II. DES UNITÉS COMPLÉMENTAIRES ET PARTAGEANT UNE TRÈS GRANDE EXPERTISE
Si les trois unités connaissent un champ missionnel largement commun43(*), elles présentent chacune des spécificités. Elles partagent néanmoins une très grande expertise, tandis que leur coexistence est gage de complémentarité et d'une saine émulation.
A. DES UNITÉS PRÉSENTANT DES SPÉCIFICITÉS, TOUT EN PARTAGEANT UNE TRÈS GRANDE EXPERTISE
1. Des spécificités propres à chaque unité
Outre des différences tenant à leurs compétences géographiques et au nombre de leurs effectifs44(*), les trois unités sont rattachées à des autorités organiques distinctes, présentent des spécificités liées à leur histoire et aux choix stratégiques opérés, ainsi qu'aux missions particulières qui leur sont confiées.
a) Un rattachement organique à des autorités distinctes et des statuts des personnels différents
Les trois unités dépendent de trois autorités organiques distinctes, tandis que leurs effectifs relèvent de deux statuts différents.
En premier lieu, il convient de distinguer la BRI-PP et le RAID, composés d'effectifs de la police nationale, d'une part, et le GIGN, regroupant des effectifs de la gendarmerie nationale45(*) relevant, par conséquent, du statut de militaire, d'autre part.
En second lieu, s'ajoute une distinction tenant à l'autorité organique compétente sur chacune d'entre elle : alors que le GIGN dépend du directeur général de la gendarmerie nationale, le directeur général de la police nationale a autorité sur le RAID46(*), mais non sur la BRI-PP, qui dépend in fine du préfet de police de Paris47(*), via le directeur régional de la police judiciaire de la préfecture de police.
b) Des équilibres variables dans le poids de chaque type de missions
La BRI-PP est la première des trois unités à avoir été mise en place, en 196448(*). Alors spécialisée dans la lutte contre le grand banditisme foisonnant, elle intègre en 1972, à la suite de la prise d'otage de Munich49(*), une brigade anti-commandos50(*) et prend le surnom d'« antigang », à même d'intervenir en cas de prises d'otages ou d'attaques terroristes.
Aujourd'hui, conformément à son histoire, la BRI-PP - dont la plupart des opérateurs sont des officiers de police judiciaire (OPJ) pouvant produire des procès verbaux d'enquête judiciaire - voit une partie très substantielle de son activité relever de la police judiciaire, au bénéfice de la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police51(*), non seulement dans le cadre d'arrestations difficiles (en milieux clos ou sur la voie publique), mais également de filatures et de surveillances.
Le GIGN, créé en 1974, avait pour vocation initiale de répondre spécifiquement aux situations de crise nécessitant une intervention spécialisée. Ses missions se sont toutefois étendues à l'observation et à la recherche, dans le cadre de la police judiciaire ainsi qu'à la protection.
L'organisation opérationnelle et de commandement du GIGN
En vertu de l'arrêté qui en régit les attributions et l'organisation52(*), le GIGN « est une unité hautement spécialisée dans la gestion de crise, l'intervention, l'observation, la recherche d'adversaires et la protection. »
Les forces opérationnelles du GIGN sont structurées autour de trois forces, tant à l'échelon central que dans les antennes : la force observation-recherche (FOR), la force d'intervention (FI) et la force sécurité-protection (FSP). Chacune d'entre elles relève du commandant du GIGN, qui dispose également d'un état-major de commandement, d'un état major opérationnel, d'un état-major soutien et finances, d'une division technique, du centre national de formation en intervention spécialisé et de l'antenne médicale spécialisée.
Source : commission des finances
Enfin, le RAID, créé en 198553(*), visait également initialement à apporter une réponse aux situations de crise. Ses missions couvrent néanmoins un spectre plus large, et notamment les interpellations à risque et la protection rapprochée. En revanche, l'investigation occupe une faible part de son activité, à ce jour.
Les unités d'élite des forces de sécurité intérieure à l'étranger
À la suite de la prise d'otage de Munich en 1972, voire pour certains antérieurement, de nombreux pays ont mis en place des unités d'élite comparables au GIGN, au RAID et à la BRI-PP. Peuvent notamment être cités le GSG 9 en Allemagne54(*), le GEO en Espagne55(*), les SWAT56(*) aux États-Unis, ou encore le STAR à Singapour57(*), parmi beaucoup d'autres. Ces unités entretiennent des liens fréquents, au travers de stages et de formations croisées. À l'échelle de l'Union européenne, la plupart d'entre elles sont regroupées au sein du réseau Atlas, créé en 2001.
