HALTE SOINS ADDICTIONS DE STRASBOURG

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Fonctionnement, missions et activités de la HSA de Strasbourg

1. Décrivez brièvement les missions de votre structure et ses spécificités par rapport à la halte soins addictions (HSA) de Paris. Indiquez les moyens qui lui sont alloués depuis le début de l'expérimentation et leur évolution.

Les missions sont celles d'une HSA avec un accent sur un accueil sanitaire où les usagers de drogues peuvent utiliser des produits, sous la supervision de professionnels qualifiés. Elle leur offre un espace convivial, permettant une consommation sécurisée des produits apportés, un temps de récupération après la consommation, des soins et des contacts individualisés avec un médecin, un infirmier, un travailleur social, un psychologue, un psychiatre. De même, y sont dispensés des conseils individualisés pour minimiser les risques liés à l'injection et aux autres pratiques de consommation.

Coût de fonctionnement annuel de 2016 à 2024, avec détail par sous-catégorie : Voir document joint à ce questionnaire

2. Parmi la file active totale, indiquez le nombre de personnes accueillies consommant des opiacés ou opioïdes.

53 % déclarent à l'inclusion avoir consommés des opioïdes dans les 30 jours précédents, par ailleurs 66 % déclarent consommer de la cocaïne.

Comment les personnes accueillies sont-elles le plus souvent orientées vers la HSA ?

70 % par le bouche à oreille entre usagers, et le reste essentiellement via des structures d'accueil et de soins (CAARUD et CSAPA).

Quelles sont selon vous les principales difficultés concernant l'adressage et l'accès de consommateurs ou d'usagers à la HSA ?

La politique actuelle de pénalisation est un frein. La prohibition, même si il n' y a pas de contrôle policiers aux abord de la salle, fait qu'un certain nombre d'usagers ne souhaitent pas se rendre visibles. Il n'est déjà pas facile de venir « à découvert » et montrer à des professionnels que l'on est en difficulté avec ses consommations, et cela l'est encore moins à partir du moment où il est possible d'être interpellé et poursuivi pour possession de drogues illicites.

La question de l'emplacement, car ce n'est pas forcément accessible à tous, il faut imaginer des possibilités d'avoir des espaces de consommation de proximité (possibilité de créer des espaces de consommations dans les CAARUD et CSAPA, en unité mobile).

3. Identifiez-vous des profils spécifiques de consommateurs d'opioïdes ? Les personnes accueillies à la HSA souffrant d'un trouble de l'usage ou d'une dépendance sont-elles quasi exclusivement ou exclusivement hors cadre thérapeutique ?

Depuis 2021 à la HSA de Strasbourg : Usagers injecteurs de fentanyl en augmentation chaque année en nombre.

Le fentanyl étant le plus utilisé 36,9 % en 2024 (29,4 % en 2023, 20,6 % en 2022), au détriment des autres substances opioïdes (sulfate de morphine, buprénorphine).

Par ailleurs un certain nombre de personnes fréquentant la HSA bénéficient d'un traitement de substitution aux opiacés en CSAPA ou en ville, en 2024 32 % déclarent avoir une prescription, mais cela reste déclaratif, les personnes étant libres ou non de donner ces informations.

4. Comment expliquez-vous que malgré une file active comparable à celle de la HSA de Paris, le taux de consommation y soit bien inférieur ?

Moins d'heures d'ouverture que la salle parisienne ; moins de densité populationnelle (10 fois moins d'habitants) ; la HSA n'est pas directement située sur une scène ouverte contrairement à celle de la gare du Nord ; les missions et l'activité de la HSA ne se limitent pas à la consommation, il y a énormément d'actions de type CAARUD : Accueil, échange de matériel, consultations, etc.., avec moins de pression que la salle parisienne nous pouvons consacrer plus de temps à l'accompagnement.

5. L'articulation de la HSA avec la médecine de ville et avec les structures hospitalières vous paraît-elle satisfaisante ? Sinon, décrivez pourquoi. Le cas échéant, comment pourrait-elle être améliorée ?

Les relations sont très bonnes mais :

Difficultés d'orientation pour accès au MSO, du fait de la saturation des dispositifs existants (manque de places CSAPA et pas assez de médecins de ville, de places en psychiatrie, etc...Envisager plus de places et de moyens à l'existant, d'ouvrir de nouveaux dispositifs permettrait un plus grand accès aux soins des personnes qui en sont le plus éloignées.

