II. DES PISTES POUR RENDRE UNE CAPACITÉ D'ACTION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Comment les collectivités territoriales peuvent-elles être à la hauteur des défis auxquels elles se trouvent confrontées, alors que leur marge de manoeuvre est continûment rognée par des dépenses sans cesse plus contraintes et que leurs recettes sont toujours plus surdéterminées par l'État ?

Les collectivités territoriales sont censées être des piliers du développement local. À travers leurs nombreux investissements, elles favorisent le développement et le fonctionnement des services publics locaux et ont un rôle prépondérant à jouer pour préparer les territoires notamment en matière de transition écologique et d'adaptation au changement climatique. Elles jouent ainsi un rôle central en matière de rénovation énergétique des bâtiments, de développement des transports en commun, de préservation des terres agricoles et des espaces naturels, de gestion de l'eau et des déchets. Pourtant, faute de moyens suffisants et d'une autonomie financière réelle, elles peinent à assumer ces responsabilités, alors même que le climat s'emballe, que les catastrophes se multiplient et que le mur d'investissements indispensables grandit.

Face à cette situation alarmante, il était impératif de mener une réflexion approfondie sur les causes de l'érosion des ressources des collectivités et sur les conséquences de cette dépendance croissante vis-à-vis des décisions nationales.

Il était tout aussi indispensable de dresser un bilan des besoins et des modalités de financement utilisables pour atteindre des objectifs souvent fixés par le Gouvernement.

A. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES FONT FACE À UN MUR D'INVESTISSEMENTS, CHIFFRÉ AVEC UNE PRÉCISION CROISSANTE

Il était frappant de constater à quel point l'image d'un « mur d'investissements » à anticiper à très court terme pour les collectivités territoriales a constitué une expression récurrente des auditions menées par la commission d'enquête.

Ces investissements sont principalement liés au maintien, par les collectivités, des services publics de proximité qu'elles assurent actuellement, ainsi qu'à l'adaptation de leur patrimoine et de leurs infrastructures aux conséquences déjà visibles du dérèglement climatique.

Comme le souligne l'association de collectivités Amorce lors de son audition par la commission d'enquête : « La suppression progressive de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales les place dans une situation de dépendance vis-à-vis des dotations de l'État, les réduisant parfois à un rôle de prestataire devant attendre des financements de l'État pour le recrutement d'agents et la mise en oeuvre d'une ingénierie dédiée à la transition écologique et, plus largement, de l'ensemble des services publics dont elles ont la maîtrise. Cette situation est aggravée par un budget 2025 très inquiétant, avec des réductions significatives dans des domaines cruciaux comme le Fonds vert, les budgets de l'Agence de la transition écologique (ADEME) pour l'économie circulaire, ou encore MaPrimeRénov'. »

Par ailleurs, le respect des trajectoires nationales de réduction des émissions carbonées repose largement sur les investissements attendus des collectivités en matière de transition écologique.

Là encore le ton est donné par l'audition d'Amorce : « Nous constatons également une contradiction croissante entre les travaux menés au niveau du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), des Conférences des Parties régionales (COP), et ce qui est effectivement prévu dans le budget 2025. Par exemple, la Programmation pluriannuelle de l'énergie en consultation (PPE 3) prévoit une augmentation des réseaux de chaleur, mais le Fonds chaleur n'augmente pas cette année, et son budget est déjà entièrement consommé. Ainsi, tous projets envisagés à fin 2024 ne pourront être financés. »

1. Le maintien de services publics de proximité nécessite des investissements significatifs

L'entretien des équipements publics et infrastructures locaux stratégiques tels que les réseaux d'eau et d'assainissement ou les ouvrages d'art représente des investissements massifs. Toutefois, comme le relèvent les sénateurs Chaize et Dagbert à propos des ponts dans leur rapport d'information de 2019 « Sécurité des ponts : éviter un drame », assurer un tel niveau d'investissements implique une stabilité dans les ressources et la protection des collectivités face aux effets économiques contracycliques tels que l'austérité budgétaire. Cependant, face à un constat d'investissements « fluctuants » voire de sous-investissements chroniques dans les ouvrages d'art communaux, le besoin de rattrapage est parfois si colossal que la sécurité des personnes et des biens se trouve dans une situation critique. Les sénateurs citent par exemple M. Charles-Éric Lemaignen, alors premier vice-président de l'Assemblée des communautés de France : à la question « comment en est-on arrivés là ? », celui-ci a ainsi déclaré : « Nous avons attiré l'attention sur l'effondrement de l'investissement des collectivités locales à compter de 2014, et en particulier sur ce qui ne se voit pas. L'entretien des routes, des ouvrages d'art et des réseaux fait partie des thématiques qui ont été les plus " zappées ", à la suite de la baisse brutale des dotations de nos collectivités locales due à la crise financière ».

a) Les investissements publics sont majoritairement portés par les collectivités territoriales

Les dépenses locales d'équipement, soit les investissements dont les collectivités territoriales assurent la maîtrise d'ouvrage, représentent plus de 60 milliards d'euros, selon les dernières données disponibles de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL). Ces montants font des collectivités territoriales le premier investisseur public, à hauteur de 64 % du total des investissements des administrations publiques (hors dépenses militaires), dont les deux tiers sont portés par les services de proximité assurés par le bloc communal.

Dépenses locales d'équipement par échelon territorial

Échelon territorial

Dépenses d'équipement consolidées (budget principal + budgets annexes) en 2023

Évolution entre
2019 et 2023

Bloc communal

40,5 Md€

+ 8,6 %

Départements

8,21 Md€

+ 26,5 %

Régions et CTU

4,12 Md€

+ 21,8 %

Total collectivités hors syndicats publics locaux

53 Md€

+ 12,8 %

Total collectivités y compris syndicats publics locaux

60,82 Md€

+ 12,0 %

Source : Observatoire des finances et de la gestion publique locales,

Rapport sur les finances des collectivités locales - édition 2024, juillet 2024.

Le niveau d'augmentation constaté entre 2019 et 2023 peut s'expliquer en partie par l'inflation et ses conséquences sur l'augmentation des coûts d'entretien du patrimoine public local et de maintien des services publics locaux : l'OFGL relève ainsi la contribution significative de l'effet « prix » sur les dépenses d'investissements constatées en 2022 et 2023, dont la hausse la plus importante est répercutée sur les dépenses d'équipements.

b) Les collectivités territoriales assurent des services publics locaux diversifiés, dont le maintien en état nécessite des investissements conséquents

Selon les estimations de l'Inspection générale des finances106(*), le maintien en état du patrimoine public local, évalué à 1 948 milliards d'euros, nécessite un investissement global annuel de l'ordre de 40 milliards par an, auquel s'ajoute le maintien des services publics locaux qui relèvent de la compétence des collectivités concernées : soit, pour l'ensemble des collectivités, 38 % consacrés aux transports et aux équipements scolaires.

Classification fonctionnelle de certaines dépenses d'équipement
des collectivités territoriales

Échelon territorial

Transports

Équipements scolaires

Bloc communal

21 %

11 %

Départements

40 %

19 %

Régions

15 %

74 %

Total

24 %, soit 16,3 Md€

14 %, soit 9 Md€

Source : Observatoire des finances et de la gestion publique locales,

Rapport sur les finances des collectivités locales - édition 2024, juillet 2024.

Au-delà des dépenses d'équipement nécessaires au maintien des services publics locaux et du patrimoine public local à leur niveau actuel, des travaux récents du Sénat107(*) tels que le rapport « Sécurité des ponts : éviter un drame » de Patrick Chaize et Michel Dagbert ont permis de prendre la mesure du mur d'investissements représenté par le rattrapage du retard pris dans la rénovation d'équipements locaux stratégiques tels que les ouvrages d'art communaux. En ce qui concerne ces derniers, le besoin de rattrapage a été estimé en 2019  entre 110 et 120 millions d'euros annuels dès 2020 et pour au moins 10 ans - quand la moyenne des dépenses concernées dans les années 2010 était plutôt de l'ordre de 45 millions annuels.

Des estimations complémentaires du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) datées de mai 2025108(*) estiment, en extrapolant à l'échelle nationale les résultats de 29 354 ouvrages communaux recensés via le « Programme Ponts », qu'un rattrapage de près de 2 milliards d'euros serait nécessaire pour remettre à niveau les ouvrages dégradés (études et travaux), dont plus de 400 millions d'euros pour les ouvrages nécessitant une action immédiate suite à des désordres graves de structures.

