- une insertion professionnelle hypothéquée par toutes les caractéristiques précédemment évoquées ;

- et, par conséquent, une paupérisation accrue de cette population.

Ces différentes spécificités des AICS doivent être prises en considération au moment de la préparation de leur sortie de détention afin d'anticiper le plus possible la récidive.

Lors de leur déplacement à Caen le 31 janvier 2025, les rapporteures ont pu constater ces particularités au travers de leurs échanges avec le personnel du centre pénitentiaire de Caen ainsi qu'avec les différents acteurs locaux dédiés à la prise en charge des AICS.

Il leur a ainsi été indiqué que la construction de projets professionnels avec cette population vieillissante n'était, par nature, pas à l'ordre du jour et que la construction de projets sans dimension professionnelle mais permettant tout de même une réinsertion post-carcérale devait être poursuivie.

Elles ont également pu constater au cours de leurs échanges avec le personnel des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) que, non seulement la moyenne d'âge des détenus du centre pénitentiaire de Caen, composé à 80 % d'AICS, était plus élevée que le reste de la population carcérale, avec un quart de détenus de plus de 60 ans, mais aussi qu'elle souffrait d'un phénomène de vieillissement précoce. Or, il a été indiqué aux rapporteures que l'orientation de ce public vers des résidences seniors ou des EHPAD à la sortie de la détention se révèle quasiment impossible car ce profil judiciaire effraie les responsables de ces structures.

Pour cette population, le premier levier d'insertion est incontestablement celui du lieu de vie post-détention (hébergement ou logement). Cependant, dans un contexte général très tendu en matière d'hébergement d'urgence et d'accès au logement, il est d'autant plus difficile de trouver des places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) voire en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) pour les AICS les plus âgés dont un certain nombre est grabataire.

Dans le département du Calvados par exemple, la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) a indiqué aux rapporteures qu'un seul CHRS de 30 places sur tout le département était en mesure d'accueillir des hommes seuls et que, malgré une diversification des offres d'hébergement (résidences sociales, intermédiations locatives, etc.), il demeurait extrêmement difficile de trouver un lieu d'hébergement aux AICS sortant de prison en raison de leur profil très particulier.

Lorsque l'accès à l'hébergement ou au logement s'avère impossible, le suivi socio-judiciaire de l'AICS est lui-même fortement compromis. Ainsi que le soulignait devant la mission Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France : « des obligations ou des injonctions de soins décidées pour des personnes qui dorment dans la rue n'ont guère de sens, et j'estime qu'il faut arrêter de prendre ce type de décisions. Étant moi-même médecin coordonnateur, j'estime qu'environ 15 % des personnes que je suis ne viennent pas me voir car elles ne disposent ni de téléphone ni d'adresse fixe. »

C'est pourquoi les rapporteures estiment qu'une attention particulière doit être portée aux facteurs de désistance autres que le soin psychiatrique ; au premier rang desquels l'insertion sociale, l'accès à un hébergement et la lutte contre les addictions, qui constituent autant de moyens complémentaires de prévenir la récidive.

(4) Des mesures spécifiques aux MAICS 

S'agissant plus spécifiquement du public des mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel (MAICS), le rapport de recherche de Marie Romero56(*) sur la prise en charge des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), publié en octobre 2022, indique que les MAICS font rarement l'objet de peines de suivi socio-judiciaire (5% des mineurs condamnés, surtout en cas de viol).

En outre, le rapport de recherche note que rares sont les services de santé spécialisés dans la prise en charge des MAICS : les structures médicales sont en effet saturées et parfois réticentes à l'accueil de cette population de mineurs. Ces mineurs ont beaucoup de mal à aller vers le soin et à y adhérer. Les professionnels éprouvent des difficultés pour engager des mineurs auteurs dans une démarche de soins contraints sans qu'ils n'y adhèrent.

Des dispositifs de prise en charge dédiée aux MAICS existent pourtant et permettent :

- de proposer un référentiel commun d'intervention aux professionnels ;

- d'assurer un cadre cohérent aux mineurs.

Il existe ainsi quatre types de dispositifs spécifiques de prise en charge des MAICS : des dispositifs de soins (prise en charge thérapeutique individuelle, groupale, familiale) ; des dispositifs de prise en charge dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse ; des dispositifs de psychoéducation ; des dispositifs de justice restaurative.

Source : synthèse du rapport de recherche de Marie Romero sur la prise en charge des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel à la protection judiciaire de la jeunesse (octobre 2022)

D'après les éléments fournis aux rapporteures par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), 20 à 25 % des condamnations de mineurs pour viol s'accompagnent du prononcé d'un SSJ à titre de peine complémentaire. En outre, moins de 4 % des condamnations de mineurs pour agression sexuelle donnent lieu au prononcé d'un SSJ au titre de peine principale ou de peine complémentaire. En revanche, aucune donnée n'est disponible sur les obligations et injonctions de soins.

Nombre et nature des SSJ prononcés à l'égard de MAICS en fonction du type de condamnation

 

SSJ prononcés
en peine principale

SSJ prononcés
en peine complémentaire

2021

   

sur 407 condamnations pour viol concernant 396 mineurs

moins de 5

86

sur 1 408 condamnations pour agression sexuelle concernant 1 391 mineurs

15

18

2022

   

sur 282 condamnations pour viol concernant 276 mineurs

aucun

61

sur 1 134 condamnations pour agression sexuelle concernant 1 118 mineurs

15

19

2023

   

sur 271 condamnations pour viol concernant 264 mineurs

moins de 5

68

sur 1 151 condamnations pour agression sexuelle concernant 1 130 mineurs

15

23

Source : direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) - Ministère de la justice

La DPJJ souligne que le suivi des MAICS peut s'avérer difficile. La désertification médicale, les difficultés d'accès aux soins en pédopsychiatrie impactent fortement la prise en charge éducative. Ce constat est partagé par la direction générale de la santé : la démographie médicale est mise à mal au moins pour la prochaine décennie, et des solutions innovantes et créatives partenariales doivent se construire au regard des ressources territoriales.

La prise en charge des MAICS peut se faire auprès de centres médico-psychologiques (CMP) spécialisés. Certains centres de santé sexuelle de conseils départementaux, mais très à la marge, s'autorisent à les prendre en charge.

b) L'enjeu de l'exécution des autres peines complémentaires

Outre l'injonction de soins prononcée dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire, d'autres types de peines complémentaires peuvent être prononcés par le juge pénal à l'encontre des auteurs d'infractions à caractère sexuel.

C'est le cas notamment de la peine complémentaire de restriction professionnelle des condamnés assortie d'une interdiction de tout contact avec des mineurs, ou encore de l'interdiction du territoire français assortie d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) à la sortie de la détention. Ces peines complémentaires visent notamment à limiter le risque de récidive des auteurs condamnés.

Toutefois, l'exécution de ces peines complémentaires prononcées à l'encontre des auteurs d'infractions à caractère sexuel peut souffrir de dysfonctionnements en raison du lien insuffisant entre la sphère pénale et les autres acteurs impliqués dans l'exécution de la peine. La mission estime donc nécessaire d'améliorer ce lien et la communication entre le juge et les entités concernées par l'exécution de la peine.

S'agissant de l'interdiction de contact avec les mineurs et des mesures de restriction professionnelle afférentes, elles découlent notamment de l'inscription des individus condamnés pour infractions sexuelles au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv).

Le nombre d'inscrits au Fijaisv est important et en augmentation régulière : il présentait un total d'environ 80 000 inscrits au 31 décembre 2018 contre plus de 111 000 inscrits au 30 septembre 2024.

L'inscription au Fijaisv des AICS relève d'une logique de « limitation de l'opportunité criminelle », ainsi que l'a formulé Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lorraine, lors de son audition par les rapporteures le 11 décembre 2024. Or, la question du contrôle du respect de cette interdiction se pose avec acuité surtout lorsque la communication entre la sphère pénale et le reste des administrations concernées par l'exécution de la peine complémentaire est défaillante.

Interrogée sur ce point par les rapporteures, la direction des affaires criminelles et des grâces a apporté la réponse suivante : « si l'une des finalités du FIJAISV est, en effet, la prévention du renouvellement des infractions de l'article 706-47 du code de procédure pénale, son utilité concrète dans ce domaine passe par l'accessibilité des administrations à l'ensemble des données du fichier, dès lors qu'elles doivent intervenir dans une activité au contact des mineurs. L'objectif ainsi recherché est d'éviter que des auteurs des infractions de l'article 706-47 ne se retrouvent, grâce à leur position professionnelle ou sociale, en situation de commettre des faits similaires sur des mineurs. Récemment, la loi a étendu le périmètre de cette prévention administrative du renouvellement de ces infractions à certaines activités concernant des majeurs en situation de vulnérabilité. S'il est impossible de déterminer dans quelle mesure ces consultations administratives ont pu prévenir la commission de tels actes sur les mineurs, l'on peut constater néanmoins qu'entre 2021 et 2024 le nombre des consultations du FIJAISV a très fortement progressé, passant de 3.000.000 environ à plus de 6.400.000. Ce qui paraît attester sans ambiguïté et de la mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés et de la parfaite prise de conscience de l'importance de ces vérifications. »

Dans ses travaux récents sur la proposition de loi57(*) présentée par Marie Mercier, déposée au Sénat le 11 septembre 2024, tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, la commission des lois a reconnu que ce fichier constituait un outil essentiel à la prévention des crimes et délits les plus graves, à l'identification des auteurs des infractions commises ainsi qu'à la mise en oeuvre des mesures de sûreté pouvant être imposées aux personnes condamnées ou mises en cause pour les mêmes faits.

Souscrivant au constat posé par la proposition de loi sur les lacunes du droit en vigueur privant ce fichier d'une partie de son efficacité, la commission a souhaité en conforter les dispositifs et garantir leur pleine applicabilité opérationnelle. Adoptée en première lecture par le Sénat le 5 novembre 2024, la proposition de loi prévoit ainsi d'améliorer l'efficacité du Fijaisv et du Fijait (pour les auteurs d'infractions terroristes) et de faciliter l'accès, par certaines entités publiques ou privées, aux données qu'ils contiennent.

Les principales dispositions de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, adoptée en première lecture par le Sénat

La proposition de loi adoptée en première lecture par le Sénat le 5 novembre 2024 :

prévoit l'information de l'autorité académique et du chef d'établissement en cas de mise en examen ou de condamnation pour une infraction terroriste d'une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans ledit établissement ;

impose à l'officier d'état civil de saisir le procureur de la République lorsqu'une personne demande un changement de prénom ou de nom alors qu'elle a été condamnée pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour une infraction sexuelle ou violente grave, ou alors qu'elle est inscrite au Fijaisv ou au Fijait, afin que le magistrat puisse s'y opposer si ce changement est susceptible de constituer une menace pour l'ordre public ;

- oblige les personnes inscrites au Fijaisv et au Fijait à déclarer tout changement de prénom ou de nom ;

- impose aux inscrits au Fijaisv, sur décision expresse de la juridiction de jugement et en cas de particulière dangerosité, de déclarer leurs déplacements à l'étranger ;

étend au délit d'incitation d'un mineur à commettre un acte de nature sexuelle et au délit d'extorsion d'images pédopornographiques la liste des infractions susceptibles d'entraîner l'inscription au Fijaisv ;

interdit aux personnes condamnées pour des faits graves ou inscrites au Fijaisv ou au Fijait d'exercer dans le secteur du transport public des mineurs ou des majeurs vulnérables ;

étend le mécanisme de condamnation obligatoire à une peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité au contact habituel des mineurs à plusieurs infractions (les meurtres, assassinats et actes de torture et de barbarie, la réduction en esclavage et l'enlèvement-séquestration, le proxénétisme et la traite des êtres humains) et met en place une interdiction de droit d'exercer une activité auprès des mineurs, pour une durée de dix ans, en cas de condamnation pour incitation des mineurs à commettre une infraction ou à se mettre en danger ;

- punit de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende la violation ou la simple tentative de violation d'une interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, y compris pour les faits commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement en France ;

prévoit des procédures rappelant aux associations et aux employeurs qu'ils peuvent se voir communiquer le bulletin n° 3 du casier judiciaire des personnes appelées à participer à leurs activités, des candidats à l'embauche et de leurs salariés (le bulletin n° 3 faisant notamment apparaître les interdictions d'exercice d'une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs) ;

- autorise l'employeur, dans le cas où une interdiction de contact avec des mineurs interviendrait au cours de l'exécution d'un contrat de travail et en cas d'incompatibilité directe entre l'emploi occupé et cette interdiction, à licencier la personne qui n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions ;

impose aux plateformes qui mettent en relation des particuliers pour des services de garde d'enfants ou d'assistance aux personnes vulnérables, sous peine d'amende administrative et de coupure d'accès, d'informer les employeurs de leur faculté d'obtenir le bulletin n° 3 du casier judiciaire de leurs salariés.

S'agissant de l'interdiction de séjourner sur le territoire français, les rapporteures ont également constaté au cours de leurs travaux, et notamment lors de leur déplacement dans l'Yonne au centre pénitentiaire de Joux-la-Ville, le 28 novembre 2024, l'absence de fluidité entre la sphère pénale et les autres acteurs en charge du suivi des auteurs d'infractions sexuelles en dehors de la détention.

En effet, l'articulation et la continuité de la communication entre l'ensemble des acteurs engagés dans le suivi des AICS sont d'autant plus cruciales lorsque ces derniers sont des étrangers qui, à la sortie de détention, font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et, dans l'attente de ce renvoi forcé, d'un placement en centre de rétention administrative (CRA).

Les rapporteures ont ainsi été informées par le service pénitentiaire de l'insertion et de la probation (SPIP) au centre pénitentiaire de Joux-la-Ville de la difficulté à continuer le suivi en centre médico-psychologique (CMP) d'un étranger placé en CRA dans la mesure où les CPIP ne sont pas informés du lieu de rétention administrative. Or, il apparaît nécessaire qu'un lien entre le SPIP et l'AICS étranger placé en CRA, dans l'attente de l'exécution de son OQTF, devait pouvoir être maintenu après le départ de l'auteur du centre pénitentiaire.

c) Des outils innovants mais insuffisamment développés tels ceux de la justice restaurative

De l'avis de nombreux interlocuteurs de la mission, certains outils innovants pouvant contribuer à prévenir la récidive de certains délinquants sexuels sont encore insuffisamment développés, que ce soit en détention ou hors de la détention.

C'est le cas notamment des mesures de justice restaurative qui, bien que présentant des résultats souvent probants lorsqu'elles sont mobilisées dans des affaires de violences sexuelles, demeurent utilisées de façon marginale en pratique.

C'est la loi58(*) du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales qui a introduit dans le code de procédure pénale (CPP) les dispositions législatives relatives aux mesures de justice restaurative.

Ainsi, l'article 10-1 du CPP dispose qu'« à l'occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l'exécution de la peine, la victime et l'auteur d'une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative. Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu'à l'auteur d'une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l'infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu'après que la victime et l'auteur de l'infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer. Elle est mise en oeuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l'autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l'administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire des parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République. »

L'article 10-2 du CPP prévoit, quant à lui, que « les officiers et les agents de police judiciaire ou, sous leur contrôle, les assistants d'enquête informent par tout moyen les victimes de leur droit (...) d'obtenir la réparation de leur préjudice, par l'indemnisation de celui-ci ou par tout autre moyen adapté, y compris, s'il y a lieu, une mesure de justice restaurative ».

Les mesures de justice restaurative peuvent donc intervenir, pour les AICS majeurs comme mineurs, à tous les stades de la procédure, y compris lors de l'exécution de la peine, du moment que les faits ont été reconnus par l'auteur et que la victime, qui a été préalablement informée de ce droit à réparation via la justice restaurative par les officiers et agents de police judiciaire, a accepté d'y recourir.

Ces mesures peuvent revêtir deux formes principales :

- soit des mesures en groupe mettant en présence des personnes (victimes et auteurs) non corrélées par les faits mais ayant subi ou commis le même type d'infraction pénale ;

- soit des mesures de médiation restaurative mettant en présence des personnes (victimes et auteurs) corrélées par les faits.

Popularisées grâce au film Je verrai toujours vos visages59(*), sorti en France en mars 2023, les mesures de justice ou de médiation restaurative sont certes aujourd'hui plus répandues que lors de leur introduction dans le code de procédure pénale il y a dix ans en raison d'une demande accrue, mais le recours à ces mesures demeure encore très marginal, notamment en matière de viols et d'agressions sexuelles. Les demandes émanent aussi bien des victimes que des auteurs.

Interrogée par la mission sur l'efficacité des outils de justice restaurative introduits par la loi précitée du 15 août 2014, Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des Criavs, a ainsi indiqué : « nous savons qu'ils donnent des résultats probants. Ils demeurent cependant marginaux en pratique et il conviendrait de les soutenir ».

L'Institut français pour la justice restaurative (IFJR), créé en 2013, a notamment pour mission de promouvoir la justice restaurative à travers des actions de sensibilisation, d'apporter une aide au développement d'offres de justice restaurative locale, de former professionnels et bénévoles à la justice restaurative et de participer à la mise en oeuvre opérationnelle des mesures de justice restaurative en proposant une supervision technique et en assurant directement l'animation de médiations restauratives.

L'IFJR a notamment mis en place divers partenariats de nature à promouvoir les mesures de justice restaurative, avec le ministère de la justice, les associations d'aide aux victimes, et, s'agissant plus spécifiquement de la formation, avec les écoles de formation des magistrats (ENM), des personnels pénitentiaires (ENAP) et des personnels de la PJJ (ENPJJ).

Lors de son audition par les rapporteures le 12 février 2025, l'IFJR a noté une montée en puissance du recours à la justice restaurative depuis trois ou quatre ans et fourni le nombre de mesures de justice restaurative en cours de mise en oeuvre et terminées depuis 2018.

Source : IFJR

L'IFJR a constaté un doublement en six mois du nombre total de participants aux mesures de justice restaurative, passant de quelque 150 participants fin 2023 à près de 330 participants fin juin 2024, dont 144 victimes et 184 auteurs, au total.

Source : IFJR

En outre, l'IFJR a indiqué à la mission que plus de 60 % des mesures de justice restaurative, en cours au 30 juin 2024, étaient relatives aux infractions à caractère sexuel. Parmi elles, trois quarts (soit 45 % du total des mesures) correspondaient à des faits de violences sexuelles hors inceste.

Source : IFJR

L'IFJR note également que plusieurs programmes et services font état de listes d'attente pour l'accès aux mesures de justice restaurative : au 30 juin 2024, 398 personnes étaient enregistrées sur liste d'attente parfois depuis une année.

Interrogée par les rapporteures sur la mise en oeuvre des mesures de justice restaurative, Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lorraine, a toutefois relativisé l'impact des mesures de justice restaurative dans le domaine des infractions sexuelles, estimant que « ces outils sont encore assez peu utilisés en matière de violences sexuelles. Il faut un profil type d'auteur et de victime d'infractions. On teste ce type de mesure plutôt sur un autre contentieux que celui des violences sexuelles. » Elle a également estimé que ces mesures n'étaient mises en oeuvre que de manière localisée avec peu d'expériences de justice restaurative à grande échelle au niveau national.

De même, Catherine Mathieu, présidente du tribunal judiciaire de Créteil, représentant la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ), a estimé que, si la justice restaurative présente un réel intérêt dans le cadre de certaines procédures, elle ne peut concerner qu'un faible nombre de cas qui ne couvre à l'évidence pas le phénomène massif des violences sexuelles. Il s'agit par ailleurs de ne pas créer de violences supplémentaires pour la victime, appelées « victimisation secondaire », ce qui nécessite de manier ces mesures avec précaution et de n'y recourir que lorsque toutes les conditions sont propices à leur réussite du point de vue de la victime.

Interrogé par les rapporteures sur l'efficacité des mesures de justice restaurative en matière de prévention de la récidive des violences sexuelles, l'IFJR a indiqué ne disposer « ni du recul nécessaire ni des moyens appropriés pour présenter des données chiffrées. Nous appelons la recherche française à se pencher sur la question et notamment en produisant des recherches basées sur un suivi longitudinal de cohorte, avec groupe de contrôle à profil identique. Par ailleurs, la confidentialité des mesures empêche des recherches basiques sur casier judiciaire ».

Toutefois, certaines données disponibles à l'étranger, notamment les travaux de la chercheuse australienne Kathleen Daly sur les effets de la « justice réparatrice dans les cas de violences sexuelles », « mettent en évidence des taux de récidive de 48 % chez les auteurs de violences sexuelles ayant pris part à un processus de justice restaurative contre 66 % chez les auteurs qui ont été jugés sans avoir recouru à la justice restaurative. Concernant les jeunes, une autre recherche de Kathleen Daly montre que s'il peut y avoir de la recondamnation chez les jeunes (54 % des jeunes recondamnés, mais pour des faits non sexuels), il y a peu de récidives (9 %), en particulier si les démarches de justice restaurative sont associées à d'autres types d'accompagnements psychologiques et sociaux ».

Les critères de réussite des mesures de justice restaurative, notamment en cas d'infractions à caractère sexuel, sont nombreux et déterminants :

- dans un processus de médiation restaurative, qui représente l'essentiel de la pratique aujourd'hui d'après l'IFJR, la capacité d'un AICS à prendre part à une mesure de justice restaurative, au-delà des critères légaux (consentement, reconnaissance des faits), est déterminée par sa capacité à en retirer des bénéfices personnels et à ne pas occasionner une victimisation secondaire chez la personne victime (notamment en niant les faits). Mais elle est aussi dépendante de la capacité de la victime à lui faire face, à en retirer des bénéfices personnels, et à la compatibilité de leurs attentes entre elles et in fine de la cohérence de ces attentes à l'égard du programme ;

- une réelle articulation entre les autorités judiciaires et les programmes de justice restaurative, qui fait pourtant souvent défaut : l'exclusion des violences sexuelles des conventions de partenariat, à la demande des autorités judiciaires, réduit le périmètre de la justice restaurative alors même que la loi de 2014 n'a exclu aucune infraction ;

- un renforcement de la formation des magistrats qui orientent rarement vers des mesures de justice restaurative tant de manière générale qu'en matière de violences sexuelles ;

- une information générale, dès le départ et à tous les stades de la procédure judiciaire (enquête, instruction et procès), des victimes quant à la possibilité de faire valoir leur droit à la justice restaurative.

Lors de son déplacement à Caen le 31 janvier 2025, la mission a pu échanger avec une juge d'application des peines au sujet de la mise en oeuvre de mesures de justice restaurative : elle a indiqué que des expériences de justice restaurative commençaient à se mettre en place à Caen et qu'elle était très favorable à cette expérimentation qui présentait un intérêt indéniable. Elle a souligné que les auteurs participant à ces mesures parvenaient à se rendre compte de la souffrance qu'ils avaient infligée à leur victime, qu'ils pouvaient entendre la parole soit de leur victime, soit d'autres victimes ayant subi la même infraction pénale. Elle a également souligné l'existence de groupes de parole collectifs entre auteurs présentant un intérêt certain en matière de lutte contre la récidive.

De même, l'IFJR a indiqué aux rapporteures qu'« en matière de récidive, (...) dans le spectre de la justice restaurative (même s'il ne peut être qualifié de mesure de justice au sens de l'article 10-1 du code de procédure pénale), les cercles de soutien et de responsabilisation (CSR) sont généralement illustrés comme présentant des résultats exceptionnels. »

Toutefois, certains interlocuteurs de la mission ont pu mettre en doute l'utilité de tels groupes de parole collectifs. C'est le cas notamment de maître Isabelle Steyer, avocate pénaliste et membre du collectif Action Juridique Féministe, qui a déclaré lors de son audition par la mission le 17 décembre 2024 : « en ce qui concerne les groupes de parole d'hommes violents, nous manquons de recul sur l'efficacité de ces dispositifs. Il est très à la mode de distribuer ce type de sanction. Pour ma part, je suis intervenue dans de tels groupes, mais je n'en ai pas vraiment perçu l'utilité, si ce n'est de rassurer le juge. En effet, ce dernier apporte ainsi une réponse judiciaire, mais il convient de s'interroger sur la valeur de cette réponse. »

D. LE POST-SENTENCIEL : UN CHAMP SOUS-INVESTI

1. L'insuffisant recours aux mesures de sûreté

À la suite de l'exécution de sa peine et en cas de risque très élevé de récidive, plusieurs mesures de sûreté sont prévues par le code de procédure pénale pour maintenir l'auteur de violences sous surveillance en vue de protéger la société. Dans ce cas, le risque de récidive ou de dangerosité doit être constaté par une expertise médicale.

En fonction du niveau de risque et de gravité de l'infraction initialement commise, plusieurs mesures de sûreté existent, avec des degrés de coercition progressifs représentés ci-dessous.

Mesures de sûreté applicables aux AICS

 

Surveillance judiciaire

Surveillance de sûreté

Rétention de sûreté

Nature de la mesure

Mesure de contrôle (qui peut inclure une injonction de soins et un placement sous surveillance électronique mobile), prononcée à la libération du condamné, qui le soumet à des obligations et interdictions contrôlées par le JAP

Mesure restrictive de liberté (qui peut inclure une injonction de soins et un placement sous surveillance électronique mobile), prononcée à la libération du condamné ou à l'issue du placement sous surveillance judiciaire, placée sous le contrôle du JAP

Mesure exceptionnelle, privative de liberté, qui doit être exécutée dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté assortie d'une prise en charge médicale, sociale et psychologique

Juridiction à l'origine de la mesure

Tribunal de l'application des peines

Juridiction régionale de la rétention de sûreté

Prévue par la cour d'assises (lors de la condamnation) et prononcée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté à l'issue de la peine

Type de condamnation

Condamnation à une peine privative de liberté d'au moins 7 ans sans peine de suivi socio-judiciaire60(*)

Condamnation à une réclusion criminelle d'au moins 15 ans, dans les cas où l'inscription au Fijaisv apparaît insuffisante et si cette mesure constitue l'unique moyen de prévenir la commission de nouvelles infractions61(*)

Condamnation supérieure ou égale à 15 ans de réclusion criminelle pour des crimes de droit commun, si la personne présente un trouble grave de la personnalité62(*) et si la personne a été en mesure de bénéficier, pendant l'exécution de sa peine, d'une prise en charge médicale, sociale et psychologique adaptée

Durée

Limitée en fonction du crédit de réduction de peine

Deux ans renouvelables

Un an renouvelable

Source : mission conjointe de contrôle du Sénat

Ces différentes mesures peuvent s'articuler au cours du parcours post-sentenciel d'un condamné particulièrement dangereux suivant une logique d'escalade. Ainsi, la surveillance de sûreté peut être mise en place en cas d'échec de la surveillance judiciaire, comme prévu par l'article 723-37 du code de procédure pénale. Une surveillance de sûreté peut également donner lieu à un placement postérieur en rétention de sûreté en cas de non-respect
des obligations qui lui sont liées63(*). À l'inverse, la surveillance de sûreté peut succéder à la rétention de sûreté lorsque celle-ci n'est pas prolongée ou lorsqu'il y est mis fin.

S'agissant de la surveillance de sûreté, l'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP) précise que, bien qu'efficace, une telle mesure peut être perçue comme injuste dans la mesure où elle s'ajoute à la peine et peut se poursuivre, à l'inverse du suivi socio-judiciaire ou de la surveillance judiciaire, au-delà du quantum prononcé par la juridiction de jugement64(*).

La rétention de sûreté constitue la mesure la plus restrictive car elle entraîne une privation de liberté s'étendant au-delà de l'exécution de la sanction pénale ; pour cette raison, elle n'est prononcée qu'à titre exceptionnel pour les faits les plus graves. Ce dispositif résulte de l'entrée en vigueur de la loi du 25 février 200865(*) ; en dépit de l'ancienneté de son texte institutif, cette mesure n'a pas encore d'effet concret en raison de la lourdeur des condamnations auxquelles elle s'applique et de sa non-rétroactivité, affirmée par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a en effet estimé que « la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement »66(*).

Ne s'appliquant qu'aux faits commis après l'entrée en vigueur de la loi et aux seuls condamnés à des peines d'au moins quinze ans, la rétention de sûreté n'a, à ce jour, donné lieu à aucun placement consécutif à l'exécution d'une peine selon le ministère de la justice. Cependant, entre 2018 et 2024, le ministère estime67(*) à six le nombre de détenus ayant été placés en rétention de sûreté à la suite du non-respect des obligations liées à une surveillance de sûreté. En outre, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) indique que l'ensemble des placements en rétention de sûreté portés à sa connaissance ont concerné des auteurs d'infractions à caractère sexuel, et plus particulièrement de viol aggravé (par exemple sur mineur, par ascendant, sur personne vulnérable, avec arme, en récidive).

Pour ce qui concerne, enfin, la situation actuelle en matière de placements en rétention de sûreté, la DACG a indiqué aux rapporteures, en février 2025, qu'« aucune personne ne se trouve actuellement en rétention de sûreté, le dernier placement s'étant achevé le 24 janvier 2024 ».

