EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 11 juin 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial, sur la contractualisation à la performance dans l'enseignement supérieur.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons maintenant entendre une communication de Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », sur la contractualisation à la performance dans les établissements d'enseignement supérieur.

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial. - J'ai souhaité consacrer mon travail de contrôle budgétaire pour 2025 à l'évaluation des contrats d'objectifs, de moyens et de performance - les COMP. Ces contrats, conclus entre l'État et les établissements d'enseignement supérieur pour 3 ans, ont été lancés en 2023 avec un petit nombre d'universités. Ils ont ensuite été étendus à l'ensemble des établissements en 2024 et 2025.

Avant de rentrer dans les détails de l'analyse des COMP, je voudrais profiter de ma présence aujourd'hui pour revenir sur les grandes dynamiques du financement de l'enseignement supérieur. L'enseignement supérieur public représente aujourd'hui environ 15 milliards d'euros. Depuis l'autonomie accordée par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités en 2007, les établissements d'enseignement supérieur ont vu à la fois leurs ressources et leurs charges croître considérablement, dans un contexte de massification de l'accès aux études supérieures.

En 2024, le ministère a versé aux établissements d'enseignement supérieur 14,19 milliards d'euros de subventions pour charges de service public (SCSP). Cela représente 2,47 milliards d'euros de plus que dix ans plus tôt, soit une hausse de 21 %.

Rapportée à l'inflation, la croissance du total des SCSP est plus limitée : + 2 % seulement entre 2014 et 2024. En outre, les moyens doivent être rapportés aux évolutions démographiques. Au cours des dix dernières années scolaires, les effectifs étudiants dans l'enseignement supérieur ont augmenté de 15 % !

En conséquence, les dépenses des établissements d'enseignement supérieur ont davantage augmenté que leurs ressources sur la période 2018-2024 : + 23 % pour les recettes contre + 29 % pour les dépenses. Les dépenses de personnel représentent de très loin le premier poste de dépense dans l'enseignement supérieur, aux alentours de 77 % en moyenne au cours des dernières années.

Les ressources propres des établissements sont loin d'avoir augmenté dans les mêmes proportions que les ressources publiques. Contrairement à une idée reçue, les droits d'inscription demeurent extrêmement résiduels dans les ressources des établissements d'enseignement supérieur. En 2024, ils ne représentaient ainsi que 2 % du total des recettes.

La faiblesse des ressources propres ne peut être satisfaisante dans le contexte de croissance continue des dépenses des établissements, et contribue à entériner leur dépendance à une croissance continue de la SCSP. Or, les recettes propres des universités sont limitées par le maintien de droits d'inscription identiques pour tous les étudiants.

La mise en place de droits d'inscription progressifs, longtemps taboue dans l'enseignement supérieur, va dans le sens de plus de justice sociale. Elle permet aux étudiants disposant de davantage de moyens de contribuer plus largement au fonctionnement de leur établissement, tout en diminuant le poids de leur scolarité pour les étudiants les moins favorisés. Je réitère donc mon appel, déjà formulé pendant le dernier PLF, à engager un débat sur la progressivité des droits d'inscription.

Une fois ces éléments généraux présentés, j'en viens au sujet des contrats d'objectifs, de moyens et de performance - les COMP.

Ces contrats étaient présentés comme l'un des piliers de la refonte du fonctionnement de l'enseignement supérieur. Leur objectif, très ambitieux, était d'introduire un pilotage à la performance dans l'enseignement supérieur. Lors de la conclusion du contrat, les établissements reçoivent des financements spécifiques, en échange de la réalisation d'actions spécifiques. Ces actions portent sur des objectifs nationaux ainsi que sur les priorités stratégiques des établissements.