Une autre illustration de mur d'investissements représenté par la remise en état d'équipements locaux d'intérêt stratégique a été relevée par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) lors de son audition par la commission d'enquête le 10 juin 2025 : « dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, les collectivités font face à un déficit d'investissement dans les infrastructures de 4,6 milliards d'euros. Les aides des agences de l'eau en faveur des mesures territoriales (restauration des milieux, biodiversité, protection de la ressource) progressent, passant de 16 % en 2013 à 29 % en 2022, mais restent insuffisantes ».

c) Un exemple emblématique de « mur d'investissements » : garantir des services publics locaux universellement accessibles

L'adaptation du patrimoine ancien au défi de l'accessibilité universelle des services publics locaux constitue un autre exemple emblématique du « mur d'investissements » auquel font face les collectivités territoriales. Ce défi immense et sans cesse reporté, plusieurs fois mentionné par les associations d'élus locaux, a été en particulier mis en avant par les élus de la Ville de Lyon rencontrés lors d'un déplacement effectué par la commission d'enquête. Comme détaillé par Sylvain Godinot, adjoint à la transition écologique et au patrimoine, « l'impératif d'accessibilité universelle de nos services publics municipaux conduit à une explosion des coûts de maintien en l'état de notre patrimoine bâti ancien »109(*) (voir encadré ci-après).

Accessibilité universelle des bâtiments publics :
une exigence pressante et colossale

La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dite « Loi Handicap », crée le principe de l'accessibilité aux personnes en situation de handicap du cadre bâti et en particulier des bâtiments publics et des établissements recevant du public (ERP) en général en tant que composante emblématique de la vie en société et au « plein exercice de la citoyenneté ».

La loi de 2005 fixe l'obligation d'accessibilité au 1er janvier 2015 pour les ERP.

Un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable, de l'Inspection générale des affaires sociales et du Contrôle général économique et financier, daté d'octobre 2011, avait constaté que l'échéance du 1er janvier 2015 pour la mise en conformité des ERP aux normes d'accessibilité ne pouvait pas être tenue : cette impossibilité résulte avant tout de l'ampleur considérable des travaux à réaliser.

Prenant acte de cette impossibilité, une ordonnance du 26 septembre 2014 (ratifiée par la loi 2015-988 du 5 août 2015) avait simplifié et explicité les normes d'accessibilité. Elle avait également instauré les Agendas d'Accessibilité Programmée (Ad'AP). Obligatoire pour tous les ERP, ce dispositif permet d'obtenir un délai supplémentaire de 3 à 9 ans pour réaliser les travaux d'accessibilité.

Selon les chiffres de la Conférence nationale du handicap de 2023 (CNH 2023), seulement 900 000 ERP sont engagés dans une mise en accessibilité sur près de 2 millions. En ce qui concerne les chiffres évoqués alors pour le patrimoine bâti du bloc communal, 20 % des services publics municipaux n'étaient toujours pas engagés dans un agenda d'accessibilité programmée en 2023.

La mise en accessibilité des bâtiments de l'État, des opérateurs publics et de la sécurité sociale doit être finalisée d'ici à 2027.

Source : rapport interministériel, les modalités d'application des règles
d'accessibilité du cadre bâti pour les personnes handicapées, octobre 2011.

L'enjeu financier de l'accessibilité universelle des services publics locaux avait été chiffré à 17 milliards d'euros par les travaux du sénateur Éric Doligé relatifs aux normes applicables aux collectivités territoriales110(*). Ces travaux avaient également estimé le surcoût moyen à anticiper pour chaque type d'ERP local.

Échelon

Nombre d'ERP

Surcoût moyen par ERP

(hors taxes)

Enjeux financiers

Bloc communal

> 3 000 habitants

114 160 ERP

73 000 €

8,337 Md€ HT

Communes de moins de 3 000 habitants

183 670 ERP

10 775 €

1,979 Md€ HT

Départements

13 000 ERP

170 000 €

2,210 Md€ HT

Régions

2 000 ERP

226 000 €

454 M€ HT

Total TTC

16,815 Md€ TTC

La difficulté financière et opérationnelle dans laquelle se trouvent les collectivités territoriales pour garantir la pleine accessibilité de leurs équipements constitue, selon Boris Ravignon, auditionné par la commission d'enquête en tant que vice-président d'Intercommunalités de France111(*), un obstacle budgétaire, mais aussi politique et éthique envers les usagers concernés : « les agendas d'accessibilité programmée (Adap) [constituent] autant d'épées de Damoclès, car ils ne sont que partiellement mis en oeuvre : cela crée une dette morale à l'égard d'engagements nationaux sur le handicap ».

L'agenda d'accessibilité programmée de la Ville de Lyon

La stratégie d'accessibilité des bâtiments municipaux lyonnais constitue un chantier de 2,7 millions d'euros annuels, « soit le double par rapport au mandat précédent » comme l'ont détaillé à la commission d'enquête Audrey Hénocque, adjointe aux finances et Sylvain Godinot, adjoint à la transition écologique et au patrimoine.

« Lorsque nous avons pris nos fonctions en 2020, 11 % des bâtiments municipaux étaient accessibles aux personnes en situation de handicap, aujourd'hui, nous sommes à environ 30 % et nous maintenons l'objectif de 50 % d'ici la fin du mandat » ont présenté les élus.

En 2023, 13 chantiers de mise en accessibilité ont été réalisés pour un montant de 590 000 euros, avec à chaque fois trois priorités : l'accessibilité des entrées, celle des accueils et l'accès aux prestations des services publics.

2. Les effets du dérèglement climatique nécessitent des investissements locaux massifs

Depuis plus de vingt ans, les collectivités territoriales sont en première ligne de manifestations de plus en plus visibles du dérèglement climatique et de la multiplication d'événements météorologiques extrêmes : le Sénat se fait le relai de cette préoccupation croissante des élus locaux afin de la porter dans le débat public, notamment depuis le rapport d'information des sénateurs Roux et Dantec de 2019 sur « l'adaptation de la France aux dérèglements climatiques à horizon 2050 ».

a) Les collectivités territoriales sont en première ligne des risques climatiques

Les risques environnementaux auxquels sont exposées les collectivités territoriales sont de plus en plus marqués et de moins en moins exceptionnels, comme l'attestent les données du rapport annuel du Ministère de la Transition écologique sur les chiffres clés relatifs aux risques naturels. Ainsi, la sinistralité liée aux catastrophes naturelles est en forte hausse depuis 2016. Parallèlement, alors que les inondations constituaient, jusqu'en 2010, la principale cause des dégâts indemnisés, les sécheresses et les canicules ont tendance à devenir le phénomène le plus coûteux aujourd'hui.

La tendance à la multiplication d'événements climatiques d'ampleur devrait se poursuivre dans les années à venir, voire s'accentuer. Cela concerne en particulier les risques de submersion marine, les aléas en montagne, les feux de forêt, les précipitations intenses et les cyclones, selon les perspectives dressées par le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC)112(*).

Les effets déjà perceptibles du dérèglement climatique se traduisent par une sinistralité accrue des collectivités locales sur le plan humain, matériel et financier. En particulier, les scénarios d'impacts financiers des risques climatiques à horizon 2050 cités par les travaux de mars 2024 du sénateur Jean-François Husson sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales113(*) dressent la perspective d'un surcoût conséquent lié aux impacts du dérèglement climatique : + 215 % en ce qui concerne les sécheresses et les canicules, + 87 % en ce qui concerne les inondations, et + 46 % pour les tempêtes.

b) Le coût de l'adaptation des collectivités territoriales constitue un impensé

L'adaptation au changement climatique peut être définie comme un processus d'ajustement face aux évolutions climatiques actuelles et futures ainsi qu'aux effets qu'elles entraînent.

Selon les termes du dernier rapport à date de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable sur le sujet, « il est essentiel d'intégrer le fait que l'adaptation nécessite des financements adéquats, des ressources humaines et techniques, ainsi qu'une coordination entre les différents niveaux de gouvernance et les parties prenantes114(*) ».

Lors de son audition devant la commission d'enquête115(*), l'ancien secrétaire général à la planification écologique (SGPE), Antoine Pellion, a reconnu la difficulté pour l'État de disposer d'estimations précises des investissements supplémentaires à engager pour adapter le territoire aux conséquences du dérèglement climatique : « des cinq volets de la planification écologique116(*), l'adaptation des territoires constitue celui que nous sommes le moins capables de chiffrer. »

De fait, selon les méthodologies retenues et les projections climatiques étudiées, les estimations du surcoût de l'adaptation pour les collectivités territoriales sont susceptibles de varier fortement, avec par exemple un ordre de grandeur estimatif de 3 milliards d'euros d'investissements locaux supplémentaires par an d'ici 2030 selon le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz de 2023117(*).