La mission a également constaté, au cours de son déplacement au centre pénitentiaire de Fresnes, que l'aile dédiée au centre socio-médico-judiciaire (CSMJS, le seul en France) était entièrement vide. L'inutilisation d'une dizaine de chambres entièrement équipées ainsi que des services médicaux associés semble constituer une gestion inefficace des ressources, particulièrement dans un contexte de forte surpopulation carcérale engendrant une demande accrue en soins. Par ailleurs, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLP) avait constaté, en 2014 et 2015, que dans ce centre, « l'inactivité est totale du fait de la situation d'isolement de facto des personnes retenues ainsi que de l'absence de projet spécifique en matière éducative, professionnelle ou socioculturelle » et que « le suivi médico-psychologique [était] de fait inexistant » pour les quelques personnes retenues68(*).

Par ailleurs, dans la perspective de l'entrée en vigueur effective de la rétention de sûreté à une échelle plus large, la mission regrette le manque de statistiques qui pourraient permettre de préparer au mieux l'entrée en rétention de plusieurs condamnés dans les années à venir.

2. Des dispositifs complémentaires qui reposent principalement sur l'adhésion des auteurs

Tout au long de leur peine et après son exécution, les condamnés AICS sont libres de participer à des mesures de justice restaurative. Le code de procédure pénale prévoit en effet que « la victime et l'auteur d'une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative ».69(*) Cette pratique permet de proposer à la victime et à l'auteur « toute mesure permettant [...] de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l'infraction ». Si ces mesures peuvent intervenir à tous les stades d'une procédure judiciaire, l'Institut français pour la justice restaurative (IFJR) a précisé lors de son audition qu'en raison du manque d'information au cours de la procédure, l'essentiel de la pratique a lieu en post-sentenciel. En dehors de la procédure judiciaire, la mise en place de ces mesures peut également intervenir après la prescription des faits : l'IFJR soulignait ainsi que « la justice restaurative est également, pour beaucoup, notamment dans les situations de violences sexuelles intrafamiliales et inceste, à envisager lorsqu'une procédure pénale n'est plus possible. »70(*). Ces mesures peuvent également être envisagées dans les cas où la victime renonce à porter plainte.

L'audition de l'IFJR a permis de constater que les mesures de justice restaurative, si elles ne leur sont pas réservées, accueillent une majorité de victimes et d'auteurs d'infractions à caractère sexuel. Ainsi, 61 % des mesures de justice restaurative menées en France correspondaient à des situations de violences sexuelles au 30 juin 202471(*).

Parmi les mesures apparentées à la justice restaurative, les différents acteurs du domaine médico-social interrogés par la mission ont plus particulièrement mis en avant les conséquences bénéfiques des cercles de soutien et de responsabilisation (CSR-CAR). S'il ne s'agit pas à proprement parler d'une mesure de justice restaurative, puisqu'elle implique uniquement l'auteur et non la victime de l'infraction, elle présente toutefois des connexités avec celle-ci car elle est repose uniquement sur le volontariat des auteurs. Elle est mise en oeuvre par des bénévoles représentant la société civile qui peuvent être formés par l'IFJR.

Ce dispositif s'adresse en priorité aux AICS présentant un fort risque de récidive et isolés socialement. Dans ce type de configuration, la mise en place d'un CSR permet au condamné, à sa sortie de détention, d'être entouré par un « cercle d'accompagnement » et un « cercle ressource », tous deux composés de bénévoles qui l'accompagnent dans ses démarches et sont présents en permanence à ses côtés.

Développé depuis une trentaine d'années au Canada, ce type de mesure semble avoir un impact positif sur la récidive. En France, la pratique du CSR demeure expérimentale : pour l'année 2023, l'IFJR a recensé une unique mesure de CSR-CAR.

La mise en place des cercles de soutien et de responsabilité au Canada

Le Canada a été le pionnier dans la mise en place de cercles de soutien et de responsabilité (CSR), où ils ont été créés en 1994 afin de répondre au besoin d'encadrement des AICS à leur sortie de détention. Ils sont gérés par la « CoSA Canada » (Canadian national organization for Circles of Support and Accountability) et financés par l'organisme de sécurité publique canadienne (Public Safety Canada). Ils s'adressent uniquement aux condamnés AICS.

Désormais présents sur l'ensemble du territoire canadien, les CSR sont composés d'une communauté de bénévoles qui agissent sous l'égide d'un professionnel appelé « coordonnateur » chargé de les former. Cet ensemble accompagne le condamné sous forme de cercles « interne » (les bénévoles) et « externe » (les professionnels), lui apporte du soutien émotionnel et des stratégies de développement du lien social.

Plusieurs études ont démontré l'efficacité de ce type de programme pour lutter contre la récidive. Ainsi, selon les données officielles du Service correctionnel du Canada, les condamnés AICS ayant bénéficié d'un CSR présenteraient une réduction de plus de 70 % du taux de récidive par rapport au groupe témoin.

Source : mission conjointe de contrôle

Ces différents dispositifs restent cependant limités car ils reposent sur un double volontariat : d'une part, celui des bénévoles qui bénéficient d'une formation dispensée par l'IFJR (environ 500 personnes en 2024) et, d'autre part, celui des AICS concernés. En effet, l'engagement dans un parcours de justice restaurative comme dans un parcours de soins qui ne soit pas pénalement ordonné est conditionné à la reconnaissance des faits par son auteur, et ne résulte en aucun cas d'une contrainte. Un AICS ne bénéficie donc de mesures de justice restaurative ou de dispositifs de soutien que dans le cas où il se porte volontaire. Malgré ces limites, l'IFJR a fait part, au cours de son audition, de difficultés à répondre à la demande de mesures de justice restaurative en raison de la taille de la structure et du faible nombre de salariés.

II. LA PRÉVENTION DE LA RÉCIDIVE SE JOUE À TOUTES LES ÉTAPES DE LA PRISE EN CHARGE DES AICS ET AVANT MÊME LE PREMIER PASSAGE À L'ACTE

A. DES OUTILS POUR ÉVITER LE PREMIER PASSAGE À L'ACTE : L'ÉDUCATION ET L'APPROFONDISSEMENT DES CONNAISSANCES

Pour prévenir la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles, le mieux est encore d'éviter le premier passage à l'acte.

En outre, seule une minorité d'auteurs étant formellement mise en cause et une minorité encore plus restreinte étant condamnée, les politiques de lutte contre les violences sexuelles ne sauraient se concentrer sur les seuls AICS identifiés par les services d'enquête et la justice et sur la prévention de leur récidive au sens légal du terme.

Pour reprendre les mots de Catherine Mathieu, présidente du tribunal judiciaire de Créteil, intervenant au titre de la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ), lors de son audition du 21 janvier 2025, compte tenu du caractère massif des violences sexuelles aujourd'hui, la justice ne saurait seule être concernée par le traitement des infractions à caractère sexuel, que ce soit celui de leur première commission ou celui de leur récidive.

De même, ainsi que le soulignait Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lorraine, dans sa contribution écrite transmise aux rapporteures, « l'un des moyens d'action sur la prévention de la récidive est d'abord la prévention du primo-passage à l'acte. Les spécialistes relèvent unanimement la prévalence des antécédents de violence, maltraitance ou de construction dysfonctionnelle (attachement insécure ; environnement familial « distraitant »). Il apparaît essentiel de concentrer l'action sur la détection et la prise en charge des victimes, notamment des violences intrafamiliales. Le « soin » doit intervenir au plus tôt dans le parcours de vie d'une personne afin de réduire les risques criminogènes et victimogènes. Les politiques à visée préventive supposent que soient associés les moyens humains et financiers de les mettre en oeuvre ».

Les rapporteures plaident donc pour la mise en oeuvre de politiques publiques ambitieuses de prévention du primo-passage à l'acte et plus globalement de prévention primaire des violences sexuelles.

Cette prévention primaire des violences sexuelles s'articule autour de plusieurs axes que les rapporteures estiment aujourd'hui indispensable de développer :

- l'accompagnement et le soutien à la parentalité ;

- l'éducation au consentement dans le cadre de l'application du programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS), dispensé à l'école ;

- la formation des intervenants sociaux au repérage et à la détection précoce des maltraitances ou carences dont peuvent être victimes les enfants dans leur cercle familial.

1. L'accompagnement à la parentalité : un enjeu central de prévention

Le nombre important de mineurs mais aussi de majeurs auteurs d'infractions à caractère sexuel qui présentent des carences affectives et qui ont évolué dans un contexte familial violent ou dysfonctionnel plaide pour la mise en oeuvre de mesures d'accompagnement et de soutien à la parentalité.

S'il n'existe pas de causalité directe entre des antécédents de maltraitance familiale et la commission d'infractions sexuelles, un environnement familial violent et générateur de carences affectives ou de maltraitances doit être considéré comme un facteur de risque supplémentaire de devenir auteur.

Lors de la table ronde du 6 février 2025 réunissant experts psychiatres et psychologues, le docteur Laurent Layet, expert psychiatre, représentant l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (ANPEJ), relevait ainsi que : « plus de la moitié des auteurs d'infraction à caractère sexuel ont évolué dans un environnement familial que l'on appelle dysfonctionnel : violence, abus, négligence. Cependant, il n'y a pas de relation de cause à effet : quelqu'un qui a été victime d'agression sexuelle ne deviendra pas forcément agresseur sexuel, mais il y a des facteurs de transition, c'est-à-dire que le fait d'avoir été victime de négligence, d'avoir été témoin de violence ou d'avoir été victime directement de violence sexuelle est un facteur de risque supplémentaire de devenir auteur. »

De même, dans son rapport de recherche sur les parcours des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel (MAICS) publié en août 2024, la sociologue Marie Romero a pointé les « parcours émaillés de vulnérabilités sociales » des MAICS soulignant :

- d'une part, que les MAICS sont exposés à des vulnérabilités sociales multiples puisque la quasi-majorité d'entre eux vit au sein de familles présentant des fragilités (fratries nombreuses, familles recomposées, monoparentales) ;

- d'autre part, qu'ils ont pour la plupart vécu des antécédents de violences familiales se rapportant à de la maltraitance (physique et morale) ou à une exposition précoce aux violences conjugales. Pour plus d'un quart des mineurs étudiés, il s'agit de violences sexuelles commises par une personne de la famille ou de l'entourage, mais non détectées avant leur prise en charge institutionnelle.

Dès lors, l'accompagnement précoce à la parentalité, notamment pour les familles les plus vulnérables, constitue, pour les rapporteures, un enjeu central de prévention de la commission de violences sexuelles.

Une attention particulière doit, en outre, être portée aux territoires d'outre-mer, ainsi que le pointaient d'ailleurs la délégation aux droits des femmes et la délégation sénatoriale aux outre-mer dans un récent rapport72(*) commun intitulé Soutien à la parentalité : agir pour toutes les familles des outre-mer, appelant notamment à mieux sensibiliser aux enjeux et responsabilités de la parentalité, de même qu'à aider et accompagner les familles précaires et vulnérables.

Lors d'une table ronde organisée le 22 janvier 2025 réunissant des représentants du ministère de la santé et de la prévention et de plusieurs agences régionales de santé (ARS), le directeur général de l'ARS de La Réunion, Gérard Colleton, a souligné la spécificité des territoires d'outre-mer au regard des enjeux de soutien à la parentalité et précisé qu'à La Réunion, marquée par une forte prévalence de précarité socio-économique et un taux élevé de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, la question des agressions dans les milieux familiaux défavorisés était prégnante. Il a plaidé pour le développement de programmes de prévention et de sensibilisation en milieu scolaire compte tenu, d'une part, du taux élevé de grossesses précoces parmi les jeunes filles réunionnaises et, d'autre part, du nombre important de signalements de gestes incestueux.

2. L'éducation au consentement : une arme contre le primo-passage à l'acte

Éviter le premier passage à l'acte c'est, par définition, éviter la récidive. Et, pour éviter la commission d'une première infraction à caractère sexuel, la meilleure arme demeure encore la prévention primaire des violences sexuelles, dès l'enfance, au moyen notamment des programmes d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS), dispensés tout au long de la scolarité, adaptés à chaque âge et chaque étape de la scolarité.

Dans sa contribution écrite transmise aux rapporteures, la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice le formulait d'une façon limpide : « la prévention primaire apparaît comme le premier facteur d'évitement du passage à l'acte délictuel, et ce notamment en matière de délinquance sexuelle. L'éducation à la vie affective et sexuelle dès l'enfance, ainsi que l'octroi de moyens humains et financiers pour les services intervenant dans le champ de la prévention primaire des violences sexistes et sexuelles, apparaît notamment indispensable. En effet, au-delà de la prévention du risque de récidive, qui suppose qu'il y ait déjà eu passage à l'acte, la prévention primaire permettrait d'éviter ce premier passage à l'acte. La majorité des AICS ne relèvent pas de mesures de soins et ne présentent pas de pathologie psychiatrique. Les iolences sexuelles sont souvent systémiques et les causes ne sont pas uniquement à chercher du côté psychologique ou psychiatrique de l'auteur. Si la DAP et les soignants doivent maintenir leur mobilisation, une partie des réponses concerne, plus largement, l'ensemble du corps social (éducation, protection de l'enfance, etc.) ».

Les rapporteures ont relevé, au cours de leurs travaux, une forme de contradiction entre la dimension systémique et massive des violences sexuelles et la pathologisation voire la psychiatrisation de leurs auteurs. Comme évoqué précédemment, tous les auteurs de violences sexuelles ne souffrent pas d'une pathologie psychiatrique et ne relèvent donc pas nécessairement du soin psychiatrique. Dès lors, leur prise en charge procède plus d'une logique « éducative », psychologique et sociétale, que psychiatrique.

Les experts psychiatres et psychologues entendus par la mission ont, tous, pointé l'importance de l'éducation au consentement dès le plus jeune âge et de la prévention primaire en matière de violences sexuelles, tout en pointant l'influence de l'exposition à la pornographie chez les auteurs d'infractions à caractère sexuel, majeurs comme mineurs.

Ainsi, Hélène Denizot-Bourdel, psychiatre, responsable médicale régionale du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes, entendue par la mission le 5 décembre 2024, a-t-elle déclaré : « nous sommes parfois atterrés par le niveau d'éducation sexuelle des auteurs que nous recevons, d'où l'intérêt d'intervenir sur ces thématiques dans une démarche de prévention. »

S'agissant de l'influence de la pornographie, plusieurs experts psychiatres entendus par la mission ont établi un lien direct entre l'exposition précoce aux contenus pornographiques accessibles en ligne et les violences sexuelles, notamment celles commises par des auteurs mineurs.

Charles-Olivier Pons, expert psychiatre, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), entendu par la mission le 6 février 2025, a indiqué constater « dans les services de pédopsychiatrie l'exposition de plus en plus précoce aux écrans et à la pornographie, qui est un miroir déformant pour l'identification d'adolescents accédant à la sexuation et la sexualité. (...) Quand il s'agit de démontrer le caractère irréaliste des films pornographiques, beaucoup d'adolescents considèrent qu'il s'agit d'une représentation fidèle de la réalité, puisque c'est sur internet. Cela peut être conjugué avec des attitudes et positionnements parentaux incestueux, car le visionnage de la pornographie peut se faire avec les parents. Il peut également arriver que les ébats sexuels de parents aient lieu devant leurs enfants. »

De même, Roland Coutanceau, psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (SNEPP), lors de la table ronde du 6 février 2025, a relevé la dimension nécessairement sociétale de la prise en charge des auteurs de violences sexuelles et de leur rapport à la pornographie, en précisant : « les films pornographiques mettent en scène une sexualité qui n'est pas la sexualité relationnelle réelle. Je me souviens d'avoir entendu un jour dans un groupe un homme me dire : ``Mais où sont ces femmes que l'on voit dans les films pornographiques ? Je n'en rencontre jamais aucune'' ».

Il a ajouté, s'agissant de la consommation de pornographie par les adolescents : « il y a une nocivité, une pathogénie pour nos adolescents à regarder des films pornographiques sans médiation par l'adulte. (...) nos sociétés ont mis à la disposition des hommes une visualisation extraordinairement sombre de la violence physique, de la violence sexuelle, avec des mises en scène qui ne correspondent pas à la réalité relationnelle de l'être humain. Et cette représentation touche le plus directement les jeunes hommes ».

La nocivité de la consommation précoce de contenus pornographiques par de jeunes adolescents a d'ailleurs été pointée par la sociologue Marie Romero comme un des facteurs communs des parcours des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel dans son rapport de recherche datant d'août 2024 dans lequel elle identifie l'exposition précoce à la pornographie comme une des vulnérabilités sociales émaillant ces parcours : « de nombreux mineurs auteurs ont été exposés de façon précoce à de la pornographie en ligne avant l'âge pubertaire. Les études sur le sujet montrent que le visionnage précoce d'expériences pornographiques peut être vécu comme une effraction psychique par les mineurs, impacter leur développement psycho-sexuel, et engendre un risque accru de passage à l'acte sexuel, en particulier chez les adolescents les plus vulnérables et les plus isolés socialement ».

L'influence délétère de l'exposition à la pornographie sur les plus jeunes mais aussi sur les adultes consommateurs de ces contenus, de plus en plus violents et très facilement accessibles, a été parfaitement démontrée par le récent rapport73(*) de la délégation aux droits des femmes sur l'industrie de la pornographie intitulé Porno : l'enfer du décor, publié en septembre 2022. Ce rapport formulait 23 recommandations autour de quatre grands axes majeurs dont, notamment :

- l'application de la loi sur l'interdiction d'accès des mineurs aux contenus pornographiques et la protection de la jeunesse74(*) ;

- la mise en oeuvre des séances d'éducation à la vie affective et sexuelle à l'école ainsi que la sensibilisation des parents, professionnels de santé et professionnels de l'éducation aux enjeux liés à la pornographie.

Les rapporteures de la mission sont convaincues du caractère traumatogène de l'accès précoce voire très précoce aux images pornographiques et plaident pour que l'éducation à la sexualité dispensée à l'école intègre des messages de prévention relatifs à la consommation de contenus pornographiques dont l'accès est, en tout état de cause, légalement interdit aux mineurs.

Elles partagent, en ce sens, l'analyse de Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France, entendu par la mission le 5 décembre 2024, qui exhortait à mener « une réflexion sur les aspects éducatifs (...) car travailler sur le systémique, c'est travailler sur la prévention et sur les modalités relationnelles dans la société, les programmes de prévention primaire ayant toute leur utilité. La majorité des mineurs auteurs de violences sexuelles que nous rencontrons ne sont pas des grands malades, mais ont pu être poussés par la pornographie, ainsi que par des enjeux interpersonnels qui les dépassent, à faire n'importe quoi ».

Il apparaît donc indispensable de renforcer la mise en oeuvre, dès l'école, de politiques de prévention et d'information sur les violences sexuelles et sur les risques liés à la pornographie, en lien avec la pédagogie du consentement. Comme l'a rappelé Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP), il est essentiel de « marteler » les messages relatifs au consentement, qui « constituent d'ailleurs l'une des composantes, avec la protection des victimes et la création de juridictions spécialisées, du programme que l'Espagne applique en matière de prévention de la récidive des violences et agressions sexuelles. Dans ce pays, de tels messages ont fait l'objet de tout un travail de communication et des sondages ont servi à en mesurer l'écho dans la population. Jusqu'à 90 % des personnes interrogées les avaient entendus du fait de leur répétition ».

De telles campagnes pourraient utilement être organisées en France, non seulement dans les écoles, mais plus largement à destination de la population dans son ensemble.

Recommandation n° 1 : Renforcer les politiques de prévention primaire et d'information sur les violences sexuelles dès l'enfance, notamment sur les risques liés à l'exposition précoce à la pornographie, mettre en place de larges campagnes de communication, et dépister et signaler les violences sexuelles.

3. La formation des professionnels au contact des mineurs : pour une détection précoce des situations à risque

Au cours de leurs travaux, les rapporteures ont pu constater les défaillances de la prise en charge des victimes mineures de violences sexuelles et, par conséquent, de la reconnaissance de leur statut de victimes. Or, les experts et acteurs de terrain rencontrés par les rapporteures au cours de leur mission ont tous pointé la fréquence des antécédents « victimologiques » chez les auteurs de violences sexuelles. Si la majorité des victimes ne deviennent pas agresseurs, les experts estiment que les violences « subies » sont un facteur de risque de violences « agies ». Dans le même temps, ils relèvent que si les garçons victimes de violences dans leur enfance ont une plus forte probabilité de devenir auteurs, à l'inverse les filles ont une plus forte probabilité d'être de nouveau victimes au cours de leur vie.

Partant de ces constats, les rapporteures plaident pour une réelle formation des intervenants sociaux au repérage des situations familiales à risque et à la détection des carences ou actes de maltraitance subis par les enfants dans leur cercle familial. Une prise en charge psychosociale précoce et adéquate des mineurs victimes de violences sexuelles est, en effet, susceptible de diminuer le risque de passage à l'acte de ces mineurs en tant qu'auteur de violences sexuelles, à l'âge adulte voire avant même leur majorité.

a) Mieux détecter et prendre en charge les victimes mineures pour interrompre le cycle de violences sexuelles

Au cours de leurs travaux, les rapporteures ont fréquemment été alertées par leurs interlocuteurs sur le taux élevé de violences sexuelles subies dans l'enfance parmi les auteurs d'infractions à caractère sexuel.

Lors de la table ronde réunissant experts psychiatres et psychologues le 6 février 2025, Charles-Olivier Pons, expert psychiatre, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), a ainsi relevé que « le taux de violences sexuelles subies dans l'enfance est plus élevé chez les agresseurs que dans la population générale. Cependant, les auteurs des études insistent aussi sur le fait que la grande majorité des victimes ne deviendront pas agresseurs. Avoir été agressé sexuellement dans l'enfance n'est une condition ni nécessaire ni suffisante pour devenir agresseur à son tour. Il s'agit d'un facteur de risque. Il est important de le repérer, dans le but d'agir par des stratégies de prévention centrées sur la victime ».

De la même façon, Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), a souligné que « les facteurs de transition de victime à auteur sont les troubles de l'attachement et les expériences adverses. Il faut aujourd'hui être capable d'accepter qu'un auteur ait pu être victime sans que cela n'atténue sa responsabilité. Toutes les victimes ne deviennent en effet pas auteurs. Mais plus on a été confronté tôt à la violence physique ou sexuelle, soit comme témoin soit comme victime directe, plus le risque du passage au statut d'auteur est fort. Et moins on bénéficie d'un support familial solide, moins on peut se rattacher à des schémas protecteurs, et plus grand est le risque du passage à l'acte. Ces facteurs de transition sont aujourd'hui connus et permettent une analyse assez fine du risque. Les spécialistes parlent à présent de cycle de violences, dans lequel une même personne peut être tour à tour victime et auteur ».

De nombreuses études criminologiques établissent, en effet, un lien entre violences « subies » et violences « agies », comme le soulignait devant les rapporteures Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lorraine. Elle estimait ainsi que 30 à 50 % des hommes auteurs d'infractions à caractère sexuel ont eux-mêmes été victimes pendant l'enfance et que la très grande majorité des AICS a grandi dans un environnement familial global dysfonctionnel.

Ainsi que l'a résumé Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP), lors de la table ronde précitée du 6 février 2025, « les auteurs ont souvent été victimes, mais les victimes ne sont pas forcément auteurs ».

La sociologue Marie Romero, dans son rapport de recherche précité sur la prise en charge des MAICS d'octobre 2022, relève que les mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel sont plus à risque d'avoir vécu des violences intrafamiliales dans l'enfance (surtout sexuelles), pour la plupart non détectées, ni prises en charge : « ces violences ont causé des troubles dans leur développement psycho-affectif et sexuel, et entraîné des dérégulations émotionnelles (colère, anxiété, angoisse, hyperactivité) ».

Au cours de leurs déplacements sur le terrain, notamment à Migennes dans l'Yonne où elles ont rencontré des représentants de la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse, ou encore à Caen dans le Calvados où elles se sont entretenues avec les différents acteurs locaux en charge de la lutte contre les violences sexuelles, les rapporteures ont été confrontées au même constat, celui d'une proportion importante de jeunes auteurs d'infractions à caractère sexuel ayant eux-mêmes été victimes de violences sexuelles non détectées dans l'enfance.

Pour les rapporteures, cette prévalence des victimes de violences sexuelles parmi les auteurs d'infractions à caractère sexuel, mineurs comme majeurs, plaide pour la détection, la prise en charge et le traitement des victimes mineures de violences sexuelles. En effet, elles estiment que la reconnaissance du statut de victime des enfants ayant subi des violences sexuelles contribue à limiter le risque de futur passage à l'acte en tant qu'auteur d'infractions sexuelles. S'il est donc nécessaire d'encourager la parole des enfants victimes, encore faut-il être en mesure d'accueillir et de croire cette parole.

Entendu par la mission le 6 février 2025, Roland Coutanceau, psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (SNEPP), a ainsi précisé que, « dans les expertises que nous réalisons, nous constatons que, le plus souvent, les personnes abusées qui deviennent agresseurs sont celles qui n'ont pas parlé de l'agression sexuelle qu'elles ont subie. Et elles ne la reconnaissent qu'au moment de leur interpellation. Dans un objectif de prévention, la société a tout intérêt à favoriser plus tôt leur parole ».

Les enseignements du rapport public75(*) de novembre 2023 de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise)

« Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit »

En France : 160 000 enfants sont victimes de viol ou d'agression sexuelle chaque année dont 81 % par un membre de leur famille ; 5,4 millions de femmes et d'hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance ; l'impunité des agresseurs et l'absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d'euros chaque année en dépenses publiques.

Ces jeunes victimes ne sont qu'une sur dix à révéler ces violences au moment des faits et leur parole est trop souvent remise en cause. De plus, près d'un enfant victime sur deux (45 %) n'est pas mis en sécurité par le tiers auquel il se confie, un enjeu de taille lorsque l'on connaît le potentiel effondrement psychique des victimes et l'impact durable de ces violences. En effet, le fait d'avoir été victime de violences sexuelles dans son enfance augmente par deux le risque d'être victime de violences conjugales au cours de sa vie. En outre, parmi la moitié de victimes prises en charge, seules 38 % de ces victimes portent plainte.

Une réelle reconnaissance et la prise en charge des mineurs victimes de violences sexuelles supposent que l'ensemble des acteurs sociaux amenés à repérer et traiter ces situations soit formé pour le faire.

b) Former les acteurs sociaux au repérage des violences sexuelles subies

Au cours de leurs travaux, les rapporteures ont été sensibilisées au manque de formation des intervenants sociaux s'agissant de la détection de potentielles victimes mineures de violences sexuelles. Elles estiment indispensable de renforcer cette formation dans le but de les aider à repérer ce type de violences et à prendre en charge les victimes le plus en amont possible.

En outre, leur attention a été attirée par certains experts sur le fait que, parmi les victimes de violences sexuelles, figurait une proportion importante d'enfants pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE).

Ainsi, Charles-Olivier Pons, expert psychiatre, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), entendu par la mission le 6 février 2025 lors de la table ronde réunissant experts psychiatres et psychologues : « au fil de l'accompagnement d'adolescents autant victimes qu'auteurs, nous constatons l'émergence et la croissance des actes d'agression à caractère sexuel au sein des lieux substitutifs de vie, dans les maisons d'enfants à caractère social (Mecs), dans les familles d'accueil ».

Lors de leur déplacement dans l'Yonne, les rapporteures ont également été alertées par leurs interlocuteurs de la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (DTPJJ) sur l'absence de formation des travailleurs sociaux et des éducateurs spécialisés à la protection de l'enfance, en particulier, s'agissant de la détection des situations de violences sexuelles dont sont victimes les mineurs qu'ils sont amenés à rencontrer ou à encadrer. Ce déficit de formation explique notamment pourquoi ces acteurs sociaux se retrouvent souvent dans l'incapacité d'accueillir la parole des mineurs victimes ou de la susciter.

Au cours de ce même déplacement, la directrice territoriale Yonne-Nièvre de la PJJ, Laurence Houzard, a également indiqué aux rapporteures que, dans le département de l'Yonne, une très grande quantité d'enfants placés étaient victimes de violences sexuelles et que, parmi ces enfants placés pour être protégés, certains devenaient eux-mêmes auteurs de violences sexuelles sur d'autres enfants. Parmi ces auteurs, elle a relevé des cas d'enfants âgés d'à peine sept ans, donc trop jeunes pour être poursuivis. Par conséquent, elle a fait état de professionnels démunis face à ce type de situations et de violences.

Comme évoqué supra par les rapporteures dans leurs développements concernant le traitement pénal des affaires de violences sexuelles, la question de la temporalité de la prise en charge des enfants victimes constitue également un défi pour les intervenants sociaux : les enfants victimes parlent souvent plusieurs mois après les faits et plusieurs années peuvent s'écouler avant qu'une réelle prise en charge ne se mette en place, ce qui peut être décourageant à la fois pour les victimes et pour les professionnels qui les prennent en charge.

Certaines structures d'accueil ont cependant réfléchi à la structuration d'une offre de soins prenant en charge le psycho-traumatisme de ces victimes, du repérage jusqu'à la réparation. C'est le cas, par exemple, de l'agence régionale de santé Bourgogne-Franche-Comte, entendue par les rapporteures au cours d'une table ronde réunissant les acteurs de santé le 22 janvier 2025, et qui a mis en place des outils de repérage précoce de violences sexuelles subies. Depuis 2021, le centre hospitalier du Doubs, en coopération avec le Criavs, a construit un outil de repérage des enfants ayant un comportement sexuel problématique, notamment les mineurs de moins de 12 ans.

