B. CETTE DIVERSIFICATION REFLÈTE L'ATTRACTIVITÉ DE LA DETTE FRANÇAISE POUR LES INVESTISSEURS INTERNATIONAUX ET EST VALORISÉE PAR L'AGENCE FRANCE TRÉSOR DANS LE CADRE DE SA STRATÉGIE DE GESTION DE LA DETTE
1. Le caractère diversifié de la base d'investisseurs s'explique par l'attractivité de la signature française
Comme le souligne l'Agence France Trésor, la diversification de la typologie et de l'origine géographique des investisseurs en dette française procède de l'attractivité de la signature de la France.
Auditionné par la commission des finances du Sénat, le directeur général de l'AFT, Antoine Deruennes, a ainsi relevé que la croissance récente de la part des investisseurs non-résidents dans la structure de détention de la dette souveraine française correspondait notamment à une évolution mécanique, résultant de la réduction du bilan de l'Eurosystème, et que cette tendance était révélatrice de la confiance continue des investisseurs : « La part des investisseurs étrangers dans la détention de la dette allemande et française est à peu près identique. Le fait que cette part augmente est un indicateur d'attractivité de la dette française, puisque les investisseurs, partout dans le monde, continuent d'investir dans la dette française. C'est plutôt à mettre au crédit de la qualité de cette dette »17(*).
Au-delà de l'origine géographique des investisseurs, l'AFT valorise également la diversité des types d'acteurs concernés : « Hors investisseurs étrangers, on voit une certaine diversité des investisseurs : les banques, notamment pour répondre à la réglementation bancaire, mais également les assureurs, les fonds monétaires ou non monétaires. Cette diversité participe à la résilience, puisque cela veut dire qu'ils n'ont pas forcément les mêmes comportements en cas de turbulence »18(*).
2. La structure de détention actuelle de la dette de la France est globalement considérée comme équilibrée et cohérente avec la stratégie de financement de l'État
La mission de l'AFT étant d'émettre au moindre coût et au moindre risque pour le contribuable, « l'internationalisation du placement de la dette est un facteur d'élargissement de la demande, et donc de baisse du taux à l'émission »19(*).
En France, les particuliers détiennent déjà indirectement des OAT, à travers par exemple leurs livrets réglementés ou leurs assurances-vie en fonds euro, qui sont largement investis en dette d'État. Ces supports de placement présentent par ailleurs l'avantage d'être garantis en capital à tout instant et d'être parfaitement liquides, ce qui correspond aux préférences des ménages.
En dehors de ces supports, les particuliers peuvent d'ores et déjà investir directement dans des obligations d'État, sur le marché secondaire. Leur participation est marginale, premier signe que ces produits sont peu intéressants, tels quels, pour les ménages. Des OAT dédiées aux particuliers ont existé par le passé et n'ont pas rencontré le succès escompté, leur volume diminuant peu à peu. Le programme d'émission correspondant a été arrêté en 2005.
Pour réunir une demande suffisante, un placement de dette directement auprès des particuliers devrait donc être rendu attractif en s'appuyant soit sur la fiscalité, soit sur une forme de garantie en capital à tout instant, soit sur un taux bonifié, à l'image de la pratique du Trésor italien. Ce faisant, un tel placement de dette se ferait à un coût nécessairement plus important pour les finances publiques, alors que l'alourdissement attendu de la charge d'intérêts, dans un contexte monétaire désormais durablement défavorable, apparaît déjà considérable à l'horizon 2030.
Pour les investisseurs comme pour les emprunteurs, la diversification est bénéfique. Que ce soit pour les ménages, les institutions financières ou l'État, la diversification est un principe fondamental de gestion du risque. Pour l'État, cela signifie « attirer des investisseurs étrangers, ce qui permet d'élargir la base de financement et de ne pas dépendre uniquement des investisseurs nationaux »20(*). Par ailleurs, il apparait que la part d'investisseurs étrangers dans les obligations souveraines est positivement corrélée avec la note souveraine du pays concerné. De surcroît, augmenter la détention domestique ne serait pas cohérent avec la politique d'orientation de l'épargne mise en avant par les autorités françaises et européennes (voir infra).
