EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 2 juillet 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial, sur la politique de l'État en faveur de la filière du livre.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons entendre une communication de M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » sur la politique de l'État en faveur de la filière du livre.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial. - Lors de nos réunions, nous avons davantage l'habitude de citer des rapports administratifs plutôt que des romans. Je vous propose ce matin de concilier les deux, en vous présentant le résultat de mes travaux sur les interventions de l'État en faveur de la filière du livre. Plus précisément, ce contrôle budgétaire porte sur la politique économique du livre, par conséquent, sur les aides de l'État accordées aux auteurs, aux éditeurs et aux libraires.

Pour commencer, je donnerai quelques éléments de contexte sur la vente de livres en France. La politique de soutien à la filière du livre comporte une dimension relevant de l'aménagement du territoire. Si la moitié des 3 000 librairies indépendantes en France sont situées dans un grand centre urbain, 30 % d'entre elles sont implantées dans des petites villes ou des milieux ruraux, voire très ruraux. En outre, les modes de consommation évoluent : en 2024, les achats de livres étaient effectués pour 27 % d'entre eux dans les librairies, contre 30 % dans de grandes surfaces spécialisées dans les produits culturels et 20 % en ligne.

Le secteur du livre a connu une sorte de bulle économique immédiatement après la crise sanitaire : plus de 270 communes disposent ainsi d'une nouvelle librairie, créée au cours des quatre dernières années. Toutefois, les indicateurs financiers révèlent que cette euphorie économique a été de courte durée : après une envolée en 2020 et 2021, le chiffre d'affaires du secteur de la librairie est redevenu moins dynamique que celui de l'ensemble des commerces de détail dès 2022. Le taux de marge des librairies est, quant à lui, structurellement plus faible que celui de l'ensemble des commerces. Pour ce qui concerne les éditeurs de livres, leur taux de valeur ajoutée est également plus bas que celui des autres industries culturelles.

J'en viens à la politique du livre proprement dite. En premier lieu, il faut garder à l'esprit que l'action de l'État en faveur de la filière du livre passe, pour l'essentiel, par la régulation normative du secteur. Le prix unique du livre, instrument qui fait désormais consensus, constitue le premier axe de soutien de l'État. En second lieu, la politique de l'État est essentiellement orientée vers le développement de la lecture publique, par conséquent vers les bibliothèques. La Bibliothèque nationale de France bénéficie, à elle seule, de 245 millions d'euros. Ces crédits complètent l'action des collectivités territoriales à destination des bibliothèques, qui s'élève à environ 1,7 milliard d'euros.

Par conséquent, le soutien de l'État à la filière du livre ne représente qu'un effort financier assez réduit, à l'exception du taux réduit de TVA.

Le taux de TVA de 5,5 %, qui s'applique à l'achat de livres, est, en effet, le premier instrument de soutien direct de l'État à la filière. Son coût pour les finances publiques s'élève à quelque 600 millions d'euros de moindres recettes par an. Les dépenses d'achat de livres représentent la même proportion - 1 % environ - des dépenses des ménages les moins aisés et des plus riches. Toutefois, le décile de population le plus riche achète des livres à hauteur de 294 millions d'euros par an, contre 84 millions d'euros pour le premier décile.

Par ailleurs, ce taux réduit de TVA n'est pas considéré comme une dépense fiscale, contrairement à d'autres taux réduits applicables aux industries culturelles. Son coût ainsi que ses bénéficiaires sont, en conséquence, très peu suivis par le ministère de la culture comme par Bercy. Au regard du coût de ce dispositif, qui est sans commune mesure avec celui des soutiens directs à la filière du livre, il est impératif de disposer d'une analyse plus fine.

En dehors du taux réduit de TVA, la filière du livre est en réalité peu subventionnée. En 2024, les aides directes versées par le Centre national du livre (CNL) ne représentaient que 22 millions d'euros et celles qui sont versées par les directions régionales des affaires culturelles (Drac) 4,8 millions d'euros.