Une convention tripartite a également été signée entre le directeur territorial de l'ARS dans l'Yonne, la directrice territoriale de la PJJ Yonne-Nièvre et le directeur des pôles SMS PEP CBFC du territoire de l'Yonne afin de créer un service d'accompagnement de jeunes de 0 à 21 ans auteurs et/ou victimes d'infractions à caractère sexuel (SAVI) à Migennes, dans l'Yonne. Ce service propose une prise en charge globale des jeunes, avec un suivi thérapeutique, un accompagnement dans les démarches judiciaires et la co-construction d'un projet éducatif personnalisé en lien avec les services éducatifs référents. Il apporte également un soutien aux professionnels partenaires pour les aider à repérer et orienter les mineurs auteurs et/ou victimes de violences sexuelles.

Les rapporteures appellent à encourager le développement de ce type d'outils et à former l'ensemble des travailleurs sociaux et éducateurs spécialisés en contact avec des mineurs au repérage de situations de maltraitance ou de violences, notamment sexuelles.

Par ailleurs, et étant souligné que ce sujet excède le périmètre des travaux de la mission conjointe de contrôle, elles souhaitent que, dans le cadre des travaux de la mission commune d'information qui sera prochainement lancée par les commissions des lois et des affaires sociales du Sénat sur la protection de l'enfance, la réflexion se poursuive sur deux sujets : la détection des victimes de violences sexuelles parmi les enfants pris en charge par l'ASE d'une part, et de l'autre, la lutte contre les violences sexuelles dans les institutions qui accueillent les mineurs en danger.

B. ÉVALUER ET ACCOMPAGNER EN AMONT DU JUGEMENT

1. Pour les volontaires, entamer une prise en charge en amont du jugement

La mission est amplement revenue sur les limites de la prise en charge pré-sentencielle des AICS : bien que les individus jouissent, en amont du jugement, de la présomption d'innocence et ne puissent à ce titre être contraints de s'inscrire dans un parcours de soins, il est regrettable que cette période souvent longue ne soit pas employée à des fins de travail de l'individu sur les faits ainsi que sur lui-même.

Aussi, les rapporteures sont convaincues de la nécessité de développer le recours à une prise en charge psychologique ou psychiatrique dès le renvoi devant une juridiction, notamment car il permettrait de ne pas retarder une prise en charge parfois bien acceptée par les auteurs, ainsi que de faciliter l'acceptation de la peine et créer une continuité entre les soins pré-sentenciels et le suivi effectué en milieu carcéral.

Il est néanmoins entendu que ce type de mesure ne pourrait être envisagé que sous réserve de certaines conditions :

la pleine reconnaissance des faits par l'individu ainsi que son consentement aux soins. Cette prise en charge n'aurait en effet pas vocation à se substituer à l'obligation de soins (qui, elle, n'a pas vocation à traiter de la réalité des faits commis mais davantage à prendre en charge en urgence des pathologies ou des situations de dépendance déjà identifiées), et constituerait dès lors un point de départ pour l'AICS dans sa réflexion sur les faits et ses éventuels besoins de suivi psychologique ou psychiatrique ;

le respect intégral du secret médical : afin de garantir l'efficacité du dispositif, il conviendrait d'assurer au patient que cette prise en charge ne sera aucunement susceptible d'interférer avec la procédure juridique en cours. Aussi, l'engagement dans ce dispositif de suivi devrait, sur le même modèle que le recours à des mesures de justice restaurative, être protégé par le secret et n'apporter aucun bénéfice ni aucun préjudice au parcours judiciaire de l'individu.

Recommandation n° 2 : Mieux accompagner les personnes mises en cause au stade pré-sentenciel, sur la base du volontariat et selon des formes couvertes par le secret médical.

De la même manière, les rapporteures ont constaté que les mesures de justice restaurative n'étaient que très peu mises en oeuvre au stade pré-sentenciel, bien que les principales associations portant ces dispositifs ainsi que le ministère n'aient pas pu lui transmettre de données exactes en la matière.

Il semblerait en effet que ces dispositifs soient davantage proposés aux victimes et aux auteurs une fois la peine prononcée, ce qui s'explique notamment par la nécessité pour les parties prenantes de disposer d'un certain recul sur les faits afin d'être prêtes à s'engager dans un dialogue sur les évènements.

Pour autant, le code de procédure pénale, en son article 10-1, précise que les mesures de justice restaurative peuvent être proposées « à tous les stades de la procédure », y compris en amont du jugement, si les conditions requises sont réunies (consentement des deux parties à participer au dispositif, reconnaissance pleine et entière des faits par l'infracteur).

Ces séquences de médiation peuvent être particulièrement appropriées à la phase pré-sentencielle à plusieurs égards :

- elles peuvent, tout d'abord, constituer un lieu d'expression pour les victimes, permettant de compenser les écueils inévitables que suppose un procès pénal en la matière, sans aucunement se substituer à celui-ci. De plus, elles sont parfois le seul cadre dans lequel la victime sera pleinement en mesure de prendre la parole, notamment lorsque la plainte est classée sans suite ou en cas de prescription des faits ;

- les mesures de justice restaurative peuvent également contribuer à la prise de conscience des faits et de ses conséquences par l'auteur, et constituer un point de départ déterminant pour l'engagement dans un parcours de soin. La participation à ces échanges peut en outre faciliter l'acceptation de la peine et de la prise en charge en milieu carcéral.

Il est entendu ici que les principes de confidentialité (conduisant à une non-inscription au dossier pénal) et d'absence de contrepartie procédurale (pas de réduction de peine, pas d'aménagement du fait d'une participation à une mesure de justice restaurative) sont appliqués de la même manière en phase pré-sentencielle, de sorte que l'engagement d'un mis en cause dans un dispositif de justice restaurative n'est aucunement susceptible d'interférer avec le déroulement de la procédure judiciaire et ne peut, à cet égard, faire l'objet d'une « instrumentalisation » par le mis en cause qui souhaiterait obtenir un jugement plus clément.

Les rapporteures regrettent le manque d'information des personnes susceptibles de recourir à ces dispositifs, notamment au stade pré-sentenciel. En effet, comme souligné par les représentants de l'Institut français de justice restaurative, « en matière d'information sur la possibilité de l'exercice d'un droit, en particulier en justice restaurative, trop tôt vaut mieux que trop tard. » La mission appelle dès lors à une meilleure information de la possibilité d'avoir recours à des mesures de justice restaurative en amont du jugement.

Il convient également que ce droit à l'information soit accompagné d'une exécution effective de la mesure lorsque celle-ci est initiée : en effet, en raison du manque de personnels formés à la conduite de mesures de justice restaurative, la mise en place des dispositifs est parfois soumise à des délais trop importants pouvant se prolonger au-delà de la procédure judiciaire, ce qui complique le suivi du dispositif. Les représentants de l'IFJR soulignent à cet égard que, « faute de moyens et de temps dédiés pour les professionnels, les listes d'attente s'allongent et les délais aussi. Ils sont très néfastes à la poursuite de la démarche des personnes et conduisent à des désistements ». Sur la base de ces constats, les rapporteures s'accordent unanimement sur la nécessité de poursuivre le travail de formation et de structuration de l'offre de médiation restaurative.

Recommandation n° 3 : Tirer davantage profit des dispositions du code de procédure pénale qui permettent le recours à la justice restaurative à tous les stades de la procédure lorsque les mis en cause reconnaissent les faits.

2. Renforcer l'évaluation du risque de récidive en amont du jugement
a) Recentrer les expertises psychiatriques obligatoires sur les profils les plus à risques

Dans le contexte, amplement décrit au cours des auditions de la mission, de pénurie d'experts psychiatres, les rapporteures se sont interrogées sur le périmètre de l'expertise obligatoire et, plus largement, sur les critères de recours aux expertises médicales en amont des procès pour des infractions à caractère sexuel.

Comme on l'a rappelé, il est actuellement impossible de quantifier le total des expertises obligatoires diligentées sur le fondement de l'article 706-47-1 du code de procédure pénale et, a fortiori, de déterminer à quelle infraction elles se rattachent précisément. Hors du champ de ces expertises obligatoires, le nombre des expertises conduites à l'égard des victimes d'infractions sexuelles est, lui aussi, inconnu.

Ce flou nuit à l'évaluation des règles de droit et aux réflexions sur leur évolution : c'est pourquoi les rapporteures appellent de leurs voeux un travail statistique sur les conditions de recours aux expertises en amont du procès, pour les AICS comme pour les victimes.

Recommandation n° 4 : Évaluer les conditions de recours aux expertises en amont du procès, pour les auteurs comme pour les victimes.

Le contexte de pénurie conduit, par ailleurs, les rapporteures à préconiser la remise en cause de l'automaticité du recours à l'expertise préalable au prononcé d'une peine, afin de recentrer le recours aux psychiatres sur les seuls cas qui le nécessitent réellement.

En l'état du droit, la réalisation d'une expertise psychiatrique du mis en cause en matière d'infractions à caractère sexuel est obligatoire avant tout jugement au fond76(*) en cas de poursuites pour viols, agressions sexuelles, infractions sexuelles sur mineurs ainsi que pour l'ensemble des infractions de fixation, détention et diffusion de pédopornographie. Elle est également obligatoire pour des infractions de moindre gravité, à l'instar de la diffusion d'un message violent susceptible d'être vu par un mineur.

L'expertise médicale concluant à l'opportunité d'un traitement est également un préalable obligatoire du prononcé d'une injonction de soins77(*). Celle-ci est même admise comme l'un des éléments garantissant la constitutionnalité de la prononciation d'une injonction de soins par le juge78(*).

Toutefois, sans remettre en cause la nécessité de disposer d'une expertise médicale des mis en cause pour la plupart des jugements sur des faits d'une telle gravité, celle-ci peut également apparaître comme moins utile dans certaines circonstances. La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), dans sa contribution écrite, signale ainsi que « si les expertises psychiatriques des mis en cause et condamnés sont de nature à apporter des éléments permettant à la juridiction de prononcer une peine la plus adaptée possible à la personnalité du condamné ou d'évaluer la compatibilité de cette dernière avec une mesure d'aménagement de peine, participant ainsi de la prévention de la récidive, force est de constater que son caractère obligatoire sur un champ d'application aussi large, sans égards pour les faits de l'espèce et sans laisser de place à l'appréciation du magistrat, n'est pas sans générer de difficultés. »

Aussi, pour les faits d'une moindre gravité, il pourrait être envisagé de ne plus recourir de manière systématique à cette expertise ou, à défaut, de la confier à des psychologues qui, comme mentionné supra, ne rencontrent pas les mêmes enjeux de pénurie. La réalisation des expertises psychiatriques obligatoires au stade pré-sentenciel pourrait par exemple ne pas être exigée si l'individu dont il est question a fait l'objet d'une autre expertise récente dans le cadre d'une procédure différente. Ce type de dérogation est aujourd'hui admis en phase post-sentencielle, le juge ou le tribunal de l'application des peines pouvant, avec l'accord du procureur de la République, décider, par ordonnance ou jugement motivé, qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise psychiatrique préalablement à une décision d'aménagement de la peine, dès lors que figure au dossier du condamné une expertise datant de moins de deux ans, y compris si celle-ci a été réalisée avant la condamnation79(*).

Le recentrage de l'obligation de réaliser des expertises psychiatriques en matière d'infractions sexuelles pourrait dès lors contribuer à réduire les délais de procédure qui conduisent fréquemment à des renvois d'audience, faute d'avoir pu réaliser l'expertise dans les temps impartis. Cela présenterait des bénéfices tant pour les victimes, qui sont les premières à pâtir de la longueur des procédures, que pour l'auteur des faits, dont la prise en charge est aujourd'hui trop souvent retardée.

Recommandation n° 5 : Revoir les critères de l'automaticité du recours à une expertise psychiatrique du mis en cause en amont du jugement.

b) Le nécessaire approfondissement des connaissances en matière de facteurs favorisant la récidive et le recours à des outils innovants d'évaluation du risque

Le constat fait par les rapporteures quant aux lacunes des statistiques disponibles en matière de récidive des délinquants sexuels plaide pour une nette amélioration, par le ministère de la justice, de la précision de ces statistiques, avec des analyses croisées en fonction des profils des auteurs et des mesures, obligations et traitements auxquels ils ont été soumis.

Les psychologues et psychiatres rencontrés par les rapporteures ont en effet exposé les rares études permettant d'objectiver les facteurs annonciateurs d'un risque plus élevé de récidive chez certains individus - sans que ces derniers n'aient pour objectif de remplacer une évaluation individualisée et circonstanciée du mis en cause.

La Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP) indique ainsi que les expertises distinguent aujourd'hui les passages à l'acte « transitoires, contextuels et opportunistes », présentant statistiquement un risque de récidive moindre, de ceux relevant d'une « dynamique de propension plus spécifique », davantage enclins à réitérer. De même, la FFPP indique que les agresseurs sexuels d'enfant de type incestueux seraient moins souvent récidivistes que les pédophiles agressant en dehors du milieu familial.

L'étude présentée par le Docteur Roland Coutanceau, expert psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (Snepp), lors de son audition par la mission, montre également qu'il est possible de distinguer des groupes d'infracteurs plus ou moins récidivistes en fonction de la nature de l'infraction. Ainsi, selon des études nord-américaines citées par Roland Coutanceau au cours de son audition, les agresseurs sur jeunes garçons, en dehors du cercle familial, ainsi que les agresseurs d'adultes réunissant certains critères (le fait que la victime lui soit inconnue, l'utilisation d'une arme ainsi que la séquestration de la victime) sont statistiquement plus récidivants que les autres agresseurs sexuels.

Ces éléments, à prendre avec le recul nécessaire en raison de la faiblesse d'études similaires conduites en France, peuvent néanmoins permettre, tant lors du prononcé de la peine que lors de l'exécution de celle-ci, de contrer certains biais psychologiques qui peuvent conduire magistrats et professionnels de la santé à sous-estimer la dangerosité de certains infracteurs. La prise en compte de ces données peut également permettre d'orienter le travail élaboré par les SPIP en milieu carcéral afin de mieux cibler les interventions dans le cadre des programmes de prévention de la récidive.

Aujourd'hui ces éléments d'objectivation n'existent pas et sont réclamés par les professionnels : maître Caroline Kazanchi, avocate et juriste correspondante pour le Criavs Provence-Alpes-Côte d'Azur, soulignait ainsi lors de son audition le 5 décembre 2024, « nous manquons d'outils et de consensus d'experts qui nous permettraient de dire que telle problématique relève d'une injonction de soins, et procédons en quelque sorte au doigt mouillé. L'injonction de soins sera ainsi parfois préconisée au motif que la personne présente une pathologie mentale, et dans d'autres cas seulement parce que la personne est dangereuse.

Le manque d'outils se manifeste également en matière d'évaluation du risque de récidive, les mesures les plus draconiennes étant parfois dégainées de manière inadaptée. Cette pratique permet sans doute de satisfaire certains soignants qui se prévaudront de leurs résultats, mais on pourrait leur objecter que des personnes ne disposant pas d'un suivi n'auraient peut-être pas non plus récidivé. »

Ce constat a également été formulé par maître Isabelle Steyer, avocate et membre du collectif Action Juridique Féministe lors de son audition par la mission le 17 décembre 2024, qui soulignait que « les mesures de protection dépendent d'appréciations à l'aune de multiples stéréotypes : si l'on estime qu'un agresseur n'est pas dangereux, on ne protège pas la victime à la hauteur du danger ».

Aussi, sans remplacer le travail humain et médical que suppose l'expertise psychologique, le développement de la recherche sur les causes et les signaux de récidive paraît indispensable, dans un domaine emprunt de représentations préétablies qui peuvent être trompeuses. Ces recherches, menées dans le domaine à la fois criminologique et sociologique, permettront, par ailleurs, la construction et un recours renforcé à des outils innovants en matière d'évaluation du risque de récidive, tels que des grilles d'évaluation actuarielle, à la fois par les psychiatres et les psychologues et par les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation et les travailleurs sociaux.

Au sujet de l'évaluation standardisée du risque de récidive des auteurs d'infractions à caractère sexuel lors de la table ronde du 5 décembre 2024, Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des Criavs, a déclaré qu'« aucun outil n'offre évidemment de solution miraculeuse, mais certains outils semi-structurés s'avèrent particulièrement intéressants. À l'étranger, les soignants ne sont pas les seuls à les utiliser et les travailleurs sociaux y recourent également. La difficulté, aujourd'hui, consiste à les implanter dans la pratique française ».

De même, Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Ile-de-France, a reconnu que « nous utilisons parfois des échelles d'évaluation du risque de récidive bâties dans d'autres pays, car ce travail n'a pas été accompli en France, ce qui est regrettable. L'utilisation d'échelles ``actuarielles'' permettrait pourtant, par la validation du réel, de déterminer les populations sur lesquelles il conviendrait de concentrer nos efforts ».

Si le recours à ces outils d'évaluation actuarielle du risque de récidive des AICS est plébiscité par la plupart des experts psychiatres et psychologues entendus par la mission, ils appellent aussi à les utiliser avec précaution.

Ainsi, Florent Simon, psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP), a estimé « essentiel de conserver une diversité des outils auxquels les psychologues ont recours. » Prenant l'exemple des échelles actuarielles, il a précisé qu'elles « sont tout à fait intéressantes, facilement réplicables, mais (...) ne peuvent pas être l'alpha et l'oméga de l'évaluation. Elles sont plutôt une aide à l'évaluation, dont les résultats doivent être analysés et confrontés aux données cliniques. L'idée est bien d'aboutir à un examen global qui prenne en compte la complexité des processus pour comprendre vraiment ce qui s'est passé ».

Interrogés par les rapporteures sur les risques de biais d'interprétation associés à l'utilisation d'outils d'évaluation actuarielle générés par l'IA, les experts ont indiqué que ces outils devaient être couplés à une appréciation clinique systématique.

Ainsi, pour Laurent Layet, expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), « les échelles d'évaluation sont en effet des outils statistiques algorithmiques et il faut indéniablement reconnaître qu'elles ont progressé. On a essayé de croiser les deux approches, en utilisant des échelles qui prennent en compte une dimension clinique et que seuls des cliniciens peuvent remplir. Certains critères pourront ainsi être déterminés par une IA, mais nécessiteront toujours une appréciation clinique ».

De même, Christian Ballouard, expert psychologue, président de la Compagnie nationale des experts psychologues (Cnepsy), a indiqué que ces échelles d'évaluation devaient toujours servir de « guide pour un entretien clinique classique ».

Outre les experts psychiatres et psychologues, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) ont également parfois recours aux outils d'évaluation actuarielle du risque de récidive, importés notamment d'Amérique du Nord.

Dans une contribution écrite transmise aux rapporteures, la direction de l'administration pénitentiaire a indiqué que des formations à l'utilisation d'outils actuariels spécifiques à l'évaluation des AICS se développent actuellement à destination des CPIP exerçant dans les établissements pénitentiaires fléchés AICS, précisant toutefois que « ces grilles canadiennes nécessitent en amont des formations longues et onéreuses (quatre jours de formation a minima) et une supervision sur le long terme ».

Interrogée sur ce point par les rapporteures, Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lorraine, a souligné que, depuis une vingtaine d'années, l'activité des CPIP a évolué pour intégrer les apports de la recherche criminologique, plus particulièrement celle originaire d'Amérique du Nord. Ces apports permettent notamment d'établir un guide d'évaluation du risque de récidive basé sur le modèle RBR (risque besoin réceptivité) qui combine différentes méthodologies visant à améliorer cette évaluation et à réintroduire des critères objectifs dans cette évaluation tout en conservant l'expertise humaine du professionnel.

Sans préjudice des développements infra de la mission conjointe de contrôle sur les risques associés au recours aux outils d'intelligence artificielle pour élaborer des solutions techniques dites prédictives, les rapporteures rappellent la nécessité de manipuler ces outils avec précaution, de les adapter à l'environnement judiciaire national et de veiller au bon équilibre entre recours à l'IA, aujourd'hui inévitable, pour construire ces solutions innovantes et supervision humaine de leur élaboration et utilisation.

Le recours aux grilles d'évaluation actuarielle ne saurait être conçu autrement que comme un guide et une aide à la décision des professionnels lorsqu'il s'agit d'évaluer le risque de récidive des délinquants sexuels.

Recommandation n° 6 : Produire des statistiques en matière de récidive des délinquants sexuels en permettant les analyses croisées en fonction des profils des auteurs et des mesures, obligations et traitements auxquels ils ont été soumis.

c) Chez les mineurs, l'évaluation doit permettre la détection de violences subies antérieurement par l'auteur

En complément du constat formulé précédemment s'agissant du besoin de formation des acteurs sociaux à la détection des violences sexuelles subies par les enfants afin d'éviter le premier passage à l'acte, les rapporteures estiment également que l'expertise psychiatrique et, plus globalement, la période d'enquête et d'instruction en amont du jugement, sont propices à la détection chez les mineurs mis en cause d'expériences antérieures où l'enfant aurait lui-même été victime d'abus, plaidant pour un renforcement de la formation de l'ensemble des acteurs de la prise en charge des MAICS à la détection de violences subies.

En effet, comme le démontrent les données produites par Marie Romero et d'autres recherches citées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse80(*), les mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel ont pour la plupart vécu des antécédents de violences familiales (maltraitances physique et morale, carences, expositions aux violences conjugales) et, pour plus d'un quart d'entre eux, ces violences étaient de nature sexuelle, commises par une personne de la famille ou de l'entourage proche, non détectées avant leur prise en charge institutionnelle. De nombreux jeunes auteurs ont également été exposés de façon précoce à de la pornographie en ligne avant l'âge pubertaire, d'autres rapportent une situation de harcèlement scolaire subie à l'entrée au collège.

Aussi, la détection en amont du jugement du statut de victime du mis en cause doit permettre de mieux appréhender le passage à l'acte de l'agresseur, sans le justifier ni l'excuser, et ainsi servir de point de départ à la reconnaissance des faits commis par le jeune et à un travail permettant, in fine, de prévenir la récidive.

Comme rappelé par Marie Romero, cette détection est trop souvent entravée par le manque de connaissances et de formation des professionnels de la justice et de la protection de l'enfance, ainsi que par le sentiment de malaise qui accompagne le sujet de la délinquance sexuelle des mineurs ainsi que l'insuffisance des échanges entre les professionnels de la justice et du soin. Si le code de justice pénale des mineurs a permis d'améliorer la connaissance de la situation du mineur, notamment dans le cadre de l'information judiciaire instruite par un juge spécialisé dans les affaires concernant les mineurs qui peut ordonner une mesure judiciaire d'investigation éducative81(*) ainsi que des mesures d'investigation sur la personnalité du mineur, les rapporteures estiment qu'il est nécessaire, au vu de l'ampleur des MAICS concernés, de porter une attention systématique à la recherche d'indicateurs de violences antérieures qu'aurait subi le jeune.

La mesure judiciaire d'investigation éducative

Aux termes de l'article L. 322-7 du code de la justice pénale des mineurs, la mesure judiciaire d'investigation éducative consiste en une évaluation approfondie et interdisciplinaire de la personnalité et de la situation du mineur, y compris, le cas échéant, sur le plan médical.

Elle peut être ordonnée par le juge des enfants, le juge d'instruction et les juridictions de jugement pour mineurs à tous les stades de la procédure pénale.

Elle peut être mise en oeuvre par les services et établissements de la protection judiciaire de la jeunesse ou du secteur associatif habilité.

Elle donne lieu à un rapport contenant tous renseignements utiles sur sa situation ainsi qu'une proposition éducative ou une proposition de mesures propres à favoriser son insertion sociale.

La mission partage également la préconisation de Marie Romero visant à mieux former les magistrats, les experts judiciaires et les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse intervenant auprès des MAICS, afin que ceux-ci soient sensibilisés à ces problématiques et puissent identifier efficacement les premiers signes laissant penser que l'auteur est également victime. Cette détection semble indispensable pour la prise en charge de l'enfant et à des fins de prévention de la récidive.

Recommandation n° 7 : Former les magistrats et tous les professionnels (protection judiciaire de la jeunesse, police, gendarmerie...) intervenant auprès des mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel (MAICS) afin de mieux identifier les mineurs auteurs étant par ailleurs victimes.

C. GARANTIR LE PRONONCÉ DE PEINES ADAPTÉES AUX PROFILS DES AICS ET PLUS RAPIDEMENT EXÉCUTÉES

Les travaux de la mission conjointe de contrôle l'ont convaincue de la nécessité de modifier le droit et les pratiques pour garantir la meilleure prise en charge possible des AICS en amont de leur procès, seule solution pour permettre in fine le prononcé de peines à la fois adaptées et plus rapidement mises en oeuvre. La mission formule à cet égard cinq recommandations, articulées autour de trois enjeux : la formation des magistrats, le développement mesuré et étroitement conditionné de certaines procédures « rapides » et le soutien à la filière médico-judiciaire, en expertise comme en soins.

1. Des magistrats mieux formés aux spécificités des AICS

La nécessité d'une meilleure formation des magistrats et d'une forme de spécialisation des acteurs de la chaîne pénale pour favoriser un suivi des AICS de nature à mieux lutter contre la récidive a été avancée par la quasi-intégralité des personnes entendues par la mission commune de contrôle, notamment au regard des spécificités de profils dont la dangerosité objective est souvent difficile à déceler et qui peuvent, pour les cas les plus graves, s'avérer manipulateurs.

À cet égard, des débats récurrents concernent l'opportunité de la création de juridictions spécialisées en matière de violences sexuelles. La majorité des rapporteures n'a pas estimé pertinent de retenir cette piste qui, intellectuellement attrayante, soulève toutefois de nombreuses difficultés pratiques, elles-mêmes peu surmontables :

la spécialisation créerait un risque procédural réel et majeur, puisqu'à défaut de voir une affaire d'ICS confiée à une juridiction spécialisée, le dossier serait frappé de nullité : à ce titre, on rappellera qu'un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de cassation a conclu à la nullité de réquisitions de placement en détention provisoire prononcées par un magistrat non habilité pour connaître des affaires relatives aux mineurs, et par conséquent incompétent pour prendre de telles réquisitions82(*) ;

- les principales lacunes observées par la mission ne touchent pas les compétences des magistrats, mais plutôt leur disponibilité et celle des autres services concernés (services d'enquête, experts, professionnels du soin) ainsi qu'un déficit de signalement des infractions à caractère sexuel, c'est-à-dire qu'elles concernent des facteurs auxquels la création de juridictions spécialisées n'apporterait pas de réponse ;

- la spécialisation implique, par principe, la création de juridictions ad hoc dont le nombre ne saurait de manière réaliste atteindre - et encore moins excéder - celui des tribunaux judiciaires, ce qui pourrait être un facteur d'éloignement entre le justiciable et sa juridiction de jugement dans un contexte déjà marqué par la difficulté des parcours pour les victimes et par une sous-dénonciation des faits ;

- au surplus, les règles procédurales de droit commun sont applicables aux violences sexuelles : de ce point de vue, celles-ci ne présentent pas de technicité particulière.

Il est en revanche apparu intéressant à la mission de s'appuyer sur l'expertise acquise par les pôles « VIF » (violences intrafamiliales) des tribunaux judiciaires pour l'ensemble des ICS commises dans le cadre familial ou proche.

Pour mémoire, depuis le 1er janvier 2024, chaque tribunal judiciaire et chaque cour d'appel sont en effet dotés d'un pôle spécialisé en matière de VIF et qui réunit des personnels de toutes catégories dûment formés (magistrats du siège et du parquet, directeurs des services de greffe, greffiers, juristes assistants et agents contractuels de catégorie A) et dont la coordination est assurée par deux magistrats spécialisés - l'un du siège, l'autre du parquet. Ils sont animés par un comité de pilotage qui, outre les membres du pôle, peut convier des représentants de l'administration pénitentiaire ou de la protection judiciaire de la jeunesse, des représentants des services de l'État et des collectivités territoriales, le bâtonnier ou encore des représentants d'associations dont l'activité est en lien avec la lutte contre les violences intrafamiliales.

Les pôles VIF : extraits du décret n° 2023-1077 du 23 novembre 2023 instituant
des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales
au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel

« Dans chaque tribunal judiciaire est institué un pôle spécialisé en matière de violences intrafamiliales, composé de magistrats du siège et du parquet appelés à connaître de faits de violences intrafamiliales, ainsi que de directeurs des services de greffe judiciaires, de greffiers, de juristes assistants et d'agents contractuels de catégorie A.

« Un magistrat du siège et un magistrat du parquet coordonnent respectivement pour le siège et le parquet les activités du pôle.

« Les magistrats coordonnateurs sont désignés respectivement par le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République près cette juridiction, après avis respectivement de l'assemblée générale des magistrats du siège et de l'assemblée générale des magistrats du parquet. Il est mis fin à leurs fonctions et pourvu à leur remplacement dans les mêmes formes.

« Les magistrats coordonnateurs concourent, chacun pour ce qui le concerne, en concertation avec les autres membres du pôle, à l'élaboration, à la mise en oeuvre, au suivi et à l'évaluation des mesures et actions en matière de violences intrafamiliales. Ils participent, en lien avec le coordonnateur régional de formation, à la définition d'actions de formation continue déconcentrée adaptées aux besoins des membres du pôle. Ils veillent au partage, au sein du pôle, des informations nécessaires à l'exercice de ses missions, dans le respect des dispositions du code de procédure pénale.

