AMBASSADE DE FRANCE AUX ÉTATS-UNIS
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1. Quelles ont été les premières manifestations de la crise des opioïdes aux États-Unis, et comment les autorités ont-elles pris conscience de l'ampleur du phénomène ?
Les premiers signes d'une consommation abusive d'opioïdes sont apparus au début des années 2000, notamment dans des communautés défavorisées de la ceinture appalachienne. Ces communautés locales ont alerté les autorités fédérales en nombre croissant permettant une prise de conscience progressive. Les statistiques reflétent une augmentation des surdoses liées aux analgésiques opioïdes dès 1999-2000. Les premiers rapports nationaux significatifs des CDC sont publiés en 2003. Il faut cependant attendre 2011 pour que l'Office of national Drug Control Policy (ONDCP) parle enfin de "crise de santé publique".
2. Pouvez-vous décrire les différentes phases de la crise des opioïdes aux États-Unis, en mettant en évidence l'évolution de la consommation d'opioïdes prescrits, l'émergence du fentanyl et l'augmentation des surdoses ?
On distingue trois phases de la crise des opioïdes aux États-Unis.
La première phase a débuté à la fin des années 90 avec une augmentation des décès liés à des prescriptions d'opioïdes.
La seconde phase a débuté dans les années 2000 avec une augmentation des décès liés à la consommation d'héroïne.
La troisième phase a débuté en 2013 avec l'augmentation des décès liés à la consommation d'opioïdes de synthèse, notamment le fentanyl.
Les données publiées par la Drug Enforcement Administration (DEA) confirment l'évolution de la crise des addictions aux États-Unis : les utilisateurs ont d'abord été très dépendants aux analgésiques sur ordonnance, puis se sont tournés vers des drogues de rue moins chères et plus facilement disponibles (fentanyl et héroïne) après que 39 États ont eu adopté des lois et des règlements limitant la prescription ou la délivrance d'opioïdes.
Le nombre d'analgésiques opioïdes délivrés sur ordonnance aux États-Unis a chuté d'environ 45 % entre 2011 et 2019 (7,1 milliards de pilules), alors même que les surdoses mortelles atteignaient des niveaux record (110 000 morts en 2022 selon les Centers for Diseases Control).
Les surdoses mortelles dues au fentanyl illicite ont augmenté de 94 % entre 2019 et 2021 et sont alors devenues la principale cause de décès chez les Américains âgés de 18 à 49 ans.
3. Quels sont les principaux facteurs qui ont conduit à l'augmentation de la consommation des opioïdes aux États-Unis, notamment en ce qui concerne les pratiques de prescription et la distribution des médicaments ?
Plusieurs explications peuvent être avancées à la surprescription de ces médicaments (quelques 780 millions d'antidouleurs ont été vendus en Virginie occidentale entre 2007 et 2012, soir 433 pilules par habitant) :
- un mouvement social et médical de lutte contre la douleur qui a été en partie subventionné à dessein par les laboratoires pharmaceutiques ;
- la libéralisation de la prescription des opioïdes pour le traitement de la douleur chronique non liée au cancer ;
- les campagnes marketing des industries pharmaceutiques qui ont modifié l'attitude des médecins.
Ces facteurs expliquent en grande partie la légèreté de nombreux médecins : en 2014, 99 % d'entre eux prescrivaient des médicaments opioïdes hautement addictifs pour une durée supérieure aux trois jours recommandés par les CDC, selon les chiffres du National Safety Council, organisation spécialisée dans la sécurité sanitaire. Près du quart (23 %) déclarait même prescrire à leurs patients au moins un mois d'opioïdes, alors que le NSC avançait des preuves que des prescriptions supérieures à trente jours impactent le cerveau de manière irréversible.