Il peut arriver que des forces relevant des armées soient mobilisées aux mêmes fins lors de certaines crises (prise d'otage et actes terroristes en particulier) à l'extérieur des frontières, à l'image de l'intervention des forces armées israéliennes lors du raid à l'aéroport d'Entebbe en Ouganda en 1976, ou encore du soutien de la légion étrangère de l'armée de terre au GIGN lors de la résolution de la prise d'otage de Loyada la même année, à Djibouti.
Source : commission des finances
c) Des compétences spécifiques attribuées à certaines unités
Certaines compétences spécifiques, déterminées soit par convention soit par des plans gouvernementaux, sont, en principe, attribuées à certaines unités. Ainsi, à titre d'illustration, le GIGN est menant pour les plans gouvernementaux sur la piraterie maritime, la piraterie aérienne, les centres nucléaires de production d'électricité et les emprises militaires. Le RAID peut alors intervenir comme force concourante ou en cas de crises multiples.
2. Une très haute technicité commune aux trois forces
a) La maîtrise complète de capacités rares
La réalisation des missions confiées aux unités d'élite et leur fonction de dernier recours suppose la maîtrise complète de capacités rares, parmi lesquelles une préparation à l'intervention très rapide mais également de techniques spécifiques, parmi lesquelles, l'effraction, la négociation, l'utilisation de capacités cynophiles, la plongée, le parachutisme, la gestion du risque NRBC58(*), la varappe59(*), l'approche sous blindage, le soutien médical opérationnel et le tir (y compris de haute précision), etc.
Si la dimension variable des unités et leurs compétences géographiques ou matérielles peut expliquer des différences quant au nombre de compétences déployées, notamment dans les antennes, un niveau très élevé de technicité peut être observé partout. Les résultats obtenus par chacune des unités, capables d'intervenir très rapidement (dans des délais inférieurs à 2 heures en métropole pour le RAID par exemple, avec un délai d'alerte de 10 minutes en heures ouvrables et 30 minutes en tout temps), sont au final salués par l'ensemble des acteurs concernés.
Ce niveau est atteint grâce à un degré très élevé de sélectivité dans le recrutement, une formation intense et complète, l'utilisation de matériels spécifiques et un engagement sans faille des effectifs.
b) Un recrutement et une formation des personnels particulièrement exigeants
Les épreuves de sélection des personnels opérationnels des trois unités sont d'une très grande difficulté60(*).
Au sein du RAID et de la BRI-PP, les personnels opérationnels sont recrutés parmi les fonctionnaires actifs de police à l'issue d'une première sélection sur dossier puis d'épreuves de sélection. Ces dernières s'étendent sur une durée d'une semaine et comprennent des examens médicaux, des épreuves physiques, psychologiques, psychotechniques, sportives et techniques (dont le tir), ainsi qu'un entretien individuel61(*). Au RAID, 46 épreuves sont ainsi prévues, les candidats étant soumis à des privations partielles de sommeil et évalués sur leur gestion du stress et leur capacité à surmonter les phobies et à faire preuve de résilience, de discernement et d'esprit collectif. Une approche similaire est adoptée par le GIGN, les personnels opérationnels étant recrutés parmi les gendarmes actifs.
Des différences dans les politiques de recrutement peuvent néanmoins être observés, la BRI-PP ayant tendance, en raison de son prisme en faveur de la police judiciaire, à recruter des personnels plus expérimentés, tandis que le GIGN tend pour sa part à recruter des agents un peu plus jeunes.
Le niveau de sélectivité est particulièrement élevé, 1 candidat sur 12 étant admis au RAID et au GIGN (à l'échelon central, et 1 sur 6 à l'échelle des antennes), tandis que lors de la dernière session, 3 personnels ont été recrutés à la BRI-PP sur une centaine de dossiers.
La formation initiale s'étend quant à elle sur des durées variables en fonction de l'unité et des spécialités. Au sein du RAID, elle est d'une durée de 19 semaines, des candidats étant éliminés chaque semaine ; elle dure 12 semaines à la BRI-PP. Un stage probatoire complète la formation (6 mois au RAID et à la BRI-PP).
