III. UNE NÉCESSITÉ : DIMINUER LE NOMBRE D'HEURES D'ENSEIGNEMENT NON REMPLACÉES

A. LIMITER LES ABSENCES DES ENSEIGNANTS

1. Une amélioration des conditions de travail indispensable pour limiter les absences des enseignants pour cause de maladie

L'amélioration de l'efficacité du remplacement des enseignants nécessite dans un premier lieu de limiter le nombre d'absences des enseignants, afin de diminuer le besoin de remplacement.

Les absences des enseignants sont liées dans une très large mesure à des raisons de santé dans le premier et le second degrés, à savoir à des congés de maladie ordinaire, des congés pour accident du travail ou maladie professionnelle, des congés de longue maladie et de longue durée, des congés maternité et des congés paternité et adoption. Ainsi, dans le premier degré, le nombre de demi-journées d'absence pour des raisons de santé a augmenté de 22,7 % entre 2018-2019 et 2023-2024. Elles représentent la moitié des absences.

Évolution du nombre et de la proportion de demi-journées d'absence
dans le premier degré public pour des raisons de santé

(en pourcentage et en nombre de demi-journées)

Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale

Dans le second degré, le nombre d'enseignants absents pour raisons de santé a significativement augmenté de près de 40 % entre 2018-2019 et 2024-2025. Près de 82 % des enseignants absents sont en congés pour raison de santé, contre 70,2 % en 2018-2019.

Évolution du nombre et de la proportion d'enseignants absents
dans le second degré public pour des raisons de santé

(en pourcentage et en ETP)

Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale

Si la hausse des absences pour raisons de santé ces dernières années constitue un mouvement commun à l'ensemble de la société française, il existe des causes spécifiques à la mission d'enseignement. Cette dynamique témoigne très probablement de la dégradation des conditions de travail des enseignants. D'après l'enquête30(*) « Baromètre du bien-être » conduite par la DEPP au printemps 2022, les enseignants du premier degré évaluent leur satisfaction au travail à 6,1 sur 10 et ceux du second degré à 5,9 sur 10, contre 7,2 sur 10 pour l'ensemble des Français en emploi.

Par exemple, le cas des élèves dits « hautement perturbateurs », dans le premier degré en particulier, qui sont souvent porteurs de troubles, identifiés ou non, est de plus en plus fréquemment mentionné par les enseignants. Ces élèves se révèlent très difficiles à gérer dans une classe pour un enseignant, qui ne dispose ni des outils ni de l'accompagnement adéquats pour gérer la situation. Il s'agit de l'un des révélateurs des difficultés rencontrées par les personnels de l'éducation nationale exerçant en établissement scolaire.

La dégradation des conditions de travail des enseignants constitue un sujet dépassant le cadre du présent rapport et recouvrant de multiples dimensions, en particulier salariales. Le rapporteur spécial souligne toutefois que la diminution des absences des enseignants, très coûteuses pour le ministère de l'éducation nationale, implique d'améliorer significativement leurs conditions de travail et de revaloriser leurs missions, à la fois financièrement et même socialement. Lutter contre « l'absentéisme » des enseignants passe par une prise en compte des difficultés réelles et croissantes rencontrées par ces personnels dans l'exercice de leurs missions.

Une réflexion pourrait par ailleurs être amorcée pour ouvrir la possibilité pour les enseignants en arrêt, qui le souhaiteraient et en auraient les capacités physiques et matérielles, de dispenser des cours à distance. L'exemple de l'enseignant avec une jambe cassée mais souhaitant assurer ses heures de cours à distance, rencontré par le rapporteur spécial en déplacement, est parlant. Une telle possibilité n'est actuellement pas prévue par le cadre légal, mais pourrait être envisagée, en tout cas dans le second degré.

2. Le temps partiel thérapeutique, rémunéré à taux plein, fragilise le système de remplacement des enseignants

La hausse des absences des enseignants est également liée, en tout cas dans le second degré, à l'essor du temps partiel thérapeutique. En effet, conformément à l'article 9 de l'ordonnance du 25 novembre 202031(*), codifié aux articles L. 823-1 à L. 823-6 du code général de la fonction publique, « durant l'accomplissement de son service à temps partiel pour raison thérapeutique le fonctionnaire perçoit l'intégralité de son traitement, du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence ». L'objectif de cette réforme était de favoriser le retour à l'emploi des fonctionnaires, en leur permettant de percevoir l'intégralité de leur traitement tout en exerçant leurs fonctions à temps partiel.

