B. DES CONTRÔLES VARIABLES SELON L'ADMINISTRATION QUI OCTROIE L'AIDE
1. La jurisprudence administrative autorise sous conditions les retraits et abrogations d'aides ainsi que leur remboursement
a) Retrait, abrogation, remboursement et fraude
(1) Retrait versus abrogation d'une aide
Les auditions des dirigeants d'entreprise devant la commission d'enquête n'ont quasiment pas fait état de procédure de retrait ou d'abrogation d'aide. Pour mémoire, le retrait d'une décision administrative signifie que l'acte est réputé n'avoir jamais existé, tandis que l'abrogation désigne la disparition d'un acte à compter d'une date déterminée ultérieure.
L'attribution d'une subvention publique crée des droits au profit de son bénéficiaire491(*), même si l'administration aurait dû refuser cette aide, comme le rappellent les considérants de principe d'une décision de section du Conseil d'État du 6 novembre 2002492(*) :
- sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision493(*) ;
- une décision administrative accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire, alors même que l'administration avait l'obligation de refuser cet avantage ;
- en revanche, ne sont pas créatrices de droit les mesures qui se bornent à procéder à la liquidation de la créance née d'une décision prise antérieurement.
Toutefois, l'administration peut « sans condition de délai »494(*) :
- abroger une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n'est plus remplie ;
- retirer une décision attribuant une subvention lorsque les conditions mises à son octroi n'ont pas été respectées.
Ne constitue pas un retrait de subvention la décision de l'administration de refuser de commencer à la verser si elle constate que le bénéficiaire ne respecte pas les conditions afférentes495(*).
En cas de retrait ou d'abrogation d'une décision créatrice de droits496(*), l'administration doit respecter une procédure contradictoire497(*).
L'administration doit également prendre sa décision de manière proportionnée au manquement constaté, et ne peut pas exiger le remboursement d'une aide pour la période antérieure à ce manquement. C'est ce qu'a rappelé le Conseil d'État dans une décision du 30 juin 2023, qui concernait une subvention versée à une association mais dont le raisonnement est transposable à une subvention versée à une entreprise : « Le retrait de la subvention publique accordée à une association n'ayant pas respecté les engagements du contrat d'engagement républicain, lequel ne saurait conduire à la restitution de sommes versées au titre d'une période antérieure au manquement ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel, ou l'abrogation de l'agrément, sont des mesures prises sous le contrôle du juge administratif qui en apprécie le bien-fondé eu égard, d'une part, à la gravité de ce manquement et, d'autre part, à l'impact de la mesure sur l'association au vu de ses activités et de son organisation ».
(2) Remboursement et fraude
Dans de rares cas, certaines aides publiques mentionnent les conditions de leur remboursement (voir supra). Bien évidemment, en l'absence de dispositions expresses sur le remboursement d'une aide, la personne publique ne peut pas imposer unilatéralement ces conditions a posteriori.
Toutefois, comme le relève le Conseil d'État dans son guide des outils d'action économique498(*), la jurisprudence admet « largement la récupération des subventions lorsque les conditions initiales ont été définies précisément et n'ont pas été respectées [...], y compris lorsque cet irrespect est partiel »499(*).
Lorsqu'un texte prévoyait des pièces justificatives relatives à l'utilisation d'une subvention500(*) et que celles-ci n'ont pas été produites par le bénéficiaire, l'administration peut émettre un titre exécutoire, par exemple le remboursement d'un acompte versé sur une subvention501(*).
En cas de fraude, une aide peut être retirée à tout moment en vertu de l'adage « la fraude corrompt tout ».
Un mécanisme original créé par la loi du 4 janvier 2001
La loi n° 2001-7 du 4 janvier 2001 relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises, qui avait institué la commission nationale des aides publiques aux entreprises (voir infra), avait prévu un mécanisme original autorisant toute personne publique ayant octroyé une aide à prononcer sa suspension, son retrait, voire son remboursement, si elle estimait que l'employeur n'avait pas respecté les « engagements souscrits ».
Ce mécanisme était conditionné à une saisine préalable du comité d'entreprise ou, à défaut, d'un délégué du personnel.
Afin de respect le principe du contradictoire, la personne qui avait octroyé l'aide devait entendre l'employeur et les représentants du personnel avant de rendre sa décision.