Le 3e Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC 3)

Le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) constitue la stratégie française visant à anticiper et à limiter les impacts du changement climatique sur le territoire national. Conçu pour structurer et harmoniser les politiques d'adaptation, il s'inscrit dans un cadre évolutif, actualisé périodiquement afin d'intégrer les avancées scientifiques et les nouvelles priorités politiques.

Ce texte constitue avec la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC 3) et la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE 3) l'un des trois piliers de la Stratégie française de l'énergie et du climat (SFEC). Il a été adopté en mars 2025 après trois ans de concertations et de consultations.

En ce qui concerne le statut juridique de ce texte : le PNACC est prévu par l'article 42 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement118(*). Il repose principalement sur des orientations stratégiques et des recommandations, qui influencent la réglementation sectorielle, mais n'imposent pas d'obligations directes aux acteurs publics ni privés. Il a un caractère principalement incitatif, qui repose sur l'engagement volontaire des acteurs plutôt que sur des obligations légales strictes.

La trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation
au changement climatique (TRACC)

La principale évolution du PNACC 3 réside dans la définition d'une Trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation au changement climatique (TRACC), qui vise à garantir une préparation efficace face au scénario médian du GIEC, correspondant à un réchauffement global de 1,5 à 2 °C d'ici la fin du siècle, en cohérence avec les engagements internationaux de la France.

La vocation principale de la TRACC est de structurer et de mettre en cohérence les politiques d'adaptation au changement climatique en France.

La TRACC a fait l'objet d'une consultation publique de mai à septembre 2023. Par ailleurs, lorsque le projet de PNACC 3 a été mis en consultation d'octobre à décembre 2024, il se fondait sur la TRACC. Le texte final incite tous les acteurs à prendre la trajectoire en compte.

Cependant, à date, la TRACC n'est pas juridiquement définie et la procédure conduisant à son adoption reste floue. Il n'est donc pas possible d'y faire référence dans des textes normatifs.

La difficulté de chiffrer le mur d'investissements en matière d'adaptation se couple avec un décalage entre, d'une part, les politiques publiques visant à faire face au dérèglement climatique, et, d'autre part, les besoins d'adaptation : en effet, comme le relève le Haut conseil pour le climat dans ses deux derniers rapports annuels119(*), « les aléas climatiques induits par le réchauffement s'intensifient plus rapidement que les moyens mis en oeuvre pour en limiter les impacts ».

Ainsi, pour la mise en oeuvre par les collectivités du PNACC tel que publié en 2025, les financements connus à ce stade sont insuffisants et une grande partie demeure à définir. À titre d'exemple à propos de l'emblématique Fonds vert : celui-ci est mentionné dans le PNACC comme le principal levier de financement de plusieurs mesures du Plan, telles que : « se préparer à l'augmentation attendue des incendies de forêt et de végétation120(*) » ; « renaturer les villes pour améliorer leur résilience121(*) » ; « mieux prendre en compte l'adaptation au changement climatique dans les financements en faveur de la transition écologique122(*) »... Cependant, dans le même temps, le Fonds vert a été réduit de 1,35 milliard d'euros, passant de 2,5 milliards d'euros en 2024 à 1,15 milliard d'euros en 2025123(*).

Cet exemple concerne des mesures dont les modalités de financement ont été précisées, sans toutefois que les montants consacrés ne soient indiqués. Cela n'est même pas le cas de la grande majorité des mesures du Plan, pour lesquelles ne sont indiqués ni les montants consacrés ni les modalités de financement.

Outre l'insuffisance des financements, le nouveau PNACC reste très succinct sur le volet économique et ne contient ni vision d'ensemble des moyens actuellement engagés pour l'adaptation ni de vrai budget associé aux mesures proposées, et ce en dépit des demandes faites de chiffrage précis formulées par la majorité des élus auditionnés par la commission d'enquête ainsi que par la Cour des comptes124(*). La commission d'enquête a ainsi entendu s'exprimer un réel désarroi à ce sujet lors des auditions des associations d'élus locaux. Ainsi, les représentants de l'Association des Maires de France (AMF) ont déclaré devant la commission d'enquête : « Le PNACC repose sur toute une série de mesures dont la mise en oeuvre a été renvoyée aux collectivités sans étude d'impact ni hiérarchisation. Il n'est pas possible qu'elles puissent assurer leurs missions de façon satisfaisante dans ces conditions. Cela suscite un sentiment d'impuissance et fragilise la capacité à agir des collectivités. Nous avons l'impression, au fond, que les contraintes locales des élus ne sont pas prises en compte. »125(*) Cette perception de ses adhérents a d'ailleurs conduit l'AMF à émettre un avis « très réservé » sur le projet de PNACC lors de la consultation publique dont celui-ci a fait l'objet à l'automne 2024.

Il ressort en outre des auditions de la très grande majorité des associations d'élus entendues par la commission d'enquête que le chiffrage précis des efforts budgétaires à anticiper conditionne sensiblement la capacité des élus locaux à se projeter sur le long terme. Ainsi, il est crucial pour les collectivités territoriales de pouvoir évaluer et de budgéter les financements nécessaires pour décliner, en vertu de leurs compétences respectives, les 51 mesures proposées dans le PNACC. Cela implique d'explorer tous les leviers économiques et financiers disponibles. Une évaluation approfondie des coûts et des sources de financement est essentielle pour garantir la faisabilité et l'efficacité de la mise en oeuvre de ces mesures.

Recommandation n° 7 : compléter le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), et tout autre document de planification, d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées (Gouvernement).

Perspectives sur l'adaptation : le point de vue de la Métropole de Lyon

La Métropole de Lyon, rencontrée par la commission d'enquête126(*), produit des ressources documentaires127(*) qui ont vocation à alimenter le débat public local.

Le Pôle « Prospective » de la Métropole a ainsi rencontré la géographe Magali Reghezza-Zitt, géographe spécialiste des questions environnementales et urbaines et ancienne membre du Haut Conseil pour le Climat. Cet entretien128(*) propose des pistes de réflexion qui rejoignent le périmètre de la commission d'enquête (extraits) :

« Conférer un pouvoir d'action aux échelons locaux ne doit pas être un transfert à sens unique des coûts et des responsabilités, avec un désengagement de l'État. On a plus que jamais besoin d'une stratégie nationale, voire européenne, car les choix opérés auront des conséquences sur les territoires environnants. On a donc besoin d'un État stratège, qui oriente l'action, qui distribue les moyens de façon juste, qui arbitre, compense, accompagne, sanctionne parfois, afin de permettre une action locale à la hauteur des enjeux. Et cette action doit marcher sur deux jambes complémentaires : adapter le territoire, tout en réduisant les émissions. »

« L'action d'adaptation est forcément locale, sectorielle et spécialisée, mais la coordination, le financement, la répartition des moyens, la mobilisation et le pilotage des ressources et capacités sont nécessairement nationaux. Tous les territoires ne sont pas égaux en termes d'exposition, de fragilités, de ressources. L'adaptation ne doit donc pas juste renvoyer les territoires et acteurs locaux à la charge de s'adapter sans les outiller ni les accompagner. » [...]

« J'alerte sur le fait que le déficit de moyens et le cadre d'action actuel, le PNACC 3, ne doivent pas amener à imaginer que la vision locale suffit à régler le problème ou que les territoires fonctionnent en isolat. Mettre en oeuvre l'adaptation, c'est d'abord créer un cercle vertueux en articulant l'action des échelons locaux, en construisant localement les conditions qui vont rendre possible l'action individuelle. S'il ne le fait pas, on condamne les élus locaux à gérer des crises permanentes ou successives. »

c) Deux postes d'investissement majeurs à anticiper par les collectivités sont l'adaptation du bâti et la végétalisation de l'espace public
(1) L'adaptation du patrimoine bâti

L'adaptation du patrimoine bâti des collectivités territoriales aux épisodes climatiques extrêmes et en particulier aux vagues de chaleur qui sont amenées à s'intensifier sur le territoire est identifiée par la littérature économique comme étant le principal défi auquel font face les collectivités en matière d'adaptation129(*). Ce défi titanesque n'est pas seulement financier, mais touche à des questions plus fondamentales de continuité des services publics locaux dans des conditions matérielles dégradées comportant un risque pour la santé ou la sécurité des usagers.

Selon le think tank de référence I4CE, l'intégration des enjeux d'adaptation climatique dès la conception d'un équipement se traduit par un surcoût de l'ordre de 10 %130(*), chiffre qui est susceptible d'être multiplié par 4 lorsqu'il s'agit d'un bâti existant. La majorité des équipements publics locaux qui seront en service en 2050 sont déjà construits : autant d'équipements qui seront confrontés à un climat probablement très différent que celui que nous connaissions au moment de sa conception. La délégation sénatoriale à la prospective du Sénat alerte ainsi sur une « urgence d'ores et déjà déclarée »131(*).