Le CNL est l'opérateur de l'État pour la politique économique du livre. Son budget de 28 millions d'euros est consacré aux deux tiers à l'intervention directe auprès du secteur. Le CNL soutient tous les maillons de la chaîne du livre : ainsi, 20 % des 3 000 aides accordées sont versées aux auteurs, 23 % aux éditeurs et 16 % aux librairies. Le montant des aides à destination des librairies est, en moyenne, deux fois supérieur à celui des aides accordées aux auteurs et aux éditeurs.

Au regard de la faiblesse du montant moyen des aides accordées par le CNL, il est possible de s'interroger sur un risque de saupoudrage des aides. Sans l'écarter, l'analyse des données va plutôt dans le sens d'un ciblage pertinent. Tout d'abord, les librairies percevant des aides sont, en moyenne, structurellement moins rentables que les autres ; les aides sont donc dirigées vers les librairies les plus en difficulté. Ensuite, près de la moitié des aides aux librairies sont attribuées à des commerces situés dans des communes de moins de 30 000 habitants. Enfin, 79 % des aides aux éditeurs sont versées à de petites et moyennes maisons d'édition.

Le processus d'attribution des aides du CNL, quoique transparent, est très lourd. Je formule plusieurs recommandations pour les simplifier. Il me paraît, en particulier, nécessaire de supprimer la possibilité, pour le CNL, d'accorder des prêts. En effet, le volume des prêts reste réduit - 2,3 millions d'euros en 2024 pour 67 projets - et d'autres acteurs dont c'est le coeur de métier existent ; le rôle du CNL devrait ainsi être recentré sur l'attribution de subventions.

Quant aux aides des Drac à la filière du livre, celles-ci sont d'un montant très modeste, selon les critères de la commission des finances pour laquelle l'unité de compte est bien souvent le milliard d'euros. En 2024, la région d'Île-de-France mise à part, aucune région n'accordait plus de 550 000 euros d'aides. Ces dernières sont le plus souvent fléchées vers les structures régionales du livre, institutions qui réunissent les Drac, le CNL et les régions.

Je souhaite revenir brièvement sur la période de la crise sanitaire. Comme pour nombre de secteurs économiques, l'État a réagi en débloquant, dans l'urgence, des montants de crédits importants. Au total, entre 2020 et 2022, 43 millions d'euros d'aides exceptionnelles ont été accordés par le CNL à la filière du livre. La proportion de librairies percevant au moins une aide des Drac ou du CNL a progressé jusqu'à 42 % en 2020, contre 7 % à 9 % en temps normal. Or les achats de livres ont paradoxalement augmenté pendant cette période. Par conséquent, une part non négligeable des fonds d'urgence n'ont pas été consommés et ont été redéployés. En outre, une surrentabilité des librairies a été constatée en 2020, leur permettant même d'obtenir un taux de marge moyen plus élevé que celui réalisé par le reste du commerce de détail. Dans ce secteur, comme dans beaucoup d'autres, le déblocage massif d'argent n'aurait sans doute pas été indispensable en 2020 pour nombre de librairies.

Enfin, au-delà des aides directes, un certain nombre de dispositifs bénéficient au secteur du livre ; c'est notamment le cas du pass Culture. En 2024, les achats de livres par ce biais ont représenté 89 millions d'euros, soit trois fois le montant des aides directes du CNL. L'impact économique du pass Culture sur la filière du livre peut donc s'apparenter à celui d'une aide d'État massive. Pourtant, rappelons-le, celui-ci n'a jamais eu vocation à subventionner les industries culturelles.

Pour terminer, je souhaite partager quelques éléments de comparaison entre la filière du livre et les autres industries culturelles. Ainsi, pour ce qui concerne les financements publics, il est frappant de constater que le secteur du livre est un « bon élève » par rapport à d'autres secteurs sur-subventionnés.

