D. UN « CHOC D'ÉVALUATION » DES AIDES PUBLIQUES AUX ENTREPRISES

Notre pays ne doit plus avoir la passion des normes, mais celle de l'évaluation. Bien souvent les objectifs de communication politique ont primé sur la concertation, le ciblage des aides publiques et l'élaboration en amont d'un cadre sérieux d'évaluation de leurs effets.

En somme, évaluer doit devenir une « seconde nature » pour les responsables politiques et l'administration. C'est à ce prix que la confiance des citoyens dans l'action publique sera retrouvée.

1. Prévoir les conditions d'évaluation des aides dès leur création

Lors de son audition le 3 mars 2025 par la commission d'enquête, Mme Mathilde Lignot-Leloup, présidente de section de la première chambre de la Cour des comptes, a abondé dans le sens de plusieurs commissaires en indiquant que selon la Cour « la qualité de ces évaluations est variable, selon, notamment, que le recueil des données nécessaires au suivi et à l'évaluation a été prévu ou non dès l'élaboration du dispositif. Les efforts doivent se poursuivre pour concevoir, dès la création d'une aide aux entreprises, le dispositif qui garantira son suivi et pour définir les indicateurs qui permettront son évaluation, et, le cas échéant, l'évolution de ces derniers. »

Cette recommandation, partagée par l'ensemble des commissaires, doit faire l'objet d'une attention particulièrement rigoureuse de la part des personnes qui octroient des aides. Elle suppose de systématiquement privilégier la mise en place d'aide publique de façon temporaire ou expérimentale, en subordonnant le maintien ou la pérennisation de l'aide à une mesure d'évaluation (ou à une revue de dépenses) communiquée au Parlement ou produite par le Gouvernement.

Le rapporteur ayant cependant constaté la difficulté de procéder à certaines évaluations, faute de données ou de volonté suffisante une fois la mesure adoptée, il préconise de fixer les conditions d'évaluation dans le texte juridique qui instaure la mesure d'aide. Ce travail a priori doit notamment permettre de bâtir un protocole expérimental robuste, et de s'assurer de la collecte des données nécessaires durant les premières années de déploiement d'une aide.

Recommandation

Libellé

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Échéancier

Support

23

Fixer les conditions dans lesquelles une aide publique sera évaluée dès le moment de sa création.

Gouvernement, Sécurité sociale, collectivités territoriales et Parlement

Immédiat

Instruction

2. Consolider les indicateurs de performance associés aux dépenses fiscales dans la documentation budgétaire en opérant le suivi prioritaire des plus coûteuses d'entre elles

La loi organique relative aux lois de finances (Lolf) du 1er août 2001 avait notamment pour objectif de mettre en place des instruments de pilotage par la performance des dépenses publiques.

C'est dans ce contexte qu'ont été créés des indicateurs de performance, lesquels correspondent à des mesures quantitatives ayant pour objet d'objectiver l'efficience et l'efficacité des dépenses publiques pour les missions et programmes du budget de l'État. Selon un constat consensuel, partagé notamment par la commission des finances du Sénat et la Cour des comptes, l'appareil de suivi de la performance des dépenses publiques à travers les indicateurs de performance n'a pas permis de rationnaliser le pilotage des dépenses de l'État. De manière plus préoccupante, l'inflation des indicateurs de performance a donné lieu à l'émergence d'une « bureaucratie de la performance » qui constitue une charge substantielle pour l'ensemble des services administratifs concernés, au premier rang desquels la direction du budget.

Le cas du suivi des dépenses fiscales ne fait pas exception à ce sombre constat. La commission d'enquête relève à ce titre que l'architecture actuelle de la documentation budgétaire ne prévoit pas de rassembler les indicateurs de performance des dépenses fiscales en un document unique afin de disposer d'une vision globale. Le Gouvernement se contente de faire figurer au tome II de l'annexe « Évaluation des voies et moyens » du projet de loi de finances une sous-partie VI « Indicateurs de performance » qui s'apparente à un index, sous forme de tableau synthétique, opérant des renvois vers différents rapports annuels de performance, c'est-à-dire vers d'autres documents budgétaires.