« Le magistrat coordonnateur du siège veille à la mise en place des circuits de traitement appropriés par les services du siège, civils et pénaux, appelés à connaître de faits de violences intrafamiliales. Il adresse au président du tribunal judiciaire toutes propositions d'amélioration des dispositifs de prévention, détection, traitement, suivi et évaluation de faits de cette nature et de protection des victimes.

« Le magistrat coordonnateur du parquet veille à la mise en place des circuits de traitement appropriés par les services du parquet appelés à intervenir en matière de violences intrafamiliales, en lien avec leurs différents partenaires. Il adresse au procureur de la République toutes propositions d'amélioration des dispositifs de prévention, détection, traitement, suivi et évaluation des faits de cette nature et de protection des victimes.

« Les magistrats coordonnateurs dressent périodiquement le bilan de l'activité du pôle qu'ils présentent ensemble à l'assemblée générale des magistrats du siège et du parquet, ainsi qu'à l'assemblée plénière des magistrats et des fonctionnaires. Le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République près ce tribunal présentent ensemble l'activité du pôle au conseil de juridiction, au moins une fois par an.

« Les coordonnateurs et les membres du pôle bénéficient d'une formation spécifique en matière de violences intrafamiliales.

« Un comité de pilotage de la lutte contre les violences intrafamiliales est placé auprès du pôle mentionné à l'article R. 212-62-1. Coprésidé par le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République, ou, en cas d'absence ou d'empêchement, par les magistrats coordonnateurs de ce pôle, ce comité se réunit aussi souvent que nécessaire et au moins une fois par an. [...] Le comité de pilotage a pour missions :

« 1° De définir les actions coordonnées à mettre en oeuvre pour concourir à la lutte contre les violences intrafamiliales ;

« 2° De piloter la mise en oeuvre, le suivi et l'évaluation des dispositifs de lutte contre les violences intrafamiliales ;

« 3° De contribuer à déterminer les moyens à mettre en oeuvre pour le traitement des procédures judiciaires de violences intrafamiliales ;

« 4° De faire toutes propositions visant à l'amélioration du traitement des violences intrafamiliales ;

« 5° De partager les informations nécessaires à l'exercice de ses missions, dans le respect des dispositions du code de procédure pénale. »

Source : décret n° 2023-1077 précité

Les rapporteures estiment qu'une réflexion doit être conduite pour étudier l'intégration aux compétences des « pôles VIF » de toutes les ICS commises dans le cadre familial (ce qui est au demeurant recommandé par la circulaire de mise en oeuvre du décret n° 2023-1077 précité du 24 novembre 202383(*)). Elles estiment en tout état de cause que la formation des magistrats, y compris en formation continue, doit être enrichie afin de les sensibiliser aux spécificités des profils des AICS, qu'il incombe aux juges de prendre en compte dès le stade de la sanction.

Une telle formation serait particulièrement utile pour les juges de l'application des peines84(*), les AICS ayant, selon les personnes entendues par la mission, des comportements souvent « dociles » en détention, y compris pour des profils dits « manipulateurs » : le traitement de tels détenus suppose indéniablement des compétences spécifiques, qu'il serait judicieux que le ministère puisse rapidement mettre en place afin que les AICS ayant commis les faits les plus lourds ou dont la dangerosité a été établie par des expertises avant jugement et au cours de la détention puissent être orientés vers des magistrats pleinement conscients de leurs particularités.

Recommandation n° 8 : Former les magistrats, et en priorité les juges de l'application des peines, aux spécificités des profils des AICS afin de garantir le prononcé et l'exécution de justes peines.

Il a semblé aux rapporteures de la mission conjointe de contrôle que cette solution fondée sur la formation des magistrats limitait le risque de voir à terme se développer des solutions techniques dites « prédictives », fondées sur l'intelligence artificielle et qui pourraient - selon certaines personnes entendues par la mission - être utilisées comme aides à la décision quant à la dangerosité des mis en cause ou des condamnés85(*).

Cette conclusion s'inscrit au demeurant dans la droite ligne des travaux récemment menés par la commission des lois, dont le rapport d'information sur l'intelligence artificielle générative et les professions du droit86(*) rappelait, à juste titre, que l'acte de juger - ce qui intègre l'évaluation de la dangerosité et du risque de récidive - ne pouvait pas valablement être confié à des outils techniques, et l'utilisation de solutions prédictives en la matière ne répond en aucun cas aux cas d'usage imaginés par la mission d'information menée par Christophe-André Frassa et Marie-Pierre De la Gontrie. La mission conjointe de contrôle partage leurs conclusions et rappelle, à leurs côtés, que toute utilisation d'outils d'intelligence artificielle emporte avec elle « le risque d'hallucinations, les biais de conception, l'obsolescence des données sur lesquelles repose le modèle, l'inconstance des réponses données à des questions pourtant identiques ou encore les risques liés à la confidentialité des données, personnelles ou sensibles ».

Extraits du rapport « L'intelligence artificielle générative et les métiers du droit : agir plutôt que subir »87(*)

La volonté de préserver le caractère humain de l'activité juridictionnelle apparaît partagée aux échelles européenne et nationale. Le RIA précise ainsi en son considérant 61 que si « l'utilisation d'outils d'intelligence artificielle peut soutenir le pouvoir de décision des juges ou l'indépendance judiciaire, [elle] ne devrait pas les remplacer, car la décision finale doit rester une activité humaine ». Cette formule synthétise les arguments qui ont été unanimement exprimés lors des auditions. Le RIA classe ainsi les outils d'intelligence artificielle générative dédiés aux autorités juridictionnelles parmi les systèmes « à haut risque » ; ce régime restrictif prévient le risque de la substitution d'un traitement algorithmique à une décision juridictionnelle.

Les représentants de l'ensemble des professions juridiques ont ainsi exprimé leur attachement au caractère humain de toute décision de justice, qu'il s'agisse des magistrats - administratifs ou judiciaires -, des greffiers, des avocats, du ministère de la justice ou d'un professeur d'université.

Il apparaît en effet que le raisonnement d'un juge n'est ni probabiliste, ni déterminé par les précédentes décisions, spécialement dans un système de droit continental qui repose sur la logique déductive du syllogisme. La décision de justice résulte en effet d'un cheminement spécifique, qui exige du temps et une procédure contradictoire voire délibérative. Cela permet aux juges d'identifier des solutions juridiques nouvelles, qui se traduisent par les évolutions et les revirements jurisprudentiels qui participent à la nécessaire plasticité du phénomène juridique.

[...]

Le cadre juridique actuel et la conception de la justice que partagent les différentes professions juridiques assurent que l'acte de juger demeure « une prérogative exclusive du magistrat ».

2. Des débats sur l'extension du « plaider-coupable » en matière criminelle

La mission a longuement commenté les difficultés liées aux délais de traitement des affaires, parmi lesquels les délais d'audiencement jouent un rôle non-négligeable malgré la mobilisation sans faille des magistrats, des greffiers et de l'ensemble des professionnels de justice appelés à travailler sur les dossiers d'ICS.

Les rapporteures n'entendent pas faire des « procédures rapides » la clé de voûte de leur raisonnement et estiment nécessaire d'envisager un renforcement des moyens de la justice, ou a minima une sanctuarisation des moyens supplémentaires prévus dans le cadre de la dernière loi d'orientation et de programmation88(*). Elles estiment également que, sous l'effet d'une succession trop rapide de « priorités » mises en avant par les ministres successifs de la justice, parfois au gré des faits divers, la réponse pénale a pu se trouver fragilisée et mettre de côté le contentieux - pourtant massif et traversant toutes les strates de la société - des infractions à caractère sexuel.

En dépit de cette conviction, les rapporteures n'ont pu que constater que non seulement les délais d'audiencement étaient élevés, mais surtout qu'aucun indicateur ne laissait présager une amélioration de la situation à court ou moyen terme. Or, comme évoquée précédemment, la rapidité de la prise en charge des AICS est un facteur déterminant de leur réinsertion : il appartient donc au Parlement de réfléchir, sans attendre, aux voies et moyens d'un traitement accéléré des dossiers d'ICS, dès que cela est possible.

C'est dans ce contexte que la mission a débattu de la pertinence d'une extension de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) - mieux connue sur le nom de « plaider-coupable » -, y compris en matière criminelle, pour traiter le cas des AICS qui reconnaissent les faits qui leur sont reprochés.

La CRPC est une procédure désormais relativement ancienne, dont l'efficacité est éprouvée par la pratique ; aux yeux de certaines des rapporteures, elle peut permettre de répondre à la crainte que certaines plaignantes éprouvent face à la perspective de se soumettre au procès pénal - qui reste trop souvent une épreuve difficile pour les victimes, ne serait-ce qu'en raison du retour sur les faits qu'il implique.

La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC)

La CRPC, aussi dénommée « plaider-coupable », a été introduite par la loi n° 2004-104 du 9 mars 2004. Elle est prévue aux 495-7 à 495-16 du code de procédure pénale.

Elle est applicable à tous les délits commis par des majeurs, quelle que soit la peine encourue. Sont cependant exclus les délits de presse, les délits d'homicides involontaires et les délits politiques, ainsi que les délits d'atteintes volontaires et involontaires à l'intégrité physique des personnes et d'agressions sexuelles prévues aux articles 222-9 à 222-31 du code pénal lorsqu'ils sont punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à cinq ans.

La CRPC permet de prononcer toute peine principale ou complémentaire encourue. Néanmoins, la peine d'emprisonnement proposée ne peut ni être d'une durée supérieure à 3 ans, ni excéder la moitié de la peine encourue. Elle peut faire l'objet d'un aménagement et peut être assortie en tout ou partie du sursis.

Le recours à la CRPC suppose la reconnaissance par le mis en cause de l'ensemble des faits qui sont reprochés ; l'assistance de l'avocat est obligatoire.

La procédure est mise en oeuvre à l'initiative du parquet ou sur demande de l'intéressé ou de son avocat ou encore suite à une ordonnance de renvoi du juge d'instruction avec l'accord du procureur de la République ou des parties. Elle peut intervenir à la suite d'un défèrement.

La procédure se déroule en deux temps :

- une première phase se déroule devant le procureur de la République, au cours de laquelle celui-ci recueille la reconnaissance de la culpabilité du mis en cause et lui propose une peine ;

- si l'auteur accepte la peine, il comparaît en audience publique devant le président du tribunal judiciaire ou un juge délégué. Ce juge entend la personne et son avocat et statue le jour même par ordonnance motivée.

Le magistrat du siège peut refuser d'homologuer la peine proposée lorsque les conditions ne sont pas réunies (reconnaissance des faits, notamment) ou s'il estime que la nature des faits, la personnalité de l'intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire. Il peut également refuser l'homologation lorsque les déclarations de la victime, entendue lors de l'audience, apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l'infraction a été commise ou sur la personnalité de son auteur.

Depuis la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, si la peine proposée n'est pas acceptée ou que le magistrat du siège rend une ordonnance de refus d'homologation, le procureur de la République peut, à une seule reprise, saisir à nouveau le président du tribunal judiciaire ou le juge délégué par celui-ci d'une requête en homologation d'une peine, sous réserve de son acceptation par la personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés.

Source : MCC sur la prévention de la récidive du viol.

Sans se prononcer sur la pertinence au fond d'une extension de la CRPC aux crimes sexuels, la mission estime que, si une telle mesure devait être envisagée, elle supposerait que soient prévus des aménagements de la procédure existante, limitée à certains faits de nature délictuelle. Dans cette hypothèse, les principaux enjeux de réflexion devraient ainsi concerner :

- le quantum de peine encouru en cas de reconnaissance des faits ;

- la nécessité que la procédure soit réservée à des AICS qui admettent l'intégralité des faits qui leur sont reprochés ;

- la préservation de la place de la victime : si le procès pénal est tourné vers la défense des intérêts de la société, et non de la victime, il paraît difficilement envisageable qu'un « plaider-coupable » puisse être mise en oeuvre par le parquet sans l'adhésion pleine et entière du ou de la plaignant(e). Ainsi, et à supposer que l'extension de la CRPC aux crimes sexuels soit envisagée, des « garde-fous » devront être mis en place par le législateur pour éviter tout dévoiement. On rappellera à cet égard que, en l'état du droit, la procédure réserve une place substantielle à la victime : informée, sans délai et par tout moyen, du recours à cette procédure, elle est invitée à comparaître en même temps que l'auteur des faits, accompagnée le cas échéant de son avocat, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge délégué par lui pour se constituer partie civile et demander réparation de son préjudice. Le président du tribunal judiciaire ou le juge délégué par lui statue sur cette demande, même dans le cas où la partie civile n'a pas comparu à l'audience. La victime peut faire appel de l'ordonnance d'homologation et son accord pour la mise en oeuvre d'une CRPC est requis lorsque la procédure a été mise en oeuvre à son initiative (c'est-à-dire lorsque tribunal a été saisi par une citation directe délivrée par la partie civile ou lorsque l'ordonnance de renvoi a été prise par le juge d'instruction, saisi par une plainte avec constitution de partie civile).

Dans tous les cas, le « plaider-coupable » ne saurait être utilisé comme une solution strictement capacitaire ou de « confort » pour désengorger les juridictions criminelles, ou sans tenir compte de l'intérêt que revêt, pour la société, la tenue d'un procès.

3. Garantir le développement d'une offre médico-judiciaire adaptée

Les rapporteures ont également estimé nécessaire d'agir sur l'accès des AICS à une offre de soins adaptée. Elles proposent, à cette fin, plusieurs leviers complémentaires.

En premier lieu, les rapporteures ont mis en avant les limites des statistiques dont dispose le ministère de la justice en matière d'injonction de soins, de même que le nombre étonnamment bas de suivis socio-judiciaires effectivement prononcés à l'encontre des AICS, y compris pour les infractions les plus graves. Une réforme sérieuse doit, avant toute chose, s'appuyer sur des évaluations fiables de l'existant qui, en l'espèce, font défaut, alors même que l'injonction de soins a été pensée comme un outil central de la prise en charge des AICS par le législateur : cette situation n'est pas acceptable.

Dans ce contexte, les rapporteures appellent à ce qu'un travail soit mené non seulement pour fiabiliser les chiffres disponibles s'agissant des injonctions, mais aussi et surtout pour comprendre les motifs de leur relative rareté : pour mémoire, en 2023, seules 11 % des condamnations pour agression sexuelle ont donné lieu au prononcé d'un SSJ, et seules 7 % prévoyaient expressément une injonction de soins.

Sans plaider pour l'automaticité de telles peines qui, comme les rapporteures l'ont déjà relevé, ne sauraient être considérées comme une solution miracle face au risque de récidive des AICS, la mission estime indispensable de pouvoir disposer sans délai de chiffres consolidés pour envisager, enfin, le lancement d'une évaluation du suivi socio-judiciaire et de l'injonction de soins.

Cette piste suppose par ailleurs que soient valorisés les travaux de recherche scientifique et sociologique sur ces thèmes, afin d'assurer la parfaite indépendance de l'évaluation ainsi conduite.

Recommandation n° 9 : Produire des statistiques fiables en matière d'injonction de soins pour pouvoir, à moyen terme, lancer une évaluation approfondie des critères de leur prononcé par les juridictions, des motifs conduisant à écarter leur application et de leur efficacité concrète dans la lutte contre la récidive des AICS.

Par ailleurs, la mission conjointe de contrôle juge indispensable de s'interroger sur l'attractivité des professions psychiatriques et, plus particulièrement, des fonctions d'expertise. La réflexion sur l'attractivité globale des professions psychiatriques, bien que nécessaire, dépasse le cadre de la présente mission ; les rapporteures souhaitent toutefois que le Sénat puisse consacrer des travaux de contrôle à cette thématique à brève échéance, tant la psychiatrie leur est apparue comme un secteur sinistré. La situation ne saurait rester inchangée sous peine de mettre substantiellement en cause la faculté qu'a la profession d'assumer ses missions d'intérêt général.

Au-delà de ce sujet et en l'état des ressources disponibles, il conviendrait tout à la fois, pour faciliter la mobilisation des professionnels disponibles :

- de s'interroger sur une revalorisation de la rémunération des experts ;

- de rendre plus ergonomique le système de mandatement existant, puisque les démarches que les experts doivent effectuer pour obtenir leur rémunération semblent particulièrement complexes89(*) ;

Recommandation n° 10 : Revaloriser la rémunération des experts psychiatres et psychologues, et garantir la perception effective par ceux-ci de cette rémunération.

d'utiliser le levier que constitue la profession de psychologue, actuellement peu exploitée pour la conduite d'expertises alors même que son concours est indispensable à la bonne conduite de la phase pré-sentencielle dans un contexte où la population de psychiatres ne semble pas, à date, permettre à ces derniers d'assurer l'intégralité des expertises obligatoires prévues par le législateur. Il conviendrait ainsi de standardiser, comme le proposait Florent Simon, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP)90(*), la formation des psychologues afin de renforcer leur visibilité auprès de l'extérieur et, partant, leur attractivité en tant qu'experts. La profession souffre en effet aujourd'hui d'une forme d'« émiettement » liée à la multiplicité des parcours (199 sont recensés en master par le SNP), y compris pour la sphère judiciaire : les filières qui traitent de l'expertise sont en effet distinctes de celles qui concernent le travail en administration pénitentiaire, ou encore la PJJ ou l'aide sociale à l'enfance (ASE), si bien qu'« aucun[e] n'est parfaitement calibré[e] pour l'exercice de la psychologie légale ».

C'est dans ce contexte que la mission soutient la proposition du SNP tendant à intégrer la psychologie légale à la formation des psychologues, sur le modèle du doctorat d'exercice qui existe au Québec.

Recommandation n° 11 : Créer une formation de psychologie légale au cours du cursus des psychologues afin de favoriser, dès que possible, le recours à experts au sein de cette profession, notamment dans les ressorts où l'on trouve peu de psychiatres.

Cette évolution suppose de toute évidence une réflexion préalable, en lien avec la recommandation n° 4, pour distinguer les cas d'expertise obligatoire devant conduire l'expert à se prononcer sur l'opportunité d'une injonction de soins - avec, le cas échéant, la prescription d'un traitement inhibiteur de libido - et qui paraît devoir par nature être réservés à des médecins, donc à des psychiatres, et les cas d'expertise facultative portant sur des profils moins lourds pour lesquels un psychologue pourrait opportunément être saisi, avec une nécessaire faculté d'« escalade » vers un psychiatre dans l'hypothèse où l'expertise ainsi conduite révélerait des éléments de personnalité pouvant attester de l'existence d'une pathologie mentale.

Dans une perspective de plus vaste ampleur, et sans préjudice de la recommandation n° 14 sur la nécessaire évaluation des conditions d'efficacité des injonctions de soins, les rapporteures souhaitent inviter les juridictions - et au premier chef, les parquets - à repenser les modalités de la prise en charge des AICS mis en cause ou condamnés.

En ce qui concerne les soins, et à tous les stades de la procédure, une réflexion analogue pourrait être menée pour, face à la pénurie de psychiatres, donner davantage de poids aux psychologues, notamment dans la mise en oeuvre des injonctions de soins. En effet, et même si cette analyse gagnerait à être approfondie par le ministère de la justice au moyen d'une étude ad hoc, les travaux de recherche récents tendent à démontrer que certains AICS ne sont pas atteints de troubles psychiatriques lourds - ce qui signifie que les auteurs de violences sexuelles ne relèvent pas de la compétence exclusive des psychiatres.

L'intervention des psychologues serait naturellement encadrée : elle se ferait sous l'autorité d'un médecin coordonnateur, notamment pour faciliter le « passage de relai » lorsque l'état psychique d'un AICS impose le recours à des soins qui ne peuvent être effectués que par un psychiatre (prescription d'un traitement médicamenteux ou traitement de pathologies susceptibles de donner lieu à une telle prescription, notamment). Il va en effet de soi que, de même qu'en pré-sentenciel et dans l'hypothèse où des pathologies seraient développées ou repérées pendant la mise en oeuvre de l'injonction de soins sous l'égide d'un psychologue, une réorientation immédiate du détenu vers un psychiatre devrait être prévue91(*).

Il convient, sous ces réserves, d'envisager d'orienter plus fréquemment les AICS vers des psychologues, permettant aux psychiatres de concentrer leur prise en charge en matière de soins pénalement ordonnés sur les cas les plus lourds relevant spécifiquement de leur compétence. S'agissant des injonctions de soins exécutées hors de la détention (voir infra), l'orientation d'un condamné vers un psychologue pourrait être décidée par le médecin coordonnateur, celui-ci semblant le mieux placé pour apprécier la nature du suivi à mettre en place au vu du profil de la personne condamnée.

Recommandation n° 12 : Envisager la prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel (AICS) par des psychologues dès lors qu'ils ne sont pas atteints de pathologies relevant spécifiquement de la compétence des psychiatres afin de faire face au contexte de pénurie d'experts-psychiatres et à la saturation des services psychiatriques.

D. INVESTIR LE TEMPS DE L'EXÉCUTION COMME UN TEMPS DE SOINS ET DE PRISE DE CONSCIENCE

La mission estime, par ailleurs, que l'un des enjeux de la prévention de la récidive des AICS est d'investir enfin le temps de l'exécution de la peine, qu'elle se fasse en détention ou à l'extérieur, comme un temps de prise de conscience, de soin et de réinsertion économique et sociale.

Elle formule, dans cette perspective, neuf recommandations - dont la principale constitue une véritable révolution copernicienne, puisque les rapporteures souhaitent voir mise en place une injonction de soins en détention.

1. Donner une nouvelle ambition aux soins en détention

La mission estime, en premier lieu, que l'affectation effective des AICS dans des établissements pénitentiaires « fléchés » (au demeurant prévue par le droit en vigueur, puisque l'article 763-7 du code de procédure pénale dispose que les AICS condamnés doivent « exécuter leur peine dans un établissement pénitentiaire permettant de leur assurer un suivi médical et psychologique adapté ») doit devenir la norme. Ce constat semble être partagé par le ministère de la justice, qui porte un projet d'augmentation du nombre de tels établissements (voir supra).

Il n'en reste pas moins que ce principe ne doit plus souffrir d'exceptions au vu de l'importance du travail en groupes de parole, essentiel à la prise en charge des détenus concernés, comme l'ont rappelé toutes les personnes entendues par les rapporteures, et notamment par les professionnels qu'elles ont rencontrés à la prison de Fresnes. Ainsi, l'affectation des détenus AICS dans des établissements « fléchés » ne doit plus connaître les dérogations pratiquées aujourd'hui : selon les statistiques transmises par le ministère de la justice, deux tiers des personnes détenues pour au moins une ICS ne sont pas affectées en établissement « fléché » (soient 8 666 sur 13 130 détenus), ce qui n'est pas acceptable.

Recommandation n° 13 : Affecter effectivement les AICS dans des établissements fléchés afin, notamment, de permettre la mise en oeuvre de soins en groupes de parole.

Les rapporteures souhaitent également que notre droit soit modifié afin d'aller plus loin en matière d'incitation aux soins en détention. Certes, une telle incitation existe déjà sous diverses formes : le code de procédure pénale permet en effet au juge de l'application des peines d'ordonner le retrait du crédit des réductions de peine lorsque le détenu a été condamné pour une ICS et qu'il refuse de suivre un traitement pendant son incarcération, ainsi que de tenir compte du suivi d'une thérapie pour l'octroi de réductions de peine particulières92(*).

Au vu de la gravité des phénomènes de récidive en matière d'AICS, qui concernent des profils particulièrement dangereux, comme de l'importance qui s'attache, notamment pour les profils les plus lourds, à un démarrage rapide des soins, sans attendre la fin de la détention, il est indispensable d'aller plus loin que la seule incitation en mettant en place, mutatis mutandis, un régime d'injonction pendant l'incarcération comparable à celui qui existe à l'extérieur des prisons.

La perspective d'une obligation sanctionnée par une peine d'emprisonnement complémentaire n'a pas paru réaliste aux rapporteures pour des raisons à la fois juridiques, pratiques et de principe : le risque d'un « effet domino » pour un détenu qui se refuserait durablement à suivre des soins pourrait, en effet, donner lieu au prononcé de peines qui le maintiendraient incarcéré pour une durée qui, en dernière analyse, pourrait être sans rapport avec le quantum encouru pour l'infraction initiale, et elle s'opposerait au principe fondamental de notre droit pénal selon lequel seule l'évasion est passible d'une « sur-peine » ad hoc pour les personnes déjà détenues93(*).

Cela étant, il reste possible de renforcer le droit en vigueur selon au moins deux modalités. Il est ainsi possible de prévoir :

- soit une obligation pour le juge de l'application des peines94(*), sauf décision spécialement motivée, de prononcer le retrait en tout ou partie des réductions de peine pour les condamnés AICS qui ne suivent pas les traitements qui leur sont proposés95(*) ;

- soit, sur le modèle du suivi socio-judiciaire, que les condamnés qui ne suivent pas les traitements existants en détention ne sont plus éligibles aux réductions de peine, indépendamment donc de toute intervention du juge de l'application des peines, et que les détenus concernés en sont informés au début de leur détention.

Recommandation n° 14 : Créer une véritable injonction de soins en détention pour les AICS.

Cette recommandation trouverait sa pleine portée si elle était cumulée avec la recommandation n° 13 tendant à permettre la prise en charge des AICS par des psychologues au stade de l'exécution de la peine : il est vraisemblable que, dans le cas contraire, sa mise en application serait rendue plus complexe par le manque de psychiatres susceptibles d'intervenir en prison pour faire respecter cette nouvelle injonction.

Le cas échéant, l'orientation du détenu soit vers un psychiatre, soit vers un psychologue pourrait être décidée au moment de l'évaluation pluridisciplinaire initiale des condamnés AICS, au début leur détention (voir supra), c'est-à-dire au cours de la période de six semaines qui précède l'affectation des détenus dans un établissement pour peines adapté. Outre ses objectifs actuels, l'évaluation contribuerait ainsi à définir si une prise en charge par un psychologue est possible au vu de l'état de santé mentale de la personne concernée, la longueur de la période d'observation étant de nature à éviter toute erreur de diagnostic.

Le complément nécessaire de cette évolution concerne l'existence d'un suivi effectif, par les magistrats compétents, de l'évolution psychique du détenu au cours de sa détention.

Ce suivi est aujourd'hui rendu complexe par la nature même des « attestations » qui sont remises aux juges de l'application des peines en application de l'article 717-1 du code de procédure pénale. Celui-ci dispose en effet que « Le médecin traitant du condamné délivre à ce dernier, au moins une fois par trimestre, des attestations indiquant si le patient suit ou non de façon régulière le traitement proposé par le juge de l'application des peines. Le condamné remet ces attestations au juge de l'application des peines, afin que celui-ci puisse se prononcer, en application des articles 721 et 729 du présent code, sur l'octroi ou le retrait de réductions de peine ou l'octroi d'une libération conditionnelle ».

Or, ces attestations se bornent à indiquer que le détenu s'est rendu à des rendez-vous avec le médecin ou avec un psychiatre ou un psychologue, sans préciser s'il s'est sincèrement investi dans son suivi, s'il marque des évolutions positives ou une prise de conscience, etc., ce qui ne permet pas au magistrat compétent de se faire une idée fidèle de la dangerosité de la personne concernée.

Afin de pallier cette difficulté sans porter une atteinte disproportionnée au secret médical et à la confidentialité des échanges entre le patient-détenu et les professionnels du soin qui l'entourent, il pourrait être envisagé d'enrichir le contenu des « attestations » prévues par le code pour prévoir que celles-ci comportent, le cas échéant avec l'accord du détenu et/ou dans le respect du secret médical, des éléments sur les caractéristiques de l'évolution de son état de santé psychique ou mentale.

Recommandation n° 15 : Revoir le contenu des attestations remises aux détenus afin qu'elles permettent aux juges de l'application des peines d'apprécier la sincérité de leur engagement dans les soins en détention.

Enfin, les sorties « sèches », unanimement reconnues comme un facteur de récidive pour l'ensemble des infractions, sont un élément particulièrement délétère pour les AICS : comme l'ont rappelé de nombreux intervenants de la détention aux rapporteures, leur réinsertion (voire, pour ceux qui sont atteints de troubles psychiatriques, l'amélioration de leur pathologie) suppose qu'ils se réhabituent progressivement à être confrontés à un milieu dans lequel ils sont au contact des autres.

Hors le cas des détenus dont la dangerosité reste avérée et/ou ayant refusé les soins, pour lesquels la mission propose des recommandations spécifiques ci-après, il est ainsi indispensable que les sorties « sèches » soient prohibées pour les détenus AICS, et notamment pour ceux qui s'engageraient à poursuivre des soins - même à titre volontaire, au-delà de l'exécution de leur peine - à l'extérieur. Ceux-ci doivent être soumis à des périodes de semi-liberté, à l'issue desquelles le juge de l'application des peines pourra, en lien étroit avec les conseillers d'insertion et de probation, décider du régime de fin de peine à mettre en oeuvre.