L'immense défi de l'adaptation climatique du bâti scolaire

Les 51 000 établissements scolaires publics représentent 45 % du patrimoine des collectivités territoriales, qui investissent chaque année plus de 8 milliards d'euros dans leur entretien132(*).

La sénatrice Nadège Havet, rapporteure de la mission d'infirmation lancée au Sénat suite aux chaleurs intenses constatées dans les salles d'examen du baccalauréat lors de la canicule de l'été 2022, insiste sur la complexité que représente le défi de l'adaptation scolaire pour les élus locaux : l'exercice de la programmation est éminemment complexe en raison de la grande technicité du sujet et de l'hétérogénéité du patrimoine bâti : « le coût de deux opérations de même nature et de même niveau peut varier du simple au double selon l'état initial du bâtiment, son époque de construction, les matières utilisées et la nécessité de travaux liés à la présence d'amiante ou de plomb. » Il en découle pour les élus une grande difficulté pour estimer le coût des investissements nécessaires et a fortiori pour les programmer.

Des pistes techniques vertueuses encore peu mobilisées
dans les équipements publics

Sans prise en compte de l'évolution du climat lors de la conception ou dans les opérations de rénovation des bâtiments, la réponse la plus probable face à des étés de plus en plus chauds sera le recours massif à la climatisation, dont le marché est en constante progression (800 000 unités vendues en France par an selon l'Ademe) et dont les externalités négatives sont considérables.

Il sera impossible pour les gestionnaires d'équipements publics locaux de ne pas mobiliser la climatisation en appui des publics les plus fragiles, notamment dans les Ehpad ou les établissements d'accueil de la petite enfance. Des leviers existent toutefois pour en dépendre le moins possible et optimiser son usage, mais ceux-ci sont encore émergents et correspondent ainsi à un nouveau « mur d'investissements » à anticiper pour les collectivités.

Parmi les pistes possibles, la Ville de Paris met à la disposition de ses chefs de projets dans le domaine du patrimoine et de l'architecture un « Guide environnemental » recensant quelques solutions existantes pour rafraîchir le bâti municipal (extraits) :

En ce qui concerne le bâti existant : « les dispositifs constructifs déjà en place assurant une ventilation naturelle des locaux doivent être conservés ou adaptés. En cas d'impossibilité technique ou de contraintes liées à la préservation du patrimoine architectural ou à l'insertion dans le cadre bâti environnant, des dispositifs produisant des effets équivalents doivent être mis en oeuvre. Les interventions sur les façades doivent être l'occasion d'améliorer l'isolation thermique des baies par l'installation de dispositifs d'occultation (contrevents, persiennes, jalousies, etc.) ou par le remplacement des dispositifs existants s'ils sont peu performants. »

En ce qui concerne les projets de nouvelles constructions : « certaines solutions pour rafraîchir le bâti devront être intégrées aux projets. Pour cela, il est possible de mettre en place des solutions de rafraîchissement passives telles les protections solaires (casquettes, brises soleil, volets, persiennes, etc.), qui doivent être impérativement situées à l'extérieur pour prévenir efficacement la surchauffe du bâtiment.

« Il est également possible de tester de nouvelles solutions de rafraîchissement passives ou peu énergivores. Par exemple :

Augmenter la part de ventilation naturelle (par tirage thermique) pour permettre le rafraîchissement nocturne ;

Réduire les apports thermiques internes (condenseurs des appareils réfrigérants, éclairage, bureautique, etc.) ;

Intégrer aux constructions neuves des matériaux apportant de l'inertie thermique.

« Les matériaux de construction à forte inertie permettent d'emmagasiner et de stocker la chaleur en excès, évitant que la chaleur se retrouve dans l'air ambiant et améliorant ainsi le confort thermique [...]

« L'isolation thermique du bâtiment complète le dispositif constructif : les matériaux biosourcés (issus de matières organiques renouvelables) sont à privilégier notamment du fait de leur temps de déphasage plus long et de leur respirabilité. Ces dispositions permettent également le maintien de la chaleur lors de la saison froide ;

Choisir les revêtements de couverture et des façades exposées (Est, Sud et Ouest) en fonction de leur capacité à réfléchir les rayons du soleil (albédo) ;

Utiliser une pompe à chaleur puisant la fraîcheur du sous-sol ;

Étudier la possibilité de recourir à des climatisations alternatives : rafraîchissement adiabatique (par humidification), machine à absorption, climatisation magnétique, climatisation solaire, cheminées solaires (sous réserve des consommations d'énergie nécessaires et de l'absence d'impacts sanitaires)133(*). »

L'ensemble de ces pistes émergentes est susceptible de se traduire dans des investissements conséquents, illustrés par exemple, en ce qui concerne le bâti existant de la Ville de Paris, par les crédits consacrés aux travaux sur les ventilations des équipements publics (24,4 millions d'euros au budget 2025) ou les 600 000 € annuels consacrés à l'installation de volets aux fenêtres des équipements publics.

Le principal levier mis à la disposition des collectivités territoriales pour l'adaptation du bâti est le Fonds vert, dispositif créé en 2022 et doté en moyenne de 2,2 milliards d'euros annuels sur la période 2022-2024 - il a été depuis réduit de plus d'un milliard pour atteindre 1,15 milliard d'euros en 2025.

Les crédits du Fonds vert qui ont soutenu des mesures d'adaptation du bâti public local ont représenté 14 % de l'enveloppe globale depuis 2022. Cependant, il est ressorti des auditions des associations d'élus que les incertitudes qui pèsent sur les futures dotations du Fonds vert pourraient les conduire à devoir reporter, voire geler un nombre significatif de projets dans leur programmation.

Le think tank I4CE estime134(*) que la nécessité de soutenir l'adaptation du bâti public local, notamment par le biais du Fonds vert, constitue un « enjeu récemment identifié par l'État, mais insuffisamment pris en compte ». Ainsi, en septembre 2023, le Gouvernement annonçait un objectif de 40 000 écoles primaires publiques rénovées d'ici 10 ans, annonce qui, pour la première fois, mentionnait le confort d'été en s'appuyant sur les financements du Fonds vert. Cet engagement s'est traduit par la mise à jour par le ministère du « Cahier d'accompagnement des porteurs de projet et des services instructeurs pour les rénovations énergétiques des bâtiments publics locaux » en mai 2024. Les travaux spécifiques au confort d'été tels que la ventilation ou les protections solaires sont ainsi devenus éligibles à un soutien du Fonds vert.

Cette avancée demeure toutefois « largement insuffisante » selon I4CE : en effet, il n'est jamais exigé de vérifier systématiquement dans les dossiers instruits si le confort d'été a été correctement pris en compte dans la conception du projet.

De manière générale, le confort d'été reste un sujet relativement absent de la plupart des rénovations énergétiques de bâtiments publics locaux. Certaines collectivités tentent néanmoins de progresser en intégrant cet aspect, parfois en tenant compte du climat actuel, parfois avec des données prospectives. Toutefois, en l'absence de cadre de référence commun, chacune adopte sa propre méthodologie, notamment concernant l'horizon temporel à considérer ou les scénarios climatiques à mobiliser pour établir les projections.

Stratégie d'investissement dans l'adaptation du bâti existant :
l'exemple de la Ville de Lyon

Les élus rencontrés par la commission d'enquête ont souligné la difficulté représentée par le fait que la grande majorité du patrimoine public, constitué de 1 200 bâtiments soit du bâti ancien.

Sylvain Godinot, adjoint à la transition écologique et au patrimoine, a ainsi déclaré à la commission d'enquête : « L'adaptation du bâti est ma principale préoccupation. Au début de notre mandat, nous avons pu constater qu'aucun des bâtiments du parc municipal ne résiste aux conséquences du dérèglement climatique. Même les équipements livrés en début de mandat, qui correspondaient aux investissements engagés sous le mandat précédent, ont subi des dégâts lors des dernières grosses précipitations ; ils n'ont pas été conçus pour s'adapter aux conséquences du dérèglement climatique. Au vu des investissements que nous avons à engager pour l'adaptation du bâti existant, on peut dire que nous avons une « dette patrimoniale » importante. »

La Ville de Lyon a ainsi mis en place une stratégie d'investissements en se fixant un objectif de « rénovation totale »de dix équipements par an « selon des critères d'adaptation exigeants que nous nous fixons nous-mêmes dans la mesure où la réglementation actuelle ne prend pas en compte les enjeux d'adaptation ». Malgré un plan pluriannuel des investissements (PPI) « ambitieux » de 1,3 milliard d'euros, en hausse de 30 % par rapport au mandat précédent, « pour couvrir l'ensemble du parc d'ici 2030, il nous faudrait l'équivalent d'un deuxième PPI. »

(2) Le rafraîchissement de l'espace public dans les aires urbaines

À l'horizon 2050, les canicules en France devraient être deux fois plus nombreuses qu'actuellement, mais aussi plus sévères et plus longues, ce qui correspondra à des températures de 28 °C pendant plus de 30 jours, à plusieurs reprises135(*). Les zones urbaines sont particulièrement vulnérables à ces épisodes extrêmes, celles-ci étant soumises au phénomène de surchauffe urbaine.

