AUTO SUPPORT ET RÉDUCTION DES RISQUES
PARMI LES
USAGERS DE DROGUES (ASUD)
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1. Décrivez brièvement les missions de l'organisme que vous représentez, son rôle en matière de prévention des addictions, d'accompagnement et de prise en charge des usagers. Indiquez également s'il bénéficie de subventions
Auto Support et réduction des risques parmi les Usagers de Drogues (ASUD) est une association créée en 1993 pour la défense des personnes qui consomment ou qui ont consommé des substances illicites. Notre but est de représenter auprès des pouvoir publics les usagers.eres de drogues(UD) - appelées aussi personnes qui utilisent des drogues (PUD) - et diffuser des messages de santé publique destinés à réduire les risques liés à l'usage de substances psychotropes. Depuis le 8 décembre 2007 ASUD « est agrée au niveau national pour représenter les usagers dans les instances hospitalières ou de santé publique... » dans le cadre de la loi sur le droit des malades du 4 mars 2002 (arrêté du 06 juillet 2012).
ASUD a été soutenue financièrement depuis 1993 par différentes instances publiques et privées qui ont peu à peu cesser d'être présentes à nos côtés. En 2024 est toujours soutenue par la Direction Générale de la Santé et la Mairie de Paris (Mission Métropolitaine de Prévention des Conduites à Risques).
ASUD n'a pas renouvelée ses demandes de financement en 2025.
2. Indiquez le nombre de personnes accueillies ou orientées chaque année dans vos structures, ainsi que le nombre de personnes accueillies pour un motif d'usage ou de dépendance à un opiacé ou à un opioïde.
Comment ces personnes sont-elles le plus souvent orientées vers vos structures ?
Nous n'avons pas de structures d'acceuil dans nos locaux. Notre lien avec la communauté des personnes qui consomment des drogues passe par le journal (10 000 exemplaires et 66 numéros publiés entre 1992 et 2024) et le site interactif asud.org. Nous avons conduit de nombreuses enquêtes sur le ressenti des bénéficiaires des services délivrés en addictologie dans le cadre de notre Observatoire du droits de usagers (ODU).
Notre action est identifiée comme historiquement liée à l'usage d'opioïdes et particulièrement d'héroïne.
3. Identifiez-vous des difficultés concernant l'adressage ou l'accès de consommateurs ou d'usagers d'opioïdes à des structures de repérage, de prise en charge et d'accompagnement ? Si oui, lesquelles ?
La principale difficulté relevée par 30 ans de représentation des usagers auprès des services est la stigmatisation qui pèse sur les usagers d'opioïdes qui se traduit concrètement par des refus de soins de la part des praticiens ou de délivrance de médicaments en pharmacies. Les usagers accueillis en CAARUD ou même en CSAPA sont plus souvent des personnes à faible revenu et en difficulté sociale pour lesquelles le stigmate pèse moins que la vulnérabilité économique. Par contre plus une personne est insérée et plus le stigmate de sa consommation va peser sur sa capacité à réduire les risques.
4. Identifiez-vous des profils spécifiques de consommateurs d'opioïdes ?
Depuis la fin des années 1990, la consommation d'héroïne est en recul. Elle continue d'être consommée par une minorité de personnes appartenant aux générations concernées qui n'ont pas pu ou souhaité rompre avec ce produit et qui sont souvent en traitement de substitution (méthadone ou buprénorphine) tout en consommant ponctuellement. La consommation d'opioïde concerne aussi des communautés spécifiques de personnes migrantes originaires d'Europe de l'Est qui injectent le plus souvent des traitements opioïdes anti douleurs détournés (sulfates de morphine). Les opioïdes (héroïne, sulfates de morphine, méthadone ou BHD) peuvent aussi être utilisés pour gérer la « descente » par des personnes utilisatrices de psychostimulants : cocaïne basée appelée « crack » dans les scènes ouvertes, cathinones, amphétamines...
a. Les personnes accueillies dans vos structures souffrant d'un trouble de l'usage ou d'une dépendance relèvent-elles de situations de consommation illégale ou d'un traitement antalgique initié dans un cadre thérapeutique ?
Le plus souvent ce sont des personnes qui utilisent des drogues et/ou des TSO.
b. Font-elles l'objet d'un suivi thérapeutique du fait de leurs troubles de l'usage ou de leur dépendance ?
Oui dans le cas des TSO.
