II. UNE PROGRESSION DES DÉPENSES LIÉES À L'INSTRUCTION DES VISAS...
Le coût de l'instruction des demandes de visas correspond à trois principaux postes de dépenses :
- premièrement, les dépenses de personnel liées au traitement des demandes de visa dans les services consulaires, de l'ordre de 64,41 millions d'euros en programmation initiale pour 2025 ;
- deuxièmement, les dépenses de fonctionnement hors titre 2, qui représentent 3,71 millions d'euros en 2025 et correspondent aux frais de justice et destiné au paiement des contentieux de refus de demandes de visas d'entrée. D'autres dépenses de fonctionnement peuvent être imputées à l'activité « visas », notamment les frais de fonctionnement des postes diplomatiques et consulaires, les dépenses de sécurité de l'accès aux services des visas ou de dépenses d'équipement. Ni la direction du budget, ni la DFAE n'ont été en mesure d'isoler ces dépenses ;
- troisièmement, les dépenses d'investissement, dont l'estimation est malaisée. En effet, une partie des dépenses d'investissement, correspondant à la rénovation des locaux ou à des programmes spécifiques de modernisation des outils d'instruction, peut être isolée et faire l'objet d'un suivi spécifique. En revanche, il est difficile d'identifier la part des investissements immobiliers, au sein des dépenses immobilières du réseau consulaire, qui contribue à l'activité « visas ».
Aux dépenses du MEAE s'ajoutent des crédits pris en charge par le ministère de l'intérieur sur la mission « Immigration, asile et intégration » et la mission « Administration générale et territoriale de l'État » pour le financement des systèmes d'information. Pour le seul programme France visas, la dotation demandée en 2025 s'élève à 11,8 millions d'euros26(*).
En raison des difficultés de Bercy comme du Quai d'Orsay à évaluer le coût total de l'instruction des demandes de visas, il n'est pas possible aux rapporteurs spéciaux de déterminer le coût moyen de l'instruction de visas. La DFAE a ainsi précisé que « n'ayant qu'une connaissance partielle des coûts à prendre en compte, elle n'est pas en mesure d'évaluer de manière satisfaisante le coût d'instruction moyen par visa. »27(*) Une estimation a minima, se fondant uniquement sur les dépenses dédiées du programme 151 et du programme 105, serait de 19,8 euros par demande de visa et de 23,9 euros par visa délivré en 2024.
Évolution des dépenses liées
à l'instruction des visas inscrites
sur le programme 151 pour
la période 2018-2025
(en millions d'euros et en crédits de paiement)
Note : À compter de la LFI 2025, les dépenses de personnel concourant à l'instruction des visas ont été transférées du programme 151 vers le programme 105 de la mission AEE.
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Les crédits inscrits sur l'action 03 « Instruction des demandes de visas » du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires » de la mission AEE permettent de retracer les dépenses de titre 2 et une partie des autres dépenses de fonctionnement consacrées à cette activité. À compter de la loi de finances pour 2025, les dépenses de personnel concourant à l'instruction des demandes de visas ont néanmoins été transférée sur le programme 105 dans le cadre du regroupement des crédits de titre 2 sur ce programme support de la mission.
Antérieurement à cette évolution de périmètre, l'action 03 du programme 151 représentait entre 15 et 20 % des crédits de ce dernier.
A. LES COÛTS DE L'INSTRUCTION DES DÉPENSES DE VISAS CORRESPONDENT ESSENTIELLEMENT À DES DÉPENSES DE PERSONNEL, RELEVANT DE LA MISSION « ACTION EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT »
1. Un renforcement des moyens humains de traitement des demandes, visant à reconstituer les capacités antérieures à la crise sanitaire
La crise sanitaire et la brutale réduction des demandes de visas sur les exercices 2020 et 2021 ont stoppé une progression ininterrompue des effectifs sous plafond consacrés à l'instruction des visas. De fait, sur la période 2015-2019, le nombre d'ETP a progressé de 2,3 % ; une augmentation principalement imputée sur les titulaires et les volontaires internationaux. La baisse des demandes de visas a, à l'inverse, conduit à une réduction de 2,8 % du nombre d'agents affectés à cette mission.
Cependant, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a engagé, à compter de 2022, un renforcement des effectifs des services consulaires dans le but de reconstituer les capacités de traitement pré-crise sanitaire et d'instruire le stock de demandes de visas formé au cours de la « crise des visas ».
