C. UN PILOTAGE STRUCTURÉ PAR LE BIAIS DES CONTRATS DE FILIÈRE, PERMETTANT UNE ASSOCIATION INDISPENSABLE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

La politique économique du livre est non seulement très déconcentrée, mais également très décentralisée. Dans le cadre de leur compétence en matière de développement économique, les régions sont les principales interlocutrices des DRAC en soutien de la filière du livre. Les départements n'ont quant à eux pas de compétence en matière de politique économique du livre (bien que pouvant intervenir localement et indirectement par le biais de l'approvisionnement des bibliothèques départementales). Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale ont depuis 202111(*) la possibilité de soutenir les librairies par des subventions, mais ces interventions demeurent très limitées en volume. Les communes ne peuvent par ailleurs pas accorder d'aides à la création de librairies.

Un outil de soutien des communes aux librairies :
les marchés publics d'achats de livres

Les marchés publics pour les ventes de livres aux bibliothèques représentent en moyenne 10 % du chiffre d'affaires des librairies. Les communes peuvent appliquer la dispense de procédures pour les marchés publics de livres inférieurs à 90 000 euros. Ce seuil correspond aux achats moyens annuels de livres non scolaires d'une bibliothèque d'un territoire de 70 000 habitants. Comme précisé dans l'article R. 2122-9 du code de la commande publique, le choix de recourir à la dispense de publicité et de mise en concurrence est motivé par « l'impératif de maintien sur le territoire d'un réseau dense de détaillants qui garantit la diversité de la création éditoriale et l'accès du plus grand nombre à cette création »

Cette mesure découle du constat que le critère du prix, habituellement déterminant pour l'attribution des marchés publics, est quasiment inopérant dans le cas des marchés publics de livres non scolaires. En effet, depuis la loi du 18 juin 2003, les rabais sur les achats de livres non scolaires par les collectivités sont plafonnés à 9 % et la quasi-totalité des fournisseurs proposent ce rabais maximal.

La dispense de procédure, bien que prévue par le code de la commande publique, n'est pas toujours connue ni appliquée par les collectivités.

Source : commission des finances

La politique du livre se caractérise, en dépit de la multiplicité des acteurs et de l'enchevêtrement de compétences, par une coordination approfondie entre les différents acteurs, par le biais de deux outils principaux : les contrats de filière économique d'une part, et les structures régionales pour le livre d'autre part.

1. Les contrats de filière, un outil garantissant la complémentarité des interventions des différents échelons

Concernant le premier aspect, des contrats de filière tripartites, s'inspirant du cinéma, réunissant initialement les DRAC et les régions, puis le CNL après 2014, ont progressivement été déployés depuis le début des années 2010.

Ces contrats de filière pour l'économie du livre, conclus pour une durée de 3 ans entre la région, la DRAC et le CNL, définissent des orientations stratégiques communes. Ils ont également vocation à mutualiser les moyens publics accordés à l'économie du livre au travers d'une convention d'application financière annuelle. Les contrats de filière fonctionnent en effet sur le principe d'un co-financement entre l'État et les collectivités.

Les contrats de filière permettent notamment de limiter les doublons en matière d'invention économique. Ils permettent également de compléter l'action du CNL en axant le soutien des DRAC et des régions sur des librairies et des éditeurs inéligibles aux dispositifs nationaux du CNL. À ce titre, ils constituent des outils précieux pour la lisibilité de l'action publique et permettent d'éviter des interventions dispersées entre l'État et les collectivités. Ces contrats de filière constituent un exemple de coordination qui, s'il n'est pas unique dans le domaine des industries culturelles, est néanmoins à saluer.

Ces contrats couvrent aujourd'hui une majeure partie des régions. La politique territoriale du CNL pour la période 2022-2024 avait pour objectif d'étendre la politique de contractualisation du CNL à l'ensemble des régions métropolitaines, et d'étudier un dispositif ad hoc pour l'Outre-Mer. Cet objectif n'est pas encore tenu à l'heure actuelle, malgré des progrès. On dénombre aujourd'hui 11 contrats de filière, mais les régions Île-de-France et Pays de la Loire ne sont toujours pas dotées de contrats régionaux, même si des discussions sont en cours avec cette dernière. En outre-mer, dans lesquels les enjeux de la chaîne du livre, par exemple d'implantation de librairies, peuvent être très spécifiques, seule l'Île de la Réunion est dotée d'un contrat.

