C. DES EFFETS SIGNIFICATIFS SUR LA RÉUSSITE SCOLAIRE DES ÉLÈVES, SOURCES D'IRRITANTS IMPORTANTS POUR LES FAMILLES
1. Une classe perd près de 4,3 % d'heures de cours sur une année
Les absences non remplacées des enseignants ont un effet très important sur la scolarité des élèves. Pourtant, la direction générale des ressources humaines (DGRH) du ministère de l'éducation nationale a indiqué ne pas disposer d'indicateur permettant d'évaluer le nombre d'heures d'enseignement non assurées par élève dans une scolarité complète. Un tel manque est particulièrement regrettable. Il est en effet indispensable de mesurer l'impact en termes de scolarité du non remplacement des heures d'enseignement, surtout au vu de la dégradation des résultats scolaires des élèves français.
La direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) dispose toutefois des résultats de l'enquête dite « TENAE » (temps d'enseignement non assuré auprès des élèves) conduite annuellement auprès des établissements du second degré public. En 2023-2024, selon cette enquête, 9,2 % des heures d'enseignement n'ont pas été assurées dans le second degré public, dont 7,4 % du fait du non remplacement des enseignants absents et 1,8 % du fait de la fermeture totale de l'établissement (pour cause d'alerte à la bombe notamment). Cette proportion est en diminution de 1,9 point de pourcentage par rapport à l'année 2022-2023, au cours de laquelle 15,6 millions d'heures d'enseignement n'ont pas été assurées à cause du non-remplacement des enseignants absents et 3,8 millions à cause de la fermeture totale des établissements. Selon le ministère, le Pacte enseignant expliquerait une baisse de 0,3 point de pourcentage du nombre d'heures d'enseignement non remplacées.
Évolution de la part d'heures
d'enseignement non assurées
dans le second degré public
entre 2020 et 2024
(en pourcentage)
Note : pp signifie ici points de pourcentage.
Source : commission des finances d'après les données du ministère de l'éducation nationale
Dans le premier degré public, ce sont 1 630 163 demi-journées qui n'ont pas été remplacées dans 255 662 classes en 2023-2024, représentant 2,2 % du temps scolaire.
En moyenne, une classe perdrait donc 4,3 % de temps de scolarité chaque année en raison du non-remplacement des enseignants, premier et second degré confondus. En supposant que le nombre d'absences est équivalent durant toute la scolarité à celui de l'année scolaire 2023-2024, un élève perdrait environ 4,6 % de scolarité. Il s'agit d'une statistique considérable, qui illustre l'importance de la problématique du remplacement pour la scolarité des élèves français.
2. Un irritant important pour les familles
Le non remplacement des heures de cours constitue une source importante d'irritant pour les familles, qui considèrent qu'il s'agit d'un manquement à la continuité du service public. Le Conseil d'État16(*) (Conseil d'État, Lebon, 1988) leur a donné raison, estimant que « la mission d'intérêt général d'enseignement qui lui est confiée impose au ministre de l'éducation nationale l'obligation légale d'assurer l'enseignement de toutes les matières obligatoires (...) selon les horaires réglementairement prescrits » et que « le manquement à cette obligation légale (...) est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'État ». À noter, toutefois, que la responsabilité de l'État ne peut être engagée que si le nombre d'heures de cours est suffisamment conséquent. Un non remplacement s'élevant à 18 heures au total dans l'année n'est ainsi pas de nature à engager la responsabilité de l'État (Tribunal administratif de Lille, 26 juin 2019, n° 1 702 109). Par ailleurs, le non remplacement des heures de cours doit être à l'origine d'un préjudice contre l'élève, comme un échec scolaire ou même le financement de cours particuliers par les parents.