Elle devait également apprécier l'utilisation de l'aide en fonction notamment :
- de l'évolution de l'emploi dans l'entreprise considérée ;
- des engagements formulés par le chef d'entreprise pour bénéficier de l'aide ;
- des objectifs avancés par les salariés et leurs organisations syndicales.
La loi du 4 janvier 2001 ayant été abrogée par la loi du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002, il est fort probable que ce mécanisme de contrôle n'ait jamais été utilisé.
b) Les subventions sont assimilées à des actes unilatéraux
Comme l'indique Mme Anémone Cartier-Bresson, « la contractualisation des aides publiques a progressé depuis une vingtaine d'années. Il s'agit somme toute d'un phénomène assez banal, qui se vérifie plus largement pour toutes les interventions publiques. La persistance d'un climat d'unilatéralité confère toutefois une singularité aux aides économiques, et contribue à une porosité de la frontière entre contrat et acte unilatéral »502(*).
De fait, le Conseil d'État a jugé en 2010 que l'attribution d'une subvention, même accompagnée de la signature d'une convention, devait être regardée comme un acte unilatéral503(*).
Puis, dans un avis important Société Royal Cinéma du 29 mai 2019504(*), le Conseil d'État a jugé qu'une « décision qui a pour objet l'attribution d'une subvention constitue un acte unilatéral qui crée des droits au profit de son bénéficiaire ; de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention ».
Il en résulte trois conséquences.
D'une part, l'acte qui octroie une subvention doit être regardé comme un acte unilatéral, même si une convention est signée entre une personne publique et l'entreprise bénéficiaire (pour rappel, aux termes de l'article 10 de la loi DCRA, une convention doit être signée pour les subventions supérieures à 23 000 euros).
D'autre part, cet acte unilatéral sera créateur de droits uniquement si le bénéficiaire de la subvention « respecte les conditions mises à son octroi », ce respect pouvant prendre plusieurs formes :
- ces conditions peuvent avoir été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, ce qui est le cas le plus simple ;
- elles peuvent avoir fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire ;
- elle peuvent encore découler implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention.
Quand une décision est créatrice de droits, elle ne peut être retirée que si elle est illégale et dans un délai de quatre mois.
Enfin, et par voie de conséquence, toute éventuelle contestation contentieuse doit être formée dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir et non d'un plein contentieux : le juge administratif est alors tenu, schématiquement, de rejeter intégralement le recours ou d'annuler la décision attaquée, sans pouvoir modifier, réformer cette décision ou lui substituer une nouvelle décision. Comparé à un plein contentieux régi par la jurisprudence Tarn-et-Garonne505(*), l'accès au prétoire des tiers, comme les entreprises concurrentes, est facilité dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, car les requérants doivent seulement justifier d'un intérêt à agir suffisant, sans avoir à démontrer que leurs intérêts sont « lésés de manière directe et certaine ».
c) Les autres aides peuvent être contestées dans le cadre d'un recours de plein contentieux
Mme Anémone Cartier-Bresson relève qu'« hormis le cas des subventions, les contrats attribuant des aides et leur défaut d'exécution peuvent être contestés par les parties devant le juge du contrat »506(*), y compris en cas d'annulation, c'est-à-dire dans le cadre d'un plein contentieux.
Comme indiqué précédemment, les tiers peuvent attaquer des contrats administratifs relatifs aux aides par un recours en contestation de validité, dans les conditions prévues par la jurisprudence Tarn-et-Garonne.
Enfin, il convient de rappeler que :
- les décisions des collectivités territoriales octroyant une aide publique à une entreprise peuvent faire l'objet d'un déféré préfectoral507(*) ;
- la responsabilité de l'administration peut être engagée quand une aide est versée, sur le terrain contractuel, extracontractuel voire pénal en cas de prise illégale d'intérêt par exemple.
2. L'État exerce un contrôle efficace sur les subventions qu'il octroie et sur les dépenses fiscales placées sous la responsabilité de l'administration fiscale
En premier lieu, les subventions budgétaires de l'État conduisent souvent à la signature d'une convention, assortie le cas échéant de conditionnalités, entre la personne publique octroyant la subvention et l'entreprise bénéficiaire.