L'intention de départ de ces COMP me semble donc très louable. Ils constituent sans nul doute un progrès dans les relations entre l'État et les établissements d'enseignement supérieur. Mais comme bien souvent quand il s'agit d'enseignement supérieur, l'écart entre les ambitions et les réalisations est significatif. Le contenu des contrats est tout d'abord très hétérogène. Chacun est organisé autour de six objectifs, dont cinq nationaux, qui sont ensuite déclinés par chaque établissement en actions spécifiques, assorties d'indicateurs.

Malgré l'existence d'un cadre national, les établissements ont inscrit dans les contrats des actions très diverses, parfois très structurantes pour les établissements, parfois aussi tout à fait anecdotiques. L'inscription des actions dans un modèle économique plus large est fréquemment inexistante : leur coût n'est quasiment jamais évoqué dans les contrats, leur impact sur la performance de l'établissement encore moins. Quant aux cibles, il est fréquent qu'elles ne fassent l'objet d'aucune justification concernant leur niveau ou leur méthode de calcul. Il ressort donc de l'analyse des contrats une impression générale de fixation arbitraire ou factice d'un grand nombre de cibles ou de jalons, d'autant plus que certains paraissent irréalisables en trois ans.

S'agissant des financements assortis aux COMP, ils sont d'un montant assez réduit : environ 110 millions d'euros par vague de contrats, soit 330 millions d'euros au total. L'essentiel de ces financements proviennent de redéploiements. Les financements COMP n'ont en effet pas vocation à couvrir l'intégralité des projets décrits dans le contrat, mais à assurer leur amorçage.

Le suivi de l'exécution des financements, tout comme celui des indicateurs, est extrêmement complexe. Comme sur la quasi-totalité des sujets dans l'enseignement supérieur, il n'existe pas de système d'information permettant les échanges entre les établissements, les rectorats et l'administration centrale. En conséquence, le suivi des 900 indicateurs s'effectue par l'envoi de documents électroniques au ministère, lequel n'est bien évidemment pas en capacité d'assurer une concaténation puis un suivi individuel de chacun des 900 indicateurs. Alors que nombre de projets des COMP ont trait à l'intelligence artificielle ou au déploiement de systèmes d'information, il est paradoxal que le suivi de ces contrats repose encore sur un système artisanal chronophage et inefficace.

L'innovation de rupture des COMP résidait dans la possibilité théorique pour le ministère de « reprendre » des financements en cas de non atteinte des objectifs chiffrés figurant dans les contrats. Au vu de ce que je viens de vous présenter, il est douteux que le ministère en ait réellement la possibilité, alors que rien n'a été concrètement anticipé pour la fin des contrats. Vous comprendrez à l'issue de ces quelques remarques mes réticences en l'état actuel des choses sur l'extension des COMP. Le ministre de l'enseignement supérieur a pourtant annoncé en avril dernier la prochaine génération de contrats, qui porteraient non pas sur 0,8 % de la SCSP, comme actuellement, mais sur l'intégralité de celle-ci.

D'une part, le calendrier, comme la méthode, peuvent surprendre. Alors que les précédentes vagues de COMP n'ont pas toutes été déployées, que le ministère n'a pas lancé d'évaluation des COMP, que les bilans intermédiaires de la vague 2 ne sont toujours pas prévus, il n'apparaissait pas nécessairement opportun de réformer intégralement le dispositif avant d'avoir disposé d'un retour sur ses modalités actuelles.

D'autre part, il est possible d'émettre des doutes sur le concept de « contractualisation sur l'ensemble de la SCSP ». La part libre d'emploi de la SCSP est le plus souvent réduite, les dépenses dites « contraintes » constituant l'essentiel des dépenses des établissements. Par conséquent, le ministère indique que les montants contractualisés ne pourront en réalité pas aller au-delà de 2 %, soit en définitive à peine plus qu'aujourd'hui. D'autre part, les COMP actuels ont déjà permis de contractualiser sur des projets financés par la SCSP, notamment en faisant évoluer le catalogue de formations des établissements.

En revanche, les prochains contrats seront l'occasion de tirer les leçons de certaines limites observées depuis 2023. Je formule dans mon rapport dix recommandations portant sur le contenu, la temporalité et le périmètre des prochains contrats.

