II. PILOTER L'ÉCONOMIE CIRCULAIRE : UNE INDISPENSABLE RÉFORME DE LA GOUVERNANCE NATIONALE ET TERRITORIALE
A. UNE STRATÉGIE INDUSTRIELLE INTERMINISTÉRIELLE, TERRITORIALISÉE PAR LES RÉGIONS, EST AUJOURD'HUI NÉCESSAIRE
1. À l'échelle nationale, une stratégie industrielle doit fixer, à moyen terme, les orientations de l'économie circulaire
De nombreuses organisations entendues par les rapporteurs ont déploré le manque de vision industrielle du déploiement des filières REP. Comme le souligne l'éco-organisme Valobat, le « déploiement d'une REP a des incidences sur la politique industrielle du tri, du recyclage et de la valorisation »51(*), il est ainsi nécessaire de « discuter des grandes orientations organisationnelles et industrielles structurantes ». De même, la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement (Fnade) insiste sur la nécessité d'une stratégie industrielle coconstruite, « tenant compte des impacts industriels, sociaux, économiques et environnementaux sur toute la chaîne de valeur »52(*).
De nombreux acteurs déplorent également le manque de visibilité à moyen terme sur les orientations politiques de l'État en matière d'économie circulaire, qui entrave la capacité des opérateurs à investir, selon le Syndicat national des entrepreneurs de la filière déchets (SNEFiD).
La planification actuelle apparaît ainsi trop « en silos ». Une multiplication de réflexions sectorielles, sur des filières REP particulières, a créé aujourd'hui un « archipel de réglementations », sans réflexion d'ensemble sur les orientations de l'économie circulaire. De nombreux acteurs ont, à ce titre, déploré l'absence de document planificateur intégrateur, depuis la feuille de route économie circulaire (Frec) de 2018.
Enfin, l'absence de dimension interministérielle empêche également le déploiement d'une économie circulaire équilibrée, qui prend en compte non seulement les enjeux environnementaux, mais aussi économiques et sociaux. Les enjeux de l'économie circulaire dépassent en effet largement le périmètre du ministère de la transition écologique. Le Medef appelle à réfléchir à l'économie circulaire « dans un cadre plus global qui est celui de la politique industrielle de la France et d'une stratégie sur les ressources »53(*).
L'économie circulaire implique en effet un développement industriel, un aménagement du territoire réfléchi ainsi qu'une politique active de formation. À titre d'exemple, lors de son audition, le Réseau Vrac et Réemploi a évoqué les besoins conséquents en formation identifiés pour les prochaines années : le réseau a identifié durant les 15 prochaines années un potentiel de plus de 30 000 emplois dans le secteur du vrac et du réemploi pour atteindre les objectifs de la loi Agec de 2020.
Une stratégie industrielle transversale et interministérielle de l'économie circulaire est ainsi aujourd'hui nécessaire.
Celle-ci doit fixer des objectifs de moyen-terme -- sur 10 ans par exemple --, déclinés par filière REP, qui concerneraient bien sûr les éco-organismes et les metteurs en marché, mais aussi l'ensemble des acteurs de l'économie circulaire qui contribuent à l'atteinte de ces objectifs : collectivités territoriales, opérateurs de déchet, acteurs de l'ESS, associations environnementales... Cette stratégie identifierait les besoins en capacité ainsi que les leviers à mettre en oeuvre, tout au long de la durée de vie du produit (prévention, réparation, réemploi, recyclage, etc.), pour appuyer la stratégie nationale. Elle dresserait également un schéma directeur pour la réparation, la réutilisation et le réemploi, en cartographiant les gisements sur le territoire.
L'élaboration de la stratégie pourrait être utilement confiée au Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) dont c'est le rôle. Placé auprès du Premier ministre, le SGPE a en effet notamment pour mission de coordonner « l'élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d'énergie, de biodiversité et d'économie circulaire »54(*). Le positionnement politique de cet organe est adapté à cette mission. Portée par le Premier ministre, la stratégie définie pourrait ainsi s'imposer à l'ensemble des ministères, à charge pour eux de prendre en compte ces orientations dans leurs politiques.
Comme l'appelle de ses voeux la Fnade, « une véritable co-construction industrielle avec l'ensemble des acteurs concernés »55(*) est indispensable pour dimensionner au mieux cette stratégie. Le SGPE devrait ainsi mener une large concertation initiale en amont de la définition de la filière, qui intégrerait l'ensemble des acteurs de l'économie circulaire.