Recommandation n° 16 : Éviter les sorties sèches pour les personnes incarcérées qui ont accepté les soins en détention et s'engagent à les poursuivre à l'extérieur.

2. Favoriser la mise en oeuvre de programmes pluridisciplinaires pour les mineurs placés en milieu fermé

Comme les rapporteures l'ont rappelé, la situation des mineurs AICS (MAICS), de jure plus favorable que celle des majeurs grâce au principe de la « césure » du procès pénal, présente malheureusement des carences largement analogues à celles auxquelles sont confrontés les autres AICS.

Outre le nécessaire développement des capacités de soins en milieu ouvert et en milieu fermé grâce à un renforcement de l'attractivité de la filière médicale spécialisée (voir supra), la mission juge que des efforts doivent être faits dans deux directions.

Premièrement, il convient de développer l'offre de programmes ad hoc, pensés et conçus pour les mineurs, en milieu fermé (centres éducatifs fermés et centres éducatifs renforcés). Le programme « PACIS » cité par Marie Romero devrait, à cet égard, être une source d'inspiration pour l'ensemble du territoire national et connaître des déclinaisons dans l'ensemble des centres éducatifs fermés accueillant des mineurs - ce qui peut impliquer, à terme, une réflexion sur la création de centres « fléchés », comparables aux établissements pour peines qui existent pour les majeurs.

Recommandation n° 17 : Développer les programmes spécifiquement tournés vers les mineurs AICS dans les centres éducatifs fermés et renforcés.

Il appartient, de la même manière, au gouvernement de soutenir et de généraliser les initiatives conduites par certains services de la PJJ pour construire des « écosystèmes » locaux de soin et de prise en charge des MAICS, ce qui implique notamment la généralisation des SAVI (service d'accompagnement des jeunes auteurs ou victimes d'infractions à caractère sexuel) : ce point sera évoqué plus loin au sein du présent rapport.

3. Assurer la bonne communication entre les acteurs judiciaires et les protagonistes des peines complémentaires

Le troisième axe de réflexion des rapporteures a concerné la bonne application des peines complémentaires auxquelles les AICS peuvent être condamnés et qui s'ajoutent à la détention ou au suivi socio-judiciaire.

Les travaux récents du Parlement, et en particulier du Sénat, sur la mise en place de systèmes dits d'« honorabilité » témoignent de la difficile application de la peine d'interdiction de contact habituel avec des mineurs prévue par les articles 222-45 et 227-29 du code pénal, alors même que celle-ci est d'une importance capitale pour les AICS ayant commis des faits pédocriminels. La vérification de cette interdiction passe en effet par une consultation du Fijaisv, qui constitue une base de données sensibles qui ne saurait être ouverte à un nombre conséquent de personnes, impliquant des procédures parfois complexes de consultation indirecte.

Les contrôles d'honorabilité pour l'accès aux professions ou activités impliquant un contact habituel avec les mineurs

Le Fijaisv a vu son usage étendu avec le temps par le législateur. Il sert ainsi de support, aux côtés du bulletin n° 2 du casier judiciaire, à plusieurs procédures de contrôle de l'honorabilité des personnes intervenant auprès des mineurs et des majeurs vulnérables. Ce mécanisme, mis en oeuvre de façon récurrente dans le secteur du sport96(*) et dans le domaine médico-social97(*), repose en droit sur une consultation du fichier (prévue au 3° de l'article 706-53-7 du code de procédure pénale) par les préfectures ou par des administrations de l'État limitativement énumérées pour le compte des collectivités qui emploient les personnes concernées ou contrôlent leur activité98(*), et en pratique sur des systèmes d'information communément appelés « SI honorabilité », qui restent pour certains en cours de déploiement et permettent de déterminer, de manière à la fois massive et automatisée, si une personne est inscrite au Fijaisv.

Cette extension du recours au Fijaisv explique la croissance exponentielle des consultations dites « administratives » : alors que le fichier avait été consulté moins de 7 millions de fois entre sa création en 2005 et la fin avril 2019, on décomptait 4,2 millions de consultations (dont 3,5 millions de consultations administratives) en 2023. Le bilan chiffré sera à nouveau en croissance en 2024, 4,8 millions de consultations (dont 4,2 millions de consultations administratives) ayant été recensées pour les neuf premiers mois de l'année, alors même que l'expérimentation du « SI honorabilité » de la petite enfance n'a débuté qu'en septembre 2024.

Cette tendance est appelée à s'accentuer avec l'entrée en vigueur progressive de la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, qui a étendu aux personnes en lien avec des majeurs vulnérables le contrôle de l'honorabilité instauré en 202299(*) pour les personnes du secteur médico-social en contact avec des mineurs, comme avec la mise en oeuvre d'un « SI Honorabilité » emportant un accès indirect au Fijaivs dans le milieu du sport sous l'effet de la loi n° 2024-201 du 8 mars 2024 visant à renforcer la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport.

Source : rapport de Muriel Jourda, déposé le 30 octobre 2024, sur la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes

La mission appelle le gouvernement à développer sans attendre les systèmes d'information (SI) requis pour le bon fonctionnement de ces contrôles, et notamment pour la mise en oeuvre de la nouvelle interdiction prévue par l'article 25 de la récente loi n° 2025-379 du 28 avril 2025 relative au renforcement de la sûreté dans les transports, qui prohibe l'accès aux fonctions de conducteur de transports collectifs de mineurs ou de majeurs vulnérables aux personnes condamnées pour une ICS. Cette évolution ne pourra être que profitable dans une période où des interrogations se font régulièrement jour quant à l'extension des contrôles d'« honorabilité » à de nouveaux secteurs, notamment lorsque l'actualité se fait le révélateur d'une carence dans la supervision de certains secteurs ou de certaines professions rendues sensibles par leur lien avec des publics vulnérables.

Recommandation n° 18 : Mieux appliquer les interdictions et incapacités aux AICS inscrits au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) grâce au déploiement effectif des systèmes d'information requis.

La même remarque s'applique aux AICS étrangers condamnés à une peine complémentaire d'interdiction du territoire français. Les auditions et les déplacements de la mission lui ont permis de constater que, lorsqu'une personne condamnée à une telle interdiction pour une ICS était placée en rétention administrative en vue de sa reconduite dans le pays dont elle est ressortissante, aucune communication n'était prévue entre les acteurs de l'exécution de la peine (conseillers d'insertion et de probation, juge de l'application des peines...) et le juge des libertés et de la détention chargé de se prononcer sur le maintien ou la sortie de rétention.

Cette situation n'est pas acceptable et il est indéniable qu'elle a pu contribuer à certains drames récents qui ont marqué l'actualité et provoqué dans l'opinion une légitime émotion. Pour éviter que de tels dysfonctionnements ne se reproduisent, il est essentiel, aux yeux des rapporteures, de garantir que le juge des libertés et de la détention soit pleinement informé de la nature des faits commis, soit par une communication ad hoc entre ce dernier et les acteurs de l'exécution de la peine, soit par un accès direct au dossier pénal de l'étranger condamné.

Recommandation n° 19 : Pour les étrangers AICS condamnés à une interdiction du territoire français, informer le juge des libertés et de la détention sur la dangerosité de la personne concernée afin qu'il puisse en tenir compte dans ses décisions en matière de rétention administrative.

4. Améliorer l'évaluation des dispositifs de suivi des AICS en détention

Les rapporteures ont observé un regrettable paradoxe : alors que certains établissements pour peine spécialisés dans la prise en charge des AICS sont à l'initiative de projets de prise en charge innovants et efficaces afin de lutter contre la récidive, aucun travail de partage de bonnes pratiques et de retours d'expérience n'a été effectué entre ces 22 établissements.

Or, pour la mission conjointe de contrôle, la spécialisation de certains établissements doit justement permettre de développer, à court et moyen termes, une expertise globale sur la réinsertion des profils AICS, rendant indispensable l'évaluation des initiatives locales et, le cas échéant, leur généralisation. Dans la perspective de l'ouverture de trois nouveaux centres « fléchés AICS », la mission appelle donc la direction de l'administration pénitentiaire à articuler un réel réseau d'information entre ces établissements, ainsi qu'à rendre effectives les obligations leur incombant, aujourd'hui très partiellement mises en oeuvre.

Ce partage d'informations ne doit, par ailleurs, pas se limiter aux seuls établissements spécialisés dans l'accueil des AICS, puisque tout établissement pour peine est susceptible d'accueillir des AICS et de mettre en oeuvre des programmes de prévention de la récidive ou autres dispositifs de prise en charge adaptés. À cet égard, la mission a été particulièrement attentive aux travaux innovants conduits par la Docteure Bodon-Druzel au centre pénitentiaire de Fresnes, qui gagneraient à être mis en oeuvre dans les établissements « fléchés AICS ».

Unité de prise en charge des auteurs d'infractions sexuelles (Uhlis)
du centre pénitentiaire de Fresnes

Lors de leur visite au centre pénitentiaire de Fresnes, les rapporteures ont pu découvrir l'unité de prise en charge des auteurs d'infractions sexuelles (Uhlis).

Créée en 2007, l'unité accueille, sur la base du volontariat, les AICS ayant fait l'objet d'une évaluation par le CNE à Fresnes et étant en attente d'orientation vers un établissement pour peine. L'unité accueille douze individus s'engageant dans un programme collectif de prise en charge de six mois, avec des sessions de thérapie collective quotidienne.

Le rythme des séances, la mobilisation de groupe ainsi que la durée du programme vise, selon la responsable de l'unité, la Docteure Bodon-Bruzel, à atteindre « une imprégnation thérapeutique » déjouant les mécanismes de déni ou d'évitement qui surviennent fréquemment lors d'une prise en charge traditionnelle en milieu carcéral. Cette thérapie de haute intensité doit ainsi constituer un tremplin pour les détenus dans l'acceptation de leur peine.

La mission a également pris connaissance avec intérêt de l'expérience suédoise. En effet, les services de prison et probation suédois (équivalent des SPIP français) proposent différents « programmes de traitement » qui font l'objet d'une évaluation régulière par un groupe scientifique pouvant aboutir à la délivrance d'un agrément. A ainsi été accrédité un programme destiné aux auteurs présentant un risque moyen ou élevé de récidive en matière sexuelle et comprenant des thérapies à la fois de groupe et individuelles. Un autre programme, destiné aux auteurs présentant un risque moyen de récidive en matière sexuelle, fondé sur des jeux de rôle, des exercices individuels et l'élaboration de « plans pour l'avenir », est en cours d'agrément. Cette culture de l'évaluation et de l'expérimentation n'est pas suffisamment développée en France où d'excellentes initiatives locales gagneraient à être évaluées puis généralisées. Les rares travaux de recherche évaluant certains dispositifs en France sont loin de permettre une réelle évolution des doctrines nationales de prise en charge. À cet égard, la mission préconise la parution rapide des deux études annoncées par la direction de l'administration pénitentiaire sur l'effectivité de ces prises en charge ainsi qu'une évolution en conséquence des dispositifs de suivi. Plus largement, la mission appelle à développer, dans le domaine de la lutte contre la récidive sexuelle, une culture de l'évaluation systématique.

De même, la mission appelle de ses voeux la systématisation des procédures de « retours d'expérience » ou retex qui permettent, avec le recul et en impliquant l'ensemble des acteurs concernés par la prise en charge, de comprendre les raisons de la récidive d'un AICS et d'analyser les possibles failles de cette prise en charge. Interrogé sur ce point par les rapporteures, Walter Albardier, psychiatre et responsable du Criavs d'Ile-de-France, a souligné que ces analyses post-récidive n'étaient aucunement systématisées ni répertoriées lorsqu'elles étaient réalisées.

Sans remettre en cause le travail et l'engagement de l'ensemble des professionnels mobilisés pour le suivi et la réinsertion d'un AICS, il apparaît indispensable aux rapporteures que ces prises en charge fassent l'objet d'une évaluation des politiques mises en oeuvre dans un souci d'amélioration du parcours d'exécution des peines et de soins.

Recommandation n° 20 : Évaluer systématiquement les prises en charge des auteurs d'infraction sexuelle en détention afin d'harmoniser la doctrine de lutte contre la récidive.

5. Prévenir la récidive par la réinsertion sociale

Les rapporteures sont également convaincues de la nécessité de renforcer la continuité de la prise en charge entre le milieu carcéral et le milieu ouvert afin de diminuer le risque de récidive, et plus particulièrement l'accompagnement ne relevant pas du soin.

Comme l'ont unanimement souligné les professionnels, les données scientifiques « démontrent que si le soin peut avoir un effet bénéfique dans certaines situations, les facteurs les plus puissants en termes de diminution de la récidive sont d'ordre sociaux »100(*).

Or, tel qu'évoqué précédemment, les AICS sont particulièrement sujets à des sorties brutales de détention en raison de la durée de leur peine, des ruptures sociales que la nature des faits est susceptible d'entraîner ainsi que de l'âge moyen élevé des détenus sortants. La Fédération française des Criavs (FFCriavs) indique en ce sens que « trop souvent les AICS sortent de détention sans hébergement, sans travail, dans un isolement social important et parfois sans papier d'identité ni carte vitale, ce qui ne leur permet évidemment pas d'accéder aux soins ».

Aussi, la sortie de détention ainsi que le suivi socio-judiciaire doivent se rééquilibrer en investissant le champ de la réinsertion classique, notamment en généralisant et ouvrant aux majeurs les dispositifs pluridisciplinaires de prise en charge et de réinsertion, sur le modèle proposé dans l'Yonne, pour les MAICS et les victimes d'infractions sexuelles, par le service d'accompagnement des jeunes auteurs ou victimes d'infractions à caractère sexuel (SAVI). Ce service, composé de trois pôles interdépendants (un pôle thérapeutique, un pôle judiciaire et un pôle éducatif) a pour objectif d'accompagner, de façon pluridisciplinaire et coordonnée, des jeunes de moins de 21 ans auteurs ou victimes de violences sexuelles présentant des troubles liés à celles-ci. Il vise à aider ces jeunes en créant les modalités adaptées à une prise en charge gratuite et de proximité, sur les plans éducatif, thérapeutique et judiciaire.

Plus globalement, comme le préconise la FFCriavs, il conviendrait d'aboutir à « une meilleure articulation entre les partenaires judiciaires, pénitentiaires, sociaux, préfectoraux et sanitaires dans ces situations complexes et une réflexion pragmatique afin d'éviter que se produisent ces situations particulièrement à risque ». Cela peut supposer le développement de foyers spécialisés assortis de règles spécifiques (couvre-feu, restriction d'invitation), qui constitueraient une forme de sas entre la détention et le retour à une vie en toute autonomie et qui permettraient à l'AICS d'avancer dans sa réinsertion de manière encadrée.

La DAP a indiqué à la mission avoir abouti, en lien avec la DGCS, à la création d'outils de liaison SPIP-EHPAD et d'un modèle de convention type ainsi qu'à la réalisation d'un documentaire (« Sortir de la pénombre : de la prison à l'EHPAD101(*) ») qui sert de support de communication auprès de fédérations et associations nationales des EHPAD pour promouvoir l'accueil des personnes placées sous-main de justice. Les rapporteures espèrent que ce type de dispositif pourra porter les effets escomptés.

De manière générale, les rapporteures préconisent le développement d'une prise en charge interdisciplinaire des auteurs d'infractions sexuelles, qui permettrait de mettre fin à une action en silos des différents acteurs concernés.

Recommandation n° 21 : Renforcer et généraliser les dispositifs d'accompagnement post-détention pluridisciplinaires afin de mieux accompagner la réinsertion sociale des AICS.

E. DONNER SA CHANCE AU POST-SENTENCIEL

Ainsi que l'ont déjà fait valoir les rapporteures dans l'exposé de leurs principaux constats, le contrôle du respect des obligations de surveillance de sûreté auxquelles sont soumis certains délinquants sexuels de même que la mise en oeuvre du dispositif de rétention de sûreté (articles 706-53-13 et suivants du code de procédure pénale) sont des outils aujourd'hui sous-exploités.

Créée par la loi102(*) du 25 février 2008, la rétention de sûreté peut être prononcée à l'encontre des personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle pour certains crimes dont le crime de viol (voir supra). Comme on l'a déjà relevé, d'après les informations fournies aux rappporteures par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice, « aucune personne ne se trouve actuellement en rétention de sûreté, le dernier placement s'étant achevé le 24 janvier 2024 ». Cette situation n'est pas forcément surprenante au vu des modalités de mise en oeuvre dans le temps de la loi précitée de 2008 : en effet, la rétention de sûreté sous sa forme la plus « classique » (i.e. celle qui ne résulterait pas des violations d'obligations prévues dans le cadre de la surveillance de sûreté) ne s'applique qu'aux faits commis après son entrée en vigueur et à l'issue de la peine exécutée sous l'effet de la condamnation qu'ils ont suscitée, d'une durée minimale de quinze ans.

D'autres éléments communiqués par la DACG sur ce sujet sont, à l'inverse, étonnants. Ainsi, la direction a précisé que les éléments statistiques dont elle dispose « ne peuvent prétendre à l'exhaustivité, dans la mesure où ils ne sont comptabilisés que suivant les informations transmises à la direction par les parquets généraux, et doivent donc être appréhendés avec prudence ». Les rapporteures estiment que, au vu de la gravité des faits susceptibles de donner lieu à un placement en rétention de sûreté comme du faible nombre de personnes concernées, le ministère doit se doter des outils permettant un suivi statistique garantissant, a minima, qu'il soit informé du nombre de condamnés effectivement soumis à une telle rétention : il n'est guère compréhensible que cet objectif ne soit pas atteint, alors que plus de treize ans ont passé depuis l'intervention du législateur.

De manière non moins préoccupante, le ministère s'est déclaré inapte à déterminer le nombre de personnes susceptibles, au vu des termes de leur condamnation par les juridictions criminelles, d'être soumises à la fin de leur peine à une rétention de sûreté. En effet, interrogé par la mission sur la possibilité d'identifier les personnes éligibles à la rétention de sûreté, le service statistique du ministère de la justice a indiqué qu'il ne lui était pas possible de produire des données fiables dans la mesure où « les multiples conditions encadrant la rétention (notamment le fait que pour beaucoup d'infractions la victime doive être majeure et que la personne doive avoir été identifiée comme d'une grande dangerosité) ne sont visiblement en effet pas bien retranscrites dans les applicatifs ».

Cette situation pose de lourdes difficultés.

Sur le plan des principes, la spécificité des profils pour lesquels la rétention de sûreté est envisagée devrait imposer, avant même qu'une telle rétention soit prononcée à l'issue de leur peine, le déploiement tout au long de leur détention de mesures ad hoc permettant non seulement d'évaluer leur degré de dangerosité et son évolution, mais aussi de favoriser le suivi de traitements qui peuvent contribuer à réduire le risque de récidive. La cécité du ministère de la justice sur le nombre de personnes concernées implique que cet objectif n'est pas respecté : comment une gestion adaptée des profils les plus dangereux pourrait-elle être mise en oeuvre dès lors que l'administration centrale n'en connaît même pas le nombre ?

S'agissant des enjeux pratiques, par ailleurs, ces défaillances ne permettent pas une utilisation satisfaisante des moyens déployés au centre socio-médico-judiciaire (CSMJS) de Fresnes, seul en France capable d'accueillir, grâce à une équipe disposant d'un haut niveau d'expertise, les détenus placés en rétention de sûreté (voir supra). Non seulement ce centre est aujourd'hui vide, mais surtout les professionnels qui y travaillent n'ont aucun moyen d'anticiper l'évolution de leur charge de travail - y compris lorsque celle-ci est en réalité prévisible, c'est-à-dire lorsqu'elle découle de décisions prises à l'issue de peines d'emprisonnement dont la durée est par nature connue à l'avance. L'absence de suivi de la rétention de sûreté par le ministère génère ainsi un double écueil pour les équipes du CSMJS : d'une part, largement mobilisés par d'autres activités au sein du centre pénitentiaire, les professionnels médicaux ne peuvent investir leurs missions liées à cette rétention, alors même que celles-ci sont particulièrement sensibles et délicates ; d'autre part, le travail de groupe - dont l'importance pour les AICS a déjà été largement évoquée par le présent rapport - trouve ses limites face au caractère à la fois erratique et imprévisible de l'occupation du centre.

Dès lors, les rapporteures appellent à l'amélioration de la tenue des statistiques relatives à la mise en oeuvre du dispositif de rétention de sûreté ; elles recommandent la production, par le ministère de la justice, d'un document détaillant le nombre de rétentions de sûreté prononcées par les juridictions d'assises depuis 2008 et les types de faits pour lesquels ces mesures ont été prononcées.

Recommandation n° 22 : Améliorer la tenue des statistiques relatives à l'évaluation du nombre de personnes éligibles à la rétention de sûreté et, subséquemment, des besoins à venir.

Les rapporteurs plaident également pour une meilleure utilisation des moyens dédiés au CSMJS. Il n'est pas concevable que les compétences de pointe de ses effectifs et, plus prosaïquement, ses locaux restent aussi largement inutilisés. Elles préconisent dès lors une affectation au sein de ce centre (non pas dans un cadre post-sentenciel mais pour la durée restant à courir de la peine à exécuter) des détenus dont l'expertise de fin de peine a révélé la dangerosité, en particulier pour ceux qui semblent exposés à un risque de récidive particulièrement élevé. Ces profils pourraient être sélectionnés sur le fondement de critères déterminés par les professionnels du CSMJS, la sélection étant opérée par le centre parmi les dossiers de détenus transmis par les établissements pénitentiaires qui les accueillent.

Recommandation n° 23 : Mieux utiliser les moyens prévus pour la rétention de sûreté en les mobilisant, autant que possible, pour limiter le risque de récidive de certains détenus dangereux en fin de peine.

Plus généralement, les rapporteures s'étonnent que la réflexion du ministère de la justice sur la rétention de sûreté paraisse si peu aboutie alors même que l'entrée en vigueur du dispositif de rétention ab initio devrait vraisemblablement avoir lieu d'ici 2030. Il importe dès lors que le ministère s'interroge non seulement sur l'ampleur des moyens à consacrer à l'avenir à la rétention de sûreté, c'est-à-dire sur le nombre de condamnés qu'elle pourrait théoriquement concerner, mais aussi sur le contenu des soins qui devront être offerts aux personnes retenues, sur les modalités d'évaluation de leur état de santé mentale et de leur dangerosité, ou encore sur la nature du suivi extra-médical (social, professionnel, etc.) qui devra leur être proposé pendant la période de rétention pour limiter au maximum le risque de récidive.

Les rapporteures relèvent, enfin, que l'outil essentiel que constitue la surveillance de sûreté - qui, pour mémoire, permet l'application d'un ensemble d'obligations analogues à celles qui existent en matière de surveillance judiciaire et qui peut conduire à une rétention de sûreté en cas de violation desdites obligations - est aujourd'hui peu exploité par les juridictions. Les statistiques transmises par le ministère de la justice attestent de cette situation : en 2024, moins de cinq personnes (le chiffre exact n'est pas connu) ont été placées sous surveillance de sûreté.

Ces chiffres témoignent probablement, au moins pour partie, d'une insuffisante utilisation de la possibilité de recourir à la surveillance de sûreté en cas d'échec de la surveillance judiciaire, pourtant prévue par l'article 723-37 du code de procédure pénale depuis 2008. Or, en 2023, et toutes infractions confondues, seules 248 mesures de surveillance judiciaire étaient en cours - ce qui induit un nombre encore inférieur de ces mesures pour les AICS, alors même que le profil des plus dangereux d'entre eux justifierait le prononcé d'une telle surveillance.

Recommandation n° 24 : Garantir la mise en oeuvre des mesures de surveillance de sûreté pour les profils les plus dangereux, notamment en cas d'échec de la surveillance judiciaire, et s'interroger dès maintenant sur le contenu du suivi offert pendant la période de rétention.

S'agissant enfin des délinquants sexuels dont l'expertise de fin de peine a conclu à la non-dangerosité et qui ne sont donc pas éligibles aux obligations de surveillance de sûreté ou au dispositif de rétention de sûreté, il apparaît nécessaire de développer, ou de soutenir pour le secteur associatif, fût-ce sur la base du volontariat, les dispositifs de groupes de parole et de médiation, ainsi que les stages de responsabilisation, susceptibles de se mettre en place pour les auteurs d'infractions à caractère sexuel, une fois leur peine exécutée.

LISTE DES 24 RECOMMANDATIONS

RENFORCER LA PRÉVENTION PRIMAIRE
ET LA PRISE EN CHARGE DES MINEURS AUTEURS

Recommandation n° 1 : Renforcer les politiques de prévention primaire et d'information sur les violences sexuelles dès l'enfance, notamment sur les risques liés à l'exposition précoce à la pornographie, mettre en place de larges campagnes de communication, dépister et signaler les violences sexuelles.

Recommandation n° 7 : Former des magistrats et tous les professionnels (protection judiciaire de la jeunesse, police, gendarmerie...) intervenant auprès des mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel (MAICS) afin de mieux identifier les mineurs auteurs étant par ailleurs victimes.

Recommandation n° 17 : Développer les programmes spécifiquement tournés vers les mineurs AICS dans les centres éducatifs fermés et renforcés.

PRODUIRE DES STATISTIQUES FIABLES SUR LES AICS
ET ÉVALUER LEUR PRISE EN CHARGE

Recommandation n° 6 : Produire des statistiques en matière de récidive des délinquants sexuels en permettant les analyses croisées en fonction des profils des auteurs et des mesures, obligations et traitements auxquels ils ont été soumis.

Recommandation n° 9 : Établir des statistiques fiables en matière d'injonction de soins pour pouvoir, à moyen terme, lancer une évaluation approfondie des critères de leur prononcé par les juridictions, des motifs conduisant à écarter leur application et de leur efficacité concrète dans la lutte contre la récidive des AICS.

Recommandation n° 20 : Évaluer systématiquement les prises en charge des auteurs d'infraction sexuelle en détention afin d'harmoniser la doctrine de lutte contre la récidive.

Recommandation n° 22 : Produire des statistiques sur le nombre de personnes éligibles à la rétention de sûreté.

PRÉVENIR LA RÉCIDIVE PAR UNE PRISE EN CHARGE
SPÉCIALISÉE DES AICS

Recommandation n° 2 : Mieux accompagner les personnes mises en cause au stade pré-sentenciel, sur la base du volontariat et selon des formes couvertes par le secret médical.

Recommandation n° 8 : Former les magistrats, et en priorité les juges de l'application des peines, aux spécificités des profils des AICS afin de garantir le prononcé et l'exécution de justes peines.

Recommandation n° 13 : Affecter effectivement les AICS dans des établissements fléchés afin, notamment, de permettre la mise en oeuvre de soins en groupes de parole.

Recommandation n° 14 : Créer une véritable injonction de soins en détention pour les AICS.

Recommandation n° 15 : Revoir le contenu des attestations remises aux détenus afin qu'elles permettent aux juges de l'application des peines d'apprécier la sincérité de leur engagement dans les soins en détention.

Recommandation n° 16 : Éviter les sorties sèches pour les personnes incarcérées qui ont accepté les soins en détention et s'engagent à les poursuivre à l'extérieur.

Recommandation n° 18 : Mieux appliquer les interdictions et incapacités aux AICS inscrits au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) grâce au déploiement effectif des systèmes d'information requis.

Recommandation n° 19 : Pour les étrangers AICS condamnés à une interdiction du territoire français, informer le juge des libertés et de la détention de la dangerosité de la personne concernée afin qu'il puisse en tenir compte dans ses décisions en matière de rétention administrative.

Recommandation n° 21 : Renforcer et généraliser les dispositifs d'accompagnement post-détention pluridisciplinaires afin de mieux accompagner la réinsertion sociale des AICS.

Recommandation n° 23 : Mieux utiliser les moyens prévus pour la rétention de sûreté en les mobilisant, autant que possible, pour les détenus dangereux en fin de peine.

Recommandation n° 24 : Garantir la mise en oeuvre des mesures de surveillance de sûreté pour les profils les plus dangereux, notamment en cas d'échec de la surveillance judiciaire, et s'interroger dès maintenant sur le contenu du suivi offert pendant la période de rétention.

Recommandation n° 3 : Tirer davantage profit des dispositions du code de procédure pénale qui permettent le recours à la justice restaurative à tous les stades de la procédure lorsque les mis en cause reconnaissent les faits.

RATIONALISER LES OUTILS D'EXPERTISE

Recommandation n° 4 : Évaluer les conditions de recours aux expertises en amont du procès, pour les auteurs comme pour les victimes.

Recommandation n° 5 : Revoir les critères de l'automaticité du recours à une expertise psychiatrique du mis en cause en amont du jugement.

Recommandation n° 10 : Revaloriser la rémunération des experts psychiatres et psychologues, et garantir la perception effective par ceux-ci de cette rémunération.

Recommandation n° 11 : Créer une formation de psychologie légale au cours du cursus des psychologues afin de favoriser, dès que possible, le recours à des experts au sein de cette profession, notamment dans les ressorts où l'on trouve peu de psychiatres.

Recommandation n° 12 : Envisager la prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel (AICS) par des psychologues dès lors qu'ils ne sont pas atteints de pathologies relevant spécifiquement de la compétence des psychiatres afin de faire face au contexte de pénurie d'experts-psychiatres et à la saturation des services psychiatriques.