Je voudrais conclure par une réflexion plus large. La refonte de l'allocation des moyens aux établissements d'enseignement supérieur était initialement présentée comme le pendant des COMP. En effet, le mode de calcul actuel est illisible. Depuis l'arrêt du dernier modèle d'allocation des moyens il y a dix ans, les universités mettent en avant l'opacité de leur dotation et le ministère ne sait plus ce qu'il finance. Le système actuel est en outre inéquitable, en ce qu'il conduit à fossiliser des divergences budgétaires entre établissements.

Il est regrettable que le ministère ait renoncé à court terme au chantier de l'allocation des moyens, sans lequel la contractualisation ne peut avoir de rôle transformant. Ce chantier, toujours repoussé, finira bien un jour par être mis en oeuvre, et le plus vite sera le mieux.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'ai connu le rapporteur plus enthousiaste lors de ses travaux passés. La synthèse de votre rapport, à commencer par son titre, est en ce sens évocateur, avec le sentiment que les engagements pris à l'égard de l'enseignement supérieur n'ont pas été tenus.

Le rapport souligne plusieurs éléments importants, dont l'augmentation significative de 15 % du nombre d'étudiants en dix ans. Néanmoins, le sujet préoccupant est la grande complexité organisationnelle portant pourtant sur un montant de dépenses relativement modeste. En effet, comment expliquer l'existence de 850 indicateurs ? Alors que ce nombre particulièrement élevé semble contreproductif, pourquoi le dialogue entre les universités et le ministère de tutelle ne permet-il pas d'amélioration sensible ?

M. Marc Laménie. - J'ai deux interrogations. D'une part, connait-on le nombre d'établissements concernés par les contrats d'objectifs, de moyens et de performances en métropole et en Outre-mer ? D'autres part, les dix recommandations soulignent le grand nombre d'organismes concernés par les COMP, parmi lesquels les collectivités territoriales ou encore la sous-direction des systèmes d'information et des études de statistiques (SIES). Aussi, connait-on le nombre d'équivalents temps plein mobilisés ?

M. Michel Canévet. - Tout d'abord, malgré leurs ambitions extrêmement fortes, les universités sont significativement limitées dans leur capacité à agir de façon efficiente au niveau budgétaire en raison de leur incapacité à emprunter. Dès lors, comment améliorer la situation des universités afin de garantir leur autonomie effective ? Par ailleurs, outre le sujet des moyens d'enseignement et du matériel associé, je souhaiterais évoquer la question de la vie étudiante et plus particulièrement des moyens alloués par les CROUS. Quelle est l'articulation entre les COMP, qui visent l'amélioration de la situation dans les établissements d'enseignement supérieur, et l'action menée au niveau des CROUS ? Cette dernière est en effet importante parce qu'elle affecte la façon dont les étudiants peuvent vivre effectivement sur le territoire de l'université.

M. Vincent Delahaye. - Je souhaite insister sur une idée évoquée par le rapporteur, à savoir la revalorisation des droits d'inscription. Je considère que les droits d'inscription sont globalement assez faibles dans notre pays et que leur revalorisation serait un moyen de redonner du potentiel d'action à nos universités.

Dans quelle proportion pensez-vous que ces frais pourraient être augmentés ? Cela devrait s'accompagner d'une revalorisation et d'un meilleur ciblage des bourses sur critères sociaux, afin de ne pas pénaliser les étudiants les moins favorisés.

M. Claude Raynal, président. - Je trouve qu'on déduit de votre rapport que ces contrats seront difficilement améliorables. Avec les neuf pistes d'amélioration que vous envisagez, on a presque envie de se poser la question : le plus simple ne serait-il pas de les supprimer ? On a un peu le sentiment qu'on fait des contrats par principe.

