ASSOCIATION DE RÉDUCTION DES RISQUES SAFE

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1. Décrivez brièvement les missions de l'organisme que vous représentez, son rôle en matière de prévention des addictions, d'accompagnement et de prise en charge des usagers. Indiquez également s'il bénéficie de subventions.

L'association SAFE est une association de santé publique, qui conduit des actions d'aide humanitaires et sociales.

Depuis 35 ans, la principale activité de SAFE en France est la réduction des risques auprès des usagers de drogues et d'autres publics présentant des conduites à risques (par exemple : pratiques sexuelles, injections d'hormones, stéroïdes...).

En volume, SAFE est le plus gros distributeur national de matériel de réduction des risques.

Notre association assure notamment :

- la gestion du parc d'automates de réduction des risques (échangeurs de seringues, distributeurs de pipes à crack et distributeurs de préservatifs en région Île-de-France) ;

- le conseil et l'appui opérationnel aux communes et équipes associatives, pour le développement du parc d'automates de réduction des risques sur tout le territoire national ;

- la coordination du dispositif national de réduction des risques à distance (accueil et accompagnement des usagers par téléphone, mail, visio... + envoi postal des matériels de prévention), et la prise en charge des usagers pour les régions Île-de-France, Normandie, Corse et Outre-Mer ;

- une consultation infirmière spécialisée dans la prise en charge des plaies et complications liées aux consommations (principalement les injections) et dans la réalisation d'ateliers d'éducation à l'injection fonctionnant sur le modèle de l'éducation thérapeutique du patient ;

- la mise en oeuvre de recherche-actions pour le développement d'outils innovants en réduction des risques et des dommages ;

- le développement et la gestion du site internet www.naloxone.fr qui vise à informer et former sur la prévention et la prise en charge des surdoses d'opioïdes.

En outre, la directrice de SAFE siège :

- au groupe expert « Traitement et réduction des risques en addictologie » du Ministère de la santé ;

- au groupe expert « RDR en prison » de Sidaction.

L'association bénéficie de subventions pour ses activités de réduction des risques (environ 1 million d'euros/an) :

- de la direction générale de la santé ;

- de la MILDECA ;

- des ARS Île-de-France et Normandie ;

- de collectivités territoriales (principalement mairie de Paris et région Île-de-France).

2. Indiquez le nombre de personnes accueillies ou orientées chaque année dans vos structures, ainsi que le nombre de personnes accueillies pour un motif d'usage ou de dépendance à un opiacé ou à un opioïde.

Comment ces personnes sont-elles le plus souvent orientées vers vos structures ?

2a. Dans le cadre du dispositif de réduction des risques à distance, nous accompagnons une file active de 2 900 personnes.

Parmi elles, 30 % sont accueillies pour un motif d'usage ou de dépendance à un opiacé ou un opioïde (dans 16 % des cas opioïde non médicamenteux, dans 14 % médicament opioïde).

Ces personnes sont le plus souvent orientées par le bouche-à-oreille entre usagers ; les autres orientations se font par :

1) des professionnels (CSAPA, Caarud, médecins libéraux...) ;

2) le conseil des forums communautaires ;

3) l'information disponible en ligne et sur les réseaux sociaux ;

4) les informations disponibles sur des événements (festivals par exemple).

2b. Le dispositif d'automates d'échange de seringues d'Île-de-France touche environ 2 000 usagers différents, bien qu'il ne soit pas possible de comptabiliser précisément le nombre de bénéficiaires.

Les produits consommés varient significativement d'un territoire à l'autre/ d'un appareil à l'autre. Nous les identifions grâce à un programme d'analyse chimique des résidus de drogues présents dans les seringues usagées, mené en partenariat avec l'université Paris Saclay. Sur certains sites, les opioïdes sont quasiment absents, alors que sur d'autres (notamment en Seine St Denis, ou dans le nord-ouest parisien), les opioïdes peuvent être détectés dans 40 % voire 90 % des seringues. En moyenne, sur la campagne 2023, l'héroïne était retrouvée dans 31,72 % des seringues, la morphine dans 6,91 %, la buprénorphine dans 6,54 %, la méthadone dans 1,11 %.

Les utilisateurs des automates connaissent ces dispositifs :

1) par le bouche-à-oreille entre usagers* ;

2) par les affiches et flyers mis à disposition dans les Caarud, CSAPA, CeGIDD ;

3) par le biais de pochettes d'information mises à disposition dans les pharmacies de ville, et remises aux usagers lorsqu'ils achètent des trousses de prévention de type steribox ou kit exper' ;

4) par les sites internet, forums communautaires et réseaux sociaux.

3. Identifiez-vous des difficultés concernant l'adressage ou l'accès de consommateurs ou d'usagers d'opioïdes à des structures de repérage, de prise en charge et d'accompagnement ? Si oui, lesquelles ?

3a. La première difficulté d'accès des consommateurs aux structures de repérage et de prise en charge provient du fait que la politique de réduction des risques en France est une politique confidentielle qui ne bénéficie d'aucune promotion en population générale.

Les usagers les plus insérés ne savent pas même qu'une telle politique existe. Bon nombre d'entre eux nous disent qu'ils sont arrivés chez nous par hasard en découvrant notre existence sur internet, et qu'ils n'imaginaient même pas que des structures étaient spécialisées dans la réduction des risques. Les structures de soin sont bien sûr davantage connues. Ou elles sont recherchées au moment où les usagers sont déjà en difficulté avec leur consommation, c'est-à-dire bien tardivement par rapport aux prises de risques et leur ancrage dans une addiction.

3b. La deuxième difficulté provient de la Loi de 1970 qui fait de l'usager de drogues un délinquant. Pour cette raison, bon nombre d'usagers vont cacher le plus possible leur consommation, fuir l'échange avec le médecin ou tout autre professionnel de la réduction des risques, par peur des conséquences de dévoiler l'usage d'une substance illicite et de la stigmatisation.

Ce carcan législatif devient un carcan moral : beaucoup d'usagers se cachent le plus possible et le plus longtemps possible par peur du jugement moral, de la mise au ban de la société / d'un groupe...

3c. Une troisième difficulté est le manque de places dans les CSAPA et/ou le fait que les rotations de file active ne sont pas assez rapides. Nous pouvons être coincés pendant plusieurs semaines pour pouvoir adresser des usagers qui ont besoin d'une prise en charge. Parfois les délais peuvent être de 3 à 6 mois.

Certains vont dire qu'il n'y a pas d'urgence en addictologie et que ces délais restent raisonnables. Ce n'est pas notre point de vue et les délais d'orientation peuvent créer des catastrophes (évolution d'une consommation problématique à une addiction sévère, décès par surdosage en raison d'automédication/ suicide, rupture professionnelle, familiale...).

3d. L'éloignement des structures de RDR pour nombre d'usagers et leurs heures d'ouverture difficilement compatibles pour les usagers insérés socialement qui travaillent

4. Identifiez-vous des profils spécifiques de consommateurs d'opioïdes ?

Parmi les consommateurs d'opioïdes accompagnés à SAFE, nous enregistrons des :

- consommateurs d'héroïne de niveaux d'insertion divers ;

- consommateurs de médicaments de substitution et de médicaments opioïdes, pris à usage de drogue ;

- consommateurs de sulfate de morphine pris à usage de traitement antalgique ;

- injecteurs de médicaments antalgiques, pris de manière non conforme à l'AMM et à la prescription, parce qu'ils ne sont pas correctement soulagés de leurs douleurs.

Les usagers concernés sont de :

- toutes les tranches d'âge, de jeunes majeurs à des personnes retraitées ;

- toutes CSP.