Toutefois, ce changement de réglementation a entrainé une hausse sensible du nombre de temps partiels thérapeutiques parmi les enseignants, alors qu'aucune baisse du nombre de congés de maladie ordinaire n'a été constatée. Ainsi, entre les années scolaires 2018-2019 et 2024-2025, le nombre d'enseignants absents pour des raisons de temps partiel thérapeutique a été multiplié par 2,5 dans le second degré public. Près de 10 % des absences de longue durée des enseignants dans le second degré sont liées au temps partiel thérapeutique, alors qu'elles représentaient seulement 3,4 % des absences en 2018-2019, soulignant l'effet d'aubaine entrainé par le changement de réglementation en 2020.

Nombre d'absences et part des absences liées à un temps partiel thérapeutique
dans le second degré entre 2018 et 2025

(en ETP et en pourcentage)

Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale

Une telle réglementation a en réalité été conçue pour des personnels exerçant leurs missions dans des bureaux. En effet, dans ce cas, si un agent est présent 70 % du temps plein réglementaire, il est envisageable pour ses collègues de prendre en charge partiellement le travail restant. Toutefois, une telle possibilité n'existe pas dans le cas des enseignants, du premier degré notamment : ce sont des heures de cours en moins qui ne sont pas assurées et qui doivent être remplacées par un enseignant remplaçant. En l'absence de nouveaux moyens de remplacement, les temps partiels thérapeutiques constituent une contrainte forte sur le terrain, remonté à tous les niveaux et par des acteurs nationaux comme locaux lors des auditions conduites par le rapporteur spécial.

En conséquence, un alignement des règles de rémunération des temps partiels thérapeutiques avec celles s'appliquant aux congés de maladie ordinaire pourrait être souhaitable. Depuis l'entrée en vigueur de l'article 189 de la loi de finances initiale pour 202532(*), les congés de maladie ordinaire sont rémunérés les trois premiers mois à 90 % du traitement, et non à 100 %. Une rémunération des temps partiels thérapeutiques à 90 % du traitement du fonctionnaire se justifierait et permettrait de desserrer les contraintes liées au remplacement. Une telle réforme nécessiterait une modification de l'article L. 823-4 du code général de la fonction publique, par voie législative. Elle s'appliquerait à l'ensemble des fonctionnaires de la fonction publique d'État.

3. Des absences liées à la formation des enseignants à mieux anticiper

La formation continue des personnels enseignants est indispensable pour leur permettre de continuer à perfectionner leur pratique professionnelle, comme souligné par un rapport33(*) d'information du précédent rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire », M. Gérard Longuet.

La formation continue entraine toutefois un nombre important d'heures d'absence, généralement de courte durée, dans le premier comme dans le second degré.

Évolution du nombre de demi-journées d'absence liées à la formation
dans le premier degré entre 2018 et 2024

(en nombre de demi-journées)

Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale

Dans le premier degré, ce sont ainsi 23 963 demi-journées d'absence liées à la formation qui sont comptabilisées en 2023-2024, représentant 0,3 % des absences. Le nombre d'absences liées à la formation a augmenté de 68 % entre 2018-2019 et 2023-2024. Elles représentent une proportion importante des absences dans les académies de Montpellier (4,6 % des absences) et de Rennes (2,5 % des absences).

Au total, dans le second degré, près de 2,12 millions d'heures d'absence de courte durée pour des raisons de formation, de concours ou de validation des acquis de l'expérience, ont été recensées en 2023-2024, représentant 10,3 % des heures d'absence de courte durée. Seules 13,5 % de ces heures ont pu être remplacées, ce qui signifie que près d'1,8 million d'heures d'absence de courte durée n'ont pu être assurées auprès des élèves du second degré en raison de la formation, des concours ou des validations d'acquis de l'expérience, ce qui est conséquent. En particulier, dans les départements franciliens de Paris, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, ainsi que dans les départements ruraux de l'Ardèche, de la Drôme, de l'Isère et de la Haute-Vienne, le taux de remplacement des heures d'absence de courte durée pour des raisons de formation a été inférieur à 10 %.

En mars 2025, 1,1 million d'heures d'absence pour des raisons de formation34(*) avaient été comptabilisées, dont 16,2 % ont été remplacées, témoignant des prémisses d'une amélioration potentielle du remplacement des heures liées à la formation. Aucune donnée plus ancienne concernant les heures d'absence liées à la formation dans le second degré ne sont disponibles, le ministère n'ayant centralisé de données concernant les absences de courte durée qu'à compter de la rentrée 2023.

