II. UN COÛT ÉLEVÉ DU REMPLACEMENT DES ENSEIGNANTS POUR LES FINANCES PUBLIQUES

A. UN COÛT SUPÉRIEUR À 4 MILLIARDS D'EUROS

1. Une stabilité apparente de la part des moyens dédiés au remplacement des enseignants dans la mission « Enseignement scolaire »

Des enjeux budgétaires conséquents sont associés au remplacement des enseignants, puisque la mobilisation d'équivalents temps plein (ETP) est nécessaire afin de couvrir les besoins.

Le coût du remplacement pour le premier degré est suivi dans l'action 5 « remplacement » du programme 140 « enseignement public du premier degré », dans l'action 11 « remplacement » du programme 141 « enseignement public du second degré » et dans l'action 11 « remplacement » du programme 139 « enseignement public et privé du second degré ». La totalité des crédits des actions 5 du programme 140 et 11 du programme 141 est constitué de dépenses de personnel (titre 2).

L'action 5 du programme 140 « enseignement public du premier degré » comprend le financement des personnels titulaires remplaçants mobilisés dès la première demi-journée d'absence d'un enseignant. Les personnels affectés au remplacement bénéficient de plus d'une indemnité de sujétion spéciale de remplacement (ISSR) pendant la durée du remplacement (voir supra). L'action 5 du programme 140 représente 2,266 milliards d'euros en loi de finances initiale (LFI) pour 202518(*), en hausse de 33,6 % par rapport à l'exécution de 2017. Nette de l'inflation cumulée entre 2017 et 2025, la hausse des crédits dédiés au remplacement dans le second degré est de 11,1 %, représentant 252 millions d'euros.

L'action 11 du programme 141 « enseignement public du second degré » comprend le financement du remplacement de longue durée des enseignants par les TZR, qui bénéficient également d'une indemnité de sujétion spéciale de remplacement couvrant leurs frais kilométriques, ainsi que par les enseignants contractuels. À noter, que les montants retracés au titre de l'action 11 du programme 140 n'intègrent pas les heures supplémentaires d'enseignement (HSE), ni le Pacte enseignant, qui permettent de rémunérer les heures de remplacement de courte durée, la dépense correspondante étant imputée sur l'action de rémunération de l'enseignant. L'action 11 du programme 141 représente 1,724 milliard d'euros en LFI pour 2025, en hausse de 31,4 % par rapport à 2017. Nette de l'inflation cumulée entre 2017 et 2025, la hausse des crédits dédiés au remplacement dans le premier degré est de 10,5 %, représentant 165 millions d'euros.

L'action 11 du programme 139 « enseignement privé du premier et du second degré » comprend le financement des maitres délégués et des enseignants contractuels affectés à des missions de remplacement. Elle représente 226 millions d'euros en LFI pour 2025, en hausse de 9,3 % par rapport à 2017. Nette de l'inflation cumulée entre 2017 et 2025, la hausse des crédits dédiés au remplacement dans l'enseignement privé est de 17,7 %, représentant 30 millions d'euros.

À noter, la part des crédits du programme 139 dédiée au remplacement est bien inférieure à celle des programmes 140 et 141. Le privé ne consacre que 2,5 % de son budget au remplacement en LFI pour 2025, tandis que le premier degré public y consacre 8,2 % de son budget et le second degré public 4,36 % du montant total du programme 140.

Évolution des crédits dédiés au remplacement dans les programmes 139, 140
et 141 de la mission « Enseignement scolaire » entre 2017 et 2025

(en millions d'euros et en crédits de paiement)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Ainsi, au total, les crédits des actions 5 du programme 140, 11 du programme 141 et 11 du programme 139, dédiés au remplacement, s'élèvent en LFI pour 2025 à 4,216 milliards d'euros, en hausse de 33 % par rapport à l'exécution 2017, représentant 1,081 milliard d'euros. Nette de l'inflation, la hausse des crédits dédiés spécifiquement au remplacement dans la mission « Enseignement scolaire » entre l'exécution 2017 et la LFI 2025 est de 10,5 %, représentant 442 millions d'euros supplémentaires en huit ans, soit près de 56 millions d'euros par an.

Un effort budgétaire véritable a donc été consenti par le ministère de l'éducation nationale sur le budget du remplacement, en particulier depuis l'année 2023, la hausse des moyens consacrés au remplacement étant de 8,7 % par rapport à 2022. Les différentes revalorisations du point d'indice, de 3,5 % à l'été 2022 et de 1,5 % à l'été 2023, ainsi que les mesures catégorielles de revalorisation de l'ensemble des enseignants à la rentrée scolaire 2023, ont eu un impact significatif sur le budget dédié au remplacement. Entre 2022 et 2023, la hausse des crédits dédiés au remplacement en raison des mesures de revalorisation salariale est estimée à environ 120 millions d'euros, dont 60 millions d'euros sur l'action 11 du programme 141 « enseignement public du second degré » et 50 millions d'euros sur l'action 5 du programme 140 « enseignement public du premier degré ». Entre 2023 et 2024, la hausse liée aux mesures de revalorisation salariale serait d'environ 140 millions d'euros, dont 60 millions d'euros sur l'action 11 du programme 141 et 10 millions d'euros sur l'action 11 du programme 139.