Le phénomène « d'îlot de chaleur urbain » ou de surchauffe urbaine

Le phénomène d'îlot de chaleur urbain se caractérise par un rafraîchissement nocturne limité en ville par rapport à la campagne, en raison notamment du stockage de la chaleur par les matériaux urbains en journée, de + 15 % à + 30 % dans les zones denses.

Source : Cerema

L'amplification des chaleurs intenses à anticiper rendra plus prégnant le phénomène de surchauffe urbaine, sur une saisonnalité plus étendue.

L'îlot de chaleur urbain constitue un facteur d'aggravation de la vulnérabilité des villes en cas de vague de chaleur. La situation des citadins soumis à ces conditions extrêmes peut conduire à des coups de chaleur et des déshydratations pouvant aller jusqu'au décès des personnes les plus fragiles. À titre d'exemple, lors de la canicule de 2003, la surmortalité s'est élevée de 141 % à Paris, alors qu'en zones rurales, elle atteignait 40 %.

Outre sa grande dangerosité sur la santé, ce phénomène a des impacts variés sur le bien-être des habitants, sur le caractère praticable de l'espace public et donc sur l'attractivité des centres-villes, sur les consommations énergétiques (climatisation) ou encore sur la résilience des infrastructures ou les réseaux urbains.

Parmi les pistes que le Cerema estime les plus efficaces en matière de rafraîchissement urbain, les solutions dites « fondées sur la nature » impliquant la mobilisation de végétal ou d'eau dans l'espace public sont fréquemment mises en avant136(*). En ce qui concerne les seules dépenses d'investissement nécessaires à « renaturer » les zones urbaines, une étude de Carbone 4137(*) les estime à 14 milliards d'euros sur la période 2021-2050, soit 480 millions annuels pour une superficie totale à végétaliser de 12 500 hectares.

Il est à noter que ce type de solution implique pour les collectivités des dépenses d'investissement conséquentes, mais également des coûts de fonctionnement : par exemple, pour garantir les capacités d'entretien d'espaces verts qui s'étendent, ou la révision périodique de brumisateurs ou de fontaines. Ce surcoût de fonctionnement constitue lui aussi une difficulté supplémentaire pour les collectivités : les représentants de l'AMF auditionnés par la commission d'enquête ont ainsi évoqué la « double peine » financière représentée par la nécessité de lutter contre la surchauffe urbaine : « Le vivant coûte cher à l'entretien. Il est probable que les politiques d'adaptation au changement climatique marquent le pas, tout simplement parce que les communes n'auront pas les moyens d'entretenir de nouveaux espaces végétalisés. »

L'adaptation au phénomène de surchauffe urbaine génère également un surcoût à anticiper pour les opérations d'aménagement : à titre d'illustration, à Lyon, lors du réaménagement de la place de Francfort (8 500 m²) en 2020, le surcoût lié aux choix techniques permettant de réduire l'effet d'îlot a été estimé à + 10 % par le Cerema.

Lutte contre le phénomène d'îlot de chaleur urbain :
l'exemple de la Ville de Paris

Selon l'étude de vulnérabilité138(*) établie en 2021 pour la Ville de Paris, l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des périodes caniculaires constitue le premier enjeu climatique auquel la collectivité doit faire face, d'autant que le phénomène d'îlot de chaleur urbain en amplifie les effets : « tous les indicateurs futurs sont au rouge : nous devons anticiper 22 jours en 2050 de très fortes chaleurs (températures égales ou supérieures à 30°C) contre 14 aujourd'hui [...] Les vagues de chaleur devraient donc être plus fréquentes, mais aussi plus sévères et plus longues. Elles pourraient aussi se produire sur une période plus étendue, du printemps à l'automne. »

En outre, selon une étude139(*) réalisée par l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur), 65 % des voies parisiennes ont un trottoir sur lequel l'inconfort thermique est notable en cas d'ensoleillement, ce qui correspond à 1 082 km de linéaire.

Afin de tenter de contrer ce phénomène, la Ville de Paris a fait de l'adaptation urbaine une « thématique prioritaire d'investissement » : en témoignent par exemple les montants arbitrés en faveur de la débitumisation et de la végétalisation des trottoirs, du programme « 30 hectares d'espaces verts supplémentaires », ou encore la création de « cours oasis » (cours d'écoles débitumisées et structurées en îlots de fraîcheur) pour une enveloppe globale de 320 millions d'euros sur la mandature 2020-2026.

En outre, 8 millions d'euros ont été consacrés à pérenniser la baignade en Seine et 3 millions d'euros au déploiement d'ombrières et de brumisateurs dans l'espace public afin de le rafraîchir lors des pics de chaleur.

3. Investissements bas-carbone : les collectivités territoriales en première ligne

En tant que premier investisseur public, les collectivités territoriales portent l'augmentation de l'investissement public en matière climatique : selon le « Panorama des financements climat des collectivités locales » du think tank I4CE (données 2023), « l'évolution des investissements climat des collectivités participe à la hausse des investissements climat en France, tous acteurs confondus [...] D'après nos estimations, les investissements climat des collectivités augmentent même plus rapidement que l'ensemble de leurs dépenses d'investissement tous secteurs confondus. »

Les investissements locaux en matière de décarbonation dépendent d'un ensemble de facteurs budgétaires et économiques, mais soulèvent également des enjeux de prévisibilité et de stabilité des ressources ainsi que de confiance des élus locaux, notamment sur l'accompagnement dont ils peuvent bénéficier de la part de l'État.

a) Une appropriation croissante par les collectivités des enjeux de décarbonation

Parmi l'ensemble des échelons territoriaux, une part non négligeable des élus se sont appropriés les enjeux climatiques, a minima pour des raisons d'intérêt bien compris : la totalité des associations d'élus auditionnées ont ainsi cité l'exemple de la rénovation énergétique des bâtiments et de sobriété carbone, telle que l'Association des Petites Villes de France : « concernant les objectifs de transition, les maires sont volontaires, ne serait-ce que parce que la rénovation thermique présente notamment un intérêt en termes d'économies budgétaires »140(*) ».

Cette perception est robuste et objectivée sur le plan économique : les collectivités dépensent en effet plus de 2,5 milliards d'euros chaque année en énergie fossile selon I4CE. La décarbonation « n'est pas qu'un sujet environnemental et climatique : c'est aussi un enjeu de souveraineté, dans la mesure où les pays fournisseurs ne nous sont pas toujours favorables, et c'est aussi un sujet de bonne gestion des deniers publics. »

La commission d'enquête a relevé de manière récurrente que cette appropriation et ce volontarisme climatiques locaux faisaient l'objet d'une réelle fierté pour les collectivités concernées, avec la perception aigüe du rôle déterminant de l'investissement local pour la décarbonation, à l'instar de l'association Régions de France : « l'effort de verdissement est constant. La région Île-de-France réunit ainsi les deux plus gros chantiers publics d'Europe, à savoir le Grand Paris Express et la rénovation thermique des lycées, avec plus d'un milliard d'euros par an, majoritairement dédié à l'efficacité énergétique. »141(*)

Cette perception est corroborée par les chiffres mis en avant par la littérature économique. Selon les données d'I4CE et du pôle « études et recherche » de la Banque postale142(*), les investissements des collectivités locales en faveur du climat dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l'énergie ont atteint 8,3 milliards d'euros en 2022. Ils sont en augmentation de 44 % depuis 2017. D'après les dernières données disponibles, ils ont continué d'augmenter en 2023 pour atteindre 10 milliards d'euros. Cette évolution provient notamment de l'augmentation des investissements des collectivités dans la mobilité électrique (véhicules et infrastructures de recharge), dans les transports collectifs - ferroviaire et transports en commun urbains - et pour la rénovation énergétique de leurs bâtiments.