L'activité « visa » a pleinement bénéficié du réarmement du ministère engagé à la suite des états généraux de la diplomatie en mars 202328(*), avec une progression de la masse salariale dédiée à la délivrance des visas de l'ordre de 12 % entre 2018 et 2024. Cette progression s'est traduite :
- sur l'exercice 2024, par l'affectation de 18 ETP aux services consulaires (pour partie découlant des quelques 100 ETP nouvellement créés, le reste correspondant à des redéploiement d'effectifs) ;
- sur l'exercice 2025, par 13 ETP, dont 10 nouvellement créés29(*), qui ont permis de renforcer les capacités de traitement des visas.
S'agissant de l'exercice 2026, il n'est pas encore possible de savoir combien de nouveaux postes seront dédiés à l'instruction des visas. Faute de programmation initiale de la répartition des emplois, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères n'est, en effet, pas en mesure de préciser ces affectations au stade de l'examen de la loi de finances.
Nombre d'ETP consacrés à
l'activité « visas » dans les postes consulaires,
par catégorie d'emploi, sur la période 2015-2024
(en nombre d'ETP)
Note : la comptabilisation des ETP dans l'activité « visas » a fait l'objet d'un changement de méthodologie à compter de septembre 2023, une partie des ETP étant désormais recensés au titre de l'activité transversale de lutte contre la fraude.
Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Les effectifs consacrés à l'instruction des visas représentent une part sensible des personnels de l'administration consulaire (administration centrale et réseau consulaire confondus). En 2024, ce sont 26 % des 3 170 ETP inscrits sur les activités du programme 151 qui relevaient de l'activité de délivrance des visas.
Au total, sur les dix dernières années, l'évolution des effectifs sous plafond consacrés à l'activité « visas » semble se traduire par une relative stabilité avec environ 826 ETP en 2015 contre près de 823 ETP en 2024. Pour autant, il s'agit d'une stabilité en trompe-l'oeil, qui peut être relativisée par le fait que certaines mesures de renforcement des moyens humains dédiés à l'instruction des visas ne sont pas comptabilisées dans l'activité « visas ».
De fait, à compter de septembre 2023, la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire a établi une nouvelle méthodologie de comptabilisation des activités de ses agents. Un effort transversal à l'ensemble du réseau consulaire ayant été accordé à la prévention et à la lutte contre la fraude, certains ETP dédiés à la fraude documentaire ont cessé de relever formellement de l'instruction des visas.
Par ailleurs, il importe de préciser que toutes les catégories d'agents ne peuvent pas procéder à l'instruction d'une demande de visa. Au sein des services consulaires, l'instruction des demandes de visas est réservée aux agents titulaires ou aux contractuels ; les agents de droit local ne peuvent effectuer que des missions de pré-instruction. Alors que le rapport de la mission gouvernementale confiée à M. Hermelin30(*) avait proposé d'évaluer la possibilité de confier aux recrutés locaux l'instruction de demandes de visas, la DFAE estime que le code communautaire des visas ne permet pas cet élargissement. L'article 37 du code prévoit en effet que « pour prévenir toute diminution de la vigilance et éviter d'exposer le personnel à des pressions locales, un régime de rotation des agents en contact direct avec les demandeurs de visa est instauré en tant que de besoin. Une attention particulière est accordée à la clarté de l'organisation du travail et à une répartition/séparation nette des responsabilités en ce qui concerne la prise de la décision finale sur les demandes. L'accès en consultation au VIS, au SIS et à d'autres informations confidentielles est réservé à un nombre limité de membres du personnel dûment habilités. »31(*)
Dans le même sens, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ne peut plus mobiliser les volontaires internationaux. Jusqu'en 2020, ces derniers pouvaient être affectés à l'instruction des demandes de visas et habilités à prendre des décisions sur ces dossiers. Toutefois, un jugement du tribunal administratif de Paris32(*), en date du 23 janvier 2020, a mis fin à cette possibilité en estimant que l'affectation à mission d'instruction, correspondant à des activités à caractère purement administratif, méconnaissait les termes de l'article L. 122-4 du code du service national, qui dispose qu'« au titre de la coopération internationale, les volontaires internationaux participent à l'action de la France dans le monde, notamment en matière d'aide publique au développement, d'environnement, de développement technique, scientifique et économique et d'action humanitaire ». En conséquence, la quarantaine de postes d'instructeurs confiés à des VIA a dû être pourvue par des titulaires et des contractuels.