La procédure de déploiement des aides du plan France 2030 illustre le contrôle exercé par l'administration sur les subventions budgétaires. En effet, avant tout décaissement au profit d'un porteur de projet, les aides du plan France 2030 doivent avoir préalablement fait l'objet :
- d'une décision du Premier ministre (DPM) qui formalise l'octroi de l'aide au bénéficiaire final au regard des objectifs poursuivis par le projet financé ;
- d'une convention entre le bénéficiaire final et l'un des opérateurs du plan France 2030 (Agence Nationale de la Recherche, Ademe, Bpifrance, Caisse des dépôts et consignations) qui fixe le détail des jalons à atteindre par le porteur de projet et la chronique des décaissements associés à la réalisation effective du projet.
La commission d'enquête relève par surcroît que les opérateurs du plan France 2030 disposent pour certains de moyens humains et financiers directement affectés au contrôle interne des aides accordées, qu'elles soient financées ou non par ce plan. Par exemple, lors de son audition le 19 mars 2025 par la commission d'enquête, M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, a indiqué que la Banque publique d'investissement s'appuie sur un service dédié :
« Pour réaliser ces contrôles, la direction du contrôle interne de Bpifrance dispose de 80 personnes, ce qui représente des moyens significatifs. S'ajoutent également d'autres détails particuliers qui permettent d'instruire les dossiers et de garantir que le bénéficiaire de la subvention publique respectera ses engagements. Et nous faisons, en effet, des contrôles sur place. »
Le contrôle interne des aides exercé par Bpifrance
Lors de son audition le 19 mars 2025 par la commission d'enquête, M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, a indiqué que cette banque publique respecte scrupuleusement « une réglementation fondamentale du monde bancaire, qui est connue sous le nom de procédure KYC pour Know Your Customer ». Bpifrance doit ainsi « tout savoir de la chaîne de détention et de propriété, et donc de l'identité de notre contrepartie », « aucun prêt ni octroi » ne pouvant être accordé « sans procéder à ce contrôle très exigeant ». Ainsi, dans le cas d'une holding, il faut remonter « jusqu'à la détention des titres pour que personne n'ait la possibilité de circuler dans l'ombre ». « Ce processus coûteux passe par des outils détaillés et fait l'objet de contrôles importants de la part de la Banque centrale européenne et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ».
Mme Sophie Rémont, directrice de l'expertise et des programmes de la direction de l'innovation à Bpifrance, a précisé que les critères des aides sont définis en amont avec les ministères concernés et sont vérifiés régulièrement afin d'autoriser le déclenchement des versements. En effet, « le versement des aides est progressif » et Bpifrance définit « à chaque étape des livrables et des jalons » demandés à l'entreprise. Concrètement, les agents utilisent et suivent tout au long des décaissements la « grille d'impact » déposée lors de la déclaration. Autrement dit, les personnes en charge de l'instruction effectuent ipso facto le contrôle de l'aide, étant précisé que ces agents « peuvent s'appuyer sur des experts externes qui les accompagnent sur la partie technique et sur celle qui concerne le marché ».
En second lieu, la catégorie des dépenses fiscales recouvre également des aides dont le contrôle est exercé de manière stricte par le réseau dense et l'expertise éprouvée de l'administration fiscale. La prise en compte de la mission de contrôle des aides publiques versées sous forme de dépenses fiscales au bénéfice des entreprises a été rappelée par les représentants de la direction générale des finances publiques (DGFiP) lors de leur audition le 12 mars 2025 devant la commission d'enquête :
« Vous n'êtes pas sans savoir que l'organisation du contrôle fiscal opère à trois niveaux : départemental, interrégional et national. Pour les grandes entreprises, c'est la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) qui devrait vous intéresser plus particulièrement, car elle est chargée du contrôle fiscal des grandes entreprises nationales et internationales, ainsi que de leurs filiales, dont les actifs bruts sont supérieurs ou égaux à 400 millions d'euros ou dont le chiffre d'affaires dépasse 152,4 millions d'euros pour les ventes et 76,2 millions d'euros pour les prestations de service. C'est ainsi que se définit le portefeuille de la DVNI, qui dispose de vingt-cinq brigades de vérification spécialisées par secteur socio-professionnel. »
Les représentants de la DGFiP ont ajouté que :
- le service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal « compte au total 16 000 agents en administrations centrale et locale, 10 000 dans la sphère du contrôle fiscal - dont 4 000 vérificateurs répartis sur le territoire - et 6 000 dans la sphère de la sécurité juridique » ;
- environ « 39 000 et 40 000 contrôles externes » sont réalisés par an, sur tous types d'impôts, et plusieurs « centaines de milliers » de contrôle sont effectués « en bureau » par les centres de services partagés (CSP) ;
- en 2023, 623 dossiers de contrôle fiscal externe clos, sur les 39 000 précités, comportaient des rectifications relatives au CIR, soit 18 % des dossiers.