Source infographie : I4CE / la Banque Postale

Cette appropriation des enjeux climatiques est d'ailleurs souvent appréhendée de manière globale, et intégrée de manière transversale dans les politiques publiques locales. À l'inverse, la catégorisation des investissements locaux de manière trop sectorielle conduit, selon les estimations de l'APVF, à sous-estimer la part écologique des investissements des collectivités » : « nos calculs récents montrent qu'au moins 60 % des investissements des collectivités de notre strate ont une dimension climatique, et cette donnée est probablement sous-évaluée. »

b) La dynamique locale de décarbonation est actuellement menacée

De l'avis unanime des associations d'élus locaux, la séquence budgétaire de l'automne 2024 a été « très mal vécue » par les collectivités, nourrissant souvent un sentiment de « perte de confiance » vis-à-vis de l'État : en témoigne par exemple l'APVF lors de son audition par la commission d'enquête : « Lors des Assises des petites villes de France, qui se sont tenues en septembre [2024], le Ministre de la Transition écologique, également chargé des territoires, avait annoncé l'augmentation du Fonds vert comme une perspective durable et pérenne. L'objectif était d'offrir une visibilité aux décideurs publics locaux, comparable à celle dont ont besoin les acteurs économiques, d'où le montant de 2,5 milliards d'euros annoncé à l'époque. La réduction de ce Fonds vert annoncée le mois d'après a été très mal perçue dans les territoires. »

I4CE juge de son côté que les annonces du premier PLF 2025 ont suscité des « inquiétudes légitimes sur les perspectives économiques à court et à moyen terme », notamment dans la mesure où la nette diminution des enveloppes « climat » (Fonds vert et Fonds chaleur) en 2025 « affaiblit le signal de priorisation qui avait été envoyé ces dernières années aux acteurs locaux et risque de créer dès 2025 un climat défavorable à un investissement local dynamique ».

Ce risque de décélération climatique se matérialise déjà selon l'association de collectivités Amorce143(*). À la question posée à leurs adhérents en octobre 2024 : « au regard des risques de coupes budgétaires de l'État, avez-vous remis en cause au moins un projet territorial en matière de décarbonation ? », 91 % des 105 collectivités sondées ont répondu par l'affirmative. Ce contexte budgétaire et économique incertain est également source de pessimisme pour les élus locaux : 68 % des adhérents d'Amorce se sont déclarés « peu ou pas du tout confiantes dans la capacité de leur territoire à atteindre la neutralité carbone en l'état des politiques publiques actuelles et à moyens constants ».

Au-delà de la dynamique budgétaire récente, le risque relevé y compris par les opérateurs de l'État est celui d'une perte de confiance des collectivités territoriales en matière de priorisation et d'accompagnement de l'État sur les sujets environnementaux, qui constituerait un autre facteur potentiel de décélération climatique pour les collectivités territoriales. Tel est par exemple le constat formulé par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) suite à la diminution de l'enveloppe de la mesure « Territoires d'industrie en transition écologique » du Fonds vert, qui avait connu un « fort succès » en 2024 avec plus de 300 candidatures déposées et 163 projets lauréats sur l'ensemble du territoire national, représentant 63 millions d'euros de subventions accordées pour un prévisionnel de 779 millions d'euros d'investissements industriels. : « en 2025, la mesure est cependant reconduite avec des moyens en baisse alors que l'attente des collectivités et industriels reste forte pour la mesure avec de nombreux dépôts de dossiers attendus [...] En termes de priorités, l'enjeu est ainsi de pouvoir assurer la pérennité des moyens du Fonds vert et la crédibilité de l'accompagnement pluriannuel de l'État auprès des collectivités territoriales en matière de transition écologique après plusieurs baisses successives des budgets en la matière, afin d'accompagner les collectivités sur leurs projets de transition écologique, notamment sur les projets les plus complexes et de long terme (déploiement de filières industrielles de la transition écologique, requalification de friches industrielles fortement polluées... »144(*). Un autre facteur potentiel de décélération climatique est identifié par le fait que certains dispositifs de l'État font émerger des besoins locaux en matière de transition écologique, mais que, selon les termes de l'ANCT, « les dispositifs actuels ne permettent pas de répondre à l'ensemble de ces besoins exprimés ». Par exemple, le programme « Territoires d'Industrie » piloté par l'ANCT a fait remonter 820 actions environnementales sur le territoire national, dont la mise en oeuvre nécessite « de vastes besoins d'accompagnements humains, en ingénierie et en financement » : « les besoins de financement pour le recyclage foncier de friches industrielles dans le cadre des 55 « sites industriels clés en main » ne sont pas couverts à date et de nombreux sites peinent à trouver un modèle économique viable à moyen et long terme. En plus des enjeux de recyclage foncier, certaines collectivités rencontrent des difficultés pour financer les études réglementaires nécessaires au pré-aménagement d'une zone (étude faune/flore, étude archéologique) alors que cette anticipation est clé dans l'accélération des implantations industrielles ».

Le risque d'essoufflement de la dynamique écologique dans les territoires est donc bien réel et caractérisé comme tel, d'autant plus suite à des déclarations telles que celles formulées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires Christophe Béchu lors de son audition par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024 : « Il est essentiel que nous mettions des tuyaux " de financement en face des " tuyaux " de projets afin de ne pas alimenter de suspicion sur la capacité des territoires à avancer »145(*).

c) La mise en oeuvre des ambitieuses politiques climatiques nationales repose largement sur les collectivités territoriales

En vertu du code L. 222-1B du code de l'environnement, la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), soit le document qui traduit juridiquement l'engagement de la France en matière de décarbonation vis-à-vis de ses obligations internationales, s'impose aux collectivités territoriales : celles-ci, à l'instar des autres acteurs publics, doivent en tenir compte dans leurs documents de planification et de programmation qui « ont des conséquences significatives sur les émissions de gaz à effet de serre ».

La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC)

La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) a été instaurée par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Elle constitue l'outil de planification pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l'ensemble des secteurs d'activité.

Cette feuille de route comprend comme objectif de long terme la neutralité carbone en 2050 et la réduction de l'empreinte carbone. Elle décline cet objectif selon une trajectoire de décarbonation cible pour y parvenir, fondée sur un ensemble de mesures et d'hypothèses par secteur, ainsi que des plafonds d'émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser par période de cinq ans, dits « budgets carbone ».

La contribution financière de l'investissement local à l'objectif fixé par la SNBC est évaluée avec une précision croissante par la littérature économique. Dans la continuité des travaux d'I4CE et de la mission pilotée par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, l'Inspection générale des finances (IGF)146(*) a évalué les besoins d'investissement des collectivités territoriales pour la transition écologique à 21 milliards d'euros par an d'ici 2030, dont près de 15 milliards annuels pour les actions de réduction de gaz à effet de serre. Lors de son audition par la commission d'enquête, I4CE a présenté le même ordre de grandeur d'estimations : « pour atteindre la neutralité carbone, les collectivités doivent plus que doubler leurs investissements pour le climat ».

Source : I4CE

Ainsi, les dépenses publiques des collectivités doivent augmenter de l'ordre de 11 milliards d'euros entre 2025 et 2030 en moyenne annuelle pour la seule mise en oeuvre de la stratégie nationale bas-carbone : « ces dépenses ne peuvent être reportées sur les acteurs privés du fait des compétences et du patrimoine des collectivités territoriales »147(*).

L'organisme France Stratégie148(*) estime que « les quatre cinquièmes des mesures de la SNBC nécessitent une implication des collectivités territoriales ». Un exemple parlant, cité par I4CE lors de son audition, est constitué par le secteur des transports, dont la neutralité carbone définie dans la SNBC repose principalement sur un objectif de triplement par les communes du nombre d'infrastructures cyclables : sur ce volet de la SNBC, « les collectivités sont seules à bord et les 50 millions d'euros prévus dans le cadre du " plan vélo " de l'État ne changeront pas la donne au regard des besoins. Le financement de cette mesure repose exclusivement sur les collectivités. »

L'autre exemple le plus cité est celui de la rénovation énergétique des bâtiments publics locaux : selon les déclarations de l'association Amorce lors de son audition : « pour la rénovation des bâtiments publics, nous reprenons les hypothèses figurant dans le rapport Pisani-Ferry, avec un minimum de 10 milliards d'euros par an, principalement au niveau local, pour atteindre les objectifs fixés dans l'ancienne Stratégie nationale bas-carbone.[...] La majeure partie de cet investissement incombera aux collectivités. C'est d'autant plus vrai que les nouvelles directives réglementaires imposent soit de rénover 3 % par an de la surface, soit de trouver des économies équivalentes. Ce mur d'investissement est d'autant plus conséquent qu'il est chiffré pour atteindre des objectifs qui ont évolué depuis l'ancienne SNBC et l'ancienne programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), avec des projections actuelles qui sont encore plus ambitieuses. »

Cette situation alimente chez les élus locaux le sentiment d'un affaiblissement de leur marge de manoeuvre et d'une évolution de leur rôle vers un « opérateur des politiques publiques nationales », allant parfois jusqu'à évoquer la transition écologique comme une compétence nouvelle non compensée : toujours selon les termes de l'association Amorce : « les collectivités territoriales se retrouvent aujourd'hui dans une position de prestataires de l'État, devant appliquer des planifications décidées au niveau national sans avoir nécessairement eu leur mot à dire. De plus, elles ont été privées de recettes propres pour financer leurs projets. Il est important de rappeler le principe constitutionnel selon lequel chaque transfert de compétences vers les collectivités devrait s'accompagner d'un transfert de ressources. Par exemple, pour le tri à la source des biodéchets, les collectivités territoriales font face à un surcoût de 7 à 20 euros par habitant par an, alors que le Fonds économie circulaire ne finance cette année que 20 millions d'euros pour l'ensemble des collectivités. » En guise d'illustration de cette perception de leurs adhérents, l'association relève que « 86 % des 105 répondants estiment que l'accompagnement financier de l'État et de ses opérateurs et agences est insuffisant pour la mise en oeuvre de leurs obligations réglementaires en matière climatiqu».