Cependant, dans l'objectif assumé de sécuriser cette pratique, l'article 56 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne a introduit à l'article L. 122-4 précité la possibilité que les VIA « concourent aux missions et au bon fonctionnement des services de l'État à l'étranger ». Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ne s'est néanmoins pas saisi de cette possibilité, estimant que la nouvelle rédaction ne permet de revenir sur le jugement du tribunal administratif. La DFAE estime ainsi que « s'il était décidé d'affecter de nouveau des VIA sur des fonctions visas, en cas de recours les décisions seraient très probablement jugées contraires à l'article L122-4 par le juge administratif. »33(*)
Une autre explication de cette position, plus significative, tient à un engagement du ministère vis-à-vis des organisations syndicales de confier, à titre principal, les fonctions d'instruction des demandes de visas à des agents titulaires et, subsidiairement et en l'absence de candidatures internes, à des contractuels.
2. Un financement insolite du recrutement de vacataires supplémentaires dans les services des visas, sous forme d'attribution de produits
L'instruction des demandes et la délivrance des visas font, depuis 2015, l'objet d'un mécanisme budgétaire atypique : une attribution de produits, au sens du III de l'article 17 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances34(*), de la recette « visas ». Le décret n° 2015-1819 du 30 décembre 2015 portant attribution de produits au budget du ministère des affaires étrangères et du développement international dispose qu'une partie des frais de visas est reversée au MEAE, pour le recrutement de vacataires supplémentaires dans les services des visas. Cette attribution de produits s'effectue dans la limite de 0,75 % des recettes des droits de visa de l'année précédente.
Sa création, en 2015, répondait à la volonté du ministère, dans un contexte de rattachement de la compétence tourisme au Quai d'Orsay, d'introduire un « intéressement » des services consulaires à la délivrance des visas afin de stimuler les flux touristiques. Dans le même esprit, Atout France, opérateur consacré au tourisme international, a bénéficié jusqu'en 2023 d'une attribution de produits de la recette visa pour financer la promotion internationale de la destination France35(*).
En pratique, cet instrument permet au ministère de l'Europe et des affaires étrangères de financer des mois de vacation pour répondre aux rebonds de l'activité d'instruction des demandes de visas. La répartition des crédits de vacation est réalisée sur la base des demandes exprimées par les postes dans le cadre de la programmation annuelle des effectifs.
Toutefois, la comparaison entre les besoins en moyens humains exprimés par les services consulaires et le montant des vacations effectivement financé par ce mécanisme révèle un décalage certain, accentué par la chute des recettes de visas consécutive à la crise sanitaire. L'attribution du produit des recettes de visas de 2020 n'a ainsi permis de financer que 237 mois de vacation en 2021.
En raison de cette forte baisse des recettes de visas sur la période 2020-2022 et pour faire face à la remontée soudaine des demandes, le Quai d'Orsay a obtenu en 2023 une augmentation exceptionnelle de 0,75 % à 1,35 % de l'attribution de produits. Pour l'année 2024, la quote-part a été ramenée à son niveau initial. En contrepartie, dans ses négociations budgétaires, le ministère a obtenu que la différence entre les besoins de vacation et les mois de vacations effectivement financés par l'attribution de produits soit comptabilisée « hors plafond », pour éviter de ponctionner davantage l'enveloppe budgétaire du programme 151.
Comparaison entre les besoins de vacation des
services et leur financement
par l'attribution du produit de la recette
« visas »
(en mois de vacation et en millions d'euros)
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
|
Besoins identifiés par les services consulaires |
1 004 mois |
1 131 mois |
1 200 mois |
1 034 mois |
Durée de vacation financée par l'attribution de produits |
237 mois (+ 400 mois sous plafond d'emploi) |
941 mois |
738 mois (+ 739 mois hors plafond d'emploi) |
775 mois |
Note : l'année 2023 correspond à un relèvement temporaire du plafond de l'attribution de produits à 1,35 % des recettes de l'année n-1.
Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Estimant devoir répondre à un besoin de vacation compris entre 1 000 et 1 200 mois par an, la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire, conjointement avec la direction des affaires financières, s'est exprimée au cours de son audition par les rapporteurs spéciaux en faveur d'un relèvement de la quote-part de l'attribution de produits, de 0,75 % à 1,35 %, a minima. Selon la DFAE, ce relèvement permettrait de sécuriser son enveloppe de financement de vacation et d'accroître la visibilité des postes sur les renforts ponctuels dont ils pourraient disposer. Dans le même sens, le rapport de la mission gouvernementale confiée à M. Hermelin avait recommandé d'affecter une part supérieure de l'attribution de produits de la recette « visas » aux services consulaires et de créer un mécanisme incitatif d'intéressement en corrélant l'accroissement du pourcentage attribué à l'activité des visas à l'augmentation des recettes36(*).