EXAMEN EN MISSION CONJOINTE DE CONTRÔLE

Réunie le mercredi 21 mai 2025, sous la présidence de Muriel Jourda, présidente de la commission des lois, et Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes, la mission conjointe de contrôle a examiné le présent rapport d'information.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Nous avons toutes et tous gardé en tête le viol et le meurtre de la jeune Philippine, en septembre 2024, dont l'auteur présumé avait déjà été condamné pour viol en 2021 et qui faisait, par ailleurs, l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ce fait nous a dramatiquement rappelé la gravité de la récidive en matière d'infractions sexuelles.

Cette tragédie a constitué le point de départ de nos travaux qui ont débuté quelques semaines plus tard.

Dans un premier temps, la délégation aux droits des femmes a constitué, en son sein, une mission d'information sur la récidive des viols et agressions sexuelles en nommant quatre rapporteures : Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Marie Mercier et Laurence Rossignol.

Puis, il m'a semblé naturel, voire incontournable, de proposer à la commission des lois de travailler conjointement sur ce sujet, qui se situe à la croisée de nos compétences respectives.

La présidente Muriel Jourda a d'emblée accepté le principe d'une mission conjointe de contrôle (MCC), entre la commission des lois et la délégation aux droits des femmes du Sénat, sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles. La commission a, alors, nommé deux rapporteures en son sein : Catherine Di Folco et Audrey Linkenheld, qui ont complété le quatuor déjà formé par la délégation, que j'ai précédemment cité.

Notre boussole commune a toujours été la suivante : comment faire pour éviter que l'irréparable ne se reproduise ? Comment limiter le risque que les criminels sexuels condamnés, et donc pris en charge par la société, récidivent une fois qu'ils ont été libérés ?

Nous nous sommes donc intéressées au traitement judiciaire, social et sanitaire des auteurs d'infractions sexuelles, majeurs comme mineurs, dès leur mise en cause par le juge pénal, au cours de leur détention et à la suite de celle-ci.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Les éléments de contexte que vous venez d'évoquer rappellent l'importance des travaux de la mission. Je dois rendre hommage à l'investissement de nos six rapporteures, qui ont consacré leur temps et leur énergie à l'étude d'un thème sensible, qui implique de nombreux acteurs et qui n'est pas dénué de complexité juridique. Elles ont rencontré, au total, près de cent personnes, ont organisé trente auditions, dont trois plénières, et effectué trois déplacements - dans l'Yonne, puis à Caen, et enfin à la prison de Fresnes.

Leurs travaux, auxquels la présidente Vérien et moi-même avons participé autant que nous le pouvions, leur ont ainsi permis de rencontrer, à Paris ou sur le terrain, des magistrats, des conseillers d'insertion et de probation, des éducateurs et des associations spécifiquement tournées vers les mineurs, des psychiatres, des médecins et des psychologues, des agents de l'administration pénitentiaire, des policiers, des gendarmes, des chercheurs, des professeurs de droit, des représentants des agences régionales de santé, etc. Ce large panel est le gage d'une réflexion approfondie et, plus encore, la garantie que les recommandations issues du rapport du Sénat s'appuient sur la réalité vécue par les professionnels concernés, qui oeuvrent au quotidien pour la prévention de la récidive des infractions sexuelles, et qui, partant, apportent une contribution décisive à la protection de la société.

Je remercie chaleureusement nos six rapporteures pour le travail accompli et pour la qualité de leur rapport, qui a l'immense vertu d'aborder tous les aspects de la prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel, mineurs comme majeurs, à tous les stades de leur prise en charge, afin d'apporter enfin des solutions pour mieux lutter contre la récidive.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Mes propos porteront sur la récidive, sur la prévention et sur l'évaluation des dispositifs.

Nos travaux ont d'abord rappelé à quel point la récidive du viol est un phénomène complexe, d'une ampleur certaine, mais difficilement mesurable. Les chiffres transmis par le ministère de la justice nous ont appris que les auteurs d'infractions à caractère sexuel, les AICS, sont moins concernés par la récidive que l'ensemble des condamnés. Le taux moyen de récidive légale, sur la période 2019-2023, est de 5,7 % pour les viols, contre 9 % pour l'ensemble des crimes, et de 7,2 % pour les délits sexuels, contre 17 % pour l'ensemble des délits.

Cependant, ces chiffres ne doivent pas masquer l'ampleur réelle d'un phénomène que les statistiques peinent à appréhender pour plusieurs raisons.

La première raison tient à la sous-estimation globale des faits de violences sexuelles dans la société. Si le mouvement #MeToo a permis une libération de la parole des victimes, qui a conduit à une augmentation de 120 % du nombre de plaintes enregistrées par les services de police depuis 2016, la plupart des faits échappent encore à la judiciarisation. En 2022, l'enquête menée par le ministère de l'intérieur a ainsi révélé que seules 6 % des femmes victimes de violences sexuelles ont porté plainte contre leur agresseur.

Les éléments qui dissuadent les victimes d'engager une démarche judiciaire sont multiples. Leur abstention peut résulter d'une méconnaissance des procédures, de menaces de l'auteur ou d'une incapacité à s'exprimer en raison de traumatismes. Plus grave, certaines victimes témoignent d'une méfiance, voire d'une crainte, envers les services d'enquête et la justice. Enfin, malgré l'augmentation du nombre de plaintes, le nombre de condamnations prononcées chaque année pour des faits de violences sexuelles reste relativement faible, notamment en raison d'un taux important de classement sans suite qui, s'il cache des situations complexes, révèle des difficultés probatoires elles-mêmes à l'origine d'une probable sous-estimation du nombre d'infractions commises.

La seconde raison est juridique et relève de la définition même de la récidive légale. Sur le plan juridique, la récidive répond à des critères restrictifs en ce qui concerne la nature de l'infraction et le délai entre les deux actes délictueux. Au cours de nos travaux, nous avons ainsi élargi notre champ de réflexion à la notion de réitération, plus large. En tout état de cause, le calcul des taux de récidive comme de réitération ne concerne que les cas où la seconde infraction est judiciarisée, ce qui est loin d'être systématique et ce qui crée, là encore, un biais statistique.

Dès lors, nous devons regarder les chiffres de la récidive légale des AICS avec prudence. Ils ne reflètent que le nombre de plaintes déposées - faiblement représentatif, on l'a vu - ayant abouti à deux reprises à une condamnation : ils ne concernent donc qu'un nombre restreint de situations.

Malgré ces limites statistiques, nos travaux nous ont permis de mettre en évidence la réalité complexe du phénomène de la récidive des violences sexuelles dans notre société. Nos recommandations visent donc à organiser la prévention de la récidive à tous les niveaux, mais aussi à améliorer le suivi des AICS grâce à une évaluation de l'efficacité des dispositifs existants, afin de mieux saisir l'ampleur de la récidive des violences sexuelles et des facteurs qui favorisent un nouveau passage à l'acte.

Nous sommes convaincues que la meilleure arme pour lutter contre la récidive du viol est la prévention : c'est un axe fort de nos conclusions. Je pense notamment à la prévention primaire, qui vise à empêcher la première infraction sexuelle : pour lutter contre la récidive du viol et des agressions sexuelles, le meilleur moyen est encore d'éviter le premier passage à l'acte. Ce type de prévention doit concerner l'ensemble de la population et, en premier lieu, les mineurs.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Plusieurs outils de prévention primaire existent. Évoquons tout d'abord l'accompagnement à la parentalité. Les psychiatres et les psychologues que nous avons entendus l'ont tous souligné : les AICS ont très majoritairement évolué dans un environnement familial dysfonctionnel et ont souvent été victimes de négligences et d'abus au cours de leur enfance. C'est pourquoi nous estimons que les dispositifs de soutien à la parentalité doivent être renforcés.

L'éducation au consentement est également un outil incontournable de prévention des violences sexuelles dès le plus jeune âge. Cette mesure répond au caractère massif des violences sexuelles ainsi qu'à l'exposition toujours plus précoce et traumatogène des mineurs aux contenus pornographiques. L'application stricte de la loi en ce qui concerne l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) est une composante essentielle d'une politique forte de prévention et d'information en matière de sexualité dès l'enfance.

Nous sommes convaincues de l'utilité des campagnes de communication à destination de l'ensemble de la population, notamment pour rappeler l'importance essentielle du consentement : il serait judicieux qu'elles soient déployées en France, sur le modèle des campagnes massives qui ont porté leurs fruits en Espagne et qui ont permis de toucher jusqu'à 90 % de la population. Nous sommes également persuadées de la nécessité de détecter et de signaler les violences sexuelles où qu'elles soient commises, tant il est vrai qu'elles concernent tous les secteurs de notre société.

Au cours de nos travaux, la problématique des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel, les MAICS, s'est révélée prégnante. Leur proportion est considérable : en 2023, 25 % des mis en cause pour de tels faits étaient des mineurs. Or, d'après les recherches menées par le ministère de la justice, un grand nombre de ces auteurs mineurs ont eux-mêmes subi des violences sexuelles qu'ils n'ont pas dénoncées et qui n'ont pas été repérées. Une attention accrue doit donc être accordée aux plus jeunes. Il faut surveiller les changements de comportements. Tous les enfants qui ont subi un viol ne deviendront évidemment pas des violeurs, mais beaucoup de délinquants sexuels ont subi des traumatismes durant leur enfance.

Dans cette perspective, l'une de nos recommandations vise à renforcer la formation des acteurs intervenants auprès des mineurs, afin qu'ils puissent mieux détecter et prendre en charge les cas de violences sexuelles dont ceux-ci sont victimes. Cela concerne l'ensemble des professionnels qui interviennent auprès des plus jeunes. En offrant à ces enfants l'accompagnement social, juridique et psychologique dont ils ont besoin, nous pouvons non seulement faire oeuvre utile en luttant contre les violences qu'ils subissent, mais aussi limiter le risque de voir des victimes devenir de futurs auteurs.

La prévention secondaire vise à prévenir la récidive de violences sexuelles et concerne les AICS déjà condamnés. Elle doit également être renforcée. Elle est mise en place après la condamnation, dans le cadre d'une éventuelle incarcération ou d'un suivi socio-judiciaire, à travers divers programmes de sensibilisation et un encadrement renforcé.

À cet égard, nous tenons à souligner le rôle crucial joué par les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) et les centres de ressources pour les intervenants auprès d'auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), qui construisent et mettent en oeuvre des programmes de prévention de la récidive, dont plusieurs sont spécifiquement dédiés aux AICS.

En parallèle, les outils d'évaluation et de mesure statistiques doivent être renforcés. Notre mission nous a permis de constater l'important déficit de statistiques relatives à la récidive produites par les ministères de l'intérieur et de la justice. Ce manque de données fait, par nature, obstacle à la mise en place d'une politique ciblée et efficace de prévention de la récidive des violences sexuelles : à l'heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de savoir si l'incarcération ou le suivi socio-judiciaire ont un réel impact sur le taux de récidive. C'est un constat inouï !

De même, aucune donnée ne nous a été transmise quant aux taux de récidive ou de réitération en fonction du profil de l'auteur - âge, nationalité, profil psychiatrique, antécédents judiciaires. L'établissement de statistiques consolidées sur la base de ces éléments semble pourtant nécessaire afin de mieux évaluer le risque de récidive : c'est un axe sur lequel le Gouvernement doit réaliser d'importants efforts si nous souhaitons endiguer enfin la récidive des violences sexuelles.

Nous demandons ainsi la mise en place d'une base statistique complète, qui permettra d'appréhender la récidive sous toutes ses facettes et de construire, enfin, une politique de prévention adaptée.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Nous nous sommes également interrogées sur la prise en charge médicale, psychologique et sociale des AICS au cours de leur parcours judiciaire. Il s'agit d'une dimension cruciale pour limiter la récidive des violences sexuelles, car pour prévenir, il faut d'abord réinsérer, voire guérir. S'il est important de ne pas surestimer la part d'AICS souffrant réellement de pathologies psychiatriques, la prise en charge reste un outil central de la prévention de la récidive.

C'est à ce titre que la procédure applicable aux infractions sexuelles intègre déjà un dispositif médical renforcé. Le code de procédure pénale impose une expertise médicale avant tout jugement au fond, pour les individus poursuivis pour des violences sexuelles. Une obligation de soins est prévue et doit être mise en oeuvre avant même la reconnaissance de la culpabilité. Ensuite, lors du jugement, une condamnation peut être assortie d'une mesure de soins pénalement ordonnés, telle que l'injonction de soins, qui est théoriquement prononcée de plein droit lorsque l'auteur est condamné à un suivi socio-judiciaire. Enfin, au cours de leur incarcération, les condamnés AICS doivent être affectés en priorité dans des établissements pénitentiaires adaptés, dits fléchés, où ils bénéficient d'un suivi médical et psychologique spécifique, conformément au protocole santé-justice de 2011. Voilà qui illustre de nouveau l'intérêt d'une mission conjointe entre la délégation aux droits des femmes et la commission des lois.

Ces dispositifs visent à rendre possible, voire à imposer, une prise en charge du condamné. Ils contribuent à la prévention de la récidive. Nous avons toutefois constaté sur ce chapitre des défaillances de deux ordres, qui tiennent d'abord à un manque de moyens dans la sphère médico-sociale et, ensuite, à la sous-utilisation ou à l'inadaptation des outils juridiques prévus par le code de procédure pénale.

En ce qui concerne l'enjeu capacitaire, tout d'abord, la prévention de la récidive est rendue plus complexe par le manque de professionnels médicaux. Il s'agit en particulier des experts psychiatres placés auprès des juridictions, ainsi que des médecins coordonnateurs chargés de superviser le dispositif de l'injonction de soins.

La pénurie d'experts auprès des tribunaux judiciaires est particulièrement problématique, dans la mesure où l'expertise médicale est obligatoire pour les faits de violences sexuelles. Les magistrats que nous avons auditionnés ont souligné que cette obligation légale était un facteur important dans l'augmentation du délai de jugement des AICS, car les délais d'expertise peuvent s'avérer particulièrement longs.

Dans un contexte de grande tension dans le secteur médical, nous estimons qu'il est possible d'envisager une plus grande association des psychologues au suivi des AICS - je ne parle pas, pour le moment, de l'expertise initiale à laquelle nous consacrons des recommandations spécifiques. Cette proposition ne découle pas uniquement de la pénurie de psychiatres ; elle provient aussi et surtout du constat que nous avons pu faire au cours de nos travaux selon lequel il n'est ni opportun ni utile de maintenir le système de médicalisation systématique des AICS qui prévaut aujourd'hui.

Nombre de personnes auditionnées, y compris des experts médicaux, nous ont en effet indiqué que tous les auteurs de violences sexuelles n'étaient pas atteints de troubles psychiatriques. Le monopole de fait des psychiatres ne semble, ainsi, pas forcément justifié, et on pourrait valablement envisager un recours plus fréquent aux psychologues au cours du suivi des AICS, dans la limite, évidemment, de la compétence exclusive des psychiatres pour toutes les personnes atteintes de troubles susceptibles de justifier un traitement médicamenteux.

Le deuxième enjeu concerne les outils juridiques sur lesquels s'appuie la prise en charge des AICS. Pour éviter d'ajouter de la confusion à un sujet déjà complexe, nous allons vous présenter nos recommandations par ordre chronologique.

En amont du jugement, nous proposons de revoir les conditions dans lesquelles l'expertise médicale, et donc psychiatrique est obligatoire. Le périmètre fixé actuellement par le code vise, en effet, des infractions de gravités très inégales, qui couvrent des crimes - meurtre sur mineur, viol, actes de torture et de barbarie, etc. -, mais aussi des délits qui ne justifient peut-être pas une expertise psychiatrique systématique : je pense par exemple au recours à la prostitution ou à la fabrication de messages violents susceptibles d'être vus par des mineurs.

Nous estimons également que l'expertise ne devrait pas être obligatoire pour un auteur de violences sexuelles récidiviste ou réitérant qui a déjà fait l'objet d'une expertise quelques mois auparavant et dont le profil psychiatrique est, par conséquent, déjà connu.

Si elle devait être retenue, la fin de l'expertise obligatoire dans certaines hypothèses n'empêcherait pas le magistrat en charge du dossier de solliciter une expertise s'il l'estime utile à la manifestation de la vérité ou à une meilleure compréhension du profil de la personne mise en cause.

Enfin, nous pensons utile de prévoir de nouveaux outils qui permettraient la mise en place d'un suivi médical ou psychologique en amont du jugement. Une telle prise en charge est en effet impossible aujourd'hui pour des raisons qui tiennent, principalement, à la présomption d'innocence, ce qui est parfaitement légitime. Cela étant, il nous semble possible de concilier cette présomption d'innocence avec le démarrage précoce d'un suivi, notamment pour les mis en cause qui reconnaissent les faits qui leur sont reprochés, tout en leur accordant le plein bénéfice du secret médical.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - En ce qui concerne les sanctions applicables aux AICS, nous nous sommes longuement interrogées sur l'injonction de soins, qui constitue une forme particulièrement contraignante de soins pénalement ordonnée. Celle-ci peut être mise en oeuvre dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire.

Nos travaux nous ont conduites à identifier plusieurs failles dans la mise en oeuvre de ces injonctions. Contrairement à ce que le droit laissait supposer, celles-ci ne concernent qu'une minorité d'AICS, soit 26 % des condamnés pour viol et seulement 7 % des condamnés pour agression sexuelle. Ensuite, il faut rappeler que les injonctions ne peuvent être exécutées qu'en dehors de la détention, ce qui signifie concrètement qu'elles ne s'appliquent parfois que plusieurs années après les faits, alors même qu'une prise en charge rapide est, de l'aveu des professionnels, essentielle à la prévention de la récidive.

Nous souhaitons, dès lors, que notre arsenal pénal soit complété pour exploiter le temps d'incarcération comme un temps de prévention de la récidive. À cet effet, nous préconisons la mise en place d'une véritable injonction de soins en détention : bien que des dispositifs incitatifs existent dans notre droit, il n'est pas aujourd'hui possible d'imposer à un détenu AICS de se soumettre à un suivi, qu'il soit psychiatrique ou psychologique. Cela n'est pas acceptable. Nous proposons, d'une part, qu'une obligation réelle de se soigner en prison puisse être imposée aux détenus les plus dangereux et que, d'autre part, les juges de l'application des peines disposent d'un lien renforcé avec les professionnels médicaux, afin d'apprécier la sincérité de l'engagement du condamné dans le suivi psychiatrique ou psychologique qui lui est proposé en détention.

Cette recommandation va de pair avec une autre de nos propositions : l'affectation prioritaire des AICS dans l'un des vingt-deux établissements fléchés où ils peuvent bénéficier d'une prise en charge adaptée. Force est de constater que ce n'est pas le cas actuellement : le taux moyen d'AICS dans ces établissements n'est que de 37 %. On peut en déduire que des marges de progrès existent. Ce sujet est d'autant plus crucial que, dans un contexte de surpopulation carcérale, un suivi personnalisé des AICS est matériellement impossible dans les établissements classiques.

Cela étant dit, tous les AICS ne relèvent pas, comme on l'a vu, d'une prise en charge strictement médicale. Nos travaux nous ont permis de mettre au jour l'importance d'un accompagnement social, notamment pour les auteurs mineurs. Nous avons pu prendre connaissance, lors de déplacements sur le terrain, de plusieurs initiatives locales visant à construire une prise en charge pluridisciplinaire des auteurs mineurs, à la fois judiciaire, sociale et médicale ou psychologique, et nous avons fait le constat de l'efficacité de ces initiatives en matière de réinsertion des AICS. Ces suivis interdisciplinaires prennent en particulier la forme de services d'accompagnement des jeunes auteurs et/ou victimes d'infractions à caractère judiciaire (Savi), comme celui qui nous a été présenté dans l'Yonne par la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Nous souhaitons encourager ce type de prise en charge interdisciplinaire des auteurs d'infractions sexuelles. Nous proposons ainsi non seulement de généraliser les Savi pour les mineurs, mais aussi de les étendre aux auteurs majeurs.

Toujours concernant les mineurs, nous souhaitons que des prises en charge pluridisciplinaires soient prévues dans les centres éducatifs fermés ou renforcés, où sont placés ceux qui ont commis les faits les plus graves : il n'est pas concevable, en effet, que le temps du placement ne soit pas, comme pour les majeurs, utilisé pour aider les auteurs mineurs à comprendre leurs actes et à prendre le chemin de la réinsertion.

J'en arrive au sujet de la fin de peine.

Dans le cas des condamnés pour violences sexuelles, comme pour la plupart des condamnés, le taux de récidive dépend étroitement des conditions de sortie de prison. Une sortie dite sèche, c'est-à-dire sans accompagnement, serait, selon la plupart des professionnels rencontrés, associée à un plus fort taux de récidive. Ce constat s'applique à plus forte raison aux AICS, qui sont moins nombreux en moyenne à bénéficier d'un aménagement de peine et dont le parcours de fin de peine se heurte aux réticences de plusieurs structures externes à accueillir des condamnés pour violences sexuelles à leur sortie de prison.

Nous préconisons donc un accompagnement renforcé des AICS en fin de peine, en particulier pour ceux d'entre eux qui ont accepté de suivre des soins en prison et qui s'engagent à les poursuivre à leur sortie. La reprise progressive des habitudes de vie hors de la détention revêt en effet, selon les professionnels que nous avons rencontrés, une importance capitale pour les AICS : il est donc essentiel qu'ils soient accompagnés lors de cette phase critique.

Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Nos travaux nous ont permis d'identifier divers dispositifs de procédure pénale qui doivent être modifiés pour mieux tenir compte des spécificités des profils des AICS.

Le taux de réponse pénale pour les violences sexuelles, et à plus forte raison pour les viols, a connu une augmentation supérieure à 80 % depuis 2015, ce qui marque un progrès considérable dans les dix dernières années. Cependant, nous avons constaté que le parcours judiciaire des AICS demeurait marqué par des délais de jugement particulièrement longs. Comme vous le savez, il s'agit là d'une problématique récurrente dans le fonctionnement de notre justice, qui s'inscrit dans le contexte d'une insuffisance chronique de moyens. Ainsi, il faut aujourd'hui compter en moyenne plus de vingt mois entre un dépôt de plainte pour agression sexuelle et le jugement.

Notre mission a dès lors été l'occasion de réfléchir à plusieurs aménagements de la procédure pénale afin de répondre à cette difficulté.

Au stade du jugement, tout d'abord, nous souhaitons que la formation des magistrats soit enrichie pour intégrer les problématiques spécifiques aux AICS. Nous n'avons pas jugé opportun de plaider pour la création d'une juridiction distincte, qui aurait été de nature à créer des risques forts, notamment de nullité de procédure. Cependant, nous sommes persuadées que les magistrats doivent être mieux formés aux spécificités que présentent les profils des AICS. Cette formation renforcée devrait, à nos yeux, s'adresser en priorité aux juges de l'application des peines, qui accompagnent les condamnés auteurs de violences sexuelles dans tous les aspects de l'exécution de leur peine, et en particulier dans les étapes sensibles que sont la fin de peine ou le suivi socio-judiciaire.

Toujours en ce qui concerne la procédure pénale, nous avons longuement débattu de l'extension aux crimes sexuels de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, mieux connue sous le nom de plaider-coupable, qui ne s'applique aujourd'hui qu'en matière correctionnelle. Nous n'avons pas formulé de recommandation sur ce sujet, qui demanderait un surcroît de réflexion, tant une telle extension devrait être strictement encadrée. Cette mesure ne saurait en effet simplement servir à pallier le manque de moyens de la justice et le statut de la victime doit être préservé. À titre personnel, j'estime que les violences subies ne doivent pas être atténuées et que la parole de la victime ne doit pas être remise en question. L'enjeu est donc de veiller à ne pas réécrire le récit des violences infligées. À mes yeux, il est indispensable d'éviter que les dérives que nous avons connues ne se reproduisent : trop de viols ont été requalifiés afin d'être jugés en correctionnelle, sous prétexte d'épargner aux victimes un procès éprouvant en assises.

En ce qui concerne la phase post-sentencielle, nos travaux nous ont conduites à nous pencher sur les différentes mesures de sûreté prévues à l'issue de la peine pour les profils les plus lourds et les plus susceptibles de récidive. Depuis la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le code de procédure pénale prévoit qu'un condamné particulièrement dangereux puisse faire l'objet, à la fin de sa peine, d'une surveillance de sûreté, voire d'une rétention de sûreté privative de liberté. Or nous avons constaté que, depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, un nombre extrêmement faible de détenus ont fait l'objet d'un placement en rétention de sûreté. Cela est très probablement lié au fait que les détenus concernés sont déjà condamnés à des peines d'emprisonnement lourdes. Nous regrettons cependant l'absence de statistiques relatives aux rétentions de sûreté mises en oeuvre depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2008, alors même que celles-ci concernent des faits particulièrement graves : en l'état du droit, sont en effet placées en rétention de sûreté les personnes qui ont violé les obligations attachées à une surveillance de sûreté, cette surveillance étant elle-même réservée aux condamnés qui présentent un risque grave et caractérisé de récidive. De même, aucun chiffre n'est disponible sur le nombre de personnes susceptibles d'être, à terme, placées en rétention de sûreté dès la fin de leur incarcération.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Ce manque d'anticipation est problématique à plusieurs titres, et notamment sur un plan pratique. Nous avons visité le centre socio-médico-judiciaire de Fresnes, seul centre habilité à accueillir des détenus placés en rétention de sûreté. Ce site, qui dispose d'équipements récents et s'appuie sur un haut niveau d'expertise, est aujourd'hui complètement vide. Les professionnels de Fresnes n'ont aucun moyen d'anticiper l'évolution de leur charge de travail dans les prochaines années. Plusieurs de nos recommandations portent sur ce point.

Nous souhaitons par ailleurs, dans l'attente de l'entrée en oeuvre effective de ce dispositif d'ici à quelques années, que les moyens prévus pour la rétention de sûreté soient, autant que faire se peut, utilisés pour limiter le risque de récidive des détenus les plus dangereux. Aujourd'hui, lorsqu'une expertise de fin de peine a révélé l'existence d'un risque fort de récidive chez une personne incarcérée pour des violences sexuelles, nous sommes démunis, alors même que des moyens existent. Le bon sens commande qu'ils soient mieux exploités : c'est le sens de notre proposition.

Un autre enjeu concerne la peine complémentaire d'interdiction du territoire français à laquelle les AICS étrangers peuvent être condamnés. Celle-ci entraîne le prononcé à leur égard d'une OQTF en sortie de détention. C'était le cas de l'accusé dans le meurtre de la jeune Philippine, qui nous a menées à lancer cette mission.

Notre visite à Joux-la-Ville, où le meurtrier présumé de la jeune fille avait été placé en détention, nous a permis de constater le manque de coordination entre la sphère pénale et les autres acteurs en charge du suivi des condamnés à leur sortie de prison, dans le cas d'un AICS étranger placé en rétention administrative. Il nous semble donc crucial, dans de tels cas, de garantir la communication d'informations entre le juge de la liberté et de la détention (JLD) et les acteurs de l'exécution de la peine, tels que les CPIP et les juges de l'application des peines, concernant la dangerosité de la personne concernée et le risque de récidive.

Je voudrais également évoquer le cas particulier des mineurs auteurs d'infraction sexuelle. Comme vous le savez, ces derniers bénéficient - pour l'instant - d'une procédure pénale différente de celle qui s'applique aux majeurs, avec notamment une césure entre la décision de culpabilité et le prononcé de la peine, laquelle permet de prendre plus rapidement en charge les mineurs auteurs après les faits. Cependant, leur parcours pénal reste marqué par plusieurs difficultés liées notamment à la saturation des services médicaux. Au vu des résultats importants que peut entraîner une prise en charge précoce des jeunes auteurs de violences sexuelles, nous recommandons de développer des programmes spécifiquement tournés vers les mineurs condamnés pour des infractions sexuelles dans les centres éducatifs fermés et renforcés. À plus long terme, une réflexion pourrait être menée sur la création de centres fléchés pour les AICS mineurs, sur le même modèle que les établissements existant pour les majeurs.

Nous souhaitons également, comme cela a été évoqué par mes collègues, que la prise en charge des auteurs mineurs permette de détecter ceux qui, parmi eux, ont été précédemment victimes de viol ou d'agression sexuelle. D'après les professionnels, le fait d'être reconnu en tant que victime lorsque l'on a subi des violences sexuelles par le passé est un facteur puissant de prévention de la récidive, ce qui implique qu'une vigilance particulière soit accordée à cet enjeu dans le suivi des mineurs AICS. J'estime pour ma part que, pour prévenir la récidive et le passage à l'acte, il faudrait dépister, dans les maisons d'enfants à caractère social, tous les mineurs qui ont été victimes de violences familiales, pour identifier les risques de passage à l'acte. Cela concernerait aussi les filles : en effet, lorsqu'on a été victime de violences dans son enfance, on a plus de risque d'être à nouveau victime à l'âge adulte. Prévenir la récidive, c'est aussi lutter contre cette forme de conditionnement.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Nos rapporteurs formulent donc 24 recommandations. Suscitent-elles des observations de votre part ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je me réjouis de ce rapport. Le choix de la commission des lois et de la délégation aux droits de femmes de travailler en commun sur ce sujet a été judicieux.