À cette légèreté s'ajoute la manipulation de nombreux médecins, pharmaciens et infirmières par des laboratoires pharmaceutiques pour doper les ventes. Par exemple, Insys Therapeutics, dont le fondateur a été poursuivi par la justice américaine pour escroquerie, a été l'un des premiers bénéficiaires de l'épidémie. Son Subsys, un spray sublingal à base de fentanyl, a été autorisé par la FDA en 2012. Malgré son coût (un mois de traitement coûtait jusqu'à 20 000 dollars), Le médicament a rencontré un succès immédiat : les ventes ont connu un pic à 330 millions de dollars en 2015, avec une marge supérieure à 90 %. L'enquête a montré que pour convaincre les médecins d'inscrire ce médicament dans leurs ordonnances, alors que la majorité des prescriptions ont bénéficié à des patients qui ne souffraient pas de cancer, Insys versait des dessous de table ou les rémunéraient généreusement pour des interventions dans des conférences. En 2013, un neurologue du Michigan a rédigé des prescriptions de Subsys pour un coût de 6,4 millions de dollars à Medicare (l'assurance-santé publique pour les plus de 65 ans), faisant de lui le premier prescripteur du pays. Certains réseaux de pharmaciens ayant refusé de délivrer du Subsys s'il n'est pas prescrit à des patients atteints de cancer, sous la pression de la direction de l'entreprise, des commerciaux se sont fait passer pour des médecins, afin de déclarer que les patients en question avaient bien un cancer, bien que cela soit faux.
La journaliste Beth Macy a remarquablement décrit les mécanismes de manipulation des prescripteurs en milieu rural dans son ouvrage Dopesick (Dealers, Doctors and the Drug company that addicted America) publié en 2018 (voir également la mini-série fictionnelle éponyme de 2021 avec Michael Keaton dans le rôle d'un généraliste de Virginie occidentale).
Dans leur ouvrage Deaths of despair publié en 2021, les universitaires Anne Case et Angus Deaton délivrent une analyse sociologique liant cette épidémie à celles de l'alcoolisme et du suicide qui ont particulièrement impacté la communauté blanche américaine défavorisée.
4. Comment les États-Unis ont-ils réagi (initialement) face à cette crise ? Quels mécanismes ont-ils été mis en place pour garantir un meilleur contrôle de la prescription des opioïdes et limiter leur distribution abusive ? Quels sont les principaux défis rencontrés par les autorités sanitaires américaines pour gérer cette crise, et comment les politiques de santé publique ont-elles évolué au fil des années ?
Jusqu'en 2017, la réaction de l'État fédéral n'a clairement pas été à la hauteur de l'enjeu. Différentes mesures ont été prises, essentiellement en matière de prévention, mais la crise des opioïdes n'a fait l'objet d'aucune action d'ampleur face au puissant lobbying déployé par l'industrie pharmaceutique. En 2014, la Drug Enforcement Administration (DEA) a interdit la délivrance de médicaments sur simple coup de téléphone du praticien. En février 2016, Barack Obama avait proposé de consacrer un milliard de dollars dans le budget 2017 pour que les personnes concernées aient accès à des produits de substitution ou à des centres de traitement (selon le Surgeon General, seulement une personne dépendante sur 10 recevait un traitement). Mais la mesure est restée lettre morte. Une loi votée en avril 2016 a privé la Drug Enforcement Agency (DEA) de son arme la plus puissante contre les industries pharmaceutiques soupçonnées d'inonder le marché avec leurs opioïdes. Cette loi rendait pratiquement impossible pour la DEA le gel des envois de stupéfiants suspects de la part des entreprises. Elle a été adoptée à la suite d'un intense lobbying de l'industrie du médicament, et a eu pour effet d'entraver le combat mené par la DEA contre les distributeurs et les grossistes en médicaments qui fournissaient les médecins. Son principal promoteur a pourtant été nommé responsable de la lutte contre la crise des opioïdes dès la nomination du président Trump en 2017. Le 26 octobre 2017, le président Donald Trump déclare officiellement l'épidémie des opioïdes comme une urgence de santé publique. Cela permettait de débloquer des fonds et de mobiliser les agences fédérales. Cette urgence a été renouvelée pour 90 jours fin mars 2025 par le Secrétaire à la Santé Kennedy. Lors de son intervention au sommet Rx and illicit drug à Nahsville le 26 avril 2025, ce dernier a insisté sur la nécessité de poursuivre les programmes en cours et de soutenir le lien social au sein des communautés (lien avec l'isolement social). Le HHS consacrerait $6 milliards par an pour soutenir les programmes de prévention, de substitution et d'accès aux antidotes.