Ce travail d'indexation apparait comme étant largement insuffisant au regard des enjeux associés. À titre d'exemple, pour le CIR, qui constitue la première dépense fiscale du budget avec un coût estimé à 7,9 milliards d'euros en 2024, les deux sous-indicateurs dont le Parlement disposent ne sont pas satisfaisants.

En effet, le premier sous-indicateur concerne le coefficient multiplicateur du CIR sur les dépenses de R&D. Si cet indicateur est pertinent dans l'absolu, il est absolument incompréhensible qu'il soit utilisé comme instrument de pilotage de la dépense fiscale, alors même que les documents budgétaires continuent de s'appuyer sur une étude remontant à 2019 et n'ayant pas fait l'objet d'une actualisation. Le choix de l'administration de faire reposer le pilotage du CIR sur un indicateur correspondant à des données remontant six années en arrière interroge sur le sérieux avec lequel le suivi du dispositif est mis en oeuvre.

De la même manière, le second sous-indicateur, qui concerne le taux de rotation des entreprises bénéficiaires du CIR, non seulement présente le même défaut de non-actualisation des données que pour le premier sous-indicateur, mais pâtit en outre d'une cible fixée à 20 % par l'administration sans aucune justification explicite, étant précisé que cette cible a été retenue « en attente des comparaisons internationales disponibles ».

La commission d'enquête propose par conséquent que soit mené un travail de refonte complet des indicateurs de performance associés aux dépenses fiscales en recentralisant ces indicateurs au sein du tome II de l'annexe « Évaluation des voies et moyens » du projet de loi de finances (VMT2).

Au regard de l'ampleur de ce chantier, la commission d'enquête estime qu'il est prioritaire d'effectuer ce travail pour les quinze dépenses fiscales les plus coûteuses dont la liste figure chaque année dans le tome II de l'annexe « Évaluation des voies et moyens » du projet de loi de finances (VMT2).

Recommandation

Libellé

Destinataire

Échéancier

Support

24

Compléter la documentation budgétaire en faisant figurer chaque année, dans le tome II de l'annexe relative aux « Voies et moyens » du projet de loi de finances, des indicateurs de performance rénovés pour les quinze dépenses fiscales les plus coûteuses.

Gouvernement, Parlement

2e semestre 2026

Documentation budgétaire

3. Confier au Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (HCSP) une mission de coordination du suivi des subventions

Si les aides publiques aux entreprises versées sous forme de subventions budgétaires font l'objet d'un contrôle étroit, notamment en cas de contractualisation entre le bénéficiaire final et la personne publiques octroyant cette aide, les dispositifs de suivi et d'évaluation de ces aides doivent être renforcés.

Il serait utile, tant pour le Gouvernement que pour le Parlement, de disposer d'une méthodologie concertée et harmonisée sur l'évaluation des aides publiques aux entreprises. Il convient de s'inspirer des dispositifs internes d'évaluation mis en place par certains opérateurs de l'État à l'image de Bpifrance, comme l'a souligné M. Nicolas Dufourcq, son directeur général, lors de son audition le 19 mars 2025 devant la commission d'enquête :

« Enfin, notre direction de l'évaluation publie chaque année un volume d'études d'impact de l'ensemble de nos métiers qui est présenté au conseil national d'orientation de Bpifrance auquel participent des parlementaires. J'ai renforcé cette tendance à l'évaluation depuis que je suis entré en fonction il y a plus de dix ans, celle-ci ayant été engagée à l'époque d'Oséo. »

Par suite, et dans le prolongement de la recommandation n° 3, la commission d'enquête propose de confier au Haut-Commissariat à la stratégie et au plan la mission de fixer une méthodologie commune pour les évaluations des subventions publiques versées aux entreprises. Cette méthodologie serait issue d'un travail mené en concertation avec différents acteurs publics et privés. Le Haut-Commissariat serait tenu de publier et d'actualiser cette méthodologie sur son site internet.

Cette méthodologie serait ensuite étendue aux dépenses fiscales.

Recommandation

Libellé

Destinataire

Échéancier

Support

25

Confier au Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (HCSP) une mission d'harmonisation de la méthodologie d'évaluation des subventions puis des dépenses fiscales, en publiant des lignes directrices régulièrement actualisées.