Au sein du GIGN central, succèdent à un pré-stage de sélection de 8 semaines, un stage de formation de 10 mois commun pour tous les opérationnels, puis une formation spécialisée et adaptée au futur métier choisi (intervention spécialisée, observation et recherche ou sécurité et protection). Pour les antennes, la formation initiale dure deux mois et est adaptée à la filière.
Les membres des unités bénéficient en outre d'une formation continue (entraînements, stage, échanges avec les autres unités, etc.).
Par ailleurs, les personnels opérationnels sont en général affectés pour une période relativement longue au sein des unités, afin de tirer profit de l'expérience. S'agissant du RAID et de la BRI-PP, ils sont affectés pour une période de cinq ans renouvelables. De même, au GIGN, il n'est pas rare que certains effectifs réalisent une part notable de leur carrière au sein de l'unité, bien que des limites d'âge s'appliquent.
c) La maîtrise de matériels performants
Pour accomplir leurs missions, les unités bénéficient de matériels performants, et pour certains innovants.
Leurs dotations en armement (armes de point, d'épaule, de haute précision, etc.), en protections balistiques, en outils technologiques (drones, caméras, lunettes de vision nocturne, etc.), en explosifs et en véhicules sont modernes. La projection aéroportée du RAID et du GIGN est effectivement opérationnelle et relève du groupe interarmées d'hélicoptères (GIH). Créée en 2006, il est équipé d'hélicoptères Puma (qui doivent être remplacés), appartenant aux armées de terre et de l'air et de l'espace. Rattaché aux forces spéciales, il est implanté sur la base aérienne à Villacoublay.
Néanmoins, certaines limites doivent être soulevées s'agissant des équipements affectés à ces unités.62(*)
d) Un engagement sans faille et l'attribution de primes
Les travaux menés par le rapporteur spécial ont été l'occasion de constater le niveau d'engagement très élevé des personnels des trois unités, qui leur sont dévoués, en dépit des risques significatifs encourus et des exigences fortes en termes de disponibilité (qui ne sont pas sans impact sur leurs familles), d'entraînements quotidiens exigeants et de la nécessité de conserver l'anonymat63(*). Le rapporteur spécial a pu constater qu'en raison de la tension sur les effectifs et de leur niveau de motivation, il n'est pas rare que les effectifs ne soient pas en mesure de poser les congés auxquels ils pourraient prétendre.
Ces conditions d'exercice des fonctions opérationnelles des trois unités justifient pleinement l'attribution de primes spécifiques, dont la principale est l'indemnité pour mission exclusive (IME). Elles s'ajoutent au traitement de base des personnels.
Les primes des personnels opérationnels des unités d'élite
En raison d'une différence de statuts, les effectifs des trois unités perçoivent des primes au fonctionnement et aux modalités distinctes. Toutefois, une prime commune, l'indemnité pour mission exclusive (IME), rémunère la spécificité de leurs missions.
Concernant le RAID et la BRI-PP, un décret de 200464(*) prévoit qu'une IME est attribuée aux fonctionnaires habilités et affectés au sein de l'une des deux unités pour y exercer des fonctions opérationnelles. L'habilitation de niveau 1 (globalement, pour les missions d'intervention) correspond à une IME d'un montant de 650 euros, et celle de niveau 2 (globalement, pour les missions de soutien) à une IME d'un montant de 500 euros. Au sein du GIGN, un décret de 202265(*) prévoit que les personnels qui y sont affectés, y compris au sein des antennes, et qui sont « habilités à l'issue des épreuves de sélection pour y exercer des fonctions opérationnelles » perçoivent également l'IME. Son montant est fixé à 650 euros par mois pour les habilitations de niveau 1 et 500 euros pour celles de niveau 2.
L'IME est modulable, au sein des trois forces, en fonction de l'importance des responsabilités exercées, de la manière de servir et des sujétions inhérentes à l'exercice des missions, dans la limite de 110 % des montants mensuels de référence. Elle a représenté, en 2024, un coût global de 2,634 millions d'euros pour le RAID.