S'agissant plus particulièrement de la DVNI, les représentants de la DGFiP ont indiqué :
- que cette direction compte 500 agents, dont 100 travaillent « en bureau » et 400 sont sur le « terrain » ;
- qu'elle a « mis à jour, avec le service de la gestion fiscale » une « grille d'analyse des risques, qui permet de passer au tamis les demandes de remboursement CIR et de détecter d'éventuels signaux d'alerte qui nécessitent un contrôle plus approfondi » ;
- qu'un « protocole entre la DGFiP, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et la direction générale des entreprises » a été révisé fin 2024, afin de renforcer « la flexibilité des quotas d'expertise et faire en sorte de pouvoir mobiliser plus rapidement les experts » aux côtés des agents de la DVNI lors des contrôles.
Lors de son audition le 15 mai devant la commission d'enquête, M. Éric Lombard, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, a indiqué que « le crédit d'impôt recherche fait l'objet de plus d'un millier de contrôles annuels pour un total de 15 000 bénéficiaires. Ces contrôles aléatoires portent à la fois sur les montants déclarés et la nature scientifique des projets ».
3. Les exonérations et allègements de cotisations sociales : l'Urssaf très mobilisée
Les cotisations sociales, de même que les exonérations et allègements dont elles font l'objet, sont calculées, déclarées et versées par les employeurs508(*). Par conséquent, le contrôle de la régularité et de l'exhaustivité des prélèvements est effectué, a posteriori, par l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf). Ce contrôle, dit « contrôle comptable d'assiette » des déclarations des cotisations et contributions sociales, est effectué par les inspecteurs du recouvrement et constitue l'une des principales activités d'une Urssaf509(*).
L'Urssaf mène à la fois des actions de contrôle et des actions de prévention.
· Les contrôles opérés par l'Urssaf peuvent être réalisés sur place ou sur pièces - c'est-à-dire se dérouler dans les locaux de l'Urssaf. Ils ont pour but de contrôler la régularité des cotisations acquittées ou prélevées, que les erreurs soient fortuites ou intentionnelles, ce qui peut entraîner le cas échéant un redressement. En 2024, plus de 34 287 actions ont été engagées par l'Urssaf dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, et ont permis de redresser près de 1,6 milliard d'euros, soit 34 % de plus qu'en 2023510(*). Parmi ces redressements opérés en 2022 par l'Urssaf, le thème des exonérations de cotisations sociales représentait 30,6 % du total des régularisations511(*).
Cette mission de contrôle permet de garantir le financement de la sécurité sociale, mais également une égalité devant les charges publiques pour les employeurs - dans un contexte où les cotisations sociales représentent une part importante des coûts de production des entreprises.
· Compte tenu de la complexité des régimes sociaux pour les employeurs, de nombreuses erreurs de déclaration se révèlent involontaires. L'Urssaf met donc en place des actions de prévention, afin d'expliquer les règles aux employeurs et de les sécuriser dans la déclaration des cotisations sociales. Ces actions de prévention représentent à elles seules plus de 77 % des actions de l'Urssaf, avec 26 290 actions engagées en 2024.
Parmi les démarches de prévention développées, peuvent être citées les visites conseils d'inspecteurs, les examens préalables des accords d'épargne salariale des entreprises ou encore les procédures de rescrit social qui permettent d'interroger l'Urssaf sur l'application précise de la législation relative aux cotisations et contributions sociales, afin de se prévaloir de la réponse pour un contrôle futur512(*).
4. Les aides européennes : un contrôle strict mais très lourd
Le contrôle de l'utilisation des financements européens s'inscrit dans une logique d'exécution du budget de l'Union européenne. Toutes les aides sont soumises à des règles visant à garantir leur bonne exécution.