Gouvernement, HCSP

1er semestre 2026

Tous moyens

4. Confier au Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) le soin de réaliser tous les trois ans une évaluation pour chaque dépense fiscale supérieure à 50 millions d'euros, et une revue de dépenses pour les dépenses fiscales inférieures à ce seuil

En complément du mandat de coordination et d'harmonisation méthodologique des évaluations qu'il est proposé de confier au Haut-Commissariat à la stratégie et au plan, la spécificité des dispositifs de dépense fiscale justifie de désigner une autre institution comme évaluateur de référence de ces aides publiques aux entreprises.

Dans sa revue de dépenses de mars 2024 consacrée aux aides aux entreprises, l'Inspection générale des finances avait souligné la nécessité d'une évaluation des dépenses fiscales par une cellule dédiée :

« La mission estime qu'une réflexion sur les moyens nécessaires à une évaluation plus fréquente de l'efficacité des dépenses fiscales pour atteindre l'objectif fixé devrait être engagée. Elle pourrait conduire à la création - dans une instance non opérationnelle, comme le Conseil des prélèvements obligatoires ou l'Inspection générale des finances - d'une cellule consacrée à cette évaluation, qui aurait un accès permanent aux données fiscales collectées par la direction générale des finances publiques et aux administrations pilotant les politiques publiques concernées »617(*).

La création d'une cellule dédiée permettrait d'actualiser le travail de revue exhaustive des dépenses fiscales réalisé avec l'aide de l'Inspection générale des finances en juin 2011, le « rapport Guillaume »618(*), et qui n'a pas fait l'objet d'une actualisation depuis cette date.

La commission d'enquête considère que cette cellule devrait prendre place au sein du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Créé en 2005 en substitution du Conseil des impôts, composé à parité de hauts fonctionnaires et de personnalités qualifiées et associé à la Cour des comptes619(*), cet organisme s'est vu confier une mission générale d'évaluation de l'impact de l'ensemble des prélèvements obligatoires. Ses missions sont définies aux articles L. 331-1 à L. 331-14 du code des juridictions financières.

Le fait de confier expressément au CPO la mission de réalisation d'une revue de dépenses pour chaque dépense fiscale aurait l'avantage de désigner clairement un responsable unique pour la réalisation de cette tâche essentielle à l'éclairage de la décision publique.

Au regard du nombre de dépenses fiscales en 2025, il convient de fixer des règles de sélection des dépenses à évaluer.

La commission d'enquête estime que le CPO devrait, tous les trois ans, évaluer directement ou indirectement620(*) les dépenses fiscales dont le coût est supérieur à 50 millions d'euros par an621(*), ce qui nécessiterait de modifier notamment l'article L. 331-1 du code des juridictions financières622(*).

Pour les autres dépenses fiscales, une simple revue de dépenses serait justifiée.

Recommandation

Libellé

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Échéancier

Support

26

Confier au Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) le soin de réaliser tous les trois ans une évaluation pour chaque dépense fiscale supérieure à 50 millions d'euros, et une revue de dépenses pour les dépenses fiscales inférieures à ce seuil.

Gouvernement

1er semestre 2026

Tous moyens


* 617 IGF, mars 2024, Revue de dépenses : les aides aux entreprises, p. 10.

* 618 Henri Guillaume, juin 2011, Rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales.

* 619 Loi n° 2005-358 du 20 avril 2005 tendant à créer un Conseil des prélèvements obligatoires.

* 620 Aux termes de l'article L. 331-8 du code des juridictions financières, « Le Conseil des prélèvements obligatoires peut faire appel à toute compétence extérieure de son choix. En particulier, le conseil peut désigner des rapporteurs chargés de recueillir les informations nécessaires à l'exercice de ses missions. »

* 621 Il existe 37 dispositifs de dépense fiscale dont le coût annuel excède 500 millions d'euros en 2025.

* 622 « Il est institué un Conseil des prélèvements obligatoires, placé auprès de la Cour des comptes et chargé d'apprécier l'évolution et l'impact économique, social et budgétaire de l'ensemble des prélèvements obligatoires, ainsi que de formuler des recommandations sur toute question relative aux prélèvements obligatoires. »

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