Principales mesures d'encadrement des prescriptions
- En 2016 - recommandations des CDC : les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) ont publié des lignes directrices pour limiter les prescriptions d'opioïdes, incitant les médecins à prescrire des alternatives non addictives et à réduire les doses et durées de prescription.
- En 2018 - le SUPPORT Act (Substance Use-Disorder Prevention that Promotes Opioid Recovery and Treatment for Patients and Communities Act) est une loi fédérale adoptée sous l'administration Trump, qui encourage le traitement de la dépendance, renforce le contrôle des prescriptions électroniques, améliore la détection des envois illicites d'opioïdes par la poste.
Principales mesures contre la distribution d'opioïdes de synthèse
- Depuis 2019, Le gouvernement fédéral a intensifié ses efforts pour intercepter les importations illégales de fentanyl, notamment via la coopération avec la Chine et le Mexique.
- De 2021à 2023, l'administration Biden a annoncé des plans d'action contre le trafic de fentanyl, avec un renforcement des contrôles des douanes, des saisies et de la surveillance des colis internationaux.
5. Quelles actions juridictionnelles ont-elles été entreprises à l'encontre des laboratoires pharmaceutiques et/ou à l'encontre des États ?
Une série de règlements financiers totalise plus de 50 milliards de dollars entre entreprises pharmaceutiques et collectivités affectées.
En 2020 - Purdue Pharma (fabricant de l'OxyContin) a été accusé d'avoir causé l'épidémie par marketing trompeur et a accepté un accord judiciaire de plus de 8 milliards de dollars, L'entreprise s'est déclarée en faillite et a accepté une restructuration. En 2021 et 2022, des dizaines d'États américains ont remporté des actions en justice contre Johnson & Johnson, McKesson, Cardinal Health, etc., pour des dédommagements totalisant des milliards.
Le cabinet de conseil McKinsey & Company a accepté le 13 décembre 2024 de payer 650 millions de dollars pour mettre fin à une enquête criminelle menée par le ministère de la Justice sur son rôle dans la promotion des ventes d'OxyContin, un opioïde addictif, ont annoncé les procureurs. L'affaire découle des conseils stratégiques donnés par McKinsey à Purdue Pharma, visant à « stimuler » les ventes de ce médicament, contribuant ainsi à la crise des opioïdes aux États-Unis. Entre 2004 et 2007, malgré des condamnations antérieures contre Purdue, McKinsey a conseillé la société sur des stratégies agressives pour cibler les médecins et augmenter les ventes, y compris par des prescriptions médicalement inutiles. Des consultants accompagnaient même les représentants commerciaux de Purdue. McKinsey avait déjà versé 989 millions de dollars pour régler des poursuites de la part d'États, collectivités locales et autres parties touchées par la crise des opioïdes.
Une étude récente339(*) de KFF Health News en lien avec Johns Hopkins University Bloomberg School of Public Health et l'ONG Shatterproof a mis en lumière que les fonds ont souvent été utilisés à des fins sans lien avec le traitement des addictions (Oregon City, Oregon : $30,000 sur le dépistage des maladies cardiaques ; Flint, Michigan, $10,000 pour la signalétique d'un bâtiment communautaire ; Robeson County, North Carolina, $10,000 pour un robot ambulance. S'il existe bien des recommandations nationales sur l'utilisation des dédommagements, la supervision est faible et de grandes marges d'interprétation sont ouvertes. Un parallèle peut être fait avec les dédommagement obtenus de la part de l'industrie du tabac dans les années 90 qui avaient principalement financé des baisses d'impôts au profit des plus favorisés et dont 3 % seulement avaient financé des programmes de prévention.
6. Quelles sont les statistiques récentes concernant les surdoses liées aux opioïdes, en particulier au fentanyl, aux États-Unis ? Quelles zones et quels groupes démographiques sont les plus affectés par cette crise ?
Selon les Centers for Disease Control and Prevention, on a enregistré une baisse de 25.5 % des surdoses durant les douze mois précédant octobre 2024 en comparaison avec la même période en 2023. 150 Américains meurent cependant chaque jour de surdose liée des opioïdes de synthèse et les surdoses sont la principale cause de décès chez les Américains de 18 à 44 ans. Un maximum historique de 110 000 morts avait été enregistré en 2022. Rahul Gupta, directeur du White House Office of National Drug Control Policy, anticipait en octobre 2024 même une baisse de 20 % sur l'ensemble de l'année 2024. Une étude de KFF, publiée fin septembre340(*), relève pour sa part que la baisse du nombre de décès concernerait prioritairement la communauté blanche et que le nombre de décès continuerait d'augmenter chez les plus de 65 ans.