Les difficultés liées au remplacement des heures d'absence liées à la formation continue sont donc particulièrement sensibles dans le second degré. Des efforts récents ont été accomplis par le ministère de l'éducation nationale pour limiter les absences liées à la formation des enseignants, avec un objectif de positionner 100 % des formations et des réunions hors du temps devant élèves à la rentrée 2024, objectif non encore accompli. Plusieurs dispositifs ont été mis en oeuvre à cette fin :

- l'utilisation prioritaire des mercredis et une offre de formation en fin d'après-midi ;

- la territorialisation des formations, pour limiter les temps de trajet des enseignants ;

- l'hybridation des formations, avec un recours à la formation à distance, grâce aux plateformes Magistère, Canotech, e-Inspe et Mentor. Ces formations sont disponibles de façon asynchrone, pour s'adapter au rythme de formation de chaque professeur ;

- l'anticipation et l'amélioration de la communication sur l'offre de formation pour prévoir une organisation adaptée de l'emploi du temps du professeur ;

- les formations hors temps scolaire intervenant pendant les petites vacances seront également renforcées.

Ainsi, dans le premier degré, le volume des heures de formation réalisées hors du temps devant élèves a augmenté de 3 768 heures supplémentaires en 2023-2024 par rapport à 2022-2023, selon la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO). Dans le second degré, près de 0,6 % d'heures de formation en plus sont assurées hors du temps prévu devant élèves.

Des difficultés persistent toutefois.

En effet, l'organisation des formations en soirée, le mercredi après-midi et surtout pendant les vacances scolaires repose sur la disponibilité des intervenants, souvent soumis à des contraintes personnelles. Les créneaux disponibles restent de plus limités, d'autant que la réforme des « groupes de besoins » à la rentrée 2024 a encore complexifié les emplois du temps.

Par ailleurs, le financement constitue un frein car l'indemnisation des formations organisées sur le temps des congés représente un coût conséquent pour les académies. Des budgets spécifiques doivent être prévus pour rémunérer les formateurs et compenser l'engagement des enseignants. Le décret du 6 septembre 201935(*) prévoit en effet une allocation de formation pour les personnels enseignants suivant des formations pendant les vacances scolaires, à hauteur de 20 euros par heure. Si cette rémunération complémentaire se justifie, elle limite les possibilités organisationnelles des académies.

Pour autant, l'organisation mise en place dans l'enseignement catholique, qui dispose de son propre centre de formation, le réseau FORMIRIS, peut être source d'inspiration. En effet, l'enseignement catholique organise dans le second degré des journées « banalisées » annoncées à l'avance, pour permettre la formation des enseignants et un temps d'échange entre les équipes pédagogiques. Au collège, il pourrait être envisagé de mettre en place de telles journées, à raison d'une ou deux par niveau et par an. Pendant ces journées, des contrôles pourraient être organisés par exemple, sous surveillance des assistants d'éducation (AED), ou des travaux prévus à l'avance grâce aux plateformes mis à disposition notamment par le CNED, comme le B.A.BA du climat. Ces journées ne seraient pas prévues le même jour pour tous les niveaux d'un collège ou d'un lycée, afin d'éviter une surcharge des AED. Les enseignants pourraient ainsi profiter de ce temps, compris dans leur service d'enseignement, pour participer à des formations, sans que leurs absences ne nuisent au temps scolaire dont bénéficient les élèves.

Recommandation : créer des « journées pédagogiques » banalisées dès le début de l'année destinées à la formation des enseignants (DGESCO, rectorats)


* 30 Note d'information n° 22.31, Premiers résultats du Baromètre du bien-être au travail des personnels de l'éducation nationale exerçant en établissement scolaire, octobre 2022, DEPP.

* 31 Ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique.

* 32 Loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

* 33 Rapport d'information au nom de la commission des finances du Sénat n° 869 (2022-2023), Réveiller la formation continue des enseignants, M. Gérard Longuet, 11 juillet 2023.

* 34 À noter, toutefois, qu'en 2024-2025 le ministère est capable d'isoler les heures d'absence liées à des motifs seuls de formation des absences pour des raisons de concours et de validation des acquis de l'expérience, ce qui n'était pas le cas en 2023-2024.

* 35 Décret n° 2019-935 du 6 septembre 2019 portant création d'une allocation de formation aux personnels enseignants relevant de l'éducation nationale dans le cadre de formations suivies pendant les périodes de vacance des classes.

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