Même question concernant vos relations avec les CSAPA, les CAARUD et les consultations jeunes consommateurs. Idem plus haut

6. Quelles sont les principales difficultés rencontrées par votre HSA dans l'exécution de ses missions ?

Le nombre d'évaluations et de rapports très conséquents, une expérimentation qui dure depuis 9 ans et qui met dans l'incertitude le dispositif, les salariés et les usagers en sont les premiers impactés par une inquiétude grandissante sur un éventuel arrêt. Le manque de mesures nouvelles et de crédits d'investissement depuis 9 ans ne nous permettent pas de faire avancer le projet, et nous mettent en difficulté sur l'existant. Un cahier des charges contraignant qu'il faudrait faire évoluer suite à notre expérience et les résultats des différentes évaluations/inspections dont nous avons fait l'objet.

Le principe même de nos actions est de s'adapter au public et aux usages qui évoluent dans le temps (exemple : autoriser l'analyse de produits au sein d'une HSA pour une meilleure connaissance des produits circulants et de leurs contenus, le partage de produits en salle, revoir l'obligation systématique de la présence infirmière en espace de consommation, ...).

Les difficultés d'orientations pour des accès aux soins et des accompagnements au long cours par saturation des différents dispositifs de soins et d'accueil.

La question de la santé mentale, avec des situations de personnes en grande difficulté ne trouvant pas de lieux pour les accompagner, de fait ils se retrouvent depuis de nombreuses années dans nos dispositifs.

7. Entretenez-vous des relations avec l'agence régionale de santé pour mettre en oeuvre votre projet et, plus largement, sur la mise en oeuvre de politiques de prévention et de réduction des risques en addictologie sur le territoire ?

Oui régulièrement, l'ARS nous soutient depuis le début pour la HSA et nos autres projets, elle nous sollicite au besoin.

8. Quel regard portez-vous sur les recommandations de l'Igas visant à inscrire les HSA dans le dispositif de veille sanitaire des produits stupéfiants ? Que peuvent apporter les HSA aux dispositifs existants ?

Nous faisons partie du dispositif SINTES pour la veille sanitaire mais il a ses limites, notamment le temps de réponse après récolte et l'envoi d'échantillons pour analyse.

Il faudrait aller plus loin et développer l'analyse in situ (dans les HSA), car c'est un lieu où nous avons directement accès aux produits circulants et consommés ; c'est un véritable observatoire des pratiques et des produits en temps réel ; de plus les personnes sont plus enclines à faire analyser leurs produits dans ce contexte car au sein d'une HSA il n'y a pas de tabou ni de risques à posséder et montrer des produits, et nous pouvons apporter une réponse rapide en cas de produits dangereux ou suspects.

Consommation d'opioïdes et risques associés

9. Quelles évolutions et quelles tendances constatez-vous en matière de mésusage et de dépendance à des opioïdes ?

a. Quelles sont les principales substances consommées et, à votre connaissance, quels sont les principaux modes d'approvisionnement ?

Utilisation du fentanyl depuis 4 ans et baisse significative des autres produits opiacés (Skénan, héroïne, buprénorphine...). Les modes d'approvisionnement sont majoritairement via des prescriptions qui sont revendues ou détournées.

b. Quels sont les principaux mésusages constatés ?

Cuisine du patch de Durogésic (fentanyl), nous avons fait des essais et il se trouve que ce mode de préparation optimise au maximum l'extraction du principe actif, donc dosage fort et grande disponibilité du principe actif. Risque accru de surdose si cette consommation n'est pas accompagnée et encadrée.

Quels facteurs ont-ils, selon vous, favorisé ces évolutions ?

Héroïne peu dosée et peu disponible sur le marché, des habitudes de consommation de certains groupes de consommateurs qui ont une forte tolérance aux opiacés et qui recherchent des produits à forte teneur ; Gestion des douleurs avant de pouvoir accéder à des soins.

10. Comment appréhendez-vous le développement du marché des nouveaux opioïdes de synthèse ? Quels dangers identifiez-vous ? Certains éléments rendent-ils aujourd'hui plausible, selon vous, une importation de la crise américaine des opioïdes ?

Risque que le marché du fentanyl actuel « prescrit » se tarissent et que faute d'accès à des soins et des traitements adaptés (MSO) les usagers se retournent vers les opioïdes de synthèse via des labos clandestins ( le fentanyl est moins cher que l'héroïne, de plus il pourrait se trouver dans les produits à l'insu des consommateurs). Un point d'attention sur l'évolution des usages dans la société et le recours aux antidouleurs en France (exemple : Pratiques de prescription et d'usage d'antalgiques opioïdes, OFDT https://www.ofdt.fr/publication/2023/pratiques-de-prescription-et-d-usage-d-antalgiques-opioides-une-analyse

Avec deux seules HSA, la France ne pourrait pas absorber une crise majeure, et au vu du contexte de réduction budgétaire les dispositifs existants sont déjà saturés.