Les données fédérales ont révélé une légère diminution des nouveaux décès par surdose aux États-Unis en 2023, avec un nombre de décès estimé à 107 500 (24 pour 100 000), soit une baisse de 3 % par rapport à l'année précédente, la première baisse en cinq ans. Des baisses notables ont été observées dans des États du Midwest (Nebraska, Indiana, Kansas) contre des hausses constatées dans l'ouest du pays (Washington, Nevada, Oregon et Alaska). Les opioïdes synthétiques, principalement le fentanyl, sont à l'origine d'environ 75 % des décès par surdose. En outre, 296 323 passages aux urgences étaient liés à des surdoses en 2023 (129,3 pour 100 000) dans les 26 États collectant ces données.
7. Quelles sont les principales conséquences économiques et sociales de cette crise sur les populations locales ?
Différentes études ont notamment étudié l'impact négatif de la crise sur le taux de participation au marché du travail durant la première vague. Une étude de 2016 sur des hommes de 25 à 54 ans sans activité a montré que la moitié déclaraient consommer des antidouleurs quotidiennement dont 2/3 sur prescription médicale contre respectivement 54 % et 50 % pour les femmes de la même catégorie d'âge. Cet effet négatif sur le taux de participation a été renforcé durant la deuxième et la troisième vagues en raison des peines liées au caractère illégal des produits consommés. La crise des opioïdes expliquerait 43 % de la baisse du taux de participation des hommes entre 1999 et 2015 (25 % pour les femmes). Au sein de la population active, 12,6 % des actifs recevraient une prescription d'opioïdes chaque année et selon le National Safety Council341(*) 75 % des employeurs auraient rencontré des difficultés liées à leur consommation (absences imprévues, turn over, accidents du travail ...). Une étude des CDC342(*) a montré que les décès liés à la surconsommation d'opioïdes se concentraient dans certains secteurs d'activité (construction, extraction, préparation alimentaire, santé et services d'aide à domicile). Ces secteurs sont ceux engendrant le plus d'accidents du travail et où l'accès aux arrêts maladie est le plus difficile. Ces facteurs entraînent une prescription d'opioïdes plus courante. En outre, les comtés où l'épidémie a été la plus virulente sont également ceux dans lesquels les entreprises ont le plus investi dans les technologies de l'information et les dispositifs de substitution à la main-d'oeuvre humaine (automatisation) face aux pénuries et aux coûts induits (du fait notamment du financement direct de l'assurance santé par les employeurs).
8. Quels sont les principaux défis rencontrés par les autorités sanitaires américaines et canadiennes pour gérer cette crise, et comment les politiques de santé publique ont-elles évolué au fil des années ?
Voir question 4.
9. Comment les programmes de substitution aux opioïdes, tels que la méthadone et la buprénorphine, ont-ils été mis en place aux États-Unis, et quel a été leur impact sur la réduction des dépendances et des surdoses ?
En ce qui concerne la buprénorphine, l'accès a été élargi progressivement dès 2015. Mais avant 2021, les médecins devaient obtenir une certification spéciale (X-waiver), nécessitant une formation de 8 à 24 heures pour pouvoir prescrire la buprénorphine. Cela limitait le nombre de prescripteurs (surtout en zones rurales), et freinait l'accès au traitement. En avril 2021, l'administration Biden, annonce que les médecins n'ont plus besoin de la X-waiver pour traiter jusqu'à 30 patients. Cette mesure temporaire a permis d'élargir rapidement l'accès. La loi Consolidated Appropriations Act (fin décembre 2022) a aboli l'exigence de X-waiver pour début 2023. Tous les médecins titulaires d'une licence DEA peuvent prescrire la buprénorphine pour les troubles liés aux opioïdes, sans formation spécifique.