Nous notons que des personnes consomment des opioïdes sans le savoir (non informées que leur traitement est un opioïde ou drogue coupée à l'insu de l'usager avec un opioïde).

Les personnes accueillies dans vos structures souffrant d'un trouble de l'usage ou d'une dépendance relèvent-elles de situations de consommation illégale ou d'un traitement antalgique initié dans un cadre thérapeutique ?

Les deux situations existent parmi les personnes accueillies à SAFE, même si la majorité relèvent de situations de consommation illégale. L'une pouvant découler de l'autre.

Font-elles l'objet d'un suivi thérapeutique du fait de leurs troubles de l'usage ou de leur dépendance ?

La majorité de ces personnes font l'objet d'un suivi thérapeutique mais pas toutes, pour des raisons diverses parmi lesquelles :

- elles n'en ressentent pas le besoin ou l'envie ;

- elles ont eu une expérience antérieure qui s'est mal passée et elles ne souhaitent pas retourner en CSAPA ou en cure ;

- l'accès aux soins est compliqué sur leur territoire (25 % des usagers accompagnés par SAFE habitent dans des communes de faible voire très faible densité urbaine) ;

- les modalités d'accès au traitement de substitution ne conviennent pas aux usagers : par exemple des personnes contraintes de faire 2 heures de trajet aller-retour chaque jour pour accéder à la méthadone.

- elles ont renoncé après avoir appelé plusieurs structures de leur territoire qui ont annoncé des délais d'inclusion de plusieurs mois.

5. Quelles évolutions et quelles tendances constatez-vous en matière de mésusage et de dépendance à des opioïdes en France ?

a. Quelles sont les substances disponibles sur le marché français les plus concernées, et quels sont les principaux modes d'approvisionnement ?

Les produits opioïdes que nous relevons le plus auprès des personnes que nous accompagnons sont les suivants :

- Héroïne

- Buprénorphine haut dosage

- Sulfate de morphine / Skénan

- Tramadol /codéine

- Méthadone

- Oxycontin

- Les « purple drank » avec divers médicaments opiacés (chez les plus jeunes)

Nous voyons de manière épisodique/rare :

- Des opioïdes de synthèse (U47 700, Pinky, MT45...)

- Des fentanyloïdes (7 repérages dans les automates, une dizaine en RDR à distance) + carfentanyl

- Des nitazènes (5 repérages en RDR à distance)

À noter : des personnes achètent des produits stimulants qui sont coupés aux opioïdes à l'insu de l'acheteur. Cela amène des cas de surdoses dans des groupes pas du tout préparés à ce type de risque.

Les modes d'accès sont :

- Les dealers / vente en ligne ou livraison

- Les dealers en rue

- L'achat en pharmacie

- La pharmacie familiale

b. Quels sont les principaux mésusages constatés ?

- Consommation non conforme à la prescription (quantité)

- Consommation non conforme à la prescription (voie d'administration)

Quels facteurs ont-ils, selon vous, favorisé ces évolutions ?

Ces évolutions ont été favorisées par :

- la plus grande disponibilité globale des produits, notamment avec le commerce en ligne (Internet comme catalyseur) ;

- crise des opioïdes en Amérique du Nord ;

- changement règlementaire en Chine sur l'interdiction de précurseurs des fentanyls

6. Comment appréhendez-vous le développement du marché des nouveaux opioïdes de synthèse ? Quels dangers identifiez-vous ? Certains éléments rendent-ils aujourd'hui plausible, selon vous, une importation de la crise américaine des opioïdes ?

La France est possiblement en partie protégée d'une crise majeure des opioïdes grâce à :

1) Son niveau d'accès à la méthadone et à la buprénorphine haut dosage (BHD), plutôt bon même s'il peut encore être amélioré.

2) L'absence de promotion agressive des médicaments anti-douleurs et une certaine « régulation » du niveau des prescriptions.

3) La veille sanitaire spécifique des cas d'abus, dépendance ainsi que la surveillance des décès via l'addictovigilance.

4) Les changements réglementaires protecteurs mis en place par l'ANSM en lien avec l'addictovigilance comme les changements de règles de prescription et délivrance pour garantir le bon usage (dernier en date avec le passage sur ordonnance sécurisée du Tramadol et des codéinés).

Contrairement à l'Amérique du Nord où la crise a commencé avec la prescription des opioïdes médicamenteux, une crise des opiacés en France proviendrait vraisemblablement du marché de rue via le trafic international.

Le développement du marché des nouveaux opioïdes de synthèse est une réalité dans le monde et il n'y a aucune raison qu'il ne touche pas la France compte-tenu des circuits de circulation des produits. La question n'est pas de savoir si ce marché va se développer en France mais quand il va se développer.

L'étude europénne ESCAPE, qui consiste en une analyse comparative des produits retrouvés dans les seringues usagées (étude dans laquelle SAFE est le représentant pour la France) montre une diversité des produits en circulation selon les pays et/ou le décalage temporel de leur présence. Si la France y détient le record des consommations de stimulants de synthèse de la famille des cathinones, nous ne sommes pas touchés par les nitazènes comme d'autres pays européens, notamment les états baltes/Royaume Unis. Mais nous ne sommes absolument pas protégés de l'arrivée de ces produits.

Plusieurs éléments nous amènent à penser que le risque d'une crise des opioïdes existe pour les années à venir :

- Si nous avons peu repéré aujourd'hui de circulation des fentanyloïdes (un point de deal dans les Yvelines en 2025), il est à noter que le terme « fentanyl » revient de plus en plus souvent dans les entretiens avec les usagers, parce qu'ils cherchent à l'expérimenter, ou en ont entendu parler, que ce soit favorablement ou défavorablement. La puissance du produit est à mettre en balance avec le risque encouru, et tous n'ont pas le même rapport au risque.

- La circulation d'héroïne coupée avec des cannabinoïdes de synthèse en Ile de France depuis 2023 montre que le mélange avec des nouveaux produits de synthèse est déjà une pratique.

- La puissance des NOS est telle qu'une faible quantité est suffisante pour la mise en place d'un trafic ; cela invisibilise de fait ces éventuels trafics.

- Dans le milieu très fermé des « sex tours », il semblerait que les fentanyloïdes et les nitazènes circulent. Nous accompagnons quelques travailleuses du sexe concernées et l'une d'elles rapporte l'accroissement de l'administration de ces produits avec leurs clients. Nous n'avons pas une file active suffisante de personnes concernées pour vérifier l'ampleur du phénomène.

- L'absence d'offre consolidée pour les patients qui ne supportent pas ou ne sont pas équilibrés par les traitements par méthadone ou par BHD : l'autorisation de prescription de sulfate de morphine (Skénan) à visée de substitution devrait être établie, au-delà de l'expérimentation autorisée en 2015 auprès d'un petit nombre de CSAPA.

- Les risques de rupture d'approvisionnement en héroïne au regard de la tension dans certains pays producteurs : si les rumeurs de baisse de la disponibilité sur certains marchés sont avérées, il est probable que les dealers et consommateurs auront recours à des opioïdes synthétiques ou médicamenteux.

- La rumeur persistante que la France ferait partie des pays ciblés par les cartels sud-américains pour diffuser le fentanyl et ses dérivés.

7. Quels enseignements la France peut-elle tirer de l'émergence et de l'évolution de la crise des opioïdes aux États-Unis ? Quelles mesures pourraient-elles, en France, contribuer à prévenir ou freiner un tel phénomène et, plus largement, à circonscrire les mésusages et risques de dépendance observés ?