(1) Le contrôle des fonds européens en gestion partagée
Les aides européennes, qu'elles soient issues des fonds structurels en gestion partagée ou du plan de relance européen (NextGenerationEU), sont soumises à un dispositif de contrôle particulièrement strict, en raison des exigences élevées de transparence, de responsabilité et de bonne gestion financière imposées par le droit de l'Union. En vertu de l'article 317 du TFUE, la Commission européenne exécute le budget de l'UE sous sa responsabilité, mais les États membres, dans le cadre de la gestion partagée, ont l'obligation de garantir que les fonds sont utilisés conformément aux principes de régularité et d'efficience. Les États membres sont tenus de désigner des autorités compétentes pour la gestion, le contrôle et l'audit des fonds européens car il leur revient de prévenir, détecter et corriger les irrégularités, et de récupérer les sommes indûment versées. Ces obligations impliquent la mise en place d'un système de gouvernance multi-niveaux, associant autorités de gestion, autorités de certification, autorités d'audit, comités de suivi et autorités de coordination. Par exemple, le règlement RPDC du 24 juin 2021 impose aux régions, lorsqu'elles sont autorités de gestion, de publier sur un site internet toutes les aides accordées via des fonds européens (articles 42 et 49 dudit règlement).
Chaque programme financé par un fonds européen est ainsi encadré par un comité de suivi, chargé de suivre l'exécution des crédits et d'assurer la remontée d'informations auprès de la Commission.
Les autorités de gestion assurent le contrôle de premier niveau, en sélectionnant les projets, en vérifiant leur conformité et en encadrant leur exécution, conformément à l'article 74 du règlement RPDC du 24 juin 2021 susmentionné. Selon les informations communiquées au rapporteur par Régions de France, la régions Occitanie dispose d'une équipe de 15 équivalents temps plein, répartis parmi une quarantaine d'agents, pour contrôler l'utilisation des fonds Feder. Ces contrôles incluent des vérifications sur pièces et, ponctuellement, des inspections sur place lors de la phase de programmation, ainsi que des contrôles approfondis lors de la phase de paiement, avec un minimum de 10 % de visites sur site. Lors de son audition le 11 juin dernier, M. Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France, a indiqué que dans sa région, « l'évaluation des politiques publiques est assurée par un service dédié qui dépend de la direction Qualité et performance. Ce service compte une dizaine d'agents, qui disposent d'une indépendance fonctionnelle vis-à-vis des services opérationnels. Concrètement, ils ne relèvent pas des services d'action économique : les fonctions sont clairement distinctes ».
Des autorités d'audit indépendantes, comme l'Autorité nationale d'audit pour les fonds européens (AnAFe) en France, procèdent à des contrôles de second niveau sur les systèmes et les opérations, et rendent des comptes annuels à la Commission européenne513(*).
De plus, des autorités de coordination garantissent l'unité d'action de l'État face à la complexité du paysage institutionnel.
Enfin, il ne faut pas négliger le rôle de contrôle des institutions européennes elles-mêmes. Outre les services de la Commission européenne, la Cour des comptes de l'Union européenne examine la légalité et la régularité des recettes et des dépenses de l'UE. Elle veille ainsi à l'utilisation correcte des fonds européens et adopte régulièrement des rapports spéciaux pouvant pointer des difficultés de mise en oeuvre des aides européennes514(*). Le Parlement européen a aussi pour fonction de contrôler l'exécution du budget européen, tandis que l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) enquête sur les cas de fraude aux fonds européens515(*). Enfin, lors de son audition par la commission d'enquête le 4 février 2025, Mme Anémone Cartier-Bresson, professeur de droit public à l'Université Paris Cité, a rappelé qu'il est impossible de prétendre à de nouvelles aides en cas d'infraction ou si un remboursement d'aides antérieures reste dû.
L'Autorité nationale d'audit pour les fonds
européens,
l'Agence nationale de la cohésion des territoires
et les comités de suivi
• En France, l'autorité d'audit des fonds européens en gestion partagée est désormais l'Autorité nationale d'audit pour les fonds européens (AnAFe), qui a succédé à la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC). Instituée par le décret n° 2023-1067 du 20 novembre 2023, l'AnAFe est placée auprès du ministère chargé des finances et a pour mission de garantir la régularité, la légalité et la bonne gestion financière des fonds européens. Elle agit en toute indépendance et bénéficie d'une compétence nationale pour l'ensemble des programmes opérationnels financés par des fonds structurels et d'investissement européens. L'AnAFe contrôle la qualité des systèmes de gestion et de contrôle mis en oeuvre par les autorités de gestion, certifie les dépenses déclarées à la Commission européenne, et émet un avis d'audit annuel sur la fiabilité des comptes et la conformité des opérations516(*).