Premier secteur au sein des industries culturelles en termes de chiffres d'affaires, il est pourtant - et de très loin - celui qui est le moins directement aidé. En effet, les aides du CNL ne représentent que 0,23 % du chiffre d'affaires total du secteur, un niveau très largement inférieur à celui des autres industries culturelles, soit 3,3 % pour la musique et jusqu'à 15 % pour les secteurs soutenus par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), dont le budget est sans commune mesure avec les moyens des autres opérateurs.

L'écart est encore plus frappant pour ce qui concerne le rapport entre la dépense fiscale, définie au sens large en y incluant l'ensemble des taux réduits de TVA, et la valeur ajoutée totale du secteur. La dépense fiscale représente 6 % de la valeur ajoutée du secteur du livre, mais jusqu'à 35 % de celle du secteur du cinéma !

Ma principale conclusion est que le secteur du livre est relativement indépendant des financements publics ; les autres industries culturelles gagneraient à s'en inspirer. Nul doute que nous en débattrons lors du prochain projet de loi de finances (PLF).

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Quelques éléments sont contre-intuitifs. Ainsi, dans des départements à dominante rurale, la proportion de librairies par habitant est plus élevée que celui de départements plus peuplés et dotés de plus grandes villes ; il s'agit peut-être de départements bénéficiant d'aides plus importantes. Il serait intéressant d'approfondir ces données pour sortir des idées reçues.

En liaison avec la commission de la culture, il serait aussi utile d'analyser l'évolution du lectorat ; il me semble d'ailleurs que le livre numérique plafonne. Le nombre de salons littéraires organisés dans de nombreuses villes et communes, ainsi que la renaissance et le déploiement des bibliothèques soutenus par les politiques départementales vont à l'encontre de l'idée assez communément répandue selon laquelle nous assistons à la fin du livre, qui serait une industrie dont l'avenir s'assombrit. Jean-Raymond Hugonet pourrait, peut-être, nous donner quelques informations sur ces sujets.

Je retiens de cette présentation que la filière du livre est, certes, aidée, mais bien moins que d'autres, alors qu'elle participe au creuset culturel de notre pays. Nous devrions en tirer des enseignements pour ce qui concerne les facteurs favorisant sa vitalité et pour continuer de faciliter l'accès à la lecture dans nos territoires. On pourrait penser, à tort, que ce sujet est très restreint. Je souscris aux recommandations du rapport de Jean-Raymond Hugonet.

M. Arnaud Bazin. - Selon le rapporteur spécial, en termes de dépenses fiscales, le taux réduit de TVA coûterait plus cher pour le dernier décile de revenus que pour le premier décile. J'espère qu'il ne propose pas une TVA différentielle selon le revenu fiscal de référence ! L'argument peut d'ailleurs être retourné, puisque le dernier décile paie davantage de TVA, en valeur absolue, que le premier décile.

Pour ce qui concerne le livre numérique, quelle taxation lui est appliquée ? La diffusion de cette pratique de lecture plafonne-t-elle ou, au contraire, devient-elle plus fréquente ? Quels en sont les effets sur les maisons d'édition ? Quels sont les besoins en matière d'aides ?

Mme Christine Lavarde. - Le rapporteur spécial fait des propositions pour mieux articuler les actions de l'administration centrale, de l'administration déconcentrée et du CNL en matière de politique de soutien à la lecture.

En effet, ces trois acteurs ont été mobilisés dans le cadre du plan de relance. On aurait pu se demander pourquoi l'administration centrale a été chargée d'encourager les jeunes à venir dans les librairies et non pas les services déconcentrés...

Au-delà de cet exemple, pensez-vous que l'organisation de la politique de soutien au livre est optimale ?

M. Claude Raynal, président. - Ce rapport est dense. Mais j'ai du mal à identifier la recommandation principale. Faut-il supprimer les prêts accordés par le CNL ? Lorsqu'il s'agit de 2 millions d'euros, cela ne me semble pas une question majeure.