Des mesures simples auprès des médecins et pharmaciens peuvent contribuer à prévenir ou freiner les mésusages et risques de dépendance :

- Former les médecins sur la douleur et sa prise en charge, et la prescription des antalgiques opioïdes ;

- Coordonner la prise en charge de la douleur en équipe pluridisciplinaire ;

- Faciliter l'accès aux consultations spécifiques sur la douleur et résoudre le renvoi d'ascenseur entre les équipes addictologie - psychiatrie - algologues quand un patient se présente avec un usage problématique d'opioïde, chacun renvoyant le patient vers un autre au motif qu'il ne relève pas de sa spécialité, ou qu'il doit « d'abord avoir réglé ses autres problèmes » avant d'être pris en charge ;

- Limiter la durée des prescriptions d'opioïdes pour renouveler les évaluations ;

- Accorder aux médecins et pharmaciens le financement d'un temps dédié à l'accompagnement de la prescription et de la délivrance du médicament opioïde, pour expliquer les risques associés et la bonne observance nécessaire du traitement ; assurer en fait une éducation thérapeutique du patient comme cela est fait pour d'autres traitements.

- Déstigmatiser la pharmacodépendance dans la population médicale et soignante afin d'améliorer le dialogue entre patients et soignants.

- Déstigmatiser la pharmacodépendance dans la population générale en informant.

Dans le champ de la réduction des risques :

- Les programmes d'analyse de produits devraient être renforcés et plus accessibles, afin d'anticiper les consommations accidentelles de produits coupés aux opioïdes synthétiques, fentanyl, nitazènes... (en s'assurant que les résultats sont communiqués à la veille sanitaire afin de réaliser les alertes au plus tôt).

- La fourniture de bandelettes de détection du fentanyl pourrait être développée (c'est déjà une demande de nos usagers à laquelle nous ne répondons pas pour le moment faute de moyens financiers pour acheter ces outils).

- La parole des usagers devrait être davantage recueillie pour être au plus proche de leur besoin et qu'ils deviennent également des lanceurs d'alerte (empowerment sur cette thématique).

- Des mesures progressistes pourraient être mise en oeuvre, en particulier des programmes de prescription d'héroïne médicale ; idéalement, des HSA assurant la prescription et la possibilité de prise sur place de diacétylmorphine permettraient de réduire le recours aux opioïdes de rue et d'assurer un bon équilibrage des patients les plus en difficulté.

- Diversifier l'offre de MSO : MSO par voie IV, MSO à libération prolongée...

L'expérience nord-américaine devrait aussi être une source d'inspiration pour :

- assurer une communication grand public ;

- renforcer l'enseignement des gestes qui sauvent ;

- diversifier les modalités de diffusion de la naloxone.

8. Estimez-vous que la communication autour des risques de mésusage et de dépendance liés à la consommation d'opioïdes soit aujourd'hui suffisante ? Estimez-vous qu'il serait opportun d'imposer un étiquetage intégrant une mention d'alerte sur les boîtes de médicaments opioïdes afin d'avertir du risque de mésusage et de dépendance associé ?

Nous estimons que la communication autour des risques de mésusage et de dépendance liés à la consommation d'opioïdes est très insuffisante. Cet avis est étayé par les études que nous avons pu mener auprès des professionnels pharmaciens, médecins, et acteurs de l'addictologie et de la réduction des risques, qui considèrent tous que l'information est insuffisante tant au niveau collectif qu'individuel.

Ainsi, 20 % des pharmaciens que nous avons interrogé considèrent que la lutte contre les surdoses d'opioïdes ne peut progresser qu'en menant une action d'information des patients :

- En population générale : avec une campagne massive par presse écrite et télévisée et sur les réseaux sociaux, mais aussi par des brochures qui pourraient être créées par santé publique France, les centres d'addictovigilance, le cespharm ; la sensibilisation est à mener au niveau de la population générale car beaucoup d'individus seront confrontés à une prise d'opioïdes à un moment de leur vie.

- Au niveau individuel : si l'information collective est indispensable, elle ne suffit pas. Elle doit être complétée par un message personnalisé au moment où le patient reçoit sa prescription et/ou son traitement opioïde. Ce point est tout à fait fondamental car nous avons pu constater, de manière expérientielle, que de nombreux patients ne sont pas informés que le médicament qui leur est prescrit est un opioïde ; ils ne peuvent donc faire le lien d'emblée entre leur traitement et une campagne d'information générale. Prévoir une consultation de sevrage ou de déprescription à la mise en place d'un traitement opiacé pourrait permettre d'aborder cela avec le patient de façon systématique et permettrait une prise en charge au plus tôt si celui-ci s'est installé.

Du côté des acteurs de l'addictologie et de la réduction des risques, près d'un tiers des professionnels soulignent le manque d'information des usagers, des patients et du grand public sur les surdoses d'opioïdes et la naloxone. Une campagne de communication est nécessaire. Le manque de sensibilisation globale de la population et donc de conscience collective empêchent la mise en oeuvre de geste réflexes.

Nous sommes favorables à un étiquetage adapté sur les boîtes de médicaments.

Nous soulignons que ces deux sujets (communication en population générale et étiquetage sur les boîtes de médicaments) doivent être traités de sorte à ne pas nuire à l'observance des traitements. Une campagne ou des marquages trop anxiogènes pourraient entraîner une moindre observance du traitement, voire un refus de prise du médicament, avec des conséquences négatives sur la qualité de vie et la santé globale du patient.

9. La formation des professionnels de santé souffre-t-elle de carences concernant les usages et les effets des opioïdes, ainsi que les recommandations de bonnes pratiques ?

Les carences existent et nous avons pu les mettre en évidence dans le cadre des enquêtes préalables à la rédaction du livre blanc du groupe inter-associatif « Réflexe Naloxone ». Nous présentons des extraits des résultats qui illustrent ce déficit de formation et la demande des professionnels pour monter en compétences :

Du côté des pharmaciens :

a. Dans le cadre du remplissage du questionnaire, il a été porté à la connaissance des répondants l'information suivante :

« En 2017, 2 586 hospitalisations et 207 décès étaient liés à une intoxication accidentelle aux opioïdes. 44 % des décès en lien direct avec des antalgiques sont imputables au tramadol. Les opioïdes sont utilisés dans 3 à 5 % des tentatives de suicide. Dans le dernier rapport de l'ANSES 2024 sur les expositions accidentelles à des toxiques chez les enfants : ce sont les médicaments qui sont les plus fréquemment en cause dans les cas graves avec en premier la classe des médicaments du système nerveux (comme pour tous les cas de cette étude) qui à eux seuls représentent 57 % des cas graves dus aux médicaments. Parmi les médicaments du système nerveux, ce sont les analgésiques opioïdes, les antipsychotiques et les antiépileptiques qui sont le plus fréquemment en cause. »

Le partage de cette information modifie la perception du risque de surdosage des antalgiques opioïdes chez 76 % des pharmaciens qui disent réaliser que le risque est plus important qu'ils ne le croyaient.

b. 77 % des pharmaciens indiquent ne pas connaître d'outils permettant d'évaluer le risque de mésusage chez les patients traités par antalgiques opioïdes.

Pour les autres, 19 % connaissent le questionnaire POMI tandis que 4 % évaluent le risque de mésusage lors d'un entretien d'accompagnement individuel.

c. 97 % des pharmaciens interrogés déclarent qu'ils connaissaient la molécule naloxone avant de répondre à ce questionnaire.

Pour autant, quand on leur demande quels noms de spécialités de naloxone ils connaissent, 22 % ne savent citer aucune marque. Les spécialités connues par 58 % des pharmaciens sont les seules formes hospitalières (naloxone générique et Narcan) ; 42 % connaissent les formes à emporter chez soi.

d. 21 % des pharmaciens de ne savent pas où et comment se procurer la naloxone.