L'impact de ces mesures apparaît dans la forte augmentation du nombre de prescripteurs à partir de 2023 qui a permis à davantage de patients de commencer un traitement, notamment dans les zones rurales ou mal desservies. Entre 2020 et 2023, les prescriptions de buprénorphine ont augmenté de près de 15 % dans plusieurs États touchés par la crise. Des études montrent que les patients sous buprénorphine sont 50 % à 80 % moins susceptibles de rechuter ou d'overdoser.
En ce qui concerne la méthadone, elle ne peut être prescrite que dans le cadre d'Opioid Treatment Programs certifiés, et généralement, les patients doivent se rendre quotidiennement dans des centres pour obtenir leur dose. Cette obligation crée des obstacles, notamment pour ceux vivant loin des cliniques ou ayant des contraintes de travail. Durant la pandémie de COVID-19, des assouplissements temporaires sont mis en oeuvre par les autorités fédérales qui autorisent les “take-home doses” jusqu'à 28 jours de méthadone pour les patients stables, jusqu'à 14 jours pour ceux en début de traitement mais jugés “fiables”. L'administration Biden a proposé de pérenniser ces assouplissements. En décembre 2023, la SAMHSA (Substance Abuse and Mental Health Services Administration) a proposé une règle pour maintenir les take-home doses, assouplir l'accès, et permettre des soins à distance (télémédecine). Ces mesures ont amélioré la rétention dans les traitements : les patients abandonnent moins leurs traitements, les soins à distance ont permis d'atteindre de nouveaux publics. Selon les données fédérales, environ 2 000 cliniques fournissent des soins de méthadone à au moins 300 000 patients, soit une fraction des quelque 2,1 millions de personnes souffrant de troubles liés à l'utilisation d'opioïdes aux États-Unis. Mais l'accès reste limité : seuls les OTP peuvent la prescrire, ce qui ralentit les progrès, surtout en dehors des grandes villes. L'American Association for the Treatment of Opioid Dependence a relevé en 2023 une augmentation récente du nombre de décès par surdose liés à la méthadone et alerté sur les risques de déréglementer largement la méthadone, qui est elle-même un médicament addictif. Mais ces surdoses à la méthadone ne représentent qu'une petite fraction du nombre total.
Globalement, l'impact de ces mesures a été limité par la crise du fentanyl même si le nombre de surdoses a stagné ou diminué dans les régions qui ont élargi l'accès au traitement (dans les États du Vermont et de Rhode Island, qui ont investi tôt dans les traitements, les surdoses ont progressé moins vite qu'ailleurs).
10. Les États-Unis ont-ils mis en place des salles de consommation supervisée pour lutter contre les overdoses liées aux opioïdes ? Si oui, quels ont été les résultats de ces initiatives, et sont-elles considérées comme une solution viable à long terme ?
Les salles de consommation supervisée sont encore peu nombreuses aux États-Unis où le débat reste vif. La ville de New York a été pionnière mais d'autres villes développent des expérimentations.
En 2021, New York City est devenue la première ville américaine à ouvrir officiellement deux centres de consommation supervisée, appelés Overdose Prevention Centers (centres de prévention des overdoses). Ces sites permettent aux personnes d'utiliser des drogues qu'elles apportent elles-mêmes, sous la supervision de personnel formé, avec accès immédiat à des soins en cas de surdose. Des centaines de surdoses ont été évitées sur place. Sur le plan légal, ces salles restent techniquement en infraction avec la loi fédérale américaine sur les drogues (“Controlled Substances Act”). Elles fonctionnent grâce au soutien local et municipal, mais sans reconnaissance fédérale.
D'autres villes ont aussi développé des projets, mais se heurtent encore à des obstacles politiques et juridiques. L'organisation Prevention Point Philadelphia propose depuis 1991 des services de réduction des risques, notamment un programme d'échange de seringues, des soins médicaux, et des conseils en matière de dépendance. Bien qu'un projet de site de consommation supervisée ait été envisagé, des obstacles juridiques et politiques ont retardé sa mise en oeuvre. Le programme Boston Health Care for the Homeless a mis en place en 2016 le SPOT (Supportive Place for Observation and Treatment), un espace où les personnes peuvent être surveillées médicalement après avoir consommé des substances, afin de prévenir les overdoses. Bien que SPOT ne soit pas un site de consommation supervisée au sens strict, il représente une approche innovante pour réduire les risques liés à la consommation de drogues. En 2021, le Rhode Island est devenu le premier État américain à légaliser les sites de consommation supervisée. En février 2024, la ville de Providence a approuvé l'ouverture du premier site autorisé par l'État, qui sera géré par Project Weber/RENEW en partenariat avec CODAC Behavioral Healthcare. Ce centre offrira des services tels que la supervision de la consommation, des soins médicaux, des tests de dépistage du VIH, des douches, des repas, et un accompagnement vers des traitements.