• Chaque programme opérationnel doit être doté d'un comité de suivi, institué par l'État membre en concertation avec l'autorité de gestion concernée. En France, ce comité est généralement coprésidé par le préfet de région et le président du conseil régional (ou leurs représentants). Il réunit également des représentants de la Commission européenne, des administrations centrales compétentes (ministères de l'intérieur, de l'emploi, de l'agriculture, de l'aménagement du territoire), des préfets de département, des chambres consulaires régionales, du trésorier-payeur général, du Conseil économique, social et environnemental régional, ainsi que des conseils départementaux. Le comité de suivi se réunit au moins une fois par an pour examiner l'état d'avancement du programme, s'assurer de la bonne utilisation des crédits, proposer d'éventuels ajustements, et veiller à la conformité des opérations avec les priorités fixées.
• Les États membres ont aussi la possibilité de désigner une autorité de coordination, chargée de faire le lien entre la Commission européenne et les différentes autorités nationales impliquées dans la gestion des fonds. Cette autorité a pour mission de faciliter la concertation avec la Commission européenne, de coordonner l'action des autorités de gestion et de certification, et de veiller à la bonne application du droit européen. En France, pour la période 2021-2027, cette fonction de coordination a été confiée à différents organismes en fonction des fonds concernés. L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) assure cette mission pour le Feder, le FSE+ et le FTJ (Fonds pour la transition juste).
Les contrôles des aides européennes sont donc effectués à divers niveaux : régional, national (AnAFe) et européen (direction générale d'audit de la Commission européenne et Cour des comptes européenne).
(2) Le contrôle des fonds européens issus de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR)
Le mécanisme de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) constitue le principal volet du plan de relance NextGenerationEU et représente la réponse budgétaire majeure de l'Union européenne à la crise du covid. Dotée initialement de 723,8 milliards d'euros, combinant subventions et prêts, la FRR vise à renforcer la cohésion économique, sociale et territoriale de l'UE. De plus, elle a pour but d'atténuer les impacts socio-économiques de la pandémie tout en soutenant les transitions écologique et numérique. Les plans nationaux détaillent les réformes et investissements que les États membres s'engagent à réaliser en contrepartie des fonds du FRR. La Commission européenne gère directement la FRR, tandis que les États membres sont les bénéficiaires des subventions et les emprunteurs des prêts.
La FRR finance des mesures mises en oeuvre dans les pays de l'UE entre février 2020 et août 2026. Pour accéder à ces fonds, les États membres ont soumis leurs PNRR à la Commission pour évaluation et approbation par le Conseil. Ces plans incluent des mesures visant à répondre aux défis identifiés dans le cadre du Semestre européen, qui coordonne les politiques économiques et sociales de l'UE. La FRR soutient financièrement les États membres par des mesures réparties en six piliers. La mise en oeuvre de chaque mesure est évaluée à travers des jalons qualitatifs et des cibles quantitatives. Des indicateurs communs permettent de suivre les progrès et d'évaluer l'efficacité du FRR par rapport à ses objectifs. Conformément au règlement FRR517(*), la Commission européenne vérifie l'atteinte satisfaisante de ces jalons et cibles avant tout décaissement. En cas de non-respect, la Commission peut bloquer ou réduire les contributions financières allouées à l'État membre concerné.
Dans le cas du plan de relance européen, les fonds sont exécutés en gestion directe ou partagée selon les cas, avec des exigences supplémentaires en matière de résultats, de réformes structurelles et de conditionnalité. Cette superposition de normes et de mécanismes de contrôle accroît la complexité administrative, tout en renforçant la nécessité d'une coordination rigoureuse entre l'État, les régions, la Commission européenne et les organes de contrôle indépendants. Dans un rapport de février 2025, la Cour des comptes européenne a déploré, à ce propos, le manque de clarté de la notion de « performance » car la Commission européenne « ne collecte ni n'utilise d'informations sur les coûts réels » des projets, tandis que « l'approche adoptée pour définir les jalons et les cibles, dont la réalisation satisfaisante conditionne le paiement, diffère d'un État membre à l'autre »518(*).