Encadrement de la prescription et de la délivrance d'opioïdes et organisation de l'offre de soins

11. L'encadrement actuel de la prescription d'opioïdes en France vous paraît-il concilier un bon équilibre entre le contrôle et la prévention des mésusages d'une part, et la garantie d'avoir accès aux antalgiques opioïdes pour les usagers qui le nécessitent d'autre part ? Quelles évolutions préconiseriez-vous pour garantir ou améliorer cet équilibre ?

L'encadrement actuel semble insuffisant rendant l'équilibre entre contrôle et prévention inefficient. En effet, la prévention est faible, et nous remarquons une banalisation de la prescription de certains opioïdes (Tramadol, fentanyl...).

Le contrôle actuel se fait uniquement par le département « stupéfiants » de la CPAM, ce qui apporte une action retardée face au nomadisme médical. Et la difficulté de la personne usagère à qui on a suspendu le remboursement n'est que peu prise en compte. Cela entraîne une errance de ces personnes en difficulté, avec une réponse inadaptée des dispositifs existants du fait des moyens trop faibles.

Quelques pistes d'amélioration :

- formation et information des professionnels de santé.

- information de la population générale.

- information ciblée des populations spécifiques (usagers de drogue) et enrichissement du discours RDR.

12. Estimez-vous que la communication autour des risques de mésusage et de dépendance liés à la consommation d'opioïdes soit aujourd'hui suffisante ? Estimez-vous qu'il serait opportun d'imposer un étiquetage intégrant une mention d'alerte sur les boîtes de médicaments opioïdes afin d'avertir du risque de mésusage et de dépendance associé ?

Malheureusement, pas de campagnes de communication nationales à ce sujet, qui pourtant seraient bien utiles ; le risque est pourtant une réalité en France, que ce soit via la prise d'antidouleurs ou par l'automédication, les consommations festives et à risques, et la dépendance. Quid de la naloxone pour tous ...et la formation des professionnels qui sont en contact avec ces différents publics à ce sujet. Le simple marquage ne suffit pas, il faut l'accompagner de messages de prévention, notamment via les prescripteurs.

13. La formation des professionnels de santé souffre-t-elle de carences concernant les usages et les effets des opioïdes, ainsi que les recommandations de bonnes pratiques ? Quelles recommandations pourriez-vous formuler à ce propos ?

Très peu ou pas de réelles formations sur la question des produits et des addictions dans les différentes formations ; il faudrait plus de temps formation en addictologie et en Réduction des risques, notamment pour les infirmiers et les médecins.

La formation est insuffisante et manque de discours pluridisciplinaire. Les recommandations de bonnes pratiques existent et sont adaptées, mais parfois l'application sur le terrain est plus complexe.

Il faut augmenter les interventions des acteurs de terrain auprès des futurs professionnels du milieu médical et social.

Favoriser l'ouverture de terrain de stage en addictologie pour les futurs professionnels.

Favoriser les rencontres des professionnels ville/Structures spécialisées/Hôpital au sein d'un même territoire.

14. Le défaut de coordination des professionnels de santé intervenant dans la prise en charge d'un patient est-il un facteur favorisant les mésusages ? Argumentez votre réponse. Quelles recommandations pourriez-vous formuler à ce propos ?

La question de la coordination des parcours de soins est essentielle et elle se construit dans le cadre de partenariats effectifs sur le terrain, encore faut-il que les partenaires soient en mesure d'accueillir les usagers concernés. Pour illustrer la difficulté, lorsque nous faisons attendre un usager qui a décidé d'entreprendre une démarche de soin et d'entrer dans un programme de substitution par la méthadone, pendant des semaines voire des mois. Nous passons ainsi à côté et loupons l'occasion que la personne puisse entrer dans une démarche de soins. Le risque étant un mésusage avant l'entrée « officielle » dans un programme et un parcours.

Il faut raccourcir les délais en renforçant les moyens aux CSAPA, favoriser la prescription de méthadone en ville (souhaits formulés par les acteurs depuis plus de 20 ans...), réfléchir à une meilleure prise en compte de la médecine de ville et leur place et rôle essentiels dans l'accompagnement.

Nous avons depuis 1999 mis en place un dispositif en médecine de ville appelé microstructure médicale addictions (MSMA), c'est une organisation souple, en appui au médecin traitant sur son lieu d'exercice, permettant une prise en charge pluriprofessionnelle pour les patients présentant des parcours complexes liés aux addictions. Elle est constituée d'un médecin généraliste libéral, d'un travailleur social salarié détaché par une structure médico-sociale spécialisée en addictologie et d'un psychologue. Elle est en passe d'entrer dans le droit commun sous le nom d'Equip'addict après une expérimentation Article 51.