Toutefois, je regrette que plusieurs points ne donnent pas lieu à recommandation. Je pense à tout le travail au cours de la détention. J'entends qu'il y a un problème d'efficacité de la prise en charge des auteurs aux différentes étapes, de l'interpellation jusqu'à la sortie de la détention éventuelle, mais je ne vois pas de préconisation à ce sujet.

Je suppose, concernant l'injonction de soins, que vous avez dû vous heurter, comme cela a pu nous arriver par le passé, à la nécessité d'obtenir l'accord de la personne intéressée. C'est un paramètre important.

Je n'ai pas très bien compris l'intérêt de faire un focus particulier sur les étrangers et sur les centres de rétention administrative (CRA). C'est peut-être l'affaire Philippine qui vous a marquées...

En revanche, je suis frappée par l'absence de préconisation sur le rôle de la puissance publique. Dans l'affaire Le Scouarnec, il y a eu une disjonction entre les faits constatés et les condamnations prononcées : il a manqué une articulation qui permette d'éviter la récidive. Dans les affaires de violence sexuelle, la non-détection et la récidive sont, pour une large part, imputables au fonctionnement de la puissance publique au sens large - j'utilise délibérément un terme générique, pour ne pas viser tel ou tel corps de l'administration -, qui n'a pas su, pas identifié, pas fonctionné. Quand, dans la première affaire Le Scouarnec, celui-ci est condamné pour détention et importation d'images pédopornographiques, on ne lui interdit pas de côtoyer des mineurs. Peut-être était-ce l'époque ? Quoi qu'il en soit, quelle recommandation pourriez-vous formuler dans le sens d'une articulation plus efficace entre les faits révélés et la corrélation avec d'autres services, y compris entre les départements ?

Mme Olivia Richard. - Mesdames les présidentes, mesdames les rapporteures, permettez-moi de vous féliciter pour cette démarche commune, que je trouve particulièrement pertinente et enrichissante, tant les compétences de la commission des lois et celles de la délégation aux droits des femmes sont complémentaires - le fait que certaines d'entre vous soient des « cumulardes » est très précieux pour ces travaux.

Certaines auditions, que j'ai trouvées passionnantes, nous ont permis de nous rendre compte de l'ampleur du non-recours à la plainte. Quand 94 % des personnes victimes de violences sexuelles ne déposent pas plainte, quand on ne dispose d'aucune statistique sur le taux de recours aux dispositifs mis en place pour prévenir la prévention, ni sur leur succès, on ne sait pas du tout de quoi l'on parle ! Nos travaux permettent au moins de mettre en lumière cette situation. À la délégation aux droits des femmes, on dit qu'« il faut compter les femmes pour qu'elles comptent »...

Je suis frappée par la pudeur du rapport s'agissant du besoin de soins et d'accompagnement et des moyens de la justice. On sait pourtant bien que, compte tenu de l'état de la psychiatrie et de la justice en France, si toutes les victimes portaient plainte, nous serions submergés.

Vous avez relevé que l'on manquait cruellement d'experts et que le recours à ces derniers avait un caractère automatique qui pouvait être excessif. Je me permets de relayer ce que m'ont dit des avocates spécialisées dans l'accompagnement des victimes, mais aussi d'auteurs, au sujet de l'expertise. Dans les procédures, c'est souvent parole contre parole, ce qui démultiplie la place de l'expert. N'y aurait-il pas une réflexion à avoir sur leur rôle et sur la justesse de leur intervention ?

Enfin, je rejoins Marie-Pierre de La Gontrie s'agissant de la pédocriminalité : il faudra poursuivre la réflexion que nous avons amorcée lors de l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes de Marie Mercier, concernant les modalités d'interrogation du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), qui semblent incomplètes et insuffisamment mises en oeuvre. En interrogeant ce fichier, on pourrait, par exemple, éviter qu'un pédocriminel ne soit embauché dans une association chargée de faire des animations dans des écoles...

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Le rapport et les recommandations ne rendent qu'imparfaitement compte de ce que nous avons vu et relevé au cours de nos travaux.

Je veux indiquer, premièrement, que plusieurs magistrats nous ont indiqué combien les violences sexuelles n'avaient jamais été une priorité des politiques pénales. La justice fonctionne avec des priorités successives : il y a eu le terrorisme et la radicalisation ; il y a eu les violences intrafamiliales (VIF) - ce focus a été efficace, puisque le nombre de dossiers en souffrance a baissé. Nous sentons bien que la nouvelle priorité est le narcotrafic. Nous attendons le moment où la priorité sera donnée aux violences sexuelles.

Nous avons toutes eu le sentiment que l'expertise judiciaire était un problème énorme et, d'une certaine manière, tentaculaire. Les difficultés sont multiples, du nombre d'experts disponibles à leur niveau de qualification et de compétence - ils sont loin d'être tous bons -, en passant par le montant de leur rémunération et la date de paiement des expertises. On constate également un recours tous azimuts aux experts dans des dossiers qui ne le justifient pas - voilà des années que j'essaie de faire valoir, par exemple, que l'on n'a pas besoin d'une expertise psychologique pour résoudre les problèmes de garde d'enfants.

Nous avons beaucoup réfléchi sur les expertises et nous nous sommes interrogées sur leur caractère systématique, au-delà de la première, qui vise à déterminer si l'auteur est pénalement responsable, s'il dispose de son discernement, s'il doit aller à l'hôpital psychiatrique ou en détention provisoire... Nous n'avons obtenu aucune statistique. Officiellement, l'expertise de crédibilité des victimes n'existe plus ; en réalité, on n'en sait rien. Nous n'avons pas pu obtenir de la chancellerie le moindre recensement des expertises ordonnées dans les affaires de ce type. La question de l'expertise est vraiment, dans ce dossier, l'éléphant au milieu de la pièce.

Ma chère collègue Marie-Pierre de La Gontrie, la première condamnation de Joël Le Scouarnec remonte à 2005, soit il y a vingt ans. Depuis, l'arsenal juridique a considérablement évolué. Aujourd'hui, à ma connaissance, la détention d'images pédopornographiques conduit à une interdiction de travailler avec des enfants et à une inscription au Fijaisv, mais il est vrai que l'on vient de très loin... Il a pu exister une forme de banalisation. J'espère que les choses se passeraient différemment aujourd'hui.

Pourquoi avons-nous fait un focus sur les étrangers ? Parce que, après l'assassinat de Philippine, on aurait pu croire, à écouter les commentaires, qu'elle avait été violée par une OQTF plutôt que par un homme. Nous nous sommes interrogées sur la place à donner à la question du droit des étrangers et au fait que l'auteur soit sorti d'un CRA. Nous avons d'ailleurs remonté toute une chaîne de dysfonctionnements intervenus dans les six mois précédant les faits.

Ainsi, des mesures qui auraient dû être prises au moment où l'on savait qu'il allait sortir de détention et qu'il était en situation irrégulière ne l'ont pas été - des démarches auraient alors dû être faites de la part du préfet. Surtout, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) que nous avons rencontrés nous ont dit qu'ils le connaissaient et qu'ils savaient qu'il était dangereux...

Sur le suivi des auteurs dès l'interpellation, il faut que nous ayons en tête que c'est la misère ! La misère, cela aurait d'ailleurs pu être le titre de notre rapport.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Cela aurait été un titre percutant !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Cette affaire est le reflet de toute la misère qui touche le suivi psychiatrique, le suivi psychologique, le suivi socio-judiciaire, le suivi de sortie... Il est certain que laisser les auteurs dans la nature, sans logement ni travail, augmente les risques de récidive.

Mmes Audrey Linkenheld, rapporteure, et Dominique Vérien, présidente. - Les Ehpad ne les acceptent pas.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Effectivement, les Ehpad, où il y a 90 % de femmes, n'accueillent pas les AICS facilement...

Nous avons aussi beaucoup réfléchi à la question des injonctions de soins. Faut-il s'accrocher à l'idée que l'on ne doit tenter de soigner que ceux qui l'acceptent ? J'en doute. Peut-être que ceux qui ne l'acceptent pas d'abord l'accepteront en cours de route...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il y a peu de chances pour que le corps médical soit d'accord !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Par ailleurs, d'après ce que nous avons entendu, faire commencer un suivi psychologique à des détenus en détention provisoire serait porter atteinte à la présomption d'innocence. Les magistrats étaient assez fermes sur ce point. Un détenu qui acceptait de travailler sur le fait qu'il a commis un viol reconnaîtrait sa culpabilité. Je comprends les considérants, mais il y a là quelque chose d'insatisfaisant en termes d'efficacité.

Nous devrions réinterroger tout cela, mais il nous faudrait travailler davantage, et disposer de plus de statistiques. La misère, ce sont aussi les statistiques de la justice !

Mme Annick Billon, rapporteure. - Toute la difficulté de ce rapport est de faire des propositions sur une base statistique quasiment nulle. Il y a très peu de condamnations pour viol, raison pour laquelle nous avons élargi notre rapport à la réitération : si nous nous étions concentrées sur la récidive, notre base statistique aurait été encore plus étroite. Notre demande de chiffres est forte. Nous en avons besoin pour proposer des politiques publiques.

Nous avons aussi besoin d'expérimentations. Notre rapport s'appuie sur des choses que nous avons vues ou entendues lors de nos déplacements - notamment dans l'Yonne - et de nos auditions. Il faut que les dispositifs existants qui fonctionnent soient utilisés et généralisés.

On ne peut pas imaginer que le temps de la détention, qui peut durer plusieurs années, ne soit pas utilisé pour soigner et préparer la sortie. Si l'injonction de soins commence à la sortie, on a perdu d'avance !

Notre focus sur les OQTF a forcément été inspiré par l'actualité. Si nous ne l'avions pas fait, on nous en aurait demandé les raisons... Il était important que nous nous demandions de quelle manière nous pouvions éviter qu'un fait divers aussi grave ne se reproduise. Nous n'avons pas voulu stigmatiser une quelconque population : nous avons simplement voulu répondre à la question soulevée par ce fait divers, qui a marqué le début de nos travaux et alimenté notre réflexion dès le départ.

Nous avons également fait des propositions spécifiques sur les mineurs. Ce prisme est très important dans le contexte actuel. Dans notre rapport sur l'industrie de la pornographie, nous avons avancé que, si l'on ne s'attaquait pas au visionnage par des mineurs très jeunes, si l'on ne les repérait pas, si l'on ne les accompagnait pas, la population de victimes agresseurs potentiels ne cessera d'augmenter.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Je veux insister sur ce point. Toute notre réflexion est partie du cas dramatique de la jeune Philippine, avec un auteur qui, certes, était étranger, mais qui était aussi mineur quand il a commis sa première infraction à caractère sexuel.

Ce que notre rapport montre, c'est la misère de nos services publics en général, de la justice, de la santé, de l'accompagnement, mais aussi de la protection de l'enfance, sujet sur lequel nous travaillons par ailleurs. Dans le rapport, nous disons - peut-être trop poliment - que, s'il existe des dispositions spécifiques pour les mineurs dans le suivi des auteurs d'infractions à caractère sexuel, c'est dans ce domaine que les choses marchent le moins bien. Alors que les mineurs devraient faire l'objet d'une attention redoublée, sur le plan répressif comme sur le plan éducatif, leur prise en charge est moindre, y compris dans ce domaine. Celui qui a défrayé la chronique était lui-même mineur, ce qui explique d'ailleurs pourquoi il est sorti assez vite après sa condamnation - en 2024, soit trois ans après celle-ci.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Sa peine était dans la moyenne des condamnations pour viol.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Il faut y insister, quand on sait que 25 % des auteurs sont mineurs et qu'une bonne partie d'entre eux ont très probablement eux-mêmes été victimes. Il y a sans doute, parmi les mineurs auteurs d'infractions, qu'elles soient ou non à caractère sexuel, d'ailleurs, des victimes dont le traumatisme passé peut expliquer le passage à l'acte et la commission de violences. C'est un constat terrible.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Pour répondre à Olivia Richard, sauf exceptions, on ne peut pas être inscrit au Fijaisv si l'on n'a pas été condamné. Une commune qui, par exemple, souhaite embaucher un éducateur ou un animateur pour faire du cirque dans les écoles va demander si cette personne est inscrite au Fijaisv via le ministère de la jeunesse et des sports. Nous avons fait avancer la loi pour inclure dans le fichier les chauffeurs de bus- c'est malheureusement dans ces métiers en contact avec des enfants que l'on peut retrouver des pédocriminels...

Nous pouvons essayer d'obliger un patient à suivre des soins psychiatriques, mais, pour que le traitement marche - je parle sous couvert de notre collègue Véronique Guillotin par ailleurs médecin comme moi -, il faut une observance du patient et une adhésion.

J'ai été particulièrement marquée, au cours de nos travaux, par notre visite, à Caen, d'une prison ouverte où séjournent de très vieux AICS, dont nous nous sommes demandé quels actes abominables ils avaient pu commettre pour être encore là, alors qu'ils ne semblaient plus être en état d'embêter qui que ce soit. Je veux souligner le volontarisme et l'implication de ceux qui les accompagnaient. Pourtant, eux aussi savent ce qu'est la misère ! Je trouve vraiment que ceux qui accompagnent les détenus en général sont remarquables.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Ma chère collègue Marie-Pierre de La Gontrie, j'ai bien entendu ce que vous avez dit sur l'imposition des soins, mais force est de constater que, à Migennes, dans l'Yonne, des jeunes qui ne voulaient pas, au départ, être pris en charge par les psychologues du Savi y sont revenus par la suite de leur plein gré, ayant compris qu'ils étaient eux-mêmes victimes. On peut se dire que ce qui fonctionne sur les jeunes pourrait éventuellement fonctionner sur des adultes...

Sur la question des experts, je fais un pas de côté. À l'Institut des cancers des femmes de l'Institut Curie, que nous avons visité hier dans le cadre d'autres travaux de la délégation, une chercheuse nous a confié qu'elle trouvait que les jeunes médecins d'aujourd'hui éprouvaient de vraies difficultés à prendre des décisions. Ils demandent systématiquement des analyses complémentaires, des suranalyses... Il semblerait qu'il y ait un problème générationnel avec le risque associé à la prise d'une décision. Aujourd'hui, les médecins, comme les magistrats, cherchent à se rassurer par de nombreuses analyses qui nous coûtent cher.

Madame de La Gontrie, il y a déjà beaucoup de choses dans la loi ! Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est former, notamment les magistrats et les forces de sécurité intérieure, à son application, pour qu'ils sachent détecter, traiter et prendre en charge correctement.

Mme Olivia Richard. - Je parlais non pas de la possibilité pour les collectivités d'interroger le Fijaisv, mais des associations employées par certaines collectivités pour assurer des animations.

Lorsque nous avons débattu du Fijaisv en séance publique, j'avais déposé un amendement, qui avait été voté, visant à permettre aux associations de demander au moins le casier judiciaire des personnes qu'elles souhaitaient embaucher. Les débats avaient permis de mettre au jour les délais, très longs, de consultation indirecte du Fijaisv - cela peut prendre trois mois ! Ce délai complique l'embauche, ce qui décourage la consultation : le Fijaisv est insuffisamment consulté pour beaucoup de catégories d'embauches. Cette difficulté avait été soulevée lors des débats, et le garde des sceaux de l'époque nous avait répondu que, si nous rendions la consultation du Fijaisv obligatoire, nous allions devoir nous armer de patience... Le problème se pose aussi pour le passage des frontières. Cependant, je rappelle que l'on a su automatiser la consultation indirecte du Fijaisv dans certains domaines : il faudrait étendre ce procédé à d'autres secteurs.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - Cela fait écho à notre recommandation n° 18. Peut-être faudrait-il, d'ailleurs, que le Fijaisv y soit expressément mentionné !

Mme Véronique Guillotin. - Merci aux rapporteures.

Pour m'occuper d'une association, je sais que, quand une association sportive embauche un salarié - je ne parle pas des bénévoles -, elle est dans l'obligation de demander la carte professionnelle, pour la simple et bonne raison que celle-ci est adossée au casier judiciaire.

Mme Olivia Richard. - Cela fonctionne bien dans le sport !

Mme Véronique Guillotin. - C'est peut-être quelque chose qu'il serait assez facile d'étendre.

Demain matin, notre collègue députée Sandrine Josso et moi-même allons présenter à la délégation aux droits des femmes le rapport sur la soumission chimique comme forme de violence faite aux femmes qui nous a été commandé par le Gouvernement. Globalement, on retrouve, dans nos conclusions, les grandes lignes de ce que vous avez écrit : la sensibilisation, la formation de tous les professionnels de première ligne - magistrature, police, gendarmerie, professionnels de santé, professionnels sociaux...

Nous avons peut-être davantage insisté, pour ce qui est de la prévention, sur la nécessaire recherche, notamment clinique, sur les psychotraumatismes. À cet égard, je vous recommande la visite de la Maison de la résilience, très belle structure de recherche fondée par le professeur Hingray. Il a été mis en évidence que les victimes de violences et de viols développaient une forme d'amnésie : elles sont mal dans leur peau et développent des pathologies parallèles, sans faire le lien avec le traumatisme de départ, dont elles ne se souviennent plus. Au final, si la question des chiffres est compliquée, ce n'est pas seulement parce que les plaintes n'aboutissent pas, mais aussi parce certaines victimes elles-mêmes sont dans l'ignorance de ce qu'elles ont subi. Il y a donc tout un travail de recherche à faire dans ce domaine.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Oui, la formation permet de répondre à ma préoccupation sur le rôle de la puissance publique. Nous avons dit moult fois que les choses avaient un peu progressé sur ce point, et que le Fijaisv avait été un progrès formidable.

Cependant, je reviens encore une fois à l'affaire Le Scouarnec : le problème n'était pas une absence de détection, c'était une absence de circulation de l'information. J'aurais aimé que le rapport contienne une préconisation à ce sujet.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Il y a quand même des recommandations sur le dialogue et le recoupement entre les différents services, puisque nous disons que chacun est dans son silo, qu'il faut un échange, un partage d'informations pour éviter de la perte en ligne.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas vu cela.

Mme Audrey Linkenheld, rapporteure. - C'est dans les recommandations nos 1, sur la prévention primaire, et 7.

Mme Annick Billon, rapporteure. - C'est davantage développé dans le texte du rapport que dans les recommandations.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez dit que vous aviez réagi à l'actualité, avec l'affaire Philippine. Il est assez curieux que vous formuliez des réponses tout en dénonçant des dysfonctionnements, lesquels impliquent que les outils existent déjà.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Il n'y a quasiment pas de préconisations qui soient issues de cette affaire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Si ! La recommandation n° 19 sur les CRA l'est directement.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Ce n'est pas la plus importante.

Mme Annick Billon, rapporteure. - La recommandation n° 19 apporte une réponse à une difficulté... En quoi est-ce problématique ?

Mme Dominique Vérien, présidente. - S'agissant de l'affaire Le Scouarnec, ce dernier a été protégé malgré sa condamnation. Objectivement, aujourd'hui, il n'aurait pas eu le droit de continuer à travailler.

Il est problématique que des médecins mis en examen et ayant fait l'objet d'un certain nombre de plaintes continuent à exercer parce que l'ordre des médecins ne fait pas le ménage, et que l'hôpital pour lequel ils travaillent continue à les faire travailler sans les mettre de côté.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je ne pense pas que ce soit sur l'ordre des médecins que doive reposer le rôle que doit jouer la puissance publique en matière de sécurité.

En revanche, il aurait pu être judicieux d'ajouter une recommandation sur les hôpitaux.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Il est vrai que, plus qu'aux mis en examen, nous nous sommes surtout intéressées aux condamnés récidivistes, nous demandant ce que nous pouvions faire pour qu'ils soient moins dangereux à leur sortie de prison.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le Scouarnec avait été condamné !

Mme Dominique Vérien, présidente. - Oui, mais, au moment de sa condamnation, on considérait qu'être condamné pour la détention d'images pornographiques n'était pas grave. Fort heureusement, la loi a beaucoup évolué depuis ! Les choses auraient probablement été différentes s'il avait été condamné pour viol - du moins nous l'espérons...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce que vous déclarez sur le dialogue pourrait faire l'objet d'une recommandation.

Enfin, je regrette que le titre du rapport ne soit pas plus marquant. Sans aller jusqu'à parler de « misère », nous pourrions choisir un sous-titre qui marquerait davantage les esprits.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Les rapporteures nous ont fait plusieurs propositions, et nous avons retenu celle-ci : « Prévention de la récidive du viol : prendre en charge les auteurs pour éviter de nouvelles victimes ».

L'idée est d'éviter les futures victimes, mais aussi d'éviter que des victimes deviennent des auteurs, et l'indication de la prise en charge des auteurs me paraît indispensable.

Les vingt-quatre recommandations et le titre du rapport sont adoptés.

La commission des lois et la délégation aux droits des femmes adoptent le rapport et en autorisent la publication.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup ! Je donne rendez-vous aux rapporteures à 16 h 30 pour la présentation du rapport à la presse.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

5 décembre 2024

Centres ressources pour les intervenants
auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs)

Walter ALBARDIER

Psychiatre, responsable du Criavs d'Île-de-France

Hélène DENIZOT-BOURDEL

Psychiatre, praticien hospitalier au CHU de Clermont-Ferrand, responsable médicale régionale du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes

Caroline KAZANCHI

Avocate pénaliste, docteure en droit, auteure d'une thèse sur la médicalisation de la sanction pénale et juriste correspondante pour le Criavs de Provence-Alpes-Côte d'Azur

Anne-Hélène MONCANY

Présidente de la Fédération française des Criavs, psychiatre et cheffe du pôle de psychiatrie en milieu pénitentiaire au centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse

11 décembre 2024

Auditions des rapporteures

Catherine MÉNABÉ

Maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lorraine, directrice du DU criminologie et victimologie de Nancy

Marie ROMERO

Sociologue, chargée de mission « Recherche sur les mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel » pour la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse du ministère de la justice

Benoît LE DÉVÉDEC

Docteur en droit privé et sciences criminelles, auteur d'une thèse sur le discernement des mineurs en matière d'infractions sexuelles

17 décembre 2024

Associations et organisations féministes

- Yseline FOURTIC-DUTARDE

Co-présidente d'Ensemble contre le sexisme et porte-parole de la Coalition féministe pour une loi intégrale

Floriane VOLT

Directrice des affaires publiques et juridiques de la Fondation des femmes

Violaine de FILIPPIS-ABATE

Avocate, co-fondatrice du collectif Action juridique féministe

- Isabelle STEYER

Avocate, membre du collectif Action juridique féministe

   

15 janvier 2025

Auditions des rapporteures

Ministère de la justice - direction de l'administration pénitentiaire (DAP)

Emmanuel RAZOUS

Directeur adjoint de l'administration pénitentiaire

Charles BARBETTI

Chef du département des politiques sociales et des partenariats

Adelina GALLET

Référente nationale AICS, publics en perte d'autonomie, en situation de handicap

21 janvier 2025

Auditions des rapporteures

Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaire (CNPTJ)

Catherine MATHIEU

Présidente du tribunal judiciaire de Créteil

   

Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR)

Olivier CARACOTCH

Procureur de Dijon

 

Conférence nationale des procureurs généraux (CNPG)

Christophe BARRET

Procureur général près la cour d'appel de Grenoble

22 janvier 2025

Auditions des rapporteures

Table ronde Ministère de la santé et Agences régionales de santé

Anne HÉGOBURU

Sous-directrice de la prise en charge hospitalière et des parcours ville-hôpital - Ministère de la santé et de la prévention

Laora TILMAN

Cheffe du bureau de la prise en charge en santé mentale et des publics vulnérables - Ministère de la santé et de la prévention

Gérard COTELLON

Directeur général - ARS La Réunion

Sylvie YNESTA

Médecin - ARS La Réunion

Daniel PINÈDE

Médecin psychiatre et conseiller médical à la Direction de la santé publique - ARS Île-de-France

Jean-Louis WYART

Directeur de la santé publique - ARS Corse

Viviane DAHAN

Chargée de mission « Violences / Santé » à la Direction de la santé publique - ARS Corse

Anne-Laure MOSER MOULA

Directrice de l'Organisation des Soins et de l'Autonomie - ARS Bourgogne-Franche-Comté

Céline GOUSSARD

Directrice de projet santé des détenus, soins palliatifs, médecine légale, co-cheffe du parcours maladies cardiovasculaires - ARS Bourgogne-Franche-Comté

Delphine ZENOU

Directrice du parcours santé mentale - ARS Bourgogne-Franche-Comté

Jean-Christophe CANLER

Directeur général adjoint - ARS Hauts-de-France

29 janvier 2025

Auditions des rapporteures

Ministère de la justice - Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)

Cécile GRESSIER

Sous-directrice de la justice pénale générale

- Anne-Mahaut MERCIER

Adjointe à la cheffe du bureau de la politique pénale générale

   

Ministère de l'intérieur - Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ)

Séraphia SCHERRER

Sous-directrice adjointe de la stratégie et du pilotage territorial

- Franck DANNEROLLE

Chef de l'office central pour la répression des violences aux personnes

Ministère de la justice - Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ)

Marie LÉON

Directrice-adjointe

- Laetitia SOULARD

Chargée de la protection de l'enfance

6 février 2025

Table ronde sur l'expertise psychiatrique et psychologique des délinquants sexuels

Christophe BOULARD

Expert psychologue, président de la Compagnie nationale des experts psychologues (Cnepsy) au sein du Conseil national des compagnies d'experts de justice (CNCEJ)

Dr Roland COUTANCEAU

Expert psychiatre, président du Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (Snepp)

- Dr Laurent LAYET

Expert psychiatre, représentant de l'Association nationale des psychiatres experts judiciaires (Anpej), président de la Compagnie nationale des experts psychiatriques près les cours d'appel (CNEPCA)

- Dr Charles-Olivier PONS

Expert psychiatre, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP)

- Florent SIMON

Psychologue, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP)

12 février 2025

Auditions des rapporteures

Institut français pour la justice restaurative (IFGR)

Christiane LEGRAND

Présidente

- Benjamin SAYOUS

Directeur général

France Victimes

- Isabelle SADOWSKI

Directrice générale adjointe

- Élise BOUNCER

Psychologue

Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP)

- Cécile DELAZZARI

Secrétaire générale adjointe

- Ludovic FOSSEY

Vice-président, président de la chambre de l'application des peines de la Cour d'appel de Paris

 

18 février 2025

Auditions des rapporteures

CGT - Insertion-Probation

Margaux LE GALLO

Secrétaire nationale

UFAP UNSA Justice

- Simon-Pierre LAGOUCHE

Secrétaire national

- Jérémy RIVIÈRE

Secrétaire régional adjoint de l'Union Régionale Réunion/Mayotte

FO Justice-CPIP

- Farida ED-DAFIRI

Secrétaire générale adjointe

   

Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire-Fédération syndicale unitaire (SNEPAP-FSU)

- Annabelle BOUCHET

Secrétaire générale adjointe

- Adeline CAUTRES

Secrétaire régionale

Syndicat national des directeurs pénitentiaires

- Virginie NOUAILLE

Directrice fonctionnelle du Spip de l'Essonne

- Amélie RANFAING

Adjointe au chef d'établissement du centre pénitentiaire de Caen

Union nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (UNDPIP-CFE-CGC)

- Alexandre PIERRE

Secrétaire général adjoint

Syndicat national pénitentiaires - Force ouvrière Direction

- Ivan GOMBERT

Secrétaire national

École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP)

- Sophie BONDIL

Directrice

- Laurent COUSSON

Directeur adjoint

- Frédéric SUBILEAU

Chef du département Probation et Criminologie

- Guillaume BRIE

Chef d'unité en charge du Centre interdisciplinaire de recherche appliquée au champ pénitentiaire (CIRAP)

19 février 2025

Auditions des rapporteures

Laurent GEBLER

Président de la chambre des mineurs de Paris, représentant de l'Association des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF)

- Danièle TRITSCH

Neurobiologiste, ancienne professeure à l'Université Pierre et Marie Curie

- Jean MARIANI

Neurobiologiste, professeur émérite à la faculté de médecine Sorbonne Université

- Véronique LE GOAZIOU

Sociologue, chercheuse associée au Laboratoire méditerranéen de sociologie (LAMES-CNRS)

- Laurent MUCCHIELLI

Sociologue, directeur de recherche au CNRS

   

LISTE DES DÉPLACEMENTS


LUNDI 28 OCTOBRE 2024

DÉPLACEMENT DANS L'YONNE (MIGENNES ET JOUX-LA-VILLE)

Interlocuteurs rencontrés

Ø Personnels de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) Yonne-Nièvre

Laurence HOUZARD

Directrice territoriale de la PJJ Yonne-Nièvre

Basile KERNEIS

Conseiller technique en promotion de la santé
à la direction territoriale de la PJJ Yonne-Nièvre

Géraldine RENAULT

Éducatrice à la PJJ Yonne-Nièvre
Coordinatrice du service d'accompagnement de jeunes victimes et/ou auteurs d'infractions à caractère sexuel (Savi)

Ø Représentant du PEP Centre Bourgogne Franche-Comté

Sylvain TERREAU

Directeur du pôle médico-social de l'Yonne

Ø Personnels du centre de détention de Joux-la-Ville

Darius DELE

Chef d'établissement

 