Du côté des médecins :

a. Après qu'on a rappelé à ces médecins qu'en 2017, 2 586 hospitaliers et 207 décès étaient liés à une intoxication accidentelle par opioïde, 38 % d'entre eux indiquent que le risque de surdosage est plus important qu'ils ne le pensaient.

b. Parmi ceux qui ont répondu à la question, 30 % des médecins indiquent qu'ils n'ont jamais été formés sur la prise en charge de la douleur et 37 % qu'ils n'ont pas eu de formation en dehors de leur formation initiale. Seuls un tiers des médecins ont bénéficié d'un DESC, d'un DU ou d'une capacité spécifique.

c. Seuls 1/3 des médecins interrogés utilisent un questionnaire permettant d'évaluer le risque de mésusage chez les patients traités par antalgiques opioïdes, 20 % utilisant le questionnaire ORT et 14 % le questionnaire POMI.

d. Si la quasi-totalité connaissent les spécialités hospitalières de naloxone, à peine la moitié connaissance une forme de naloxone à prendre avec soi (« take home naloxone »).

Du côté des acteurs de l'addictologie et de la réduction des risques

De nombreuses difficultés de formation sont mises en exergue :

- Près d'un quart des professionnels ressentent un déficit de formation, notamment les « nouveaux professionnels », sachant que le turn-over est important. Beaucoup ne se disent pas assez formés pour proposer et distribuer la naloxone.

- Les manques de formation et de sensibilisation sur le sujet se reflètent dans une vision négative de la posture de certains professionnels, qui montrent peu d'intérêt et de motivation, et freinent l'accès à la naloxone en raison de stéréotypes et préjugés sur les consommateurs d'opioïdes. Les équipes se plaignent aussi de la désorganisation de l'accès à la naloxone par manque de clarté des textes réglementaires, évoquant ainsi la réticence de professionnels de santé (médecins) vis-à-vis d'une distribution des kits par des professionnels non médicaux (infirmiers, éducateurs...), du manque de connaissance et de compréhension de la démarche de réduction des risques, de la difficulté pour le corps médical de déléguer aux autres professionnels l'accompagnement de la prévention des surdoses. À l'inverse, les soignants soulignent que les non-soignants sont réticents à distribuer car ils ne se sentent pas compétents, pas suffisamment formés et se déchargent d'autant plus volontiers de cette tâche quand il y a un professionnel de santé sur place.

Certains disent que faute de formation, ils rencontrent des difficultés pour trouver les ressorts pour échanger sur les risques opioïdes avec les usagers, les motiver et leur faire accepter la naloxone : ils évoquent ainsi « une culture de l'évitement », « la peur de faire plus de mal que de bien », « la peur du médicament ».

Un autre frein identifié, lié au manque de formation, est la minoration des risques par les professionnels, qui ont pour idée reçue que les surdoses ne concernent que les injecteurs / « les junkies » et qui n'évaluent pas les pratiques réelles des patients traités par médicaments de substitution aux opioïdes.

10. Quel est, selon vous, l'impact des dispositifs de réduction des risques, tels que les Csapa et les Caarud, dans la prise en charge des usagers d'opioïdes en France ?

Les CSAPA et Caarud (et leurs précurseurs les « CSST » et « boutiques ») ont depuis 30 ans un impact majeur dans la prise en charge des usagers d'opioïdes :

- Ils ont réduit l'incidence et la prévalence du VIH.

- Ils ont réduit l'incidence et la prévalence de nombreuses autres infections et complications dont le VHC et les candidoses.

- Ils ont réduit la mortalité par surdose.

- Grâce à la substitution, ils ont amélioré la qualité de vie de milliers de personnes, au niveau médical, familial, professionnel, social.

- Ils ont fait quasiment disparaître les scènes de violences qui étaient enregistrées dans les pharmacies dans les années 80 et 90, tant pour l'accès aux matériels d'injection qu'aux médicaments opioïdes en raison des crises de manque.

- Néanmoins, ces structures concernent le plus souvent des usages de substances illicites et ne sont pas toujours perçues comme ressource pour les près de 2 millions de patients présentant un trouble de l''usage d'opiacés médicamenteux (tramadol, codéine ou opiacés de pallier 3) bien que certains CSAPA aient mis en place des consultations spécifiques sur la pharmacodépendance médicamenteuse.

11. Le défaut de coordination des différents acteurs, du repérage à la prise en charge des usagers (associations, Csapa, Caarud, médecine de ville, structures hospitalières, etc.), est-il un facteur favorisant les mésusages ?

Comment cette coordination pourrait-elle être améliorée pour offrir un parcours de soins intégré, structuré et cohérent aux usagers d'opioïdes ?

Le défaut de coordination est effectivement l'un des facteurs favorisant les mésusages. Parmi les sujets remontés par nos bénéficiaires, nous notons par exemple :

- Délai d'attente trop longs avant d'entrée en soins ;

- Absence de relais méthadone lors de vacances, déménagements...

- Messages contradictoires entre les établissements ;

- Entrées en sevrage mal préparées ou vécues comme des contraintes ;

- Absence de prise en compte des spécificités prévues lors de l'orientation (par exemple sevrage non réalisé car le patient avait besoin d'une prise en charge de son chien et au dernier moment cela n'a plus été possible) ;

- Difficultés pour orienter vers des obstétriciens accompagnant les femmes enceintes consommatrices d'opioïdes.

Dans ces diverses situations, les usagers ont pu être amenés à cacher des consommations, acheter des produits dans la rue pour compléter les traitements, etc.

La coordination pourrait être améliorée avec :

- des professionnels ayant du temps de travail dédié pour assurer cette coordination ;

- des organisations simples de relais pendant les périodes de congés ou d'absence de médecins dans certains CSAPA ;

- des personnes ressources qui pourraient accompagner les médecins de ville peu expérimentés dans leurs prises en charge et pour leurs prescriptions ;

- des systèmes d'orientation simplifiés. Un usager qui a été suivi en CAARUD ou autre équipe de RDR doit souvent refaire tout un parcours d'inclusion en rencontrant plusieurs professionnels au CSAPA ou à l'hôpital. Ce parcours est long, souvent fastidieux, et donne l'impression que l'accès aux soins et au traitement se mérite, après avoir démontré sa motivation et sa compliance.

12. Quel regard portez-vous sur l'expérimentation des haltes soins addictions dans l'accompagnement des usagers et dans la politique de réduction des risques ?

SAFE a fait partie des associations qui ont demandé l'ouverture de salles de consommations à moindres risques en France, dès 2009 dans le cadre du « collectif du 19 mai ».

En effet, notre association est présente sur le territoire de Paris Gare du nord depuis le début des années 2000 pour la gestion des automates d'échange de seringues. Nous avons observé la scène ouverte qui s'est développée au fil des années, en particulier :

- le deal et la consommation à ciel ouvert ;

- la présence des dealers et consommateurs de drogues sur un territoire élargi ;

- l'insalubrité publique avec risque infectieux pour tous, UD comme riverains et autres personnes fréquentant le territoire ;

- l'insécurité ressentie et/ou avérée, renforcé par le côté « inconnu » de personnes qui arrivent par la gare pour fréquenter la scène ;

- l'incapacité des acteurs associatifs à subvenir aux besoins des usagers ni en termes de RDR ni d'accès aux soins, l'incapacité à apaiser les tensions.

Nous avons donc voulu qu'une nouvelle offre de réduction des risques puisse être offerte sur le territoire, au bénéfice de tous : riverains, usagers de drogues, professionnels.