Le cadre légal des centres de consommation supervisée reste flou au niveau fédéral.
Des études récentes aux États-Unis ont évalué l'impact des centres de prévention des surdoses (Overdose Prevention Centers, OPC) sur la santé publique et la sécurité des quartiers.
New York City (OPCs d'OnPoint NYC) : depuis leur ouverture en novembre 2021, les deux OPCs de New York ont été utilisés plus de 100 000 fois, avec plus de 1 200 interventions pour prévenir des overdoses, sans aucun décès enregistré sur place. Une étude publiée en novembre 2023 dans JAMA Network Open a révélé que l'ouverture des OPCs n'a pas entraîné d'augmentation significative des crimes violents ou contre les biens dans les quartiers environnants. En fait, les appels au 911 pour des urgences médicales ont diminué de 50 % près des centres, tandis que les arrestations pour possession de drogue ont chuté de 83 %. Les OPCs ont contribué à réduire la consommation de drogues en public et les déchets associés, améliorant ainsi la qualité de vie dans les quartiers concernés.
Rhode Island (Providence) : Brown University mène une étude pour évaluer l'impact du centre sur les surdoses, l'accès aux soins et les coûts pour le système de santé. Les résultats préliminaires suggèrent que les OPCs peuvent réduire les décès liés aux surdoses et les coûts associés aux soins d'urgence.
11. Quels efforts ont été réalisés pour améliorer l'accès à la naloxone, un antidote aux surdoses, et quelle a été son efficacité dans la réduction du nombre de décès par surdose ?
Au niveau fédéral, l'administration Biden (2021-2024) a fait des efforts significatifs pour que ce médicament soit plus largement disponible et a autorisé les services de santé locaux et des États à utiliser des fonds fédéraux pour acheter de la naloxone. En outre, la FDA et certains États ont assoupli les restrictions sur les médicaments contre les opioïdes, y compris le Narcan. Le médicament Narcan, une version en spray nasal de la naloxone, est désormais disponible sans ordonnance (over-the-counter) dans les supermarchés, les petits magasins et les stations-services américains. Certains États achètent ou reçoivent de la naloxone dans le cadre des accords sur les opioïdes conclus avec des sociétés pharmaceutiques, des pharmacies et des distributeurs impliqués dans la crise des opioïdes. Les CMS ont déclaré qu'ils encourageraient les assureurs à promouvoir un accès abordable à la naloxone. Une étude nationale343(*) (2023-2024) a montré le bénéfice à distribuer directement la naloxone aux consommateurs.
En Caroline du nord344(*), la mise en oeuvre de programmes de distribution de naloxone dans les années 2010 a permis de diminuer le taux de décès de 12 % dans les comtés participant par rapport aux comtés dépourvus de tels programmes.
La Californie vient de lancer un programme345(*) qui permet d'acheter de la naloxone en ligne pour $24 les deux doses (programme CalRx).
* 339 https://opioidprinciples.jhsph.edu/
* 340 https://www.kff.org/mental-health/issue-brief/opioid-deaths-fell-in-mid-2023-but-progress-is-uneven-and-future-trends-are-uncertain/
* 341 https://www.nsc.org/community-safety/safety-topics/opioids/prescription-drug-misuse ?srsltid=AfmBOorxY8ILiZ5ktXNoPQSPPgobbuyz5onUejKGIKUjHQ3gpUqu6hj1.
* 342 https://www.cdc.gov/niosh/substance-use/opioids-and-work/index.html# :~ :text=A %20National %20Safety %20Council %20survey,part %2Dtime %20jobs %20in %202 021.
* 343 https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12 889-025-22 210-8 ?utm_source=chatgpt.com
* 344 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31 494 440/
* 345 https://apnews.com/article/california-naloxone-opioid-reversal-drug-newsom-362035177cb6c1ae0fa2c518e071a46e