Votre analyse est plutôt positive : les actions menées par l'État, les régions et les communes semblent traiter la question correctement.

À mes yeux, les librairies qui ont été en grande difficulté se sont relevées grâce à un changement de pratiques, au travers de présentations d'auteurs ou de services de petite restauration qui en font des lieux de vie intéressants, vivants et attirants.

Le secteur du livre n'est pas tout à fait à l'équilibre, mais n'en est pas loin. J'ai donc l'impression que votre appréciation est positive et, sauf si vous me dites le contraire, qu'aucune modification marquante n'est à apporter.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial - Nous voyons souvent, dans cette commission, le chaos budgétaire et le manque de contrôle. Or, dans ce domaine qui réclame peu de subventions, l'argent public est bien utilisé. C'est plutôt satisfaisant. Les quelques actions qui auront lieu, sur la base de mes recommandations, interviendront donc le cas échéant à la marge.

Il ne s'agit pas de supprimer les prêts, mais de faire en sorte qu'ils ne soient pas accordés par le CNL. Ce dernier se concentrerait sur les subventions, qui sont toujours un sujet délicat - pourquoi tel auteur plutôt que tel autre ? Les prêts seraient, quant à eux, laissés à des structures plus habilitées à les octroyer et qui assurent d'ailleurs déjà cette mission.

Cette filière est effectivement dynamique et agile. Devant l'adversité, même si les aides publiques ont pu profiter à certains au-delà de leurs espérances en raison d'un manque de contrôle de l'État, elle a su se modifier pour offrir d'autres services. Nous l'avons tous vu dans les librairies de nos communes.

Monsieur le rapporteur général, les auditions ont montré que la politique du livre était presque un exemple de décentralisation. Avec les contrats de filière, l'État et les régions se coordonnent, localement, avec des professionnels passionnés, pour viser la plus grande efficacité possible. Cela devrait servir d'exemple pour d'autres thématiques.

La politique du livre est une action majeure dans nos territoires. Qui n'a pas son salon littéraire, son salon du livre jeune, ou autre ? Les bibliothèques évoluent aussi, comme les librairies. Elles deviennent de plus en plus des lieux de vie, parfois avec les moyens du bord. Ce n'est pas forcément dans les grandes communes que l'on trouve les initiatives les plus originales. De plus, la bibliothèque est un endroit de convergence intergénérationnelle. Patrimoine historique majeur, elle est aussi un creuset culturel. Cette réalité est vécue dans tous les territoires, urbains comme très ruraux.

Concernant la TVA, je faisais un constat sur les différences de consommation selon les déciles de revenus. En outre, il faut avoir à l'esprit que les plus riches ne se tournent pas forcément vers le même genre de livre que les moins aisés. Aucune offre de TVA différentielle n'est à l'étude.

J'en viens à la taxation du numérique. La production de titres numériques a crû de 124 % en dix ans. Certes, elle partait de très bas. Le nombre de livres numériques représente environ la moitié du stock de livres physiques. Les ventes en ligne de livres sont stables, comprises entre 18 % et 20 % depuis dix ans. La TVA appliquée au livre numérique est, comme pour le livre physique, à 5,5 %.

Madame Lavarde, ce qui ressort du rapport est plutôt positif, mais il y a certainement des améliorations à apporter, notamment en matière d'organisation.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'économie du livre est la première économie culturelle, en chiffre d'affaires. Cependant, pour éviter un effet de saupoudrage, des progrès pourraient être effectués. Il reste néanmoins que les sommes d'argent public consacrées à cette politique, quoiqu'importantes, forment en réalité l'épaisseur du trait par rapport à ce que l'on voit dans d'autres domaines.

Nous veillerons à parfaire l'organisation. J'espère que ce rapport constituera une contribution intéressante à cet égard.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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