Les résultats de la HSA Gaia Paris, nous les constatons au quotidien sur le terrain.

SUR LE PLAN QUANTITATIF

Nous constatons :

- la diminution significative du nombre de seringues distribuées par automates secteur Gare du Nord, depuis l'ouverture de la salle de consommation (seul secteur de Paris où une baisse est constatée dans la durée) qui traduit une meilleure réponse aux besoins des usagers, notamment des plus précarisés d'entre eux. Nous sommes passés de 174 517 seringues diffusées secteur Gare du Nord en 2017 à 91 926 seringues diffusées en 2023.

En parallèle, nous notons la stagnation de la distribution de pipes à crack par automates, logique puisque la SCMR n'est pas une salle d'inhalation (25 000 pipes par an, ce qui est le maximum de la capacité de distribution des appareils).

Nous constatons aussi la diminution très importante du nombre de contacts avec les usagers dans la rue depuis l'ouverture de la HSA, surtout depuis l'élargissement des horaires de GAIA. Entre 2017 et 2023, nous sommes passés de 5 612 contacts par an à environ 400 contacts par an. La scène ouverte que nous avons connue dans les années 2000 à 2010 a quasiment disparu, nous ne voyons que très peu d'usagers dehors.

SUR LE PLAN QUALITATIF

Nous constatons :

- la pacification de l'ambiance sur le terrain pour les professionnels de SAFE la très grande majorité du temps (réduction des agressions et actes d'incivilité) : en 2016/2017, nous devions réaliser des tournées à 2 professionnels sur le secteur gare du nord compte-tenu des tensions, ce n'est désormais plus un sujet pour l'équipe de SAFE, les intervenants travaillent seuls sur ce territoire comme sur le reste de la région ;

- la réduction des problèmes de salubrité publique, étayée par l'arrêt des sollicitations des sociétés de parking EFFIA / VINCI, de la société DECAUX (sanisettes) et de la SNCF pour récupérer les DASRI dans leurs espaces ; cela s'accompagne de la quasi disparition des ramassages de matériel usagé par SAFE autour des machines ;

- l'amélioration du ressenti des habitants du quartier, étayée par l'arrêt des plaintes des riverains sur les gênes rencontrées autour des automates ;

- la réduction des demandes de la SNCF pour intervenir auprès de leurs agents : jusqu'à l'ouverture de la HSA, nous devions assurer des temps de sensibilisation des agents pour leur parler des consommations de drogues, de la réduction des risques, et mener des actions de réassurance. Tout cela a complètement disparu.

Les usagers qui fréquentent la salle et que nous accompagnons aussi vont indéniablement mieux sur le plan sanitaire et social.

L'expérimentation de HSA en France n'a fait que redémontrer s'il en était besoin ce qui était déjà démontré par la littérature internationale, à savoir le bénéfice de ce type de dispositif pour la santé publique et la tranquillité publique.

Les HSA sont une composante essentielle de la politique de réduction des risques et devraient être davantage déployées en France (incluant un renforcement à Paris). Le sujet est désormais de les déployer là où il y a des scènes ouvertes de consommation et non là où on juge que ce serait acceptable, sans lien avec la réalité des consommations sur un territoire.

Le nombre de surdose rapporté en addictovigilance par le Caarud d'Aulnay-sous-Bois illustre bien cette nécessité.

13. Quelles sont les principales difficultés rencontrées par vos associations dans l'exécution de leurs missions ?

- La première difficulté rencontrée par SAFE est l'insuffisance de financements : l'équipe est au maximum de sa capacité d'accompagnement faute de pouvoir recruter du personnel supplémentaire, mais aussi sous-dotée pour pouvoir assumer le coût de tous les matériels de prévention nécessaire.

- Cela conduit à la situation absurde de ne pas communiquer davantage sur l'offre de services pour freiner l'arrivée de nouveaux publics et ne pas plonger l'association dans un déficit budgétaire que nous ne pourrions absorber.

- Malgré cela, la file active augmente chaque année et nous nous demandons comment nous allons réussir à absorber cette activité. Jusqu'à maintenant nous n'avons jamais refusé d'inclusion ni restreint les matériels et services, mais cela devient difficilement tenable.

- La seconde difficulté est le cadre règlementaire qui contraint en permanence à chercher des solutions pour résoudre des problèmes qui devraient être levés par les textes encadrant la réduction des risques. À titre d'exemples :

- les associations de réduction des risques ne peuvent pas acheter l'eau PPI nécessaire à la préparation pour injection utilisée par l'usager car c'est un médicament. Il faut donc trouver un médecin prescripteur pour acheter ces doses ou payer les services d'un pharmacien ;

- l'envoi postal de naloxone pour les usagers les plus éloignés de la prévention et des lieux d'accueil a nécessité un montage avec une pharmacie de ville, car l'envoi postal de médicaments est réservé aux seuls pharmaciens de ville. Cette contrainte règlementaire entraîne une complexification du dispositif, des surcoûts de ressources humaines pour nous, un coût pour la prestation du pharmacien... Il n'y a aucune valeur ajoutée pour les bénéficiaires mais une majoration de quasiment 50 % du coût du dispositif !

- Les actions innovantes sont freinées par la difficulté à obtenir des autorisations d'expérimentation. Ainsi, dans le contexte d'accroissement des surdoses, nous souhaitons expérimenter des distributeurs de naloxone, comme cela existe déjà en Amérique du Nord ou en Australie. Le dossier est à l'arrêt depuis 18 mois, faute d'espaces de dialogue et de concertation pour pouvoir aboutir. Cet outil permettrait notamment de mettre en évidence la demande des usagers. L'évolution des chiffres de distribution formerait une surveillance de la demande, reflet de l'intérêt par les usagers, voire de l'utilisation de la naloxone.

- Une troisième difficulté est le durcissement des relations avec les collectivités territoriales, de moins en moins enclines à accepter les actions de RDR sur leurs territoires, en particulier la pose des distributeurs de matériels de prévention.

14. Entretenez-vous des relations avec les agences régionales de santé ou avec les collectivités territoriales pour mettre en oeuvre des politiques de prévention et de réduction des risques en addictologie dans vos territoires d'implantation ?

Oui, l'association SAFE entretient de longue date des relations avec les agences régionales de santé (ARS) et les collectivités territoriales pour mettre en oeuvre les politiques de prévention et de réduction des risques. C'est d'ailleurs un préalable indispensable à la réussite des actions et parfois même une obligation pour mettre en place certains projets, comme le déploiement des automates de réduction des risques sur la voie publique.

Nous soulignons :

- les difficultés croissantes pour convaincre les mairies d'accepter la pose d'automates distributeurs de matériels de prévention sur les territoires ;

- le désengagement financier de nombreuses communes et départements sur les sujets de réduction des risques, au motif que ce n'est plus leur mandat ;

- l'iniquité territoriale d'accès à la réduction des risques et la disparité des services accessibles, compte-tenu de l'autonomie des ARS ;

- les difficultés posées par la fongibilité de certaines lignes de financement et la réaffectation de budgets sur des lignes qui n'étaient pas celles initialement prévues ; ainsi des budgets dévolus à la RDR à distance ont été réaffectés dans des budgets généraux Caarud, des budgets naloxone également...

15. Comment évaluez-vous la politique de réduction des risques en France ? Notamment, comment évaluez-vous l'efficacité des programmes de distribution de matériel de prévention (comme les seringues stériles) dans la réduction des risques liés à l'usage d'opioïdes ?

