DEUXIÈME
PARTIE
À REBOURS DES AUTRES INDUSTRIES CULTURELLES, UNE
FILIÈRE QUI REPOSE PEU
SUR LE SOUTIEN BUDGÉTAIRE DE
L'ÉTAT
I. LES AIDES DIRECTES À LA FILIÈRE DU LIVRE : UN EFFET LEVIER FORT, DES MONTANTS LIMITÉS
A. LE CNL VERSE ENVIRON 22 MILLIONS D'EUROS D'AIDES DIRECTES À L'ENSEMBLE DE LA FILIÈRE
1. Un rôle central du Centre national du livre dans la distribution des aides à la filière du livre
a) Le CNL attribue plus d'une vingtaine d'aides pour des montants restreints
Le Centre national du livre est le principal acteur à intervenir directement auprès des entreprises de la chaîne du livre. Les aides du CNL concernent autant les aides à l'investissement qu'au fonctionnement. Elles prennent différentes formes :
- aides aux entreprises : prêts sans intérêts ou subventions pour l'accompagnement de projets de création, de reprise ou de développement ;
- aides aux actions qualitatives : prêts sans intérêts ou subventions pour le soutien aux actions d'animation culturelle, à l'élargissement ou à la création de fonds thématiques ;
- subventions en faveur des librairies francophones à l'étranger ;
- accompagnement de projets interprofessionnels.
Les aides du CNL prennent la forme de 28 dispositifs, qui bénéficient à l'ensemble des professionnels de la chaîne du livre.
Présentation des dispositifs d'aides directes du CNL
Cible |
Dispositif |
Soutien aux auteurs et traducteurs |
Bourses auteurs et illustrateurs : écriture |
Bourses auteurs et illustrateurs : résidences |
|
Bourses traducteurs : bourses de traduction |
|
Bourses traducteurs : bourses de séjour aux traducteurs |
|
Bourse Cioran |
|
Allocations annuelles aux auteurs |
|
Soutien aux éditeurs |
Publication |
Traduction (vers le français) |
|
Traduction (depuis le français) |
|
Développement numérique : livre audio |
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Développement numérique : publications numériques |
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Développement numérique : services numériques |
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Promotion auteurs et publications |
|
Soutien aux revues |
Revues : fonctionnement |
Revues : numérisation |
|
Soutien aux librairies |
Conventions territoriales |
Subventions économiques |
|
Valorisation des fonds |
|
Librairies francophones à l'étranger |
|
Soutien aux bibliothèques et porteurs de projets lecture |
Aide au développement de la lecture |
Soutien aux manifestations littéraires |
Manifestations littéraires en région |
Partir en livre |
|
Printemps des poètes |
|
Soutien aux structures |
Accompagnement ou valorisation du secteur du livre |
Prêts économiques |
Prêts économiques aux éditeurs |
Prêts économiques aux librairies |
Source : commission des finances
S'agissant des domaines bénéficiant des financements, les livres jeunesse, les romans et la bande dessinée représentent à eux seuls plus de la moitié des aides. Les champs « histoire, sciences humaines et sociales, philosophie », « arts » et « poésie, théâtre » sont davantage aidés que ce qu'ils représentent au sein du chiffre d'affaires de l'édition française. À l'inverse, le CNL aide moins les domaines « bande dessinée » et « jeunesse » que ce qu'ils représentent au sein du chiffre d'affaires de l'édition française18(*).
Près de 3 000 aides ont été attribuées en 2023 par le CNL, pour un montant total de 22 millions d'euros.
Aides directes totales attribuées par le CNL
(en millions d'euros et en nombre d'aides)
Source : commission des finances d'après le CNL
Le CNL soutient toutes les étapes de la chaîne du livre : ainsi, 20 % des aides accordées vont aux auteurs, 23 % aux éditeurs et 16 % aux librairies.
Ventilation par dispositifs des aides versées par le CNL en 2023
(en %)
Source : commission des finances d'après le CNL
Le montant moyen global pour l'ensemble des aides attribuées en 2023 est de 7 500 euros. On note cependant d'importantes variations selon l'échelon cible dans la chaîne du livre. Ainsi, si en nombre d'aides les librairies ne représentent que 16 % des aides accordées, les aides vers celles-ci sont en moyenne d'un montant deux fois supérieur aux aides aux auteurs et aux éditeurs.
