E. LE RECUL ALARMANT DU TAUX DE REMISE DES RAPPORTS AU PARLEMENT
1. Un peu plus d'un rapport demandé sur 10 transmis au Parlement
a) Un taux de remise en chute
Le taux de remise des rapports demandés au Gouvernement dans un article de loi continue de diminuer fortement, en s'établissant à seulement 13 %88(*) contre 18 % pour la session précédente. Cette forte dégradation rompt avec l'amélioration tendancielle débutée en 2018, et ayant atteint son pic lors de la session 2021-2022 avec un taux de 36 %.
En dépit de la baisse constante du nombre de rapports demandés au Gouvernement, 67 pour la session 2023-2024, contre 98 pour la session précédente et 132 pour celle de 2021-2022, le dépôt de rapports n'a pas échappé au contexte politique rendant leur publication plus difficile dans le cadre des périodes de gestion des affaires courantes en 2024.
Taux de remise des rapports demandés au Gouvernement
Source : Cellule d'assistance au contrôle
et de soutien au travail législatif
de la direction de la
législation et du contrôle, d'après les données de
la base APLEG
Huit rapports sur dix, en moyenne, prévus par une mesure législative n'ont donc pas été remis au Parlement lors de la session 2023-2024. Seules les commissions des affaires sociales, des lois ainsi que de l'aménagement du territoire et du développement durable, ont été destinataires de quelques rapports avec un taux de remise respectif de 11 %, 20 % et 44 %.
Aucun des six rapports prévus pour être remis à la commission des affaires économiques n'a été transmis89(*). Lors de la session précédente, un seul rapport sur les 13 demandés avait été remis.
L'importance de ces rapports ne saurait être réduite à une information donnée a posteriori. Ceux-ci peuvent participer à l'amélioration de la loi dans une perspective d'évolution législative, comme en témoigne la demande d'un rapport90(*) sur les moyens nécessaires à la requalification des friches de plus de dix ans. Ce rapport toujours attendu par la commission des affaires économiques91(*) aurait pu aider significativement à la rédaction de la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux92(*). La commission déplore alors « le peu d'empressement du Gouvernement à fournir aux collectivités l'information, les moyens financiers et le soutien en ingénierie nécessaire pour atteindre ces objectifs »93(*).
L'absence totale de remise de rapport se répète pour la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport tandis qu'un seul rapport a été demandé. La commission des finances a été particulièrement pénalisée cette session puisqu'un seul rapport parmi les 11 prévus par des dispositions législatives, ne lui a été transmis.
Cette carence mise en lumière notamment par la commission des lois, conduit sa présidente, Mme Muriel JOURDA, à recommander de « ne solliciter du Gouvernement que la présentation de rapports au Parlement présentant un réel intérêt, et à privilégier ses propres travaux d'information et de contrôle pour approfondir certains sujets. » 94(*)
b) Des délais réduits
Au-delà du taux de remise, une attention particulière doit être portée aux délais de remise. Toute transmission tardive compromet l'action publique car l'intérêt de la remise du rapport s'estompe au fur et à mesure que le temps passe. En l'espèce, les quelques rapports remis au Parlement à sa demande l'ont été dans des délais très satisfaisants. Le délai est de moins de six mois95(*).
En revanche, s'agissant du stock des lois promulguées avant le 1er octobre 2023, le délai de publication moyen des rapports élaborés entre le 1er avril 2022 et le 31 mars 2023, tend à doubler. Il s'élève à 2 ans, 8 mois et 17 jours, contre 1 an, 4 mois et 30 jours la période précédente. Près de la moitié d'entre eux ont été transmis dans un délai supérieur à deux ans.
Répartition des rapports selon leur
délai de publication au cours de la période du 1er
avril 2022 au 31 mars 2023 pour lois promulguées avant le début
de l'année parlementaire (1er octobre 2023)
Source : Cellule d'assistance au contrôle
et de soutien au travail législatif
de la direction de la
législation et du contrôle, d'après les données de
la base APLEG
Ce défaut de transmission est regrettable, particulièrement lorsque des décisions stratégiques sont en jeu. Ainsi le rapporteur de la loi « Nouveau nucléaire »96(*) regrettait que « 8 rapports d'évaluation devant être remis au Parlement sont manquants, ce qui est très problématique. En effet, ces rapports portent sur des sujets majeurs, tels que la construction des nouveaux réacteurs nucléaires, le développement de technologies alternatives, la prolongation des réacteurs existants ou l'adaptation au changement climatique de ces réacteurs existants... Alors que le Gouvernement a relancé la révision de notre programmation énergétique, il est regrettable que le Parlement ne dispose pas des études d'impact qu'il est en droit d'atteindre dans ce domaine stratégique... »97(*).
c) Une réserve du Sénat non récompensée dans les demandes de rapport
La doctrine constante du Sénat de réduire les demandes de rapport et de préférer s'appuyer sur ses propres publications s'est poursuivie sur la session 2023-2024. Seuls 12 rapports, contre 15 la session précédente, ont été demandés dans le cadre d'un amendement d'origine sénatoriale. Ceux-ci représentent 17 % du total des rapports prévus.
À titre de comparaison, l'Assemblée nationale a, quant à elle, introduit trois fois plus de demandes, avec 32 demandes de rapports introduites par voie d'amendements, soit 48 % du total.