15.1. Notre évaluation de la politique de réduction des risques en France

La politique de réduction des risques (RDR) en France s'est considérablement développée depuis son inscription tardive dans la Loi en 2004 ; nous pouvons évaluer la politique actuelle à la lumière des évolutions des 10 dernières années. Cette évaluation doit être menée en prenant en considération l'augmentation des addictions et des problèmes de santé physique et psychique liée à la pandémie de COVID-19.

Nous pouvons d'abord souligner les nombreuses avancées de la RDR des années 2010-2020, avancées qui ont été construites grâce à une forte coopération entre les services de l'État, les professionnels de la réduction des risques, les représentants des usagers, et des équipes de recherche.

Les professionnels de la RDR peuvent s'appuyer sur les réels progrès de la dernière décennie qui a vu arriver :

- les Salles de Consommation à Moindres Risques ;

- l'Analyse de Produits ;

- l'AERLI c'est-à-dire l'accompagnement et l'éducation aux risques liés à l'injection ;

- la possibilité pour les usagers de drogues d'accéder au traitement du VHC sans la contrainte d'arrêt des consommations ;

- et puis bien sûr l'accès à la PrEP, si importante pour nos usagers avec le développement de la pratique du chemsex.

Nous sommes aussi satisfaits de tous les outils et dispositifs de RDR qui permettent désormais d'accompagner les usagers à domicile :

- la possibilité d'avoir de la naloxone chez soi, avec la mise sur le marché successive des spécialités Nalscue, Prenoxad et Nyxoïd puis Ventizolve ;

- le développement du dispositif de RDR à distance et de toutes les modalités de e-RDR, c'est-à-dire les informations en ligne, les forums, les lignes d'écoute pour les conseils et la réassurance : c'est ce qui nous permet de proposer par téléphone, par mail, par visio les conseils, l'accompagnement, l'éducation à l'injection, les dépistages, l'accès à la naloxone, l'analyse de produits et pour ce qui concerne la RDR à distance l'envoi de matériels.

Nous pouvons nous réjouir :

- de l'amélioration progressive des matériels de réduction des risques disponibles, avec par exemple la mise sur le marché des kits exper' qui permettent de faire des progrès significatifs en matière de lutte contre les contaminations virales, bactériennes et fongiques ;

- des travaux en cours pour remettre en état le parc national d'automates distributeurs de kits d'injection qui était vieillissant et dysfonctionnel. Sa modernisation, son adaptation aux kits exper' et le déploiement des premiers distributeurs de pipes à crack sont des avancées très positives.

Ces éléments positifs doivent cependant être mis en regard de nombreuses difficultés, qui relèvent à la fois de problèmes structurels persistants et de retards dans l'adaptation aux changements de publics et de pratiques.

Il est hélas encore besoin de rappeler l'inadaptation du cadre réglementaire, avec la Loi de 1970 complètement obsolète. Mais même dans ce carcan, des choses pourraient évoluer pour résoudre des situations inacceptables :

- la RDR en milieu carcéral est toujours réduite à peau de chagrin ; l'échange de seringues en prison n'y existe que dans de rares centres pénitentiaires, par des volontés individuelles de médecins qui prennent personnellement le risque de mettre en oeuvre ces programmes.

- neuf ans après l'extension de la loi santé, le décret d'application n'est toujours pas publié et la loi n'est toujours pas respectée ;

- les équipes mobiles des Caarud ou les véhicules des intervenants de SAFE en charge de la gestion des automates de RDR sont parfois obligées de partir de leurs emplacements autorisés par les ARS et les communes, sous contrainte de la police ;

- nous voyons encore les forces de l'ordre mettre les seringues aux caniveaux et détruire les pipes à crack.

- Nous ne comprenons pas les tergiversations pour permettre aux équipes de premiers secours, police, pompiers, secouristes, de disposer de la naloxone.

Les questions réglementaires continuent de nous alerter quand on se penche sur les matériels de consommation à moindres risques disponibles pour les usagers. La récente étude PROPICE qui était focalisée sur les matériels d'inhalation du crack a permis de mettre en évidence l'absence de normes pour une grande partie du matériel distribué : à l'exception des matériels d'injection et d'une partie des outils de prévention en matière de santé sexuelle qui sont normés, tout le reste est fabriqué et distribué sans cadre réglementaire et sans matériovigilance, ce qui pose de vraies questions sur les garanties d'innocuité de ces matériels pour nos bénéficiaires.

En matière réglementaire encore, on peut s'étonner de l'absence de diplôme ou de formation qualifiante en réduction des risques, et d'une forme d'inadaptation des formations à la pratique réelle de terrain. On peut se déclarer experts en RDR, en chemsex ou encore en accompagnement à l'injection, sans qu'aucune formation scientifiquement validée ne soit nécessaire. Au regard de l'état et du déficit d'information d'une partie des usagers que nous accompagnons et qui ont déjà bénéficié d'accompagnement par des professionnels de la réduction des risques, nous pouvons nous interroger sur les risques de continuer à travailler ainsi. Nous appelons donc de nos voeux la création de formations qualifiantes mais aussi la mise en place effective des masters IPA avec la mention addictologie, annoncés comme priorité dans le cadre du Ségur de la Santé il y a 5 ans, et qui ne sont toujours pas d'actualité.

Les difficultés structurelles ne sont pas seulement liées aux questions règlementaires et de cadre. Elles sont aussi liées aux manques de ressources, manques de lieux et de personnels. Il est préoccupant que la France ne compte toujours que 2 HSA et qu'il n'y ait toujours pas de salle de consommation pour les fumeurs de crack, alors que cela serait bénéfique tant en termes de santé publique que de sécurisation et pacification des espaces urbains.

On peut également s'interroger sur le faible niveau d'accès aux seringues, comme cela a été démontrée par plusieurs expertises : celle de l'INSERM d'abord indiquant que la distribution correspond à ¼ à ½ seringue par usager et par jour, puis celle de de l'IGAS aboutissant à la conclusion que la réduction des risques couvre environ 50 % des besoins réels en seringues.

Les volets santé et social de la politique de réduction des risques française pâtissent des campagnes de communication gouvernementales qui semblent émaner systématiquement du ministère de l'intérieur. Ces campagnes qui culpabilisent et stigmatisent les consommateurs ne font que les éloigner de la prévention et du soin : car comment parler de sa consommation à un professionnel quand on est accusé de « nourrir des réseaux et être complice de fait », « être responsable d'assassinats et de financement du terrorisme » ?

La politique de réduction des risques mériterait au contraire une campagne nationale orientée santé, qui parle ouvertement de consommation de drogues, de réduction des risques, de possibilité d'accéder anonymement et gratuitement aux Caarud et CSAPA. Le déficit d'information du grand public et les faibles moyens de communication des acteurs de la RDR font que nous sommes toujours en retard pour contacter et accompagner les nouveaux publics : les arrivées sont tardives, les personnes présentant des dommages qui auraient pu être en grande partie évités.

Le déficit de formation initiale et continue des intervenants et le manque d'investissement sur l'innovation et la recherche en réduction des risques entraînent des délais dommageables pour la mise en oeuvre des actions les plus pertinentes et performantes :

- Les équipes courent après les informations disponibles sur les nouveaux produits consommés, notamment les produits de synthèse.

- Nous avons des années de retard pour construire une vraie stratégie et des vrais outils de RDR pour accompagner le chemsex. Il est nécessaire de renforcer l'accès à des quantités importantes de matériels d'injection si on ne veut pas prendre de plein fouet l'augmentation du VIH et du VHC auprès de ce public, mais aussi d'adapter les types de matériels adaptés à cette pratique au regard de la spécificité des plaies et complications observées.