5. Quelles évolutions et quelles tendances constatez-vous en matière de mésusage et de dépendance à des opioïdes en France ?
L'histoire du « mésusage » des médicaments opioïdes est aussi vieille que l'usage d'opioïdes lui-même. Il faut rappeler que l'héroïne et la morphine doivent leur passage au marché de illicite au « mésusage » opéré par les médecins prescripteurs eux-mêmes. Plus près de nous, rappelons que l'usage massif de codéinés a accompagné la montée des consommations d'héroïne. En l'absence de substitution le Neo Codion en vente libre a servi de substitution de fait jusqu'à la mise sur le marché des TSO et même au-delà. Ensuite la buprénorphine a fait l'objet de prescriptions « détournées » qui ont débouché sur la mise sur le marché d'une Buprénorphine Haut Dosage en 1996 qui a fait elle-même ensuite l'objet d'un détournement en IV par certaines personnes usagères de drogues. Enfin les sulfates de morphines (Skénan , Moscontin) font également l'objet d'un « mésusage » ou « usage alternatif » selon le point de vue, au point d'avoir suscité un dispositif réglementaire « la circulaire Girard » qui permet encore aujourd'hui de prescrire des SDM en TSO.Rappelons également que de nombreuses personnes utilisatrices d'opioïdes ( PUDO) ont été initiées aux TSO par le « mésusage » ( achats ou consommation venus du marché illicite) pour ensuite s'intégrer à la prescription . Enfin précisons ici que les autorités sanitaires n'ont jamais évalué les conséquences du passage brutal des médicament codéinés en prescription obligatoire en juillet 2017 (nombre de passages au marché illicite, nombre de surdoses avec d'autres opioïdes etc ...). Cette mesure a suscité une vague de panique chez les PUDO à propos de laquelle ASUD avait communiqué via la commission des stupéfiants.
a. Quelles sont les substances disponibles sur le marché français les plus concernées, et quels sont les principaux modes d'approvisionnement ?
La baisse de la consommation d'héroïne est explicable par les conséquences dramatiques de l'épidémie de sida notamment dans les quartiers populaires, évènement qui a marqué cette substance d'une forte stigmatisation, y compris parmi les PUD. Le recul de l'injection comme mode de consommation principal est probablement lié aux mêmes causes. Cependant il reste une frange de consommateurs.trices, parfois insérés.es et non problématiques qui s'approvisionnent via le marché illicite des « fours » qui acceptent de vendre ce produit très décrié ( souvent en livraison à domicile ) ou bien via le dark web qui propose aussi des opioïdes de synthèse vendus sous l'appelation « hero ».
Les chiffres de l'OFDT indiquent une forte montée de la prescription de Tramadol. Il est à noter que cette population ne bascule pas nécessairement dans la dépendance de long terme à d'autres opioïdes.
b. Quels sont les principaux mésusages constatés ? Quels facteurs ont-ils, selon vous, favorisé ces évolutions ?
Voir réponse à la question 5.
6. Comment appréhendez-vous le développement du marché des nouveaux opioïdes de synthèse ? Quels dangers identifiez-vous ? Certains éléments rendent-ils aujourd'hui plausible, selon vous, une importation de la crise américaine des opioïdes ?
La « crise des opioïdes » aux États Unis est un phénomène complexe lié aux contextes culturels, politiques et sociaux étasuniens. Il est difficile de développer ici une analyse des ressorts spécifiques de cette catastrophe sanitaire qui reste sujet à interprétations divergentes y compris aux USA.
Pour répondre à la question, en trente ans d'exercice au sein d'ASUD j'ai été personnellement interrogé à propos de trois risques d'importation d'une crise liée à la consommation massive d'une substance illicite : le crack, la métamphétamine, et depuis une dizaine d'années l'oxycodon puis le fentanyl. Pour les deux premières crises les craintes étaient absolument comparables à celles d'aujourd'hui (catastrophes constatées outre Atlantique et premières indications d'une importation en France). La suite a montré l'importance de deux facteurs explicatifs :
A) le contexte culturel et social d'un pays est l'élément prépondérant qui structure une demande de drogues ;
B) c'est la demande et non pas l'offre de drogues qui favorise une crise.
Ces deux facteurs expliquent que la consommation de « crack » n'a jamais eu en France une amplitude comparable à celle des USA, idem pour la métamphétamine.
