B. EN FRANCE, UNE PROGRESSION PRÉOCCUPANTE DES MÉSUSAGES ET DES SURDOSES PROVOQUÉE PAR UNE SOUS-ESTIMATION DES RISQUES PAR LES PATIENTS ET LES PROFESSIONNELS

1. Une évolution préoccupante de la consommation, des mésusages et des surdoses

La France connaît, depuis plusieurs années, une évolution notable de la consommation d'opioïdes, et des mésusages et surdoses associés. Si l'ampleur de ce phénomène demeure incomparable avec la surconsommation incontrôlée observée aux États-Unis dans les années 2000, un certain nombre de signaux préoccupants doit inciter les pouvoirs publics à prendre toute la mesure d'un risque de banalisation des usages des médicaments opioïdes.

· En 2024, près de 12 millions de Français se sont vu prescrire des antalgiques opioïdes. Si les antalgiques non opioïdes restent majoritaires, les opioïdes représentent aujourd'hui 22 % de la consommation d'antalgiques en France, concentrés sur les opioïdes de palier 2 comme le tramadol ou la codéine (20 %). La part des opioïdes forts (oxycodone, morphine) reste modeste (2 %), mais progresse rapidement au détriment des opioïdes faibles, démontrant une tendance à l'escalade thérapeutique, mais aussi une incidence accrue des douleurs chroniques. Les ventes d'opioïdes forts, présentant des risques accrus, ont ainsi progressé de 59 % depuis 2010.

· Les mésusages, des consommations à visée thérapeutique non ou mal encadrées médicalement, s'accentuent également. Depuis 2017, les signalements relatifs au mésusage du tramadol ont doublé. Selon la Haute Autorité de santé (HAS), ce sont désormais 29 % des usagers de codéine et 39 % des usagers de tramadol qui présentent des pratiques de mésusage.

· Les cas les plus graves suivent également une dynamique préoccupante. Entre 2006 et 2015, les cas de troubles liés à l'usage d'opioïdes ont plus que doublé, l'oxycodone présentant une trajectoire particulièrement inquiétante. Le nombre de patients dépendants a également de quoi alerter : 47 % des usagers de tramadol éprouveraient des difficultés à arrêter leur traitement. Enfin, le nombre de décès liés à l'usage d'opioïdes prescrits, hors usagers à risques, s'est accru de 20 % entre 2018 et 2022.

Antalgiques opioïdes les plus vendus en officine (à gauche)
et en établissements (à droite) en 2023

Source : Commission des affaires sociales, d'après les données de l'ANSM

2. Une progression des mésusages portée par une sous-estimation des risques par les patients comme par les professionnels de santé

Face à la volonté légitime de soulager la douleur, l'usage d'opioïdes est en quelque sorte devenu un réflexe, tant pour les patients qui les réclament que pour les professionnels qui les prescrivent.

· Les recommandations de bon usage des opioïdes, qui n'ont certes été publiées par la HAS qu'en 2022, sont insuffisamment observées dans les prescriptions des professionnels, peu formés et sensibilisés à la question. Selon une étude, plus de 80 % des prescriptions de codéine concernent des indications pour lesquelles le recours aux opioïdes n'est pas recommandé en première intention, telles que la lombalgie ou les douleurs dentaires, voire formellement déconseillé, par exemple pour les céphalées.

De plus, le manque de coordination entre prescripteurs de ville, hospitaliers et pharmaciens, conduit à une prise en charge en silo, contraire à l'approche holistique qui devrait prévaloir. Cela conduit à des prescriptions inadaptées ou à une prolongation non justifiée des traitements.

· Du côté des patients, l'automédication et le partage de traitements, pratiques largement banalisées associées à des surdosages et au développement incontrôlé d'une pharmacodépendance, sont en cause.

Les patients, ignorant trop souvent les risques voire la nature de leur traitement opioïde, sont, de ce fait, placés dans un rôle de consommateur passif et ne peuvent être acteurs du bon usage. L'information des patients, érigée en droit par la loi Kouchner et constitutive d'une obligation déontologique pour les professionnels, demeure insuffisante : un praticien sur cinq admet ne pas fournir d'information systématique sur les risques liés aux opioïdes.

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