5. Les autres aides des collectivités territoriales : certaines régions en pointe
Les collectivités territoriales, lorsqu'elles octroient des aides financières aux entreprises, sont investies d'un pouvoir de contrôle sur l'utilisation des subventions versées. En application de l'article L. 1611-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT), toute entité ayant bénéficié d'une subvention locale est tenue de se soumettre au contrôle des délégués de la collectivité dispensatrice. Cela implique, pour les bénéficiaires, l'obligation de transmettre une copie certifiée conforme de leurs budgets et comptes annuels, ainsi que les documents attestant des résultats de leurs activités519(*). Le code général des collectivités territoriales (CGCT) impose aux régions d'établir un rapport annuel recensant les aides versées aux entreprises sur leur territoire durant l'année précédente et de le transmettre avant le 31 mai à la DGCL, qui les consolide et les transmet à la Commission européenne avant le 30 juin. Le montant des aides de minimis, pour lesquelles un recensement national n'est actuellement pas obligatoire, mais qui est essentiel pour évaluer les aides aux entreprises, n'est plus collecté depuis 2016.
La commission d'enquête, sur la base des réponses fournies par Régions de France au questionnaire du rapporteur, souligne que chaque demande d'aide présentée par une entreprise est soumise à plusieurs vérifications lors du versement des acomptes ou du solde. Ces vérifications portent sur l'atteinte des objectifs fixés, les dépenses effectuées par l'entreprise, le taux de co-financement, ainsi que le respect des conditions associées à l'aide si de telles conditions ont été établies par la région.
Dans son rapport public annuel de 2023, la Cour des comptes relève toutefois « plusieurs exemples » illustrant « la nécessité de renforcer le contrôle du respect des critères d'éligibilité et d'attribution des aides afin de limiter les risques de fraude »520(*). La Cour cite le cas de la région Pays de la Loire, où la chambre régionale des comptes a relevé, sur la période 2012-2018, que sur 42 dossiers contrôlés, seuls 2 % contenaient les éléments requis pour le suivi des aides versées. Fort heureusement, depuis ce contrôle, la région a indiqué « avoir mis en place un nouveau cadre d'octroi et de suivi des aides ». Comme l'a souligné Mme Anémone Cartier-Bresson, professeur de droit public à l'Université Paris Cité, lors de son audition le 4 février dernier devant la commission d'enquête, l'efficacité de ces contrôles demeure hétérogène d'une région à l'autre.
Un exemple de projet ayant fait l'objet d'une remise en cause de l'aide régionale est celui d'une entreprise située à Mazères dans l'Ariège. Cette entreprise avait bénéficié d'une aide de 900 000 euros issue du Feder sous forme d'avance remboursable versée par la région Occitanie. Cependant, en raison du non-respect de l'obligation de conserver les équipements sur une durée de cinq ans après la fin de la réalisation du projet, la région a exigé le remboursement intégral de l'aide et a porté plainte521(*).
Lors de son audition le 11 juin dernier, M. Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France, a indiqué que « l'essentiel, c'est que l'octroi des aides soit conditionné à la réalisation effective du projet. Nous examinons donc deux choses : les investissements ont-ils été réalisés ? Les emplois annoncés ont-ils été créés ? Si ce n'est pas le cas, l'aide n'est versée qu'à proportion des engagements tenus. Il m'est arrivé à plusieurs reprises de valider des dossiers dans lesquels les investissements n'étaient réalisés qu'à moitié et les recrutements effectués au tiers : dans ce cas, le tiers seulement de la subvention est versé ».
* 491 Conseil d'État, 30 mars 1979, section, Secrétaire d'État aux universités et université de Bordeaux II, n° 09369.
* 492 Conseil d'État, section, 6 novembre 2002, n° 223041.
* 493 Cette règle, issue de la jurisprudence « Ternon » du Conseil d'État du 26 octobre 2001, a ensuite été codifiée à l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui dispose que « l'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ».
* 494 Article L. 242-2 du code des relations entre le public et l'administration.
* 495 Conseil d'État, 9 décembre 2021, FranceAgrimer, n° 433968.
* 496 Article L. 211-2, 4°, du code des relations entre le public et l'administration.
* 497 Article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, aux termes duquel « les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix./ L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ».