Cette explication vaut pour la « crise des opioïdes. Une faible appétence de la part des PUD, un système de prescription légal d'opioïdes (anti douleurs et TSO) fortement structuré et contrôlé par l'État, un système de prise en charge de la précarité sociale incomparable, autant de facteurs qui rendent peu probable l'importation d'une crise en France.
7. Quels enseignements la France peut-elle tirer de l'émergence et de l'évolution de la crise des opioïdes aux États-Unis ? Quelles mesures pourraient-elles, en France, contribuer à prévenir ou freiner un tel phénomène et, plus largement, à circonscrire les mésusages et risques de dépendance observés ?
Faire ce que nous n'avons jamais fait : une grande campagne d'information nationale sur la réduction des risques et la prescription d'opioïdes en France. Informer le grand public de la réalité de nos succès mondiaux en matière de lutte contre le sida hépatites et en même temps sur le succès de notre politique très libérale de TSO. Libérer la parole sur ces sujets fera émerger un discours également plus fluide sur les risques d'addiction en général en particulier avec les médicaments opioïdes anti douleurs. Pour rappel jamais aucune communication grand public n'a été mise en place autour de ce succès remarquable que constitue la RDR à la française, à l'exception de l'initiative de la regrettée Nicole Maestracci, à l'époque présidente de la MILDT, à savoir la campagne intitulée « savoir plus risquez moins » en 2001.
8. Estimez-vous que la communication autour des risques de mésusage et de dépendance liés à la consommation d'opioïdes soit aujourd'hui suffisante ? Estimez-vous qu'il serait opportun d'imposer un étiquetage intégrant une mention d'alerte sur les boîtes de médicaments opioïdes afin d'avertir du risque de mésusage et de dépendance associé ?
La communication doit d'être globale et doit porter autant sur les risques que sur les bénéfices attendus de ces prescriptions. L'une des leçons de la crise US porte sur les conséquences de la restriction qui a frappé la prescription d'opioïdes à la suite des scandales à répétition qui ont ciblé l'industrie pharmaceutique et les grande firmes, restriction qui a conduit des milliers de PUDO à se reporter sur l'héroïne puis le fentanyl.
9. La formation des professionnels de santé souffre-t-elle de carences concernant les usages et les effets des opioïdes, ainsi que les recommandations de bonnes pratiques ?
À ma connaissance la formation des médecins en addictologie est actuellement facultative quand les problèmes d'addiction sont aujourd'hui banalisés pour les substances licites (alcool/tabac). Idem nos contacts avec l'ordre national des pharmaciens confirment le manque de connaissance des pharmaciens d'officine sur le sujet, une ignorance qui est souvent invoquée pour ne pas délivrer de TSO ou de ne pas commander de naloxone.
10. Quel est, selon vous, l'impact des dispositifs de réduction des risques, tels que les Csapa et les Caarud, dans la prise en charge des usagers d'opioïdes en France ?
Un impact positif mais très minoritaire. Le manque de publicité faite autour de la RDR en France et l'absence de campagne grand public non stigmatisante sur la consommation d'opioïdes et sur les addictions a cantonné la RDR à un public précaire demandeur de services sociaux en priorité. Les chiffres de la prescription de TSO indiquent que la grande majorité des PUDO ont plutôt affaire à a médecine générale (plus de 80 % des files actives pour la buprénorphine et 60 % pour la méthadone).
11. Le défaut de coordination des différents acteurs, du repérage à la prise en charge des usagers (associations, Csapa, Caarud, médecine de ville, structures hospitalières, etc.), est-il un facteur favorisant les mésusages ?
Comment cette coordination pourrait-elle être améliorée pour offrir un parcours de soins intégré, structuré et cohérent aux usagers d'opioïdes ?
12. Quel regard portez-vous sur l'expérimentation des haltes soins addictions dans l'accompagnement des usagers et dans la politique de réduction des risques ?
ASUD est à l'origine de la première salle de consommation initiée en Francs (ASUD Montpellier en 1996), puis également à l'origine du projet inter associatif qui a débouché sur la création de la Salle Jean Pierre Lhomme à Paris. Ces dispositifs étaient innovants dans les années 1980. Ils ont été mis en place chez nos voisins dans les années 1980-90 en pleine expansion de l'héroïne injectée et du sida, phénomènes identitaires pour ASUD. Aujourd'hui leur utilité reste indéniable auprès d'une population précarisée qui n'est paradoxalement pas la plus touchés par les surdoses d'opioïdes. Il serait peut-être utile d'insister sur la question sociale plutôt que sur la spécificité de l'injection quand le sujet des HSH est évoqué. Souvent le prétexte de la RDR cache une difficulté beaucoup plus large à venir en aide à des personnes souffrant de multi vulnérabilité à la fois économiques, sociale psychique avec de fréquentes co-morbidités psychiatriques. L'arbre de la HSH cache la forêt de l'indigence de l'aide consacrée à la très grande précarité.