Une piste souvent évoquée pour rétablir un climat favorable à l'investissement public local en matière de décarbonation et redonner de la confiance et de la visibilité aux investisseurs publics locaux est, en miroir de la recommandation précédemment formulée par la commission d'enquête à propos du PNACC, de compléter la SNBC d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées.

Recommandation n° 8 : compléter la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées (Gouvernement).

Ce besoin de visibilité et de robustesse des analyses économiques et financières faisant consensus, un document produit par l'État a tenté de répondre à cet objectif : la Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (SPAFTE). Afin de favoriser la montée en puissance nécessaire des investissements écologiques, l'article 9 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 prévoit la remise annuelle au Parlement par le Gouvernement, avant le début de la session ordinaire, d'une stratégie pluriannuelle qui définit les financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale afin d'assurer une montée en puissance des investissements à la hauteur des besoins de la transition écologique.

Cependant, de l'avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat149(*), la SPAFTE produite en 2024 constitue un « premier exercice au bilan mitigé » : « élaboré par la seule direction générale du Trésor, le rapport remis au Parlement ne résulte pas d'un travail interministériel. Il indique que si le secteur privé aligne sa part d'investissement bas-carbone d'ici 2027 avec le secteur public, et si ce secteur public poursuit la hausse tendancielle de l'effort, les investissements bas-carbone pourraient progresser de 63 milliards d'euros d'ici 2027. Les leviers qui pourraient conduire à cette augmentation de l'investissement privé ne sont pas détaillés, il s'agit donc d'un scénario plutôt que d'une stratégie politique pluriannuelle de financement étayée et crédible ».

En outre, la SPAFTE se concentre sur le court terme, dans la mesure où elle annonce des financements d'ici à 2027, alors que tous les objectifs de décarbonation sont définis à un horizon 2050.

Enfin, elle n'est pas non plus incluse dans le périmètre du rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État, un document qui fait l'objet d'un suivi parlementaire chaque année, ce qui lui confère une portée limitée et un manque de lisibilité peu démocratique.

Recommandation n° 9 : conférer à la Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (SPAFTE) une portée transversale et interministérielle en y associant notamment les ministères chargés respectivement de la transition écologique, de l'agriculture et de la recherche et de l'enseignement supérieur ; la compléter d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées à un horizon plus large que 2027 (Gouvernement).

4. La gouvernance introuvable de la transition écologique

Selon les termes de l'ancien secrétaire général à la planification écologique, Antoine Pellion, devant la commission d'enquête : « les effets du réchauffement climatique ne nous permettent pas de rester sur un statu quo en matière de gouvernance et d'enjeux de financement, selon chaque échelle territoriale, secteur par secteur. Ce travail d'articulation et de coordination [des interventions respectives de l'État et des collectivités territoriales en matière d'environnement] recoupe des sujets potentiellement très conflictuels. »

Outre le niveau de financement, c'est aussi également la méthode de financement qui doit être repensée en termes de dialogue et de pilotage stratégique : les services de l'État au niveau central et au niveau déconcentré doivent associer les collectivités territoriales au pilotage de l'action environnementale au regard des contraintes liées aux finances locales et à la libre administration des collectivités. Comme sur les questions financières, il apparaît nécessaire d'instaurer une gouvernance transversale du financement de la transition écologique qui soit compatible avec le principe de libre administration.

a) La spécificité des sujets environnementaux impose une nouvelle gouvernance

Les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales sur les sujets environnementaux traduisent la complexité de ces sujets éminemment transversaux : selon la contribution de l'ANCT, « les principales difficultés constatées sont liées aux montants des financements disponibles et au manque d'accès à l'ingénierie. En effet, les projets de transition écologique, pour répondre aux enjeux d'atténuation et d'adaptation au changement climatique, sont plus complexes et nécessitent des investissements et des moyens d'ingénierie plus importants. » Les sujets climatiques et d'adaptation « requièrent une expertise à 360 degrés » et ne peuvent ainsi être isolés par une approche sectorielle, ce qui nécessite un appui spécifique. Cependant, dans le même temps, l'Agence relève que les collectivités rencontrent des difficultés de plusieurs ordres : « déficit de financement, de continuité, d'accessibilité et de stabilité des dispositifs publics » ; en outre, « l'action publique manque parfois de lisibilité », en témoigne par exemple la « multiplicité des acteurs intervenant dans le champ de l'accompagnement à la transition écologique ».

Ce besoin de vision stratégique globale témoigne de travaux encore inaboutis et d'une articulation non effectuée entre le volet lié aux objectifs et le levier relatif aux financements, sur le plan économique notamment : Antoine Pellion a ainsi reconnu devant la commission d'enquête : « je ne suis pas aujourd'hui en mesure de vous indiquer le besoin net de subventions supplémentaires qu'il conviendrait d'engager. En effet, nous n'avons pas terminé ce travail consistant à identifier les différentes sources de financement possibles selon les secteurs d'intervention et à consolider les montants afin de déterminer, une fois que toutes les autres pistes de financement possibles ont été explorées, le niveau de financement résiduel qui devra être réalisé par le biais de subventions pures. ».

À l'inverse, l'économiste François Thomazeau du think tank I4CE a identifié lors de son audition par la commission d'enquête la nécessité de « changer les pratiques à toutes les échelles » en articulant les dimensions stratégique, politique et financière : « la première condition est de garantir les conditions d'un investissement local dynamique et pérenne [...] ; il devient fondamental, dans ce contexte, de mieux structurer le débat autour des finances locales ».

Dans le même registre, l'ANCT évoque dans sa contribution la « mise en place d'espaces de dialogue et de pilotage ouverts (associant collectivités, opérateurs, services de l'État, acteurs économiques, etc.) et qui permettent de définir au niveau local des plans d'actions concrets en matière de transition écologique (par exemple : requalification de friches, développement de filières locales...) - dans un rôle d'« usine à projets ». Toutefois, « pour que cela soit pleinement efficace, les collectivités doivent être en mesure de se projeter sur des actions de moyen ou long terme et d'avoir confiance en l'accompagnement dont elles pourront bénéficier de la part de l'État. Cela nécessite ainsi un État qui soit capable de s'engager sur des stratégies et des moyens de manière pluriannuelle ».

b) Une méthode qui reste à trouver : quelle place pour le principe de libre administration ?

La nécessité d'une vision stratégique globale et d'une association des collectivités aux politiques environnementales nationales a été perçue par l'exécutif, qui a entamé depuis 2022 et la création du Secrétariat général à la Planification Écologique une démarche de « territorialisation de la planification écologique ».