- Pour les chemsexers slameurs mais de manière plus globale pour tous les injecteurs, il manque un réel parcours d'éducation thérapeutique du patient axé sur l'éducation à l'injection. Pour réduire les prises de risques somatiques des injecteurs, il convient de proposer très tôt dans le parcours des usagers une réelle éduction à l'injection. Pas seulement des sessions dîtes « AERLI » mais un réel programme d'ETP, effectué par des infirmiers.

L'institutionnalisation de la réduction des risques (inscription dans la Loi puis décret et référentiel CAARUD) au début des années 2000 a permis d'obtenir des financements plus conséquents et bon nombre d'avancées.

Mais cette institutionnalisation n'a pas eu que des effets positifs. La prétendue professionnalisation des acteurs du champ n'en est pas vraiment une, puisque les critères de recrutement sont sur la base de diplômes / métiers non spécialistes en réduction des risques. Au fil des années, les acteurs sont moins militants, moins spécialisés, et la place des pairs est réduite. Entre l'époque humanitaire des années 90 où les ONG humanitaires telles Médecins Sans Frontières et Médecins du Monde, et les acteurs autonomes comme SAFE fondaient la RDR française, et le champ de la réduction des risques aujourd'hui, nous observons que les difficultés réglementaires et politiques se sont considérablement accrues. Probablement parce qu'il n'y a plus l'urgence du VIH ni l'image dégradée des junkies pour pousser les politiques à agir.

Mais beaucoup reste à faire pour ne pas risquer de nouvelles crises (chemsex, crise des opioïdes, crise des surdoses de stimulants, santé pulmonaire des crackers...). Pour faire évoluer la politique de réduction des risques, il est nécessaire de décloisonner et faire travailler ensemble et de manière convergente les élus, l'État, les professionnels, les usagers, les chercheurs.

Or le peu d'instances existantes semblent à l'arrêt ou au ralenti. À titre d'exemple, le groupe « T2RA » - traitement et réduction des risques en addictologie réuni par le Directeur Général de la Santé, qui a tant fait avancer les dossiers sur son mandat 2014-2018 n'a été réuni que 3 fois depuis 2019 et ne permet plus de faire progresser la politique nationale de RDR. Rappelons que c'est grâce à ce groupe que nous avons obtenu l'expérimentation de la distribution de sulfate de morphine comme médicament de substitution ou encore l'expérimentation de la naloxone sous sa forme « take home » ; il est dommageable que ce groupe expert ne puisse pas continuer sa mission pour soutenir et faire performer la politique de RDR française.

15.2. L'efficacité des programmes de distribution de matériel de prévention dans la RDR liés à l'usage d'opioïdes

Les programmes de distribution de matériel de prévention s'avèrent particulièrement efficaces dans la réduction des risques et des dommages liés à l'usage d'opioïdes, sur plusieurs aspects :

a. La distribution de seringues et de tous les matériels utilisés pour l'injection des substances a drastiquement réduit l'incidence du VIH et du VHC chez les personnes concernées, mais aussi les infections bactériennes et fongiques ;

b. La distribution des matériels de prévention utilisés pour les autres modes de consommation des opioïdes (feuilles d'aluminium, pipes, kits d'atomisation nasale) réduisent également les risques de contamination par le VHC et d'autres complications somatiques. En particulier, la pratique d'atomisation nasale réduit les dommages ORL.

c. Les entretiens de réduction des risques et les accompagnements sont autant d'occasion de travailler avec les usagers sur leur consommation de substances et la gestion de ces consommations, repérer les envies de changement et faciliter l'entrée en soins et les orientations vers la substitution ou les sevrages.

16. Quel regard portez-vous sur les conditions d'accès à la naloxone et aux TSO en France ? Vous paraissent-elles satisfaisantes ? Pourraient-elles être améliorées et si oui, comment ?

Chaque année, près de 12 millions de personnes prennent des opioïdes avec un nombre de décès et dhospitalisations liés à des surdoses qui ne cesse daugmenter. Malgré des recommandations explicites de la HAS et des rapports clairs et précis, la prévention de ces surdoses et la diffusion de la naloxone ne progressent pas.

La pratique d'évaluation du risque de surdose d'opioïdes reste peu développée. La naloxone, un antidote pourtant simple à administrer et sans risque, reste difficile à se procurer.

Les conditions d'accès à la naloxone ne sont pas optimales :

- les prescriptions sont insuffisantes ;

- les remises en mains propres dans les centres spécialisés ne sont pas toujours organisées faute de budgets ad hoc ;

- la distribution en Caarud et autres équipes de RDR non médico-sociales est freinée par le cadre réglementaire ;

- l'accessibilité en pharmacie est faible faute d'obligation de disposer d'au moins une boîte en stock comme c'est le cas au Canada ;

- L'absence d'accord sur le prix de la spécialité Ventizolve a entraîné la situation absurde que la seule spécialité intranasale ne nécessitant pas de prescription ne soit pas disponible en pharmacie.

SAFE fait partie du collectif « Réflexe naloxone » qui propose et demande l'application de 12 mesures simples pour parvenir à mieux lutter contre les surdoses :

1

Faire évoluer les RCP des médicaments opioïdes et le paramétrage des logiciels de prescription et de délivrance pour y intégrer les deux recommandations HAS pour tous les opioïdes : (1) nécessité d'évaluation du risque lié aux opioïdes, (2) prescription de naloxone chez les patients à risque de surdose.

2

Mentionner le risque de surdose, la conduite à tenir et l'existence d'un antidote sur les notices et boites de médicaments opioïdes, conformément aux recommandations de la HAS.

3

Attribuer de manière pérenne les crédits nécessaires à l'achat de la naloxone à toutes les structures qui en distribuent en fonction des besoins de leur file active, justifiés par les indicateurs appropriés dans leur rapport d'activité.

4

Établir des modalités réglementaires spécifiques à la naloxone permettant l'approvisionnement, le financement, la conservation, la délivrance, l'administration pour tous les acteurs de proximité pouvant être amenés à distribuer de la naloxone en l'absence de médecin ou de pharmacien.

5

Intégrer dans les modules de formation initiale et continue pour les médecins (DPC/EPP) et les pharmaciens les recommandations de la HAS sur l'usage d'antalgiques opioïdes : (1) repérage des risques de surdose d'opioïdes et (2) prise en charge des surdoses incluant la prescription de naloxone.

6

Renforcer la diffusion des recommandations de la HAS en matière de gestion des risques de surdoses d'opioïdes par tout média pertinent auprès des médecins et des pharmaciens.

7

Modéliser l'accompagnement en pharmacie des patients traités par antalgique de palier II et III incluant : (1) une information et une évaluation sur le risque de surdose (2) une information sur la naloxone et (3) une recommandation de prescrire et/ou délivrer la naloxone chez les patients à risque.

8

Imposer et financer 1 boîte de naloxone en stock dans toutes les pharmacies de ville. Permettre l'implantation de distributeurs automatiques de naloxone. Subventionner les kits de naloxone pour permettre un accès gratuit ou à coût symbolique.

9

Systématiser le repérage des usagers d'opioïdes, la proposition et la remise de l'antidote par tous les intervenants des structures médicosociales. Mettre en place des formations et le suivi des prescriptions, des délivrances et de l'utilisation de la naloxone.

10

Former le personnel pénitentiaire et sensibiliser les détenus et co-cellulaires au risque de surdose et à l'administration de naloxone. Mettre la naloxone à leur disposition durant la détention et lors de la sortie d'incarcération.

11

Faire appliquer le cadre légal imposant l'accès aux outils de RdR pour les personnes détenues.