Ainsi, au total, sur la hausse de 1,045 milliard d'euros des crédits dédiés spécifiquement au remplacement dans la mission « Enseignement scolaire », près de 595 millions d'euros seraient liés à la prise en compte de l'inflation et 260 millions d'euros résulteraient des revalorisations salariales décidées en 2022 et 2023.

La hausse des moyens dédiés au remplacement suit ainsi l'augmentation globale du budget de la mission « Enseignement scolaire ». La part de la mission consacrée aux actions 5 du programme 140, 11 du programme 141 et 11 du programme 139 dédiées au remplacement est relativement stable depuis 2017, et représente 4,7 % en 2025.

Évolution de la part représentée par les crédits dédiés au remplacement
des enseignants dans le budget de la mission « Enseignement scolaire »
entre 2017 et 2025

(en pourcentage et en CP)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

La prévision des crédits dédiés au remplacement n'est toutefois pas complètement fiable, comme en témoignent les écarts entre la prévision et l'exécution des crédits en 2023 et en 2024. Ainsi, en 2023 et en 2024, les crédits de l'action 5 du programme 140 « enseignement public du premier degré » ont été sous-exécutés de respectivement 5 % et 4,1 %. De même, les crédits de l'action 11 du programme 139 « enseignement privé du premier et du second degré » ont été sous-exécutés de 2,1 % en 2023 et de 8,5 % en 2024.

À l'inverse, les crédits de l'action 11 du programme 141 « enseignement public du second degré » ont été sur-exécutés de près de 20 %, soit 319 millions d'euros, en 2023, et de 28,7 %, soit 481 millions d'euros, en 2024.

Au total, les crédits dédiés spécifiquement au remplacement dans la programmation budgétaire ont été sur-consommés de 5,3 % en 2023, soit 208 millions d'euros, et de 9 % en 2024, représentant 371 millions d'euros. Une telle imprécision dans la prévision des dépenses n'est pas acceptable et nuit à l'autorisation parlementaire des dépenses lors du vote du projet de loi de finances. Une amélioration des prévisions de dépenses liées au remplacement est ainsi nécessaire.

Prévision en LFI et exécution des crédits dédiés au remplacement dans le public en 2023 et 2024

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

2. Le coût réel des absences des enseignants largement sous-estimé
a) Le coût du remplacement de courte durée dans le public multiplié par 5,5 entre 2018 et 2024

Le coût réel du remplacement des absences des enseignants pour la mission « Enseignement scolaire » est toutefois largement sous-estimé lorsque ne sont prises en compte que les actions 5 du programme 140, 11 du programme 141 et 11 du programme 139.

En premier lieu, le coût des heures supplémentaires d'enseignement (HSE) et du Pacte enseignant dans le public n'est pas comptabilisé dans l'action 5 du programme 141, mais dans les actions 1 « enseignement en collège », 2 « enseignement général et technologique en lycée » et 3 « enseignement professionnel sous statut scolaire).

- Le coût des HSE est compris entre 19,1 et 27 millions d'euros pour les années 2018 à 2024. Les années de la crise sanitaire ont entrainé une baisse de leur coût, qui s'est effacée lors de l'année 2022-2023. En revanche à partir de la rentrée 2023, le coût des HSE a diminué car les heures de remplacement pouvaient également être rémunérées via le Pacte enseignant, plus intéressant financièrement (voir infra). Les heures de remplacement ont ainsi représenté 19,1 millions d'euros en HSE en 2023-2024.

- le Pacte enseignant, mis en oeuvre à la rentrée 2023, comprend une brique dédiée au financement du remplacement de courte durée (voir infra pour plus de précisions). Sur un coût total de près de 630 millions d'euros en 2023-2024, près de 110 millions d'euros ont été consacrés au remplacement de courte durée.

Le coût budgétaire du remplacement de courte durée dans le public a donc été multiplié par 5,5 entre 2018 et 2024, représentant une hausse de 105,9 millions d'euros.

Évolution du coût budgétaire du remplacement de courte durée dans le public entre 2018 et 2024

(en millions d'euros et en CP)

Note : pour les années 2019-2020, 2020-2021 et 2021-2022, il s'agit d'estimations de la commission des finances fondées sur les informations communiquées par le ministère de l'éducation nationale.

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

b) Le coût engendré par la rémunération des enseignants absents

Par ailleurs, les enseignants absents, rémunérés également par le ministère de l'éducation nationale, représentent un coût qui s'ajoute au budget consacré par le ministère de l'éducation nationale au remplacement des enseignants absents.

En effet, le ministère de l'éducation nationale prend en charge l'indemnisation des agents titulaires en arrêt maladie. Conformément à l'article L. 822-1 du code général de la fonction publique, modifié par l'article 189 de la loi de finances initiale pour 202519(*), 90 % du traitement du fonctionnaire lui est versé pendant les trois premiers mois de l'arrêt maladie. Le fonctionnaire absent pour cause de congé maladie perçoit, à partir du troisième mois, 50 % de son traitement. Certaines primes (le supplément familial de traitement et l'indemnité de résidence) sont toutefois maintenues pendant toute la durée du congé maladie.