Telle que décrite par Antoine Pellion, celle-ci « a été dès le départ conçue à une échelle à la fois nationale et territoriale. [...] Nous avons ainsi mis en place [en 2024] une démarche de conférences des parties (COP) régionale. Nous avons retenu l'échelle régionale au sens géographique du terme et non au sens purement administratif. Au sein de cette maille géographique de la région, nous nous sommes efforcés de rassembler tous les échelons de collectivités et les acteurs aussi bien économiques que de la société civile. »

Deux écueils ont toutefois pu être relevés par les associations d'élus locaux lors de la toute première édition des COP régionales en 2024 : en particulier, l'animation et le pilotage de la démarche par les services de l'État, mais également la feuille de route indicative d'atteinte des objectifs régionaux élaborée par le SGPE comme base de discussion, qui ont été perçus comme de la « verticalité » par l'AMF. Antoine Pellion s'est défendu de cette accusation : « j'insiste sur la dimension indicative de ces plans d'action régionaux, car le but des COP est justement que chaque collectivité puisse s'en emparer, l'adapte et le transforme autant qu'elle le souhaite, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales. Toutefois, la contrainte essentielle de l'exercice était la suivante : lorsque l'on additionne l'ensemble des contributions, l'objectif global devait rester atteignable. »

Le nécessaire « dialogue » prôné par les différentes parties se révèle particulièrement complexe en ce qui concerne l'articulation de la libre administration des collectivités territoriales et des enjeux de financement de la transition environnementale. Comme l'a déclaré l'AMF devant la commission d'enquête : « nous ne pouvons que regretter la verticalité très importante dans la prise de décision et l'élaboration de ces stratégies [...] Dès lors qu'il y a un dialogue entre l'État et les collectivités, une écoute mutuelle et de l'horizontalité dans les décisions, on peut avancer. Nous approuvons tous la mise en place d'une stratégie nationale en matière de transition et il n'est pas choquant que ce soit l'État qui la définisse. En revanche, sa mise en oeuvre dans les territoires doit se faire de manière concertée, d'autant que ce sont les collectivités qui en ont la charge matérielle et financière. Ainsi, il faut que le binôme entre l'État et les collectivités fonctionne. »

Comme l'a reconnu Antoine Pellion devant la commission d'enquête à propos de la territorialisation de la transition écologique : « nous avons mis en place cette démarche et cette expérimentation, mais l'on ne peut pas encore dire que nous avons trouvé la bonne méthode. [...]. Nous n'avons pas encore résolu l'équation selon laquelle l'ensemble des travaux à l'échelle territoriale correspondante permettra d'atteindre nos objectifs collectifs », dans la mesure notamment où à l'issue des COP régionales plus d'un tiers des baisses de gaz à effet de serre (GES) nécessaires à l'atteinte des objectifs nationaux ne sont pas sécurisées.

Une piste envisageable pourrait être de combiner une vision économique et financière robuste des besoins en matière de financement de la transition environnementale, avec un dialogue paritaire entre l'État et les collectivités territoriales. Il s'agirait, selon les préconisations du rapport150(*) « Transition environnementale : aider les collectivités locales à s'organiser » de 2023 des sénateurs Guy Benarroche, Laurent Burgoa et Pascal Martin, de « partager, discuter et valider les objectifs régionaux de contribution à la neutralité nationale, afin d'en vérifier la cohérence avec la stratégie nationale bas-carbone et d'assurer une juste répartition de l'effort selon les spécificités régionales ». Cette piste rejoint les orientations défendues par l'AMF devant la commission d'enquête, à savoir l'instauration d'un « cadre national de gouvernance paritaire pour assurer la convergence des stratégies locales et nationales. Il est vraisemblable que le dialogue entre trajectoire globale et stratégies locales et entre objectifs souhaitables et réalités de la mise en oeuvre se poursuive d'ici 2050. Il est donc utile de mettre en place le cadre de ce dialogue. »

Cette instance de dialogue pourrait par exemple s'appuyer sur l'analyse financière du Conseil d'orientation des finances locales que la commission d'enquête appelle de ses voeux.


* 106 Inspection générale des finances, L'investissement des collectivités territoriales, octobre 2023.

* 107 Rapport d'information 2019-609, Mission d'information sur la sécurité des ponts, juin 2019.

* 108 Communication du Cerema à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, mai 2025.

* 109 Déplacement de la commission d'enquête à Lyon en date du 16 mai 2025.

* 110 Rapport de mission parlementaire, La simplification des normes applicables aux collectivités, juin 2011.

* 111 Audition de M. Boris Ravignon, président d'Ardenne Métropole, maire de Charleville-Mézières et vice-président chargé des finances d'Intercommunalités de France, le 9 avril 2025.

* 112 Sixième rapport d'évaluation du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), 2023.

* 113 Rapport n° 474 d'information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales, mars 2024.

* 114 Rapport n° 015725-01, Préconisations pour la mise en oeuvre de la TRACC dans les politiques de l'environnement, du climat, de l'énergie, des transports, de la construction et de l'urbanisme, avril 2025.

* 115 Audition menée le 8 avril 2025.

* 116 Les quatre autres volets étant la baisse des émissions carbonées ; la préservation de la biodiversité ; l'accès aux ressources naturelles ; les enjeux de santé-environnement.

* 117 Les incidences économiques de l'action pour le climat : rapport à la Première ministre, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, mai 2023.

* 118 Le dernier alinéa de l'article 42 de la loi du 3 aout 2009 mentionne : « Un plan national d'adaptation climatique pour les différents secteurs d'activité sera préparé d'ici à 2011. »

* 119 Rapport annuel 2023, « Acter l'urgence, engager les moyens » ; rapport annuel 2024, « Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population ».

* 120 Mesure n° 7 du PNACC-3.

* 121 Mesure n° 13 du PNACC-3.

* 122 Mesure n° 27 du PNACC-3.

* 123 Données : Direction du Budget.

* 124 Cour des Comptes, Rapport annuel 2024 : « L'action publique en matière d'adaptation climatique ».

* 125 Audition de M. Jean-François Vigier, maire de Bures-sur-Yvette, vice-président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), et Mme Gwenola Stephan, responsable de la mission transition écologique de l'AMF, le 2 avril 2025.

* 126 Déplacement de la commission d'enquête à Lyon le 16 mai 2025.

* 127 Ressources disponibles sur la page internet correspondante de la Métropole de Lyon, "Millénaire 3" : https://millenaire3.grandlyon.com/

* 128 Entretien réalisé par Wandrille Jumeaux le 16 juin 2025, disponible au lien suivant : https://millenaire3.grandlyon.com/Interview/2025/magali-reghezza-zitt-geographe-seule-la-reussite-de-l-attenuation-du-changement-climatique-rend-l-adaptation-possible

* 129 Selon la bibliographie commentée notamment dans l'étude « Les bâtiments face aux nouvelles vagues de chaleur : investir aujourd'hui pour limiter la facture demain », I4CE, 2022. 

* 130 Il s'agit selon I4CE du surcoût actuel - qui pourrait être réduit par effet d'apprentissage - qui intègre l'ensemble des éléments relatifs à la qualité durable du bâtiment par rapport au même bâtiment standard règlementaire.

* 131 Rapport d'information n° 511 (2018-2019) de MM. Ronan Dantec et Jean-Yves Roux, fait au nom de la Délégation sénatoriale à la prospective, déposé le 16 mai 2019.

* 132 CGE, 2020. « Rapport sur la rénovation des bâtiments scolaires ».

* 133 Guide environnemental applicable aux projets d'aménagement et de construction, Ville de Paris, 2023.

* 134I4CE, Le réflexe adaptation dans les investissements publics en pratique : pistes pour 2025 et perspectives, janvier 2025.

* 135 Source : Météo France.

* 136 Cerema et Ademe, Rafraîchir les villes : des solutions variées, mars 2021.

* 137 Carbone 4, Le rôle des infrastructures dans la transition bas-carbone et l'adaptation au changement climatique de la France, 2022.

* 138 Ville de Paris, Actualisation du diagnostic de vulnérabilités et de robustesses de Paris face aux changements climatiques et à la raréfaction des ressources, 2021.

* 139 Atelier parisien d'urbanisme, Espaces publics à végétaliser à Paris : étude exploratoire, juin 2020.

* 140 Audition de M. Daniel Cornalba, maire de l'Étang la Ville, membre du Bureau de l'Association des Petites Villes de France, 26 mars 2025.

* 141 Audition de M. Éric Schahl, conseiller régional d'Île-de-France, représentant l'association Régions de France, le 29 avril 2025.

* 142 Audition de MM. François Thomazeau, directeur des programmes Collectivités locales et Adaptation au changement climatique de l'Institut de l'économie pour le climat, et Luc-Alain Vervisch, directeur des études et de la recherche à la Banque Postale, le 2 avril 2025.

* 143 Audition de M. Joël Ruffy, responsable du pôle juridique et institutionnel de l'Association Amorce, 25 juin 2025

* 144 Contribution écrite de l'ANCT suite à l'audition par la commission d'enquête de son directeur général Stanislas Bourron le 27 mai 2025.

* 145 Audition du 13 novembre 2024 devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.

* 146 Inspection générale des finances, L'investissement des collectivités territoriales, octobre 2023.

* 147I4CE, « Collectivités locales : comment financer l'accélération des investissements climat ? », décembre 2023.

* 148 Cité par le rapport d'information sénatorial n° 2023-87 « Transition environnementale : aider les collectivités locales à s'organiser », p. 180.

* 149 Avis budgétaire n° 148 (2024-2025) sur le projet de loi de finances pour 2025 : chapitre II - les crédits consacrés à la transition écologique et au climat, novembre 2024.

* 150 « Engager et réussir la transition environnementale de sa collectivité », rapport d'information n° 87 (2023-2024) du 9 novembre 2023, par MM. Guy Benarroche, Laurent Burgoa et Pascal Martin.

Partager cette page