Une orientation alternative, soutenue par la direction du budget, consisterait à supprimer ce mécanisme de liaison entre recettes et dépenses de l'activité « visas ».
En premier lieu, la suppression de cette attribution de produits se justifierait par un argument de lisibilité budgétaire. Certes, il peut être utile, dans une démarche de comptabilité analytique, de mettre en rapport les dépenses et les recettes d'une activité de service public pour évaluer sa performance. Pour autant, en application du principe d'universalité budgétaire, il ne paraît pas opportun de lier aussi directement les recettes et les dépenses d'une activité de service public.
En second lieu, cette attribution de produits ne permet pas de répondre aux objectifs qui lui sont fixées. Le montant de l'attribution de produits est déterminé en fonction des recettes et, par conséquent de l'activité, de l'année passée. Le financement des moyens humains des services consulaires se trouve ainsi décorrélé du niveau d'activité de l'année en cours.
Pour autant, les rapporteurs spéciaux ne se prononcent pas en faveur d'une telle suppression. Si ce mécanisme budgétaire présente de réelles limites techniques, il constitue une liaison entre l'activité de délivrance des visas et son objectif d'attractivité. Le souci de conserver l'équilibre qui s'attache à la politique des visas justifie le maintien de cette attribution de produits, neutre sur le budget de l'État et d'un montant limité.
En tout état de cause, la mise en oeuvre de la plateforme européenne commune de traitement des demandes de visas Schengen (voir infra II.A.1.) devrait conduire à une évolution de la perception des frais de visas et, par conséquent, au fonctionnement de ce dispositif. Dans cette nouvelle configuration, la Commission européenne serait amenée à centraliser les frais de visas, avant de les reverser aux États membres au prorata du nombre de visas délivrés. Sans aucune certitude sur les délais de collecte et de reversement de cette recette par la Commission, le principe d'une telle affectation devrait faire à l'objet d'une réflexion à moyen terme.
* 26 Le développement de ces applications est cependant éligible aux instruments européens de financement. Le montant des crédits octroyés au ministère de l'intérieur au titre de l'instrument de soutien financier à la gestion des frontières et la politique des visas s'élevait à 6,3 millions d'euros sur 2022-2023.
* 27 Réponses de la DFAE au questionnaire complémentaire des rapporteurs spéciaux.
* 28 Pour mémoire, le Président de la République avait annoncé en mars 2023 la création de 700 ETP d'ici 2027 au sein du MEAE. Cet effort correspondait à la création de 800 ETP sur la durée de la législature (100 ETP étaient déjà inscrits dans la Loi de finances de 2023), mais a été revu à la baisse compte tenu de la dégradation des comptes publics au cours des exercices 2024 et 2025.
* 29 Soit 50 % des effectifs nouvellement ouverts sur le programme 151 au titre de la loi de finances initiale pour 2024, qui avait créé un total de 165 ETP sur la mission AEE.
* 30 Paul Hermelin, rapport à l'attention du ministre de l'intérieur et des Outre-mer et de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, « Propositions pour une amélioration de la délivrance des visas », avril 2023.
* 31 Règlement (UE) 2019/1155 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 portant modification du règlement (CE) n° 810/2009 établissant un code communautaire des visas (code des visas).
* 32 Tribunal administratif de Paris, 23 janvier 2020, n° 18200838/6-3, Union syndicale des agents de corps de chancellerie des affaires étrangères.
* 33 Réponses de la DFAE au questionnaire des rapporteurs spéciaux.
* 34 « Les recettes tirées de la rémunération de prestations régulièrement fournies par un service de l'État peuvent, par décret pris sur le rapport du ministre chargé des finances, faire l'objet d'une procédure d'attribution de produits. Les règles relatives aux fonds de concours leur sont applicables. Les crédits ouverts dans le cadre de cette procédure sont affectés au service concerné. »
* 35 Cette attribution de produits a été supprimée en 2023 pour être remplacée par des crédits budgétaires dans le cadre du plan Destination France entre 2022 et 2025.
* 36 Paul Hermelin, rapport à l'attention du ministre de l'intérieur et des Outre-mer et de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, « Propositions pour une amélioration de la délivrance des visas », avril 2023.