Avant l'entrée en vigueur de la loi de finances initiale pour 2025, 100 % du traitement était versé au fonctionnaire les trois premiers mois de congé maladie.

Un jour de carence est de plus appliqué lors des congés maladies ordinaires.

Le congé de longue maladie, d'une durée maximale de trois ans, et le congé de longue durée, d'une durée maximale de cinq ans, sont rémunérés par l'employeur à hauteur de 100 % du traitement pendant un an et trois ans respectivement, puis à hauteur de 50 % du traitement.

Les enseignants contractuels sont en revanche rémunérés par la caisse primaire d'assurance maladie lorsqu'ils se trouvent en congés maladie, en application de l'article 2 du décret du 17 janvier 198620(*). Toutefois, conformément à l'article 12 du décret précité, à partir de 4 mois d'ancienneté, l'État leur verse une part complémentaire aux indemnités journalières versées par la sécurité sociale pour qu'ils bénéficient du même traitement lors de leurs congés maladie que les fonctionnaires titulaires.

Comme le relèvent l'Inspection21(*) générale des finances et la Cour22(*) des comptes, aucun suivi du coût des absences des personnels n'est effectué par les administrations. Il est toutefois possible d'extrapoler le coût des absences des enseignants, en tout cas pour raisons de santé qui représentent l'essentiel des absences, grâce au nombre moyen de jours d'absence par enseignant23(*).

Ainsi, en appliquant cette méthode, identique à celle utilisée par l'IGF dans le rapport précité, il est possible de déduire que les absences pour raisons de santé rémunérées par le ministère de l'éducation nationale représentent en 2022 un coût de 1,58 milliard d'euros. Il est pris en compte ici le taux de cotisation employeur, hors cotisations vieillesse, du ministère de l'éducation nationale, évalué par l'IGF à 19 % du salaire mensuel brut. Le coût des absences pour le ministère de l'éducation nationale aurait été multiplié par deux entre 2017 et 2025, sous l'effet conjugué de la hausse du nombre moyen d'absences par enseignant et de l'augmentation des rémunérations.

Coût des absences des enseignants pour le ministère de l'éducation nationale entre 2015 et 2022

(en euros et en personnes physiques)

Note : en 2017, le salaire brut mensuel moyen des enseignants n'était pas disponible. La moyenne des salaires mensuels de 2016 et de 2018 est utilisée ici.

Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale

Cette estimation présente toutefois des limites :

- elle repose sur une moyenne des rémunérations des enseignants, non sur la rémunération véritable des enseignants absents ;

- elle ne tient pas compte du passage en demi-traitement des enseignants en congé maladie ordinaire, à compter du troisième mois ;

- la Cour des comptes évaluait pour l'intégralité de la fonction publique d'État la retenue sur salaire au titre du jour de carence à 0,3 milliard d'euros et les indemnités journalières de la sécurité sociale versées aux contractuels à environ 0,2 milliard d'euros. Les enseignants représentant environ un tiers des effectifs de la fonction publique d'État, qui comprend environ 2,5 millions d'agents, la retenue sur salaire au titre du jour de carence et les indemnités journalières de sécurité sociale versées aux contractuels représenteraient environ 165 millions d'euros. Le montant étant peu important et surtout issu d'une évaluation datée, il est proposé de ne pas en tenir compte ici ;

- les motifs d'absence pour des raisons autres que des raisons de santé ne sont ici pas prises en compte (formation, représentation etc.) ;

- la contribution du ministère de l'éducation nationale au compte d'affectation spéciale « Pensions » n'est ici pas comptabilisée ;

- enfin, la présente estimation utilise le taux moyen d'absences par enseignant, non le nombre de journées d'absence des enseignants.

Le coût total des absences des enseignants peut ainsi être estimé à 5,42 milliards d'euros en 2022, en hausse de 35 % par rapport à 2018, soit une augmentation de 1,4 milliard d'euros. Cette estimation doit être jugée avec précaution, au vu de ses limites méthodologiques. Elle a toutefois le mérite de fournir un ordre de grandeur du coût véritable des absences des enseignants pour le ministère de l'éducation nationale, ainsi que d'illustrer l'importance budgétaire croissante du sujet depuis 2018.

Estimation du coût total des absences des enseignants pour le ministère de l'éducation nationale entre 2018 et 2022

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale, l'IGF et la DGAFP


* 18 Loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

* 19 Loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

* 20 Décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'État.

* 21 Revue de dépenses relative à la réduction des absences dans la fonction publique et les opérateurs, 4 septembre 2024, Inspection générale des finances.

* 22 La rémunération des agents publics en arrêt maladie, 9 septembre 2021, Cour des comptes.

* 23 Statistique établie par le rapport annuel sur l'état de la fonction publique, édition 2024, direction générale de l'administration et de la fonction publique.

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