2. Une stratégie territorialisée par les régions, chefs de file de l'économie circulaire
La déclinaison territoriale de cette stratégie nationale pourrait naturellement être confiée aux régions, qui sont l'échelon de planification en matière de prévention et de traitement des déchets.
En effet, l'article 8 de la loi NOTRe de 201556(*) a confié aux régions un rôle de planification en matière de gestion des déchets, inscrit à l'article L. 541-13 du code de l'environnement. Les régions sont ainsi chargées d'élaborer un plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD), qui concourt à l'atteinte des objectifs nationaux, en planifiant l'implantation territoriale des installations et en incluant un plan régional d'action en faveur de l'économie circulaire.
L'article 109 de la loi Agec de 2020 a renforcé son rôle, en lui confiant « la coordination et l'animation des actions conduites par les différents acteurs en matière d'économie circulaire, notamment en matière d'écologie industrielle et territoriale »57(*).
La région dispose depuis une décennie d'une compétence de planification en matière de déchets. Il s'agit donc de l'échelon naturel de déclinaison territoriale de la stratégie industrielle nationale d'économie circulaire, qui pourrait être incluse au PRPGD.
L'association d'élus Régions de France a toutefois déploré une appropriation hétérogène par les régions de cette nouvelle compétence, en raison d'un portage politique parfois insuffisant.
Les rapporteurs considèrent que pour assurer une véritable appropriation politique de l'économie circulaire des régions, des moyens financiers calibrés pour l'exercice de cette compétence doivent être mis à leur disposition : le fonds économie circulaire pourrait être cogéré entièrement par l'Ademe et les régions, constituant ainsi le « bras armé » de l'application, par les régions, de la stratégie nationale. L'Ademe pourrait ainsi jouer pleinement son rôle de préconisation de lignes directrices et d'appui technique, tandis que la gestion opérationnelle de ce fonds serait assurée par les régions.
L'article 57 de la loi dite « 3DS » de 202258(*) prévoit une telle délégation, codifiée à l'article L. 131-6 du code de l'environnement, mais qui reste partielle (seule une partie des fonds sont cogérés) et sur une base volontaire qui peine à produire des effets.
Le fonds économie circulaire
Créé en 2019 sous le nom initial de fonds déchets et géré par l'Ademe, le fonds économie circulaire vise à soutenir financièrement les projets contribuant à la réduction des déchets, au réemploi, au recyclage et à la transition vers une économie plus sobre en ressources.
Ce fonds s'élève, en 2025, à 170 millions d'euros. En 2024, il a ciblé des actions visant à faire évoluer les pratiques de consommation et les pratiques des collectivités en charge du service public des déchets, à développer l'écoconception, à soutenir le recyclage et à développer des actions d'accompagnement et de structuration des entreprises comme des collectivités territoriales59(*).
Il convient enfin d'éviter de décliner mécaniquement les objectifs nationaux par régions. Comme l'a fait remarquer l'association Régions de France, le « nomadisme » régional des déchets, expliqué par les caractéristiques propres à chaque région qui rendent plus ou moins facile l'implantation d'installations de traitement, rend difficile la fixation d'objectifs régionaux uniformes. Les régions devraient donc être chargées de simplement contribuer à l'atteinte des objectifs de la stratégie nationale, sans se voir assigner d'objectifs chiffrés.
Proposition n° 1 : Élaborer une stratégie industrielle pluriannuelle de l'économie circulaire, en associant l'ensemble des parties prenantes.
Cette stratégie fixerait des objectifs chiffrés de moyen terme et préciserait les leviers à mobiliser (écocontributions, dispositifs de formation, soutiens publics, investissements...), tout en clarifiant ce qui relève ou non du champ d'intervention des éco-organismes.
Elle doit être :
- élaborée au niveau national par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), service à compétence interministérielle rattaché au Premier ministre ;
- territorialisée par les régions, désignées chefs de file de l'économie circulaire, qui exerceraient cette mission en s'appuyant sur le fonds économie circulaire, cogéré avec l'Ademe.
* 51 Source : réponse de Valobat au questionnaire des rapporteurs.
* 52 Source : réponse de la FNADE au questionnaire des rapporteurs.
* 53 Source : réponse du Medef au questionnaire des rapporteurs.
* 54 Décret n° 2022-990 du 7 juillet 2022 relatif au secrétariat général à la planification écologique.
* 55 Source : réponse de la Fnade au questionnaire des rapporteurs.
* 56 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
* 57 Article L. 4211-1 du code général des collectivités territoriales.
* 58 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.
* 59 Source : réponse de l'Ademe au questionnaire des rapporteurs.