B. PROMOUVOIR UNE LOGIQUE DE SOLIDARITÉ TERRITORIALE ENTRE L'AMONT ET L'AVAL DES BASSINS

Au-delà des questions de gouvernance, qui doivent intégrer pleinement la notion de différenciation territoriale afin de tenir compte de la diversité des contextes géographiques, hydrauliques et institutionnels, demeure l'enjeu d'une répartition plus équitable de l'effort financier en matière de prévention des inondations.

Le financement de la compétence GEMAPI se heurte à des limites structurelles (cf. supra, I/. C.), tenant notamment au fait que les territoires d'amont peinent à consentir aux investissements nécessaires. Un renforcement de la solidarité financière entre l'amont et l'aval des bassins versants apparaît nécessaire, et suppose des mécanismes de solidarité.

1. Mieux retracer les dépenses liées à la compétence GEMAPI au travers d'un budget annexe

Au préalable, un enjeu majeur a trait à la lisibilité et la traçabilité des dépenses engagées au titre de la compétence GEMAPI, indispensable pour permettre un suivi rigoureux des dépenses et des recettes à l'échelle locale. Elle constitue également une condition pour l'établissement d'un diagnostic partagé, préalable à toute démarche de péréquation ou de contractualisation future.

Or, depuis l'exercice 2017, la loi n'impose plus le suivi de la compétence GEMAPI par le biais d'un budget annexe. La suppression de cette obligation résulte de l'article 65 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages113(*). À l'usage, toutefois, l'absence de cadre budgétaire harmonisé rend difficile le recensement et l'analyse des dépenses liées à la compétence GEMAPI, que celles-ci soient réalisées en régie, déléguées ou simplement cofinancées.

Nombre d'acteurs auditionnés ont jugé pertinente la proposition de rétablissement d'un budget annexe - ou, à tout le moins, l'instauration d'un référentiel comptable partagé - permettant l'établissement d'un diagnostic objectif114(*) à l'échelle des différents territoires et une meilleure traçabilité des dépenses en matière de GEMAPI.

 

Recommandation n° 11 :

· Assurer une meilleure traçabilité des dépenses liées à la compétence GEMAPI en rétablissant le budget annexe prévu à l'article 1530 bis du code général des impôts

· Clarifier, dans la nature des dépenses, celles qui relèvent de la compétence GEMAPI et celles liées à la gestion du ruissellement

2. Instituer un fonds de solidarité à l'échelle des bassins versants

Comme le reconnaissait l'ANEB dans sa contribution écrite à la mission, les « outils financiers de solidarité ou de péréquation sont très complexes à mettre en place ». Dès lors, il est indispensable de débattre des modalités opérationnelles et d'analyser les incidences des propositions de financement solidaire de la compétence GEMAPI. Vos rapporteurs entendent verser leur contribution au débat, même si la recommandation formulée ici n'a bien sûr pas vocation à être figée, et doit plutôt être regardée comme une base de travail.

La mission sénatoriale sur l'adaptation des territoires face aux inondations, publiée en septembre 2024, préconisait la mise en place d'un tel fonds de péréquation, alimenté par une fraction de la taxe GEMAPI prélevée localement et redistribuée selon des critères objectifs tenant compte des capacités contributives et des besoins des territoires (potentiel fiscal, linéaire de digues, importance des ouvrages à entretenir, etc.).

L'un des fondements de ce mécanisme repose sur la reconnaissance d'une interdépendance fonctionnelle entre les territoires situés en amont et ceux situés en aval d'un même bassin versant. Les collectivités littorales ou urbaines, dotées d'un fort potentiel fiscal, sont souvent les premières bénéficiaires des actions menées en amont pour ralentir l'écoulement, limiter l'érosion ou prévenir les inondations. Il est donc cohérent, dans une logique d'équité, que ces collectivités participent davantage au financement de projets structurants menés sur des territoires moins dotés, mais exerçant une fonction régulatrice. À ce titre, ainsi que le souligne la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), le potentiel fiscal peut constituer un critère de répartition pertinent et un levier efficace de solidarité interterritoriale : il est en effet fortement corrélé à la densité d'enjeux humains, économiques et patrimoniaux exposés. Une telle approche favoriserait une répartition équitable des efforts à l'échelle des grands bassins, notamment entre métropoles et territoires ruraux ou de montagne.