Le juge administratif a ainsi accédé aux demandes des parents d'élèves concernant le remplacement des enseignants dans certaines affaires récentes (Tribunal administratif de Paris, 17 septembre 2024, n° 2 224 096, Tribunal administratif de Besançon, 23 février 2021, n° 2 000 557 ; Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 3 avril 2024, n° 2 211 429).
Au vu de la faiblesse des indemnités accordées par le juge administratif aux victimes, de tels jugements ne sont pas de nature à remettre en question la budgétisation du remplacement pour le ministère de l'éducation nationale. Ces affaires témoignent surtout de l'importance du sujet pour les familles.
La fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) a ainsi indiqué au rapporteur spécial qu'elle avait créé un outil intitulé « où y a pas cours » pour permettre aux parents d'élèves de signaler les heures de cours non remplacées, afin de pouvoir intervenir auprès des DSDEN et des rectorats. Ils avaient comptabilisé en 2023-2024 près de 48 000 heures non remplacées. La fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) a communiqué au rapporteur spécial les résultats d'une enquête réalisée auprès de parents d'élèves dont un enfant est scolarisé en classe de troisième. La PEEP constate que « les parents déplorent le retard considérable pris par les élèves sur le programme et l'état de stress important que cela représente pour bon nombre des élèves en classe de troisième ». Le rapporteur spécial lui-même est régulièrement saisi par des parents d'élèves inquiets du non remplacement d'un enseignant, en particulier dans le premier degré, les élèves étant régulièrement accueillis dans d'autres classes, au détriment de la qualité du travail pédagogique. Limiter le non remplacement des enseignants répond à une demande forte de la population.
3. Une organisation du remplacement propre à la France
Il est difficile de disposer de comparaisons fiables sur l'efficacité du remplacement entre les différents pays européens. Le remplacement en interne semble privilégié dans les autres pays17(*), notamment par des enseignants titulaires mais disposant d'un emploi du temps flexible.
Ainsi, en Allemagne, le remplacement de courte durée est d'abord assuré par des enseignants en interne, avec une compensation financière lorsque le remplacement dure plus de trois « heures de cours » par mois. Le remplacement de longue durée est assuré par des enseignants engagés en contrat temporaire, ou bien dans certains cas exceptionnels par la fusion de classes ou de cours.
En Suède, il n'existe pas de politique propre au remplacement, le chef d'établissement étant responsable de la gestion des absences des enseignants. Ils ont souvent recours aux enseignants de leur établissement, qui sont rémunérés pour les heures supplémentaires ainsi accomplies. Des enseignants remplaçants peuvent être recrutés également, mais pour une durée inférieure à 12 mois, autrement un poste permanent doit leur être offert.
En Espagne, un enseignant en contrat temporaire peut être engagé pour assurer le remplacement d'heures de cours lorsque l'absence dure plus de 10 jours, sauf dans certains cas (congés de maternité, enseignant en première etc.) où un remplaçant peut être nommé immédiatement. Aucune gratification supplémentaire n'est prévue en cas de remplacement de courte durée par un enseignant du même établissement.
En Finlande, en cas d'absence de longue durée, des enseignants remplaçants peuvent être recrutés pour une durée maximale de 6 à 12 mois. Des listes sont constituées de candidats aux remplacements des enseignants. S'il s'agit d'une absence de courte durée, un enseignant remplaçant peut être mobilisé ; tout comme un enseignant du même établissement, qui est dans ce cas rémunéré pour les heures supplémentaires effectuées.
Le système français de brigades d'enseignants remplaçants dans le premier degré, et de TZR dans le second degré, ne semble donc pas avoir d'équivalent en Europe, où une gestion locale, voire interne à l'établissement, parait privilégiée, avec un rôle important du chef d'établissement, notamment en Suède. La rémunération des heures supplémentaires pour les enseignants acceptant d'assurer des remplacements de courte durée est fréquente, ce qui semble pertinent et justifié.
* 16 Conseil d'État, 4 / 1 SSR, du 27 janvier 1988, 64076, publié au recueil Lebon.