Par ailleurs, outre le paiement des astreintes et des heures supplémentaires (pour les policiers), d'autres primes non-spécifiques aux personnels des unités d'élite, qui s'attachent à leurs engagements et leurs qualifications, peuvent s'ajouter à l'IME. Sont notamment concernées l'indemnité d'absence missionnelle (IAM)66(*) et la prime de résultats exceptionnels (PRE). En outre, les membres du GIGN peuvent bénéficier de primes spécifiques pour des compétences militaires, à l'image de la prime « parachutiste » octroyée aux opérationnels de l'échelon central67(*), pour un montant forfaitaire variant, en fonction du statut, de 545 euros à 705 euros par mois.
Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial
Le montant de l'IME n'a pas évolué depuis sa création pour le RAID et la BRI-PP, en novembre 2004. L'inflation cumulée s'établissant à 39,5 % jusqu'à aujourd'hui, le niveau d'indemnisation offert par l'IME s'est réduit d'autant et ce alors même que les risques auxquels font face les opérateurs, notamment en matière de terrorisme, a augmenté. Le rapporteur spécial estime que cette situation nécessite de faire un état des lieux sur l'évolution des rémunérations brutes des personnels des unités sur les dernières années, toutes primes confondues, afin d'en tirer les conséquences nécessaires et, le cas échéant, envisager une revalorisation de l'IME.
* 43 Voir supra.
* 44 Idem.
* 45 En vertu de l'article R. 3225-4, le GIGN relève, comme son nom l'indique, de la gendarmerie nationale.
* 46 En vertu de l'article 6 du décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer, l'unité du RAID constitue un service actif de police rattaché au directeur général de la police nationale.
* 47 En vertu de l'article 10 de l'arrêté du 5 janvier 2011 relatif aux missions et à l'organisation des services composant la force d'intervention de la police nationale et portant dispositions sur l'affectation et l'aptitude professionnelle de leurs agents, « La brigade de recherche et d'intervention de la préfecture de police [est] placée sous l'autorité du préfet de police ».
* 48 Sous le nom de section de recherche et d'intervention, avant de devenir la BRI-PP en 1967.
* 49 Voir supra.
* 50 Qui agrège également d'autres forces autour de la BRI-PP.
* 51 À laquelle elle est d'ailleurs rattachée.
* 52 Arrêté du 26 juillet 2021 relatif aux attributions et à l'organisation du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale.
* 53 Arrêté du 23 octobre 1985 portant création du service de recherche, d'assistance, d'intervention et de dissuasion de la police nationale, abrogé.
* 54 Grenzschutzgruppe 9 der Bundespolizei en allemand. En français, groupe 9 de protection des frontières de la police fédérale.
* 55 Grupo Especial de Operaciones (GEO) en espagnol. En français, groupe spécial d'opérations.
* 56 Special Weapons And Tactics en anglais. En français, armes spéciales et tactiques.
* 57 Special Tactics and Rescue en anglais. En français, tactiques spéciales et sauvetage.
* 58 Nucléaire, radiologique, biologique ou chimique.
* 59 Techniques d'escalade.
* 60 Les personnels non opérationnels sont recrutés selon des modalités classiques au sein de la gendarmerie et de la police nationales, à différents postes (commandement, secrétariat, mécaniciens, magasiniers, etc.).
* 61 Articles 5 et 11 de l'arrêté du 5 janvier 2011 relatif aux missions et à l'organisation des services composant la force d'intervention de la police nationale et portant dispositions sur l'affectation et l'aptitude professionnelle de leurs agents.
* 62 Voir infra.
* 63 En vertu de l'arrêté du 7 avril 2011 relatif au respect de l'anonymat de certains fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie nationale, les membres des trois unités d'élite doivent, pour des raisons de sécurité, conserver l'anonymat. Les chefs d'unité, qui exercent des missions de représentation, sont néanmoins identifiés.
* 64 Décret n° 2004-1315 du 26 novembre 2004 portant attribution d'une indemnité pour mission exclusive aux fonctionnaires actifs de police nationale affectés au RAID et à la brigade de recherche et d'intervention de la direction régionale de la police judiciaire de Paris. Soit un montant identique à celui perçu par les unités de CRS spécialisées dans le secours en montagne.
* 65 Décret n° 2022-1154 du 12 août 2022 portant attribution d'une indemnité pour mission exclusive aux militaires du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale.
* 66 L'IAM vise à compenser l'absence prolongée d'un agent de sa résidence administrative dans le cadre de certaines missions de renfort temporaires ou exceptionnelles
* 67 Et de quelques autres personnels.