12

Assurer l'information du grand public par tous les médias pertinents sur :

- Le risque de surdose d'opioïdes (produits, situations et personnes concernées)

- L'usage de la naloxone, ses bénéfices et l'absence de risques associés

- Les moyens de se procurer de la naloxone facilement

17. Quelles actions supplémentaires ou améliorations préconisez-vous pour renforcer la politique de réduction des risques en matière d'opioïdes et mieux répondre aux besoins des usagers ?

Si la naloxone reste l'antidote principal contre les surdoses d'opioïdes, cela ne doit pas nous faire oublier qu'elle s'inscrit en complément d'autres solutions qui permettent déjà de réduire le risque de surdose, mais qui nécessiteraient d'être renforcées ou améliorées :

a. L'accès facilité aux traitements de substitution aux opioïdes (buprénorphine haut dosage, méthadone) : plusieurs pistes d'améliorations sont à envisager telles que i/ renforcer le nombre de places et accélérer les inclusions, ii/ assurer un plus fort relais en ville pour faciliter la rotation des files actives, iii/ améliorer l'accessibilité des médicaments de substitution aux opiacés, bon nombre de pharmaciens n'en ayant pas en stock et refusant leur délivrance (moins de 25 % délivrant la méthadone et moins de 60 % la buprénorphine HD dans les enquêtes déclaratives menées par SAFE dans les pharmacies d'Île-de-France).

b. La mise en place des HSA : elles sont trop peu déployées en France, leurs implantations devraient être renforcées pour une meilleure couverture territoriale, là où des scènes ouvertes de consommation existent.

c. L'organisation de la continuité des soins entre les services de santé, notamment lors des transitions entre le milieu carcéral et la vie en liberté : les semaines suivant les sorties de prison sont une période particulièrement à risque pour les surdoses chez les consommateurs d'opioïdes, et nous entendons chaque mois des témoignages de personnes sorties de détention sans le relais de soins nécessaire et sans naloxone, avec parfois pour conséquence des surdoses et des décès.

d. L'analyse des produits psychoactifs : ce dispositif permet aux consommateurs de ces substances de connaître leur composition avant de les consommer et/ou pour comprendre des effets indésirables avant de re-consommer. Cela évite les risques de surdoses liés à des produits plus puissants que ceux attendus et/ou coupés avec des produits opioïdes inattendus. Actuellement, les systèmes d'analyse de produits sont difficilement accessibles pour les usagers d'une partie du territoire, et tous les dispositifs ne donnent pas la même qualité de résultats. Un nivellement par le haut serait nécessaire. Le dispositif d'analyse à distance, accessible pour les usagers les plus éloignés des grandes villes et donc des lieux d'analyse, devrait être renforcé.

Nous rappelons une nouvelle fois le manque d'une campagne de communication nationale, qui reste essentielle pour sortir la politique de RDR de sa confidentialité ; elle permettrait de toucher les usagers de drogues les plus éloignés de la prévention et les plus isolés avec leur pratique.

Par ailleurs, la question de la formation des intervenants en réduction des risques est un sujet de fond. Aujourd'hui, il n'existe pas de diplôme spécifique pour intervenir en réduction des risques et des dommages, si ce n'est quelques diplômes universitaires et des formations dispensées par certaines associations du champ.

Bon nombre d'intervenants des établissements sont recrutés sur des critères de diplômes (infirmiers, psychologue, éducateur spécialisé...) sans pour autant qu'ils aient de compétences spécifiques dans le domaine de la réduction des risques.

Nous en arrivons à la situation incongrue où les associations et intervenants eux-mêmes se définissent comme experts en accompagnement à l'injection, en chemsex... alors que leurs actions ne sont pas évaluées par des méthodes scientifiques qui permettent d'en apprécier la qualité, la pertinence et la performance.

Nous voyons ainsi arriver à la consultation infirmière de SAFE des injecteurs de drogues qui présentent un état très dégradé alors qu'ils sont accompagnés depuis des années par des équipes de RDR, tout simplement parce que les professionnels qu'ils ont rencontrés jusqu'alors n'ont pas de connaissances approfondies sur les matériels et les actes d'injection (de la préparation à la réalisation), et n'ont pas la compétence pour former sur l'injection, qui reste un acte médical.

L'association SAFE demande depuis plusieurs années à ce qu'une formation à la réduction des risques soit créée, pour améliorer la qualité de la prise en charge.

De plus, dans le cadre du groupe Traitement et réduction des risques en addictologie T2RA, nous avons travaillé à la mise en place d'un Guides des outils recommandés en réduction des risques. Ce document établi en 2017 a été diffusé par les autorités de santé en 2020. Il est désormais obsolète, puisque des travaux de recherche ont permis de démontrer que certains outils recommandés ne garantissent pas l'innocuité lors de l'utilisation par les usagers, tandis que d'autres qui n'existaient pas en 2017 ont démontré à l'inverse leur pertinence et leur performance. Cette liste mériterait d'être revue et mise à jour.

Le même groupe avait travaillé sur une liste du matériel de réduction des risques et des dommages recommandés en prison. La liste n'a jamais été publiée et cela reste un réel frein à l'accès à la réduction des risques et la lutte contre les surdoses d'opioïdes en milieu carcéral et en sortie de détention, notamment parce que la distribution de seringues reste un tabou alors que cela devrait être un droit.

18. Avez-vous d'autres points à porter à l'attention des rapporteures ?

Nous soulignons d'abord que le système de recueil de données sur les surdoses est insuffisant ; celles-ci sont minorées en raison des systèmes de codage (d'autant plus que la T2A dans les hôpitaux peut conduite à notifier des causes de décès autres que surdose), ce qui entraîne que les données épidémiologiques sont erronées et en-deçà de la réalité.

Nous portons un point de vigilance sur les risques potentiels associés aux difficultés d'accès aux traitements opioïdes pour les patients douloureux (problème d'accès à une consultation, ordonnance sécurisée...) : si ces problèmes ne sont pas gérés, ils peuvent amener à recourir aux achats en ligne ou en rue, avec tous les risques potentiels associés à ces pratiques.

Pour avancer significativement sur la disponibilité et la dispensation de la naloxone, il nous semble indispensable de traiter le sujet des opioïdes par le prisme de la population générale traitée pour la douleur et pas des usagers de drogues.

Tant que la naloxone sera considérée comme l'antidote des « overdoses des toxicomanes », elle restera peu prescrite, peu disponible et peu diffusée.

Il serait par ailleurs nécessaire d'accompagner les nouvelles missions confiées depuis le début d'année aux pharmaciens d'officine (entretien lors de la délivrance des opioïdes, avec repérage des risques de dépendance et/ou de surdosage) par une autorisation de prescription de la naloxone par ces professionnels.

La question de la possibilité d'une auto-évaluation par les patients a été posée par les sénatrices. Cette auto-évaluation doit, tout comme l'information, être réalisée dans un contexte de déstigmatisation que ce soit du personnel soignant et médical que de la population générale.

Le corollaire est la nécessaire formation des médecins au dépistage/prise en charge/orientation de ces patients.

Nous précisons que certains signes négatifs qui signent une dépendance - signes négatifs uniquement sans recherche d'effets positifs - n'apparaissent qu'à l'arrêt du traitement, ce qui peut rendre difficile l'auto-évaluation (par exemple : insomnie importante à l'arrêt).

Enfin, nous soulignons l'importance d'un suivi de toute prescription d'opiacés avec notamment la prévision d'une consultation de déprescription / réévaluation de la juste prescription. La proposition de proposer de façon systématique à chaque prescription d'opiacés (palier 2 ou 3), une prescription de naloxone a été faite en expliquant que c'était la meilleure façon d'aborder le risque d'accroche/syndrome de sevrage.

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