Et des représentants de l'administration pénitentiaire, du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de l'Yonne et de l'Unité de consultation et de soins ambulatoires du centre de détention de Joux-la-Ville

   
   
   

VENDREDI 31 JANVIER 2025

DÉPLACEMENT À CAEN

Interlocuteurs rencontrés

Ø Personnels du centre pénitentiaire de Caen

Jean-Luc GOLOB

Chef d'établissement

Amélie RANFAING-DELVIGNE

Adjointe au chef d'établissement

   

Ø Préfecture du Calvados

Stéphane SINAGOGA

Secrétaire général

Ø Représentants du tribunal judiciaire

Julie DENOYELLE

Juge des enfants

Ariane HEMERY

Juge d'application des peines

Ø Représentants de la Direction territoriale protection judiciaire jeunesse

Thierry CARPENTIER

Directeur territorial adjoint

Christelle LABAURIE

Directrice du service territorial de milieu ouvert de Caen

Ø Représentants du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP)

Marie DE GOUVILLE

DFSPIP

Magalie VAN DEN AVENNE

Adjointe DFSPIP

Ø Direction départementale de l'Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS)

Alexandra LULLIEN

Adjointe à la cheffe de pôle Hébergement-Logement

   

Ø Agence régionale de santé (ARS)

Cécile LHEUREUX

Déléguée territoriale

Ø Centre ressource pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS)

David SEVEC

Infirmier

JEUDI 6 FÉVRIER 2025

DÉPLACEMENT À FRESNES

Interlocuteurs rencontrés

Ø Centre pénitentiaire de Fresnes

Jimmy DELLISTE

Chef d'établissement

Ø Service médico-psychologique régional (SMPR)

Sylvie PAUL

Magali BODON-BRYZEL

Directrice

Cheffe de pôle

TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI

Objet

Acteurs concernés

Support

Calendrier prévisionnel

Renforcer la prévention primaire et la prise en charge des auteurs

1

Renforcer les politiques de prévention primaire et d'information sur les violences sexuelles dès l'enfance, notamment sur les risques liés à l'exposition précoce à la pornographie, mettre en place de larges campagnes de communication, dépister et signaler les violences sexuelles

Ministère de la justice, ministère de l'intérieur, ministères sociaux, ministère en charge de l'éducation et de l'enfance, ministère en charge du numérique, service d'information du Gouvernement

Circulaires, formations, campagnes de communication

Immédiat

7

Former des magistrats et tous les professionnels (protection judiciaire de la jeunesse, police, gendarmerie...) intervenant auprès des mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel (MAICS) afin de mieux identifier les mineurs auteurs étant par ailleurs victimes

Ministères de l'intérieur et de la justice

Circulaires, formations

Immédiat

17

Développer les programmes spécifiquement tournés vers les mineurs AICS dans les centres éducatifs fermés et renforcés

Ministère de la justice, associations du secteur associatif habilité de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ministère en charge de la santé

Protocole entre les ministères concernés

Un à deux ans

Produire des statistiques fiables sur les AICS et évaluer leur prise en charge

6

Produire des statistiques en matière de récidive des délinquants sexuels en permettant les analyses croisées en fonction des profils des auteurs et des mesures, obligations et traitements auxquels ils ont été soumis

Ministère de la justice

/

Immédiat

9

Établir des statistiques fiables en matière d'injonction de soins pour pouvoir, à moyen terme, lancer une évaluation approfondie des critères de leur prononcé par les juridictions, des motifs conduisant à écarter leur application et de leur efficacité concrète dans la lutte contre la récidive des AICS

Ministère de la justice

/

Immédiat

20

Évaluer systématiquement les prises en charge des auteurs d'infraction sexuelle en détention afin d'harmoniser la doctrine de lutte contre la récidive

Ministère de la justice

/

Immédiat

22

Produire des statistiques sur le nombre de personnes éligibles à la rétention de sûreté

Ministère de la justice et juridictions criminelles

/

Immédiat

Objet
(formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Calendrier prévisionnel

Prévenir la récidive par une prise en charge spécialisée des AICS

2

Mieux accompagner les personnes mises en cause au stade pré-sentenciel, sur la base du volontariat et selon des formes couvertes par le secret médical

Ministère de la justice

/

Immédiat

8

Former les magistrats, et en priorité les juges de l'application des peines, aux spécificités des profils des AICS afin de garantir le prononcé et l'exécution de justes peines

Ministère de la justice

Formations

Immédiat

13

Affecter effectivement les AICS dans des établissements fléchés afin, notamment, de permettre la mise en oeuvre de soins en groupes de parole

Ministère de la justice

/

Immédiat

14

Créer une véritable injonction de soins en détention pour les AICS

Ministère de la justice, Parlement

Loi

Un à deux ans

15

Revoir le contenu des attestations remises aux détenus afin qu'elles permettent aux juges de l'application des peines d'apprécier la sincérité de leur engagement dans les soins en détention

Ministère de la justice, Parlement

Loi

Un à deux ans

16

Éviter les sorties sèches pour les personnes incarcérées qui ont accepté les soins en détention et s'engagent à les poursuivre à l'extérieur

Ministère de la justice

/

Immédiat

Objet
(formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Calendrier prévisionnel

18

Mieux appliquer les interdictions et incapacités qui s'appliquent aux AICS inscrits au fichier des auteurs d'infractions sexuelles et violentes (Fijaisv) grâce au déploiement effectif des systèmes d'information requis

Ministère de la justice, administrations déconcentrées

/

Immédiat

19

Pour les étrangers AICS condamnés à une interdiction du territoire français, informer le juge des libertés et de la détention de la dangerosité de la personne concernée afin qu'il puisse en tenir compte dans ses décisions en matière de rétention administrative

Ministère de la justice

Circulaire

Immédiat

21

Renforcer et généraliser les dispositifs d'accompagnement post-détention pluridisciplinaires afin de mieux accompagner la réinsertion sociale des AICS

Ministère de la justice, ministères sociaux, agences régionales de santé, administrations déconcentrées, collectivités territoriales

/

Un à deux ans

23

Mieux utiliser les moyens prévus pour la rétention de sûreté en les mobilisant, autant que possible, pour les détenus dangereux en fin de peine

Ministère de la justice

/

Immédiat

Objet
(formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Calendrier prévisionnel

24

Garantir la mise en oeuvre des mesures de surveillance de sûreté pour les profils les plus dangereux, notamment en cas d'échec de la surveillance judiciaire, et s'interroger dès maintenant sur le contenu du suivi offert pendant la période de rétention

Ministère de la justice

Circulaire de politique pénale

Immédiat

3

Tirer davantage profit des dispositions du code de procédure pénale qui permettent le recours à la justice restaurative à tous les stades de la procédure lorsque les mis en cause reconnaissent les faits

Ministère de la justice

Circulaire de politique pénale

Immédiat

Rationaliser les outils d'expertise

4

Évaluer les conditions de recours aux expertises en amont du procès, pour les auteurs comme pour les victimes

Ministère de la justice

/

Un à deux ans

5

Revoir les critères de l'automaticité du recours à une expertise psychiatrique du mis en cause en amont du jugement

Ministère de la justice, Parlement

Loi

Un à deux ans

10

Revaloriser la rémunération des experts psychiatres et psychologues, et garantir la perception effective par ceux-ci de cette rémunération

Ministère de la justice, ministère des comptes publics

Décret

Six mois à un an

11

Créer une formation de psychologie légale au cours du cursus des psychologues afin de favoriser, dès que possible, le recours à des experts au sein de cette profession, notamment dans les ressorts où l'on trouve peu de psychiatres

Ministère en charge de l'enseignement supérieur

Décret

Un à deux ans

12

Envisager la prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel (AICS) par des psychologues dès lors qu'ils ne sont pas atteints de pathologies relevant spécifiquement de la compétence des psychiatres afin de faire face au contexte de pénurie d'experts-psychiatres et à la saturation des services psychiatriques

Ministère de la justice

/

immédiat

CONSULTATION DU DOSSIER EN LIGNE
(RAPPORT ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS)

Pour consulter le dossier :

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/controle/prevention-de-la-recidive-en-matiere-de-viol-et-dagressions-sexuelles.html

Pour consulter les comptes rendus :

ANNEXE

PRÉVENTION DE LA RÉCIDIVE EN MATIÈRE DE VIOL ET D'AGRESSIONS SEXUELLES - EXPLOITATION DE LA BASE DE DONNÉES « SORTANTS DE PRISON »

I. Périmètre de l'étude

Périmètre de la base de données : Condamnés détenus ayant été libérés entre 2016 et 2019

Cette base de données sert notamment de source à la publication du Ministère de la Justice sur la récidive après la prison.

Un délai important est nécessaire pour identifier la récidive après la sortie de prison : il doit y avoir eu infraction, jugement puis inscription au casier judiciaire pour que la donnée soit récupérée. Ainsi, les infractions commises après 2021 ne sont que partiellement inscrites au casier judiciaire à ce stade. La SDSE préconise donc de diffuser au plus le taux de récidive à 5 ans après la sortie de prison pour les détenus libérés en 2016, et au plus à 2 ans pour les détenus libérés en 2019.

Ainsi, dans les résultats ci-dessous, on se limitera à la récidive ayant eu lieu dans les 2 ans après la sortie de prison afin de pouvoir agréger les cohortes 2016, 2017, 2018 et 2019.

Ci-dessous, le terme « Violences sexuelles » recouvre :

- Viol sur majeur (A31)

- Agression sexuelle sur majeur (A32)

- Viol sur mineur (A41)

- Agression sexuelle sur mineur (A42),

- Corruption de mineur, pédopornographie et atteinte sexuelle (A84)

NB 1 : Il n'est pas possible d'isoler l'atteinte sexuelle de la corruption de mineur et de la pédopornographie dans la base de données.

NB 2 : « Violences sexuelles » exclut donc ici le proxénétisme, le recours à la prostitution, le racolage, le harcèlement sexuel, et l'exhibition sexuelle.

Le terme « récidive » désigne ici le fait de commettre, après la sortie de prison, une nouvelle infraction (crime ou délit) donnant lieu à condamnation ou à une composition pénale, mais pas nécessairement pour des faits identiques à ceux ayant conduit en prison.

II. Ensemble des sortants de prison

Récidive dans les 2 ans après la sortie de prison, pour tous motifs de condamnation initiale et de récidive.

 

Nombre de sortants de prison

Dont nouvelle condamnation dans les 2 ans après la sortie de prison

Taux de récidive à 2 ans

2016

45 044

21 520

48 %

2017

47 779

23 084

48 %

2018

49 920

23 459

47 %

2019

51 563

23 197

45 %

Total

194 306

91 260

47 %

Près de la moitié des sortants de prison entre 2016 et 2019 ont récidivé dans les 2 ans (47 %).

Infraction initiale ayant mené en prison et nouvelle infraction dans les 2 ans après la sortie de prison
Périmètre : détenus sortant de prison entre 2016 et 2019, à nouveau condamnés dans les 2 ans après la libération
NB : lorsque moins de 10 personnes récidivent entre deux infractions, le lien n'est pas affiché.


III. Sortants de prison condamnés pour violences sexuelles

a. Motif de la nouvelle condamnation

Récidive après une première condamnation pour violences sexuelles (viol sur majeur/mineur, agression sexuelle sur majeur/mineur, corruption de mineur, pédopornographie ou atteinte sexuelle), dans les 2 ans après la sortie de prison, pour les libérations entre 2016 et 2019.

Infraction principale à l'origine de la première condamnation

Première infraction dans les 2 ans après la sortie de prison

Nombre

%

Violence sexuelle

Pas de nouvelle infraction dans les 2 ans

5 149

76.2 %

Violence sexuelle

Atteinte à l'autorité de l'État

404

6.0 %

Violence sexuelle

Atteinte à la personne humaine (hors violence sexuelle)

369

5.5 %

Violence sexuelle

Infraction à la réglementation de la circulation et des moyens de transport

286

4.2 %

Violence sexuelle

Atteinte aux biens

228

3.4 %

Violence sexuelle

Violence sexuelle

204

3.0 %

Violence sexuelle

Infraction en matière de santé publique

97

1.4 %

Violence sexuelle

Autres atteintes à l'autorité de l'État / Crimes de guerre - Infractions financières - Infractions économiques - Infraction à la législation du travail

18

0.3 %

Total

6 755

100 %

Pas de nouvelle infraction pour 76.2 % des sortants de prison, soit un taux de récidive à 2 ans de 23.8 %. Pour rappel, le taux de récidive pour l'ensemble des sortants de prison est de 47%, soit nettement supérieur au taux des seuls condamnés pour violence sexuelle : les sortants de prison condamnés initialement pour violences sexuelles ont donc nettement moins récidivé que l'ensemble des sortants de prison.

3 % des détenus condamnés initialement pour violence sexuelle ont à nouveau été condamnés pour violences sexuelles dans les 2 ans.

Détail de la récidive des sortants de prison condamnés initialement pour violences sexuelles.

Infraction principale à l'origine de la première condamnation

Première infraction dans les 2 ans après la sortie de prison

Nombre

%

Violence sexuelle

Pas de nouvelle infraction dans les 2 ans

5 149

76.2 %

Violence sexuelle

Violation de décision judiciaire

329

4.9 %

Violence sexuelle

Conduite avec alcool ou stupéfiants

149

2.2 %

Violence sexuelle

Violences sans ou avec ITT inférieure ou égale à 8 jours

106

1.6 %

Violence sexuelle

Agression sexuelle sur majeur

85

1.3 %

Violence sexuelle

Violences par conjoint ou concubin

76

1.1 %

Violence sexuelle

Menaces, chantage

75

1.1 %

Violence sexuelle

Défaut de permis de conduire

70

1.0 %

Violence sexuelle

Usage de stupéfiant

69

1.0 %

Violence sexuelle

Corruption de mineur, pédopornographie et atteinte sexuelle

65

1.0 %

Violence sexuelle

Autres vols aggravés

46

0.7 %

Violence sexuelle

Agression sexuelle sur mineur

39

0.6 %

Violence sexuelle

Destruction ou dégradation de biens privés ou menace

39

0.6 %

Violence sexuelle

Vol simple

32

0.5 %

Violence sexuelle

Exhibition sexuelle

30

0.4 %

Violence sexuelle

Acquisition, port, détention et transport d'armes

29

0.4 %

Violence sexuelle

Vol avec effraction ou escalade

28

0.4 %

Violence sexuelle

Détention de stupéfiants

27

0.4 %

Violence sexuelle

Outrage à agent / Rébellion

23

0.3 %

Violence sexuelle

Vol avec dégradation

22

0.3 %

Violence sexuelle

Défaut de pièce administrative / Visite technique du véhicule

22

0.3 %

Violence sexuelle

Violences avec ITT supérieure à 8 jours

20

0.3 %

Violence sexuelle

Recel de vol

15

0.2 %

Violence sexuelle

Viol sur mineur / Viol sur majeur*

15

0.2 %

Violence sexuelle

Destruction ou dégradation de biens d'intérêt public ou menace

12

0.2 %

Violence sexuelle

Police des gares et des trains

12

0.2 %

Violence sexuelle

Violences envers l'autorité publique

11

0.2 %

Violence sexuelle

Refus d'obtempérer, refus de vérification

11

0.2 %

Violence sexuelle

Autre infraction

149

2.2 %

Total

6 755

100 %

*Viol sur mineur / Viol sur majeur est regroupé afin de respecter le secret statistique.

b. Récidive selon le type de violence sexuelle initial

Récidive de violences sexuelles des détenus initialement condamnés pour violences sexuelles, par type de violence sexuelle de la condamnation initiale.

Infraction principale à l'origine de la première condamnation

Nombre de sortants de prison

Dont récidive de violence sexuelle dans les 2 ans

Taux de récidive à 2 ans

Viol

2 591

37

1.4 %

Agression sexuelle

3 401

124

3.6 %

Corruption de mineur, pédopornographie et atteinte sexuelle

763

43

5.6 %

Total

6 755

204

3.0 %

NB : il n'est pas possible de détailler le type de violence sexuelle lors de la récidive à cause du secret statistique (trop peu d'individus).

1.4 % des sortants de prison condamnés initialement pour viol sont à nouveau condamnés pour violences sexuelles dans les 2 ans. Le taux de récidive est plus élevé pour les détenus condamnés pour agression sexuelle : 3.6%.

c. Récidive par tranche d'âge

Les 3 graphiques suivants comparent les taux de récidive par tranche d'âge pour 3 populations :

- Taux de récidive pour violences sexuelles pour les sortants de prison condamnés initialement pour violences sexuelles [Graphique 1]

- Taux de récidive pour un autre motif que violences sexuelles pour les sortants de prison condamnés initialement pour violences sexuelles [Graphique 2]

- Taux de récidive pour tout motif pour les sortants de prison condamnés initialement pour tout motif [Graphique 3]

[Graphique 1]

Taux de récidive pour violences sexuelles pour les sortants de prison condamnés initialement pour violences sexuelles, par tranche d'âge.

Les détenus ayant entre 30 et 40 ans à leur sortie de prison ont davantage récidivé que les autres.

[Graphique 2]

Taux de récidive pour un autre motif que violences sexuelles pour les sortants de prison condamnés initialement pour violences sexuelles, par tranche d'âge.

Le taux de récidive pour un autre motif que violences sexuelles diminue sensiblement avec l'âge pour les détenus condamnés initialement pour violences sexuelles.

Cette baisse du taux de récidive avec l'âge se constate plus généralement pour l'ensemble des sortants de prison, qu'ils soient condamnés initialement pour violences sexuelles ou non :

[Graphique 3]

Taux de récidive pour tout motif pour les sortants de prison condamnés initialement pour tout motif, par tranche d'âge.

Ainsi, il semble y avoir une spécificité de la récidive de violences sexuelles : on ne constate pas de diminution marquée de la récidive avec l'âge.

d. Évolution du taux de récidive dans les 24 premiers mois

Évolution du taux de récidive après la sortie de prison pour les personnes condamnées initialement pour violences sexuelles et à nouveau condamnées pour violences sexuelles.

Plus de la moitié de la récidive à 2 ans a lieu dans les 6 premiers mois.


* 1 Enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité » (VRS) - SSMSI - 2023.

* 2 Source : SSMI.

* 3 Source : données transmises par le Ministère de la justice

* 4 Source : Ministère de la justice, SDSE, fichier statistique du Casier judiciaire national

* 5 Source : ministère de la justice, SDSE, fichier statistique du Casier judiciaire national.

* 6 Marie Romero, contribution écrite à la MCC.

* 7 À partir des données transmises par le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice.

* 8 Source : Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ).

* 9 Tableau réalisé par le Service de la statistique des études et de la recherche du ministère de la justice, Dossier méthode n° 1, février 2025.

* 10 Source : ministère de la justice.

* 11 Source : données transmises par le ministère de la justice.

* 12 Source : Marie Romero, La prise en charge des mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel à la protection judiciaire de la jeunesse.

* 13 Ministère de la Santé et de la prévention, Guide de l'injonction de soins.

* 14 Ministère de la Santé et de la prévention, Guide de l'injonction de soins

* 15  Loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate 

* 16 La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, votée en première lecture par le Sénat le 3 avril 2025, étend de 20 à 30 ans le délai de prescription en matière civile et maintient le mécanisme de prescription glissante pour les personnes majeures.

* 17  Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 18 Article 144 du code de procédure pénale, également applicable aux mineurs dans ses conditions par renvoi vers l'article cité des articles L. 344-4 et L. 344-5 du code de la justice pénale des mineurs.

* 19 De telles correctionnalisations consistaient à juger comme des délits, donc devant une juridiction composée exclusivement de magistrats professionnels, des infractions objectivement constitutives de crimes, notamment par crainte de la réaction du jury populaire lorsque les faits ne correspondaient pas aux clichés populaires sur le viol ou pour des raisons de célérité des procédures.

* 20 Les chiffres cités ont été communiqués par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice.

* 21 10° de l'article 138 du code de procédure pénale, précité. Cette transmission semble, cependant, complexe dans les faits : au cours de la table ronde précitée des représentants des Criavs, organisée par la MCC le 5 décembre 2024, le docteur Hélène Denizot-Bourdel, praticien hospitalier au CHU de Clermont-Ferrand, responsable médical régional du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes, soulignait que « Dans le cas d'une obligation de soins, l'auteur vient nous rencontrer en consultation, en centre médico-psychologique (CMP) ou en libéral, et nous expose la situation. Nous devons demander le dossier pénal pour avoir des éléments complémentaires, ce qui n'est pas toujours chose aisée ».

* 22  https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20241202/ddf.html#toc2

* 23 Idem.

* 24 Toujours d'après la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires, ce constat vaut également pour les personnes placées en détention provisoire : en plusieurs points du territoire, les médecins et psychiatres refusent de se déplacer en maison d'arrêt sur mission du tribunal, visiblement pour des raisons essentiellement capacitaires.

* 25 Le sujet spécifique des expertises est abordé plus loin dans le présent rapport.

* 26 Ce qui signifie qu'ils étaient en détention pour une autre infraction que celle pour laquelle ils avaient été condamnés ou qu'ils avaient fait appel de leur condamnation.

* 27 Cette référence au premier temps de l'exécution est liée à des dispositifs d'évaluation qui seront exposés ci-après.

* 28 Article 10-1 du code de procédure pénale.

* 29 Le compte rendu de cette table ronde, dont les propos qui suivent sont extraits, est disponible sur le site internet du Sénat.

* 30 Source : DACG.

* 31  Circulaire du 2 mai 2005 relative à l'amélioration du traitement judiciaire des procédures relatives aux infractions de nature sexuelle.

* 32 Voir, par exemple, les publications de l'association Osez le féminisme.

* 33 Article L. 112-2 du CJPM.

* 34  Article « Mineurs auteurs d'infractions sexuelles : les révolutions du Code de la justice pénale des mineurs sur le discernement et la césure pénale », paru dans la revue Enfances & Psy, 2021/4, n° 92.

* 35 Les éléments qui suivent sont extraits de ces deux rapports, respectivement rendus publics en janvier 2023 et en septembre 2024.

* 36 Rapport précité.

* 37 Idem.

* 38 Selon l'expression employée, pour caractériser le principe fondamental des lois de la République fondant la spécificité de la justice des mineurs, par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, « Loi d'orientation et de programmation pour la justice ».

* 39 Rapport précité de Marie Romero.

* 40 Idem.

* 41 Pour « programme d'accompagnement des adolescents ayant commis une infraction à caractère sexuel ».

* 42 Calculs de la mission à partir de données du ministère de la justice.

* 43 Article 763-7 du code de procédure pénale.

* 44 Article 717-1 du code de procédure pénale.

* 45 Circulaire SPIP/SIAO du 13 mai 2016.

* 46 Prévue par l'article 11 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

* 47  Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, « Loi d'orientation et de programmation pour la justice ».

* 48 Décision précitée.

* 49 Selon les statistiques publiées par le ministère de la justice.

* 50 S'y ajoutent sept unités affectées à la prise en charge des jeunes filles mineures.

* 51 Statistiques précitées.

* 52  Observations définitives sur « Les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs », rendues publiques le 16 octobre 2023.

* 53  Rapport n° 150 (2024-2025) de Laurence Harribey, fait au nom de la commission des lois.

* 54 Ministère de la justice, SG, SSER, fichier statistique du casier judiciaire national des personnes physiques (données à septembre 2024).

* 55 Articles 131-36-9 et suivants du code pénal

* 56 Chargée de mission au service de l'évaluation, de la recherche et du contrôle (SERC) de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), en partenariat avec la Fédération française des Criavs.

* 57  Rapport n° 98 (2024-2025) de Muriel Jourda.

Voir le dossier législatif en ligne de la proposition de loi de Marie Mercier et plusieurs de ses collègues : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-756.html

* 58 Loi n° 2014-896.

* 59 Film français, écrit et réalisé par Jeanne Herry, sorti le 29 mars 2023.

* 60 Article 723-29 du code de procédure pénale

* 61 Article 723-37 du code de procédure pénale

* 62 Articles 706-43-13 et 706-53-14 du code de procédure pénale

* 63 Article 706-53-19 du code de procédure pénale

* 64 Contribution écrite de l'ANJAP à la mission

* 65 Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

* 66 Conseil constitutionnel, Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

* 67 Aucune statistique précise n'a pu être communiquée aux rapporteures par le service statistique du ministère sur ce sujet.

* 68 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Avis du 5 octobre 2015 relatif à la rétention de sûreté.

* 69 Article 10-1 du code de procédure pénale.

* 70 Contribution écrite de l'IFJR.

* 71 Source : données transmises par l'IFJR.

* 72 Rapport d'information n° 870 (2022-2023), déposé le 11 juillet 2023.

* 73 Rapport n° 900 (2021-2022), d'Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, déposé le 27 septembre 2022.

* 74 La loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, dite loi SREN, comporte un volet consacré à la protection des mineurs en ligne contre les contenus pornographiques et le cyberharcèlement, et impose désormais aux plateformes proposant des vidéos pornographiques, sous le contrôle de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et selon des procédures respectant le droit européen, de mettre en place des systèmes de vérification d'âge pour empêcher l'accès des mineurs aux sites pornographiques, sous peine de lourdes amendes et de blocage d'accès aux sites.

* 75 https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-2023

* 76 Article L. 706-47-1 du code de procédure pénale.

* 77 Article L. 131-36-4 du code pénal.

* 78 Décision n° 2007-554 DC du 9 août, loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

* 79 Article D.49-23 du code de procédure pénale.

* 80 Gamet, M.L., « Quelle mise en oeuvre des actions de prévention et de promotion de la santé en matière de violences sexuelles ? », Paris : Audition Publique, 14-15 juin 2018 ; Gamet, M.L., Auteurs de Violences Sexuelles : Prévention, évaluation, prise en charge », 48 p ; Gamet, M.L., Les violences sexuelles des mineurs. Victimes et auteurs : de la parole au soin, 2010, Dunod ; Piet, E., Durand, A., Lazimi, G., « Évaluation d'un atelier de réparation pénale de mineurs agresseurs sexuels conduit par des médecins et des éducateurs », 2015.

* 81 Article L. 432-1 du code de la justice pénale des mineurs.

* 82 Crim. 13 avril 2023, n°23-80.470.

* 83 Circulaire JUSB2332178C.

* 84 Cette proposition est, par ailleurs, indissociable de la recommandation n° 15 tendant à renforcer les compétences des juges de l'application des peines dans le cadre de la mise en oeuvre d'une véritable injonction de soins en détention.

* 85 Les recommandations en matière de soutien à l'expertise poursuivent, d'ailleurs, le même objectif.

* 86  Rapport d'information n° 216 (2024-2025) sur l'intelligence artificielle générative et les professionnels du droit de Christophe-André Frassa et Marie-Pierre de La Gontrie, déposé le 18 décembre 2024

* 87 Rapport d'information n° 216 (2024-2025), déposé le 18 décembre 2024.

* 88 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048430512

* 89 Charles-Olivier Pons, président de l'Union syndicale de la psychiatrie (USP), soulignait à ce titre lors de la table ronde consacrée à l'expertise du 6 février 2025 que « La question de la rémunération doit aussi être soulevée. Le système Chorus Pro, qui doit nous permettre d'être remboursés de nos frais, est tellement complexe qu'il décourage toutes les bonnes volontés ».

* 90 Table ronde précitée.

* 91 Comme les rapporteures l'ont relevé supra, cette piste ne saurait, à droit constant, retirer aux psychiatres leur compétence en matière d'expertise, le code ne visant que des « expertises médicales » qui ne semblent pas valablement pouvoir être conduites par des psychologues : en lien avec la recommandation n° 4 sur le recentrage de l'expertise obligatoire en amont du procès pour les AICS, les psychologues pourraient ainsi être requis dans le cadre des expertises ordonnées d'initiative par les magistrats du parquet ou par les juges d'instruction.

* 92 Article 717-1 du code.

* 93 Prévue par l'article 423-27 du code pénal, l'évasion est en effet la seule infraction spécifiquement applicable aux détenus.

* 94 Cette recommandation, si elle devait être mise en oeuvre, imposerait par cohérence une spécialisation de ces magistrats, conformément à la recommandation n° 8 ci-avant.

* 95 Rappelons à cet égard que les détenus AICS sont déjà soumis à un régime spécifique de réductions de peine, moins favorable que celui prévu par le droit commun et qui résulte de l'article 721 du code de procédure pénale.

* 96 Articles L. 212-9 et L. 322-1 du code du sport.

* 97 Article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles.

* 98 Ces administrations sont énumérées à l'article R. 53-8-24 du code de procédure pénale : il s'agit des préfets et des agents des préfectures spécialement habilités, des directeurs généraux des agences régionales de santé ainsi que des chefs de service ou agents spécialement habilités de certaines directions centrales ou déconcentrées (direction chargée de la gestion des ressources humaines du ministère chargé de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur ; rectorats et inspections académiques ; direction de la protection judiciaire de la jeunesse et ses directions régionales ; direction de l'administration pénitentiaire et directions interrégionales des services pénitentiaires ; direction de la jeunesse et de l'éducation populaire et direction des sports ; directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités ; délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports, et directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités).

* 99 Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants.

* 100 Contribution écrite de la Fédération française des Criavs.

* 101 https://vimeo.com/789061848/14a8fb0a63

* 102 Loi n° 2008-174 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

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