13. Quelles sont les principales difficultés rencontrées par vos associations dans l'exécution de leurs missions ?
ASUD meurt de ses difficultés financières jamais résolues sur le long terme malgré un soutien incontestable de l'État durant les années sida.
14. Entretenez-vous des relations avec les agences régionales de santé ou avec les collectivités territoriales pour mettre en oeuvre des politiques de prévention et de réduction des risques en addictologie dans vos territoires d'implantation ?
Non, plus depuis que l'ARS a cessé de nous financer en 2021.
15. Comment évaluez-vous la politique de réduction des risques en France ? Notamment, comment évaluez-vous l'efficacité des programmes de distribution de matériel de prévention (comme les seringues stériles) dans la réduction des risques liés à l'usage d'opioïdes ?
La politique de RDR est une réussite incontestable et incontestée. Elle est surtout évidente en matière de TSO qui place la France en tête des pays démocratiques en matière de prescription et surtout en termes d'accessibilité. À noter également que cette forte accessibilité ne se traduit pas par une montée spectaculaire des surdoses. La méthadone est effectivement le premier produit à l'origine d'une surdose mortelle mais le nombre global de ce type de décès en France reste inférieur à celui de pays voisins et comparable comme la Suisse ou le Royaume Uni.
La fourniture de matériel stérile est également un succès attesté par les chiffres de contamination en constante diminution chez les PUDO. Peut-être serait-il nécessaire de déplacer le curseur sur d'autres modes de consommation beaucoup plus fréquemment adoptés (sniff, fumée / chasse au dragon »)
16. Quel regard portez-vous sur les conditions d'accès à la naloxone et aux TSO en France ? Vous paraissent-elles satisfaisantes ? Pourraient-elles être améliorées et si oui, comment ?
Les conditions d'accès à la naloxone souffrent d'un manque évident de communication en direction des PUDO mais aussi du grand public, cible potentielle d'une information claire et non anxiogène sur les opioïdes, leurs usages, leurs bénéfices et leurs risques. On peut imaginer que chaque armoire à pharmacie familiale pourrait contenir un kit naloxone au même titre qu'elle contient probablement déjà une boite d'opioïdes non utilisée.
17. Quelles actions supplémentaires ou améliorations préconisez-vous pour renforcer la politique de réduction des risques en matière d'opioïdes et mieux répondre aux besoins des usagers
L'ensemble des réponses apportées à ce questionnaire peut être résumé par trois point cruciaux :
- Le vieillissement du dispositif
Le dispositif de rdr dévolu à la consommation d'opioïdes est toujours focalisé sur les grands enjeux de la pandémie du sida : matériel stérile, problèmes liés à l'injection, précarité sociale, dispositif médicosocial. Ce constat ne doit pas mettre en cause les services sociaux indispensables à la survie de populations vulnérables. Elles ne constituent plus la cible prioritaire de la lutte contre les surdoses d'opioïdes mais ce changement doit permettre de rompre avec l'hypocrisie qui masque la faiblesse des moyens alloués à la lutte contre la précarité sociale ;
- L'absence de campagne nationale grand public non stigmatisante consacrée aux opioides et aux addictions en général
Le modèle c'est la campagne « savoir plus risquez moins » de la MILDT en 2001, hélas interrompue un an plus tard pour cause de changement de majorité. La consommation d'opioïdes, ses risques, ses bénéfices thérapeutiques tant en addictologie qu'en matière de lutte contre la douleur, la nécessité de libérer la parole des PUDO mais aussi du grand public, la banalisation de la naloxone, autant de thèmes incontournables à cette initiative.
- L'absence d'informations fiables sur les surdoses et leur contexte
Améliorer le dispositif DRAM et le compléter pour mieux comprendre l'origine des surdoses de méthadone, de tramadol et des autres anti douleurs. L'hypothèse d'ASUD est la trop grande proportion de néo utilisateurs, jeunes non dépendants, consommateurs d'autres drogues mais peu informés sur les opioïdes, exactement la cible d'une grande campagne de déstigmatisation et de promotion de la RDR.