Montant moyen des aides attribuées par le CNL en 2023
(en euros)
Nombre d'aides attribuées par le CNL |
Montant total |
Montant moyen |
|
Auteurs et traducteurs |
830 |
4 590 000 |
5 530,1 |
Éditeurs |
1131 |
5 080 000 |
4 491,6 |
Librairies |
449 |
5 740 000 |
12 784,0 |
Manifestations littéraires |
357 |
3 170 000 |
8 879,6 |
Valorisation du livre |
43 |
2 550 000 |
59 302,3 |
Source : commission des finances d'après les données du CNL
b) Un ciblage des aides sur les entreprises les moins rentables
Face à aux montants moyens des aides accordées par le CNL, il est possible de s'interroger sur un risque de saupoudrage. Sans l'écarter, l'analyse des données va dans le sens d'un ciblage des aides du CNL sur les entreprises les plus fragiles.
Évolution du taux de marge du secteur des
librairies et des éditeurs
selon les aides CNL et DRAC
perçues
(en %)
Taux de marge : Excédent brut d'exploitation / Valeur ajoutée
Source : Sénat, d'après base de données FARE et Ministère de la Culture. Les ETI et GE sont exclues pour les librairies.
Les librairies qui perçoivent des aides sont, en moyenne, structurellement moins rentables que les autres, ce qui semble indiquer que les aides sont bien ciblées sur les commerces les plus en difficulté.
Hors crise sanitaire, les aides CNL et DRAC leur permettent de gagner entre 2 et 5 points de marge, et donc de se rapprocher du niveau de rentabilité des autres librairies. Malgré cela, leur taux de marge est resté inférieur au taux de marge de celles ne percevant pas d'aides. En 2020 et dans une moindre mesure 2021, les aides ont ciblé nettement plus d'entreprises, et ont tout de même été orientées, en moyenne, vers celles ayant un taux de marge plus faible.
S'agissant des éditeurs, les aides versées par le CNL ont un impact plus faible que pour les librairies : les montants sont globalement plus faibles et se répartissent sur un marché plus étendu que celui des librairies.
La répartition entre le CNL et les DRAC implique que le CNL soutienne des projets et des entreprises de plus grande taille que les DRAC. Pour autant, le COP 2022-2026 contient deux indicateurs destinés à encourager les plus petits acteurs de la chaîne du livre.
Le premier est le taux de subventions du CNL attribuées à des petites et moyennes maisons d'éditions : il était de 57 % en 2022 et de 79 % en 2023. Le second est la proportion de librairies bénéficiant d'aides du CNL et localisées dans des communes de moins de 30 000 habitants : cette proportion est stable entre 2021 et 2023, entre 43 % et 46 %.
Une évaluation globale des aides du CNL implique également de tenir compte de l'effet levier des aides du CNL par le biais des contrats de filière : le ministère indique ainsi que sur la base d'un abondement d'un euro du CNL pour un euro de la région, les contributions financières du CNL varient de 100 000 euros à 25 000 euros par an selon les régions. Il importe également de tenir compte de l'interdépendance des différents acteurs de la chaîne du livre : ainsi, les aides aux librairies bénéficient indirectement aux auteurs et aux éditeurs, et vice-versa.
2. Des modalités d'attribution des aides perfectibles mais globalement satisfaisantes
a) L'attribution des aides par le CNL, un processus lourd pour des montants faibles
Il n'existe aucune aide automatique attribuée par le CNL, celui-ci ne versant que des aides sélectives.
Les aides du CNL ne sont pour la plupart d'entre elles pas territorialisées : les aides à la publication ou les bourses d'auteurs sont par exemple attribués uniquement sur des considérations esthétiques ou selon des critères formels ayant trait aux oeuvres soutenues. La localisation des projets soutenus n'entre donc pas en ligne de compte. En revanche, le CNL indique « intégrer des critères territoriaux pour toutes les aides nationales comportant une problématique d'aménagement culturel du territoire et de relation aux publics », tels que les aides aux librairies (à l'exception des labels), les aides aux manifestations littéraires ou les résidences d'auteur. Le CNL sollicite alors les conseillers des DRAC.
Le CNL indique néanmoins que, sur ses crédits, 40 % ont aidé les librairies dans des communes de moins de 15 000 habitants. 60 % des librairies aidées le sont dans des communes de moins de 15 000 habitants et 75 % dans des communes de moins de 25 000 habitants.
Les demandes d'aides sont examinées en commissions thématiques (15 commissions artistiques selon les genres littéraires) ; en comités (uniquement pour les prêts aux éditeurs ou aux librairies, afin de respecter le secret des affaires) ; en collège des présidents (pour les subventions aux structures professionnelles ou les demandes n'entrant pas dans le champ de compétences des commissions thématiques ou des comités) et enfin en conseil d'administrations (pour les subventions dont le montant est supérieur ou égal à 100 000 euros). La liste des commissions et comités figure en annexe 4 du présent rapport. Les dossiers présentés aux commissions et comités sont instruits et portés par les 3 délégations du CNL : la délégation à la diffusion et à la lecture, la délégation à la création et la délégation à la communication et aux événements littéraires.