Recommandation n° 1 : poursuivre le déploiement des contrats de filière tripartites dans les régions non encore signataires, en particulier dans les outre-mer.

2. Un instrument ad hoc pour la politique du livre : les structures régionales pour le livre

Les contrats de filière sont mis en oeuvre par les structures régionales pour le livre (SRL). Celles-ci sont pour la plupart toutefois bien antérieures, et répondaient lors de leur création à un objectif de développement de la coopération décentralisée. Ces structures rassemblent, outre les financeurs publics, tous les acteurs de la chaîne du livre (soit plus de 30 000 acteurs au total).

Elles sont financées quasi-paritairement par l'État et par les collectivités : 50 % des financements proviennent des collectivités (dont 46 % des régions), 43 % de l'État et 7 % de la filière elle-même. Les structures régionales pour le livre rassemblent au total 135 équivalents temps plein (ETP).

S'agissant de l'État, ces financements ne s'ajoutent pas à ceux des DRAC : les financements déconcentrés de l'État sont le plus souvent affectés aux structures régionales pour le livre.

Selon les régions, les structures régionales pour le livre prennent la forme d'associations ou d'établissements publics de coopération culturelle (EPCC). Dans le cadre des contrats de filière, les structures régionales pour le livre ont un rôle de pré-instruction des dossiers de demandes d'aides, les financeurs intervenant ensuite dans un second temps.

Les structures régionales pour le livre sont historiquement davantage liées à la librairie et à l'édition, dans une optique d'aménagement du territoire. Afin de répartir les efforts sur l'ensemble de la chaîne du livre, les nouveaux contrats de filière incitent les structures régionales pour le livre à soutenir davantage les auteurs.

Carte des structures régionales pour le livre

Source : fédération interrégionale du livre et de la lecture

La particularité de la région Île-de-France est de ne pas avoir de structure régionale pour le livre. Alors que la région francilienne concentre un grand nombre des acteurs de la chaîne du livre, le Centre national du livre ainsi que les différents acteurs entendus soulignent les difficultés qui résultent de cette absence de structure régionale, complexifiant l'articulation de l'État et de la collectivité.

Financement des structures régionales pour le livre en 2023

(en %)

Structure régionale

Part de financement État

Part de financement Région

Auvergne-Rhône Alpes livre et lecture

54

38

Agence livre et lecture Bourgogne Franche-Comté

49

40

Livre et lecture en Bretagne

42

42

Agence régionale pour le livre et l'image Centre Val de Loire

nc

nc

Interbibly (Grand Est)

51

18

Agence régionale livre et lecture Hauts-de-France

42

46

Agence régionale livre et lecture Mayotte

33

0

Normandie livre et lecture

33

50

Agence livre, cinéma et audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine

25

71

Occitanie livre et lecture

31

46

Mobilis Pays de la Loire

27

46

Agence régionale du livre Provence-Alpes-Côte d'Azur

25

45

La Réunion des livres

49

15

Maison du livre de la Nouvelle Calédonie

22

54

Source : commission des finances d'après le CNL

La politique économique du livre fait intervenir de nombreux acteurs. Cependant, la structuration ancienne de la filière, ainsi qu'un pilotage qui repose essentiellement sur le CNL et sur l'administration déconcentrée, fluidifient les relations entre les différents échelons. Nombre de recommandations figurant dans les rapports des inspections ou du Sénat du début des années 2010 ont été mises en oeuvre entre temps.

S'il reste des aspects perfectibles, s'agissant de la coordination interministérielle ou de la contractualisation avec l'ensemble des territoires, le rapporteur spécial considère que la gouvernance de la politique du livre a pour vertu d'assurer une complémentarité des actions à destination de la chaîne du livre, ce qui doit être salué.


* 11 Loi n° 2021-1901 du 30 décembre 2021 visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs.

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