Nombre de rapports prévus et remis selon leur origine
Texte initial |
Amendement du Gouvernement |
Amendement du Sénat |
Amendement de l'Assemblée nationale |
Introduction en commission mixte paritaire |
Origine non renseignée |
|
Rapports prévus |
13 |
1 |
12 |
32 |
6 |
5 |
Rapports remis |
4 (31%) |
0 (0%) |
1 (8%) |
4 (12%) |
1 (17%) |
0 (0%) |
Source : Sénat, direction de la législation et du contrôle
À l'instar des autres sessions, la réserve du Sénat en matière de demandes de rapport n'a malheureusement pas été récompensée. Un seul rapport98(*) sur les 12 demandés par le Sénat lui a été transmis alors que la précédente session avait rompu cette tendance à la non transmission des rapports, avec un taux de remise de 27 %.
Lors du débat en séance publique sur le bilan de l'application des lois pour 2021-2022, le ministre des relations avec le Parlement avait alors indiqué partager le « mécontentement sur l'absence de remise des rapports demandés par le Sénat » et s'était engagé à « écrire dès demain aux ministres concernés ».
L'effort fourni lors de la précédente session n'a donc pas été poursuivi. Le Sénat doit donc renouveler son alerte et accroitre sa vigilance s'agissant des rapports qu'il demande.
S'agissant des rapports prévus par un amendement du Gouvernement, il est une nouvelle fois surprenant de constater que ce dernier ne remette pas l'unique rapport qu'il s'est lui-même imposé de rédiger par l'intermédiaire d'un des amendements en cours de discussion du texte législatif.
Quant au taux de remise des rapports prévus par le texte initial, il n'est que de 31 % alors que lesdits rapports étaient totalement prévisibles. Si les circonstances politiques ont pu jouer comme facteur retardataire de la transmission des rapports demandés par voie d'amendement parlementaire, certains éléments rédactionnels des rapports prévus dans le texte initial du Gouvernement auraient pu être anticipés, afin d'en réduire les délais d'élaboration. Cette carence structurelle fortement préjudiciable à l'information du Parlement, devrait interroger sur les causes qui y président.
2. Un peu plus de quatre rapports d'application des lois sur dix transmis au Parlement
L'article 67 de la loi n° 2004 1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit dispose qu'« à l'issue d'un délai de six mois suivant la date d'entrée en vigueur d'une loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la mise en application de cette loi ». Ce rapport doit mentionner « les textes réglementaires publiés et les circulaires édictées pour la mise en oeuvre de ladite loi. » Il indique également les mesures d'application manquantes et les raisons qui justifient cette absence.
En théorie extrêmement utile au contrôle de l'application des lois par le Sénat, ce dispositif a très longtemps constitué le parent pauvre de l'information du Parlement par le Gouvernement. Si la publication de ces rapports fait l'objet d'une plus grande attention de la part du Gouvernement que celle des rapports demandés à l'occasion de l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi, des marges d'amélioration substantielles demeurent. 12 rapports ont été remis, ce qui établit le taux à 41 %. Il demeure stable par rapport à la précédente session.
Au-delà de l'aspect quantitatif, plusieurs commissions insistent dans leur bilan sur la qualité variable des rapports transmis. Il existe, en effet, une forte hétérogénéité dans la remise des rapports de l'article 67 selon le périmètre considéré.
Évolution des taux de remise des rapports au Parlement
Source : Cellule d'assistance au contrôle
et de soutien au travail législatif
de la direction de la
législation et du contrôle, d'après les données de
la base APLEG
* 88 Taux comprenant les demandes de rapports différés.
* 89 Pour la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, il est normal que quatre des six rapports prévus soient publiés après la période de référence, puisqu'ils visent à dresser un bilan à moyen terme, généralement sur deux ans, de la mise en oeuvre d'un dispositif.
* 90 Cf. article 10 de la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte.
* 91 Cf. « Le rapport au Parlement prévu par l'article 10, sur les moyens nécessaires à la requalification des friches de plus de dix ans en faveur de la réindustrialisation et des enjeux de lutte contre l'artificialisation, qui devait être remis au Parlement dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, soit au plus tard en avril 2024, n'a toujours pas été publié, plus d'un an après cette date. Ce retard est d'autant plus regrettable que la requalification des quelque 170 000 hectares de friches recensées au niveau national, pourrait contribuer de manière significative à l'atteinte des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols fixés par la loi Climat résilience. Cette demande de rapport avait été introduite par le Sénat en séance publique. » Source : Contribution au bilan annuel sur l'application des lois de la commission des affaires économiques. »
* 92 Texte n° 124 (2024-2025) de MM. Guislain CAMBIER, Jean-Baptiste BLANC et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 7 novembre 2024.
* 93 Source : Contribution au bilan annuel sur l'application des lois de la commission des affaires économiques. »
* 94 Source : Présentation du bilan de l'application des lois en commission par Mme Muriel JOURDA, présidente, le 14 mai 2025.
* 95 Le délai minimum est de 28 jours et le délai maximum de 6 mois 10 jours.
* 96 Loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.
* 97 Présentation du bilan de l'application des lois pour 2023-2024 de la commission des affaires économiques.
* 98 Rapport au Parlement évaluant à mi-parcours la mise en oeuvre de l'expérimentation "Mieux reconstruire après inondation" (MIRAPI). Il s'agit du rapport d'étape sur l'expérimentation prévue au A du III de l'article 224 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 (création du dispositif dénommé Mieux reconstruire après inondation), qui présente notamment le nombre de dossiers déposés au titre de cette expérimentation ainsi que les montants qui sont alloués à ce titre par le fonds de prévention des risques naturels majeurs.