Il s'agit d'améliorer le maillage territorial des prises en charge et l'accès à des soins de proximité pour les patients avec une ou plusieurs conduites addictives et présentant une situation complexe par une approche pluriprofessionnelle centrée autour du médecin traitant.

Il s'agit notamment de :

- faciliter l'accès des patients à une offre de prise en charge pluridisciplinaire et de proximité en soins primaires des addictions ;

- développer une offre de soin de l'addiction de proximité en soins primaires ;

- améliorer la cohérence et la coordination de la prise en charge ;

- articuler les secteurs de prise en charge des addictions et développer la transversalité intersectorielle pour fluidifier les parcours de prise en charge en addictologie.

Comment travaillez-vous, à la HSA de Strasbourg, pour organiser des parcours de prise en charge des usagers au-delà de la seule fréquentation de la salle ?

Nous avons des permanences hebdomadaires de médecins, psychiatres, psychologues et travailleurs sociaux in situ qui permettent de commencer des démarches puis d'orienter et d'accompagner les personnes vers les partenaires extérieurs.

Un partenariat solide avec de multiples dispositifs de soins et sociaux, un travail étroit avec le CSAPA d'Ithaque qui a mis en place des créneaux spécifiques d'accueil, avec les autres CSAPA du territoire, avec les services hospitaliers somatiques et psychiatriques, seul frein des délais parfois longs liés à la saturation pour obtenir un rdv et une prise en charge.

Politiques de réduction des risques

15. Comment évaluez-vous la politique de réduction des risques en France ? Notamment, comment évaluez-vous l'efficacité des programmes de distribution de matériel de prévention (comme les seringues stériles) dans la réduction des risques liés à l'usage d'opioïdes ?

La France fut un temps, était plutôt en pointe en ce qui concerne la politique de réduction des risques, avec des résultats probants via notamment les programmes d'échange de seringues et la mise en place des traitements de substitution, tels que l'éradication du VIH chez les usagers de drogues, la baisse très importante des contaminations du virus de l'hépatite C. La RDR est fondée sur des résultats validés, des interventions peu coûteuses et adaptées aux pratiques, avec des effets bénéfiques sur les personnes et la santé de toutes et tous, le fait d'avoir une approche visant à proposer des alternatives au discours d'abstinence contribue grandement à entrer en contact avec les usagers et leur permet d'entreprendre des soins sans jugement ni stigmatisation. Si les logiques répressives et uniquement répressives prennent le dessus, tout ce travail s'en trouvera endigué.

Le rapport IGA/IGAS est très complet en la matière et illustre tout l'intérêt et les résultats du travail de RDR via les HSA, qui malheureusement, ne bénéficie pas d'une réelle communication publique sur les résultats et le bien-fondé de cette politique de santé publique mise en place France depuis plus de trente ans.

Ce dernier précise : « Enfin, la politique publique de réduction des risques, dont les HSA sont parties intégrantes, doit bénéficier d'un portage assumé et univoque à tous les niveaux ».

16. Quel regard portez-vous sur les conditions d'accès à la naloxone et aux TSO en France ? Vous paraissent-elles satisfaisantes ? Pourraient-elles être améliorées et si oui, comment ?

L'accès aux TSO est mis en difficulté par l'augmentation des demandes et les faibles moyens des dispositifs existants, et par la disparité des moyens alloués en France. La multiplication des types d'opioïdes consommés et l'émergence de nouvelles pratiques demandent à actualiser les connaissances des professionnels (groupes de travail).

Il reste encore beaucoup de discrimination envers la population des usagers de drogues par les professionnels de santé, notamment par le manque d'information et de formation de ces derniers.

L'accès à la Naloxone reste limité, la diffusion d'information devrait être élargie.

La police, les pompiers et autres professionnels devrait être formé à l'utilisation de la Naloxone, à l'image du modèle Nord-Américain.

17. Quelles actions supplémentaires ou améliorations préconisez-vous pour renforcer la politique de réduction des risques en matière d'opioïdes et mieux répondre aux besoins des usagers ?

Déployer et renforcer les dispositifs d'analyse de drogues ; prendre exemple sur d'autres pays européens qui proposent des traitements basés sur la substitution par la diacétylmorphine (forme pharmaceutique de l'héroïne) qui s'adresse aux personnes qui souffrent d'une dépendance grave à l'héroïne ; développer les HSA et les espaces de consommation supervisés (espaces de consommations en CAARUD, CSAPA, en Unités mobiles et dans les hébergements par exemple.

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