En pratique, la gestion du fonds de péréquation pourrait s'appuyer sur les structures existantes. Dans les territoires dépourvus d'établissement public territorial de bassin (EPTB), sa gestion serait confiée par défaut à l'Agence de l'eau compétente. En revanche, là où un EPTB existe ou serait constitué, celui-ci serait désigné comme autorité de gestion du fonds. Cette solution présenterait l'avantage de s'inscrire dans une logique de subsidiarité et d'adaptation aux réalités de chaque territoire.

Le gestionnaire du fonds - Agence de l'eau ou EPTB - serait chargé d'établir des critères d'éligibilité et d'attribution des aides, en concertation avec les acteurs locaux. Ces aides pourraient notamment porter sur le cofinancement de travaux de sécurisation ou d'entretien des ouvrages, le soutien à l'ingénierie des projets, ou la réalisation d'études.

Enfin, pour sécuriser le financement de ce fonds, il conviendrait de revisiter le mécanisme du « plafond mordant », qui encadre actuellement les recettes affectées aux agences de l'eau. Prévu en loi de finances, ce mécanisme limite le montant que les agences peuvent réellement percevoir au titre des redevances, les surplus étant reversés au budget général de l'État. Son assouplissement dans le cas spécifique du fonds de solidarité pour la GEMAPI permettrait de mobiliser pleinement les ressources issues de la fiscalité, sans alourdir la pression fiscale.

 

Recommandation n° 12 : Renforcer les solidarités entre l'amont et l'aval des bassins versants

· Instituer un fonds de solidarité pour la GEMAPI à l'échelle des bassins versants, dont les financements seraient attribués aux EPCI en fonction de critères objectifs (potentiel fiscal, linéaire de digues, montant des travaux inscrits au PAPI, le niveau de risques).

- En l'absence d'EPTB, le fonds de péréquation serait géré par défaut par l'Agence de l'eau (un aménagement du mécanisme du « plafond mordant » serait également prévu) ;

- Sur les territoires où un EPTB existe, ce fonds de péréquation serait géré par celui-ci.

· Instaurer parallèlement un fonds de péréquation horizontal sur le modèle du FPIC (Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales), afin de prélever une fraction de taxes GEMAPI de certaines collectivités pour la reverser à des collectivités moins peuplées selon des critères et des conditionnalités à déterminer.

3. Relancer la réflexion sur les modalités de solidarité financières interbassins

Au-delà de la solidarité financière intra-bassin, la question d'un financement complémentaire à l'échelle nationale ou inter-bassins mérite d'être étudiée. Elle est en effet centrale pour permettre aux territoires les plus fragiles - notamment dans les zones rurales, de montagne ou littorales - de faire face aux charges croissantes liées à la mise en oeuvre de la compétence GEMAPI, en particulier en matière d'entretien des ouvrages de protection et d'adaptation au changement climatique.

Dans cette perspective, un mode de financement additionnel, venant en appui des ressources aujourd'hui mobilisables via le budget principal des collectivités et la taxe GEMAPI, pourrait être étudié. Les montants représentés par les actions en matière de GEMAPI occupent, en effet, une place modeste parmi les 23,4 milliards d'euros consacrés chaque année au financement des politiques publiques de l'eau115(*).

Ce soutien complémentaire prendrait la forme d'une contribution solidaire nationale, assise sur des critères tenant compte des usages de l'eau. Cette idée n'est pas nouvelle. Elle figurait déjà dans les propositions d'un rapport conjoint de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) publié en 2018. Ce rapport proposait notamment la création d'une redevance de solidarité territoriale, indexée sur les volumes d'eau potable consommés, qui aurait été perçue selon un mécanisme analogue à celui de la redevance pour pollution domestique, aujourd'hui collectée par les agences de l'eau. Toutefois, cette piste n'a pas été reprise dans le cadre de la réforme en cours des redevances perçues par ces agences.