D'autre part, au point 9, vous dites qu'il faut articuler davantage ces objectifs, plus exactement ces contrats, avec les évaluations du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCÉRES). Or, j'avais compris que le Sénat avait voté pour la suppression du HCÉRES, et d'ailleurs l'Assemblée nationale aussi. Partagez-vous cette ligne ou pensez-vous qu'il faille conserver le HCÉRES ?

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial. - Le problème est de mon point de vue structurel. La loi sur l'autonomie des universités, dite loi LRU, n'a pas été accompagnée de l'obligation, pour ces universités devenues autonomes, de rendre compte à la tutelle d'un certain nombre d'indicateurs. Cette défaillance, combinée au fait qu'il n'y a absolument pas d'interopérabilité entre les systèmes d'information de nos universités et le ministère, a abouti à une usine à gaz. Quelques années plus tard, on ne peut malheureusement que constater le résultat : on se trouve dans un avion où il y a un cockpit, un pilote, mais il n'y a pas de cadran, pas d'indicateur et de moins en moins de carburant dans le réservoir. Je pense donc que l'atterrissage va être difficile, d'autant qu'on augmente le nombre de passagers de façon assez arithmétique.

Je crains qu'on ait un problème systémique au bout du bout du voyage si on ne prend pas des mesures d'ordre structurel. Au fil de mes investigations dans ce domaine, c'est l'impression que j'ai : personne ne dispose d'une vision d'ensemble, y compris s'agissant des financements, puisqu'on trouve des financements via France 2030, via les dotations de l'État et d'autres financements par d'autres vecteurs. Il y a des chiffres qu'on ne peut pas obtenir parce que je pense que, très honnêtement, ils ne les ont pas. C'est tout de même inquiétant.

Monsieur le Président, un mot pour vous préciser que le Sénat n'a pas voté la suppression du HCÉRES. L'Assemblée nationale avait voté un amendement en ce sens, mais ce texte n'a pas encore été définitivement adopté. Donc, à date, il existe toujours et j'ai d'ailleurs reçu sa présidente dans le cadre des auditions.

La problématique n'est pas tant le travail de ce Haut conseil que la temporalité de la conduite de ses travaux de contrôle, par rapport à l'arrivée des nouvelles mandatures à la tête de la gouvernance des universités. Les calendriers ne se recouvrent pas et cela complexifie le paysage.

S'agissant des montants globaux : ils s'élèvent à 110 millions d'euros par vague d'établissements, soit un total de 330 millions d'euros. Ainsi, cela représente environ 300 000 euros pour les plus petites universités, et jusqu'à 4 ou 5 millions pour les plus grandes.

Michel Canévet, sur les moyens dédiés par les CROUS : la vie étudiante représente 3,2 milliards d'euros. C'est au sein de la vie étudiante que le problème des CROUS est géré. La question de l'articulation des objectifs des CROUS avec ces contrats d'objectifs, de moyens et de performance est intéressante. Il y a bien un axe « vie étudiante » dans ces contrats d'objectifs, de moyens et de performance mais sans coordination avec les CROUS.

La progressivité des droits d'inscription a été évoquée. Je pense qu'il serait plus simple de se caler sur un système qui fonctionne bien, qui va dans le sens d'une plus grande justice sociale pour nos étudiants, qui est le système en vigueur dans les instituts d'études politiques. Ce système est beaucoup plus progressif et redistributif au profit des étudiants et des établissements. Comme cela a été rappelé, nos droits d'inscription n'ont aucun sens en France. À l'échelle du monde, c'est même presque contre-productif, au regard de la qualité de l'enseignement qui est dispensé dans certains établissements. Sur la question de la réforme des bourses, le deuxième axe de cette réforme doit être traité normalement à l'automne 2025. L'idée est d'être plus progressif dans le mode d'allocation des bourses et d'avoir moins d'effets de seuil, parfois brutaux.

Mme Nathalie Goulet. - J'espère que nous aurons quelques réponses avant la discussion budgétaire car il s'agit d'un sujet important. Si on ne nous fournit pas les chiffres, nous rencontrerons encore une difficulté au moment du débat.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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