La décision d'octroi de l'aide relève cependant uniquement de la présidente du CNL, sur la base de l'avis collégial émis en amont, qui n'est que consultatif.
Le taux de sélectivité des projets apparaît dans l'ensemble correct, à l'exception des 43 projets relevant de l'objectif de valorisation du livre, pour lesquels la quasi-totalité des projets ayant demandé une aide en ont bénéficié.
Taux de sélectivité des aides attribuées par le CNL
(en % et en nombre de bénéficiaires)
Nombre de demandes examinées en commission |
Nombre de bénéficiaires |
Taux de sélectivité |
|
Auteurs et traducteurs |
1307 |
765 |
58,5% |
Éditeurs |
1672 |
374 |
22,4% |
Librairies |
523 |
352 |
67,3% |
Manifestations littéraires |
484 |
329 |
68,0% |
Valorisation du livre |
43 |
42 |
97,7% |
Source : commission des finances d'après les données du CNL
La comitologie du CNL apparaît assez lourde : chacune des commissions est composée de 8 à 20 membres experts nommés pour 3 ans sur décision de la présidente de l'établissement, auxquelles s'ajoutent des expertises complémentaires de lecteurs et de rapporteurs externes qui examinent en détail les projet soumis à l'avis des commissions.
Les comités du CNL sont composés de certains agents du CNL, des ministères concernés et, le cas échéant, de personnalités extérieures. Le comité Allocations annuelles aux auteurs, auquel participe un assistant social, est composé de quatre présidents de commission. Le collège des présidents est quant à lui composé de tous les présidents des commissions du CNL.
Depuis 2018, il existe un montant minimal de subvention, d'après la Cour des comptes pour « éviter que les coûts de traitement de l'aide ne dépassent son montant ». Ce seuil, fixé à 500 euros pour la plupart des dispositifs, reste extrêmement bas. Par exception, il est cependant de 4 000 euros pour la subvention d'aide à l'investissement des librairies et 3 000 euros pour l'aide à la mise en valeur des fonds. Le montant plancher n'a en outre pas évolué depuis 2018.
Lors des auditions, plusieurs intervenants ont souligné la charge administrative découlant de la demande d'aide, pour des montants qui demeurent extrêmement réduits. Il semble donc impératif, dans un objectif de simplification tant pour les demandeurs que pour le CNL, de relever ce plancher pour toutes les aides pour lesquelles il est fixé depuis 2018 à 500 euros.
Plus largement, la Cour des comptes soulignait dans son rapport sur le CNL en 2022 précédemment mentionné que les coûts de traitement des aides « n'ont pas été calculés ni de manière générale ni pour des dispositifs donnés ». Le rapporteur spécial considère que le CNL doit mettre en place une méthodologie de calculs des coûts de traitement des aides, sans laquelle il n'est pas possible de mener une réelle évaluation de l'efficience des aides.
Recommandation n° 3 : évaluer le coût de traitement des aides du CNL et relever le montant minimal d'aides, actuellement fixé à 500 euros pour la plupart des aides et non revalorisé depuis 2018, afin de limiter le saupoudrage des moyens (CNL)
b) Un processus constant d'amélioration de l'attribution des aides mais qui demeure en cours
La principale avancée en matière de simplification mise en place au cours des dernières années est la numérisation des demandes d'aides en 2018. Plus largement, à la suite du rapport de la Cour des comptes et de la crise sanitaire, le CNL s'est engagé en 2022 dans un chantier de simplification de ses dispositifs et de ses procédures.
Il faut également noter que le nombre de dispositifs d'aide est en diminution au cours des dernières années, afin de fusionner plusieurs d'entre elles. Le règlement des aides du CNL de juin 2024 définit ainsi 28 aides, contre 38 avant 2015.