Deux orientations, complémentaires, pourraient ainsi alimenter les réflexions actuelles :

La première consisterait à envisager une contribution assise sur les volumes d'eau consommés, dans une logique de solidarité interbassins. Il s'agirait d'instaurer une contribution nationale très modeste - de l'ordre de quelques centimes d'euros par mètre cube d'eau potable facturé - affectée à un fonds national ou interbassins dédié au financement d'actions de gestion intégrée de l'eau. Ce fonds pourrait être mobilisé par un EPTB ou tout autre maître d'ouvrage pourvu qu'il porte un programme opérationnel global à l'échelle hydrographique. L'intérêt de cette solution tient à sa lisibilité pour l'usager, à son assiette large et stable, ainsi qu'à sa capacité à générer des ressources substantielles sans effort fiscal excessif pour les ménages et les acteurs économiques.

La seconde piste consisterait en une affectation partielle de la taxe d'aménagement au financement de la compétence GEMAPI. Cette solution répond à une autre logique, fondée non plus sur la consommation d'eau, mais sur les impacts de l'urbanisation. Elle consisterait à flécher une fraction de la taxe d'aménagement - dont le produit est aujourd'hui essentiellement affecté aux équipements publics liés à l'urbanisation - vers des actions de prévention des inondations ou de restauration des milieux aquatiques. Il s'agirait donc de reconnaître, dans l'urbanisation et l'artificialisation des sols, un facteur de dégradation de la gestion du cycle de l'eau justifiant une contribution au titre du principe « pollueur-payeur ». Cette affectation permettrait de dégager une ressource pérenne et en adéquation directe avec les pressions exercées sur les milieux.

Dans les deux cas, ces mécanismes viendraient renforcer la capacité d'action des collectivités dans la durée, en leur offrant une visibilité accrue sur les financements mobilisables pour honorer leurs responsabilités. Ces propositions seraient également de nature à rééquilibrer les efforts consentis entre territoires et à favoriser l'émergence d'une politique de solidarité à l'échelle nationale.

 

Recommandation n° 13 : Envisager de nouveaux leviers de financement liés à l'usage de la ressource en eau et à l'urbanisation

· Étudier la piste d'une contribution de « quelques centimes d'euros par mètre cube d'eau consommé provenant du bassin » afin de financer une solidarité interbassins ou l'action de gestion opérationnelle de l'eau portée par les EPTB.

· Étudier la possibilité d'affecter une fraction du produit de la taxe d'aménagement au financement de la compétence GEMAPI, afin de mobiliser une ressource pérenne en lien direct avec l'urbanisation et l'imperméabilisation des sols.

Dans le cadre de sa contribution écrite à la mission, Électricité de France (EDF) a également insisté sur la nécessité de préparer l'adaptation des modèles économiques, en reconnaissant et en finançant notamment les services environnementaux. Parmi les leviers à envisager pour favoriser les actions sur le grand cycle de l'eau, ainsi, figure le « paiement pour services environnementaux quel que soit le maître d'ouvrage (acteur socio-économique : industriel, agriculteur, collectivités, ...) afin de rendre ces initiatives financièrement soutenables et promouvoir le multi usages au service du collectif »116(*).


* 113 La suppression de l'obligation de disposer d'un budget annexe a été introduite par amendement déposé au nom du Gouvernement lors de l'examen du texte en première lecture au Sénat. Si les débats ont été assez peu étoffés, le principal argument reposait sur le fait que l'obligation de disposer d'un budget annexe pouvait apparaître en certains cas - notamment lorsque l'EPCI avait délégué l'exercice de la compétence à un syndicat mixte - superfétatoire, ce qui n'est sans doute pas le cas comme le révèle la pratique.

* 114 Par exemple, ce budget annexe constituerait un outil pertinent pour analyser la situation des territoires les plus exposés aux risques hydrauliques et confrontés à des transferts de charges importants, notamment à la suite de la reprise de digues domaniales.

* 115 Ainsi que le relevait M. Thierry Burlot, président du comité de bassin Loire-Bretagne, lors d'une table ronde organisée le 12 mars 2025 par la commission du développement durable du Sénat sur les perspectives et les défis du financement de la politique de l'eau :

https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20250310/devdur.html#toc4

* 116 Contribution écrite d'EDF à la mission.

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