* 498 Conseil d'État, guide des outils d'action économique, fiche n° 2 « subventions », version 2024/2025, p. 13.
* 499 Conseil d'État, 8 juillet 1988, Premier ministre c/ Société angérienne des bois déroulés et contreplaqués S.A.B.D.E.C., n° 69220 ; Conseil d'État, 26 novembre 1993, Ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire c/ Société industrielle française du tout terrain, n° 103579 ; Conseil d'État, 25 mai 2018, SCI Marphi, n° 412502.
* 500 Par exemple, l'article 1er du décret-loi du 25 juin 1934 relatif aux subventions aux sociétés privées, modifié par l'article 14 du décret du 2 mai 1938 prévoyait déjà que « toute association, société ou collectivité privée qui reçoit une subvention de l'État est tenue de fournir ses budgets et comptes au ministre qui accorde la subvention. Elle peut en outre être invitée à présenter les pièces justificatives des dépenses et tous autres documents dont la production serait jugée utile. Tout refus de communication entraînera la suppression de la subvention ».
* 501 Conseil d'État, 23 mars 1990, Société Multitransports A. Jamon, nos 67122, 77501 et 77502.
* 502 Droit des aides publiques aux entreprises, Thèmis droit, Presses universitaires de France, octobre 2020, p. 149.
* 503 Conseil d'État, 5 juillet 2010, CCI Indre, n° 308615.
* 504 Conseil d'État, 29 mai 2019, n° 428040, cons. 3, A.
* 505 Conseil d'État, 4 avril 2014, n° 358994.
* 506 Droit des aides publiques aux entreprises, Thèmis droit, Presses universitaires de France, octobre 2020, p. 311.
* 507 Article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales pour les communes, et article L. 4141-2 du même code pour les régions.
* 508 Article L. 133-5-3 du code de la sécurité sociale.
* 509 Article L. 213-1 du code de la sécurité sociale.
* 510 Urssaf, 7 mars 2025, « Communiqué de presse - Lutte contre la fraude : un niveau historique de redressements réalisés par le réseau des Urssaf en 2024 ».
* 511 Urssaf, Essentiel 2022 « Contrôle des usagers ».
* 512 Article L. 243-6-3 du code de la sécurité sociale.
* 513 Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, l'AnAFe indique qu'elle ne mène pas d'audits ou de contrôles spécifiques concernant les aides aux entreprises. Elle précise que ces audits sont standardisés, indépendamment du fonds européen concerné ou du type de bénéficiaire, qu'il s'agisse d'une personne physique, d'une entreprise ou d'une collectivité publique. Des vérifications spécifiques en matière d'aides d'État sont toutefois prévues lorsque les projets impliquent des entreprises, avec des règles qui varient selon leur taille.
* 514 Voir par exemple le rapport spécial n° 10/2015 de la Cour des comptes européenne : « Les problèmes liés aux marchés publics dans le cadre des dépenses de cohésion de l'UE nécessitent des efforts supplémentaires ».
* 515 Dans ses réponses écrites au questionnaire du rapporteur, l'AnAFe rappelle qu'elle a l'obligation de signaler trimestriellement à l'OLAF, via la plateforme IMS (Irregularity Management System), toute irrégularité dépassant 10 000 euros ainsi que tous les cas de fraude ou de suspicion de fraude, indépendamment du montant (article 69 du règlement RPDC).
* 516 Dans ses réponses écrites au questionnaire du rapporteur, l'AnAFe déclare avoir audité 751 opérations en 2023 (exercice comptable allant du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023).
* 517 Règlement (UE) 2021/241 du Parlement européen et du Conseil du 12 février 2021 établissant la facilité pour la reprise et la résilience.
* 518 Cour des comptes européenne, document d'analyse 02/2025 : « Orientation sur la performance, obligation de rendre compte et transparence : quelles leçons tirer des points faibles de la FRR ? », p. 8.
* 519 Anémone Cartier-Bresson, Droit des aides publiques aux entreprises, Paris, Presses Universitaires de France, 2020, pp. 226-227.
* 520 Cour des comptes, Les compétences de développement économique des collectivités territoriales : une rationalisation inachevée, un pilotage à renforcer, rapport public annuel 2023, mars 2023, p. 236.
* 521 Exemple donné par Régions de France dans les réponses écrites au questionnaire du rapporteur.