Dispositifs du CNL évaluées au cours de la dernière décennie
Le Centre national du livre (CNL) s'est engagé depuis plusieurs années dans une démarche d'évaluation de ses dispositifs. Le CNL conduit une réflexion méthodologique axée sur l'analyse de critères évaluatifs standards, portant notamment sur la pertinence, la cohérence, l'efficacité, et l'efficience des dispositifs qu'il met en oeuvre. Sur la base de cette méthodologie, déployée à compter de 2016, l'établissement a ainsi évalué une grande partie de ses dispositifs :
- les subventions pour la mise en valeur des fonds et de la création éditoriale en librairie (2016- 2017). Désormais uniquement accessible aux établissements labellisés LIR ou LR par le ministère de la culture, cette subvention est recentrée sur l'engagement et l'investissement des libraires ;
- les bourses aux auteurs et illustrateurs (2018-2019), les subventions pour la publication d'ouvrages (2018-2019), les subventions pour la traduction d'ouvrages étrangers en français (2018-2019). Ces aides ont été assouplies et revalorisées, ainsi que les critères recentrés sur la qualité des projets ;
- les subventions en faveur des revues (2020-2021) ;
- les subventions en faveur du développement numérique (2020-2021) ;
- les conventions territoriales (2020-2021) ;
- les aides économiques aux éditeurs (2021) ;
- les subventions aux manifestations littéraires (2021-2022). L'évaluation a donné lieu à la création d'une aide destinée aux manifestations de petite taille, jusqu'alors inéligibles aux subventions du CNL, mais affichant des objectifs intéressants en matière de maillage territorial, de proposition artistique et littéraire, ou de travail avec les publics ;
- les subventions aux porteurs de projets pour le développement de la lecture des publics spécifiques (2022-2023),
- les subventions à la création ou au développement du livre audio (2022-2023),
- les subventions aux maisons d'édition pour la promotion des auteurs et publications (2023-2024). Depuis 2020, 8 dispositifs ont ainsi été évalués, et ont donné lieu à 8 changements de règlements afin de mettre en oeuvre les recommandations issues des évaluations.
La Cour des comptes, dans son rapport sur le CNL de 2022, recommande d'accélérer le processus d'évaluation : « Au regard des enjeux qu'elles recouvrent, la Cour considère que le CNL ne saurait se satisfaire de prévoir l'achèvement de ces évaluations d'ici une dizaine d'année et estime indispensable d'en accélérer le rythme ».
Source : commission des finances d'après le CNL
Ces évaluations ont mené à quelques réformes au cours des dernières années (assouplissement des délais de carence entre deux résidences d'auteurs ; fusion de l'aide à la publication et de l'aide aux grands projets, modification de l'aide à la promotion, etc). Une amélioration suggérée à plusieurs reprises lors des auditions concerne les subventions à la valorisation des fonds en librairie. L'aide à la valorisation des fonds est réservée aux librairies bénéficiant du label LIR, les deux demandes (de labellisation et d'aide) étant instruites par le CNL, pour les mêmes librairies mais sur la base de critères différents.
Le CNL considère que les réformes déjà mises en place ont permis d'améliorer le fonctionnement de l'établissement : « ces simplifications ont permis une optimisation en termes d'organisation interne du travail », qui a permis d'absorber les nouvelles missions du CNL « à plafond d'emploi constant ».
La Cour des comptes reprenait la suggestion du ministère de création d'une cellule interne de contrôle de gestion et d'évaluation, « qui pourrait notamment coordonner des évaluations plus régulières sur les dispositifs de moindre importance et diffuser une culture de l'évaluation au CNL ». Le rapporteur spécial rejoint la Cour des comptes sur ce point : il est nécessaire que le CNL dispose d'outils internes permettant de mettre en oeuvre des évaluations en continu.
Les auditions ont mis en avant plusieurs pistes d'amélioration portant sur le renforcement de conditions sociales et environnementales dans l'attribution des aides. Ainsi, les auteurs réclament la mise en place d'une conditionnalité des aides aux éditeurs sur le respect de « bonnes pratiques » dans les contrats d'édition (existence d'un minimum garanti versé aux auteurs, pourcentage de rémunération...). Des discussions semblent être en cours sur ce point.
Plus largement, les aides du CNL doivent être davantage des instruments permettant au régulateur d'intervenir face aux grands enjeux de la filière du livre : concentration dans le secteur de l'édition ; développement de l'intelligence artificielle dans l'écriture et la traduction ; répartition territoriale des librairies, etc.
Recommandation n°4 : renforcer la conditionnalité des aides du CNL pour en faire davantage des instruments de politique publique face aux grands enjeux de la filière du livre (CNL)
* 18 La bande dessinée représente 11,4 % des aides CNL en valeur, contre 24,9 % du chiffre d'affaires de l'édition. Le CNL rappelle que près de 30 % du chiffre d'affaires de l'édition française est généré par des secteurs non aidés par le CNL (enseignement et scolaire, dictionnaires et encyclopédies, cartes et atlas, livres pratiques...).