De même, concernant le circuit du Trésor, système de financement alternatif mis en oeuvre par la France jusqu'aux années 1980, il faut rappeler le contexte dans lequel ce circuit est né, à savoir celui de la Seconde Guerre mondiale et de l'Occupation, ou même celui dans lequel il s'est développé, à savoir celui de la Libération et de la Reconstruction. Pendant la guerre, l'indemnité d'occupation représentait un montant supérieur à celui du budget de l'État de Vichy. Après-guerre, l'inflation s'élevait à plus de 50 % (entre 1944 et 1948), les besoins d'investissement pour la reconstruction étaient massifs.
Le circuit du Trésor, un système de
financement de la dette publique
placé sous le signe de la
contrainte
Déployé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le circuit du Trésor imposait aux institutions bancaires et aux épargnants de déposer leur trésorerie sur le compte du Trésor à la Banque de France, permettant à l'État de disposer de ressources de très court terme.
Ce circuit avait été complété, à partir de 1948, par la souscription forcée de bons du Trésor par le système bancaire, via le système des planchers, exigeant des banques qu'elles détiennent dans leur portefeuille une proportion conséquente de titres de dette dont les taux étaient déterminés par les pouvoirs publics en fonction de l'évaluation de la demande potentielle et en concertation avec la Banque de France.
Le mode de financement actuel, reposant sur l'appel aux marchés de capitaux (par adjudications ou syndications), découle de la mise en marché progressive de la dette publique à partir de la fin des années 1960, puis plus franchement dans les années 1980, avec la création d'un véritable marché obligataire remplaçant le crédit bancaire.
Source : commission des finances, d'après Benjamin LEMOINE, L'ordre de la dette, 2016
Comme le relève l'Agence France Trésor, « ces besoins d'investissement, couplés à une pénurie des capitaux engendrée par la guerre et la faiblesse du marché financier de l'époque, ont justifié l'existence du circuit »21(*). Cela a contribué à « l'émergence d'un État-banquier, collectant la grande partie des liquidités de l'économie pour financer des investissements de long terme, avec des effets d'éviction pour le secteur privé, supportables dès lors que l'État fixait les priorités de la reconstruction »22(*).
Les dysfonctionnements et limites associés au circuit du Trésor ont cependant amené à son abandon progressif :
- d'une part, il suscitait des tensions inflationnistes fortes, en ce qu'il était équivalent à un financement monétaire ;
- d'autre part, il était caractéristique d'une époque enserrée dans les contraintes : la prédation (pendant l'Occupation), puis la pénurie de capitaux et une lente modernisation du système financier et fiscal (la taxe sur la valeur ajoutée, très réactive à l'activité, n'a été généralisée que dans les années 1960).
Par ailleurs, la banque centrale, dont l'indépendance a été consacrée au plan juridique et assortie de garanties fortes, a désormais la charge de la politique monétaire, en lieu et place de « l'État-banquier » de l'après-guerre. Ainsi, un fonctionnement analogue au circuit du Trésor n'aurait aujourd'hui « pas de justification, car l'État est en mesure de lever des ressources fiscales et des emprunts de long terme à moindre coût dans de bonnes conditions de sécurité »23(*).
* 17 Commission des finances du Sénat, Audition sur le thème « Solutions hors marché, grand emprunt national : des modes de financement à envisager pour notre dette publique ? », 19 février 2025.
* 18 Ibid.
* 19 Réponses de l'Agence France Trésor au questionnaire du rapporteur.
* 20 Ibid.
* 21 Réponses de l'Agence France Trésor au questionnaire du rapporteur.
* 22 Ibid.
* 23 Ibid.