D. COMPLÉTER LE CHANGEMENT LÉGISLATIF DE RÉGIME PAR UNE RÉVISION DU CADRE RÉGLEMENTAIRE ET DU CADRE EUROPÉEN APPLICABLES AU SECTEUR DE L'HYDROÉLECTRICITÉ
Le dernier axe des propositions des rapporteurs préconise de compléter le changement législatif de régime par une révision du cadre réglementaire et du cadre européen applicables au secteur de l'hydroélectricité.
En premier lieu, les rapporteurs souhaitent que le chantier de changement de régime des concessions vers les autorisations soit intégré dans le décret sur la PPE.
Si l'hydroélectricité est déjà prise en compte dans le décret sur la PPE, c'est sans fixer d'objectif quant à la résolution du différend entre la Commission européenne et l'État s'agissant des concessions hydroélectriques du groupe EDF. En l'état actuel du droit, l'article 3 du décret du 10 avril 2020 sur la PPE prévoit des objectifs de capacité installée pour l'hydroélectricité57(*) de 25,7 GW d'ici fin 2023 et entre 26,4 et 26,7 GW d'ici fin 2028. Dans le cadre du projet de décret sur la PPE, mis en consultation le 7 mars 2025, le Gouvernement a proposé des objectifs de capacité installée pour l'hydroélectricité58(*) de 26,3 GW d'ici 2030 et 28,7 GW d'ici 2035. Le projet de décret sur la PPE prévoit que la hausse de 2,8 GW des capacités installées d'ici 2035 se répartisse entre 1,7 GW pour les STEP, 610 MW pour les installations relevant du régime des concessions et 440 MW pour celles relevant du régime des autorisations. Pour atteindre ces objectifs, il est envisagé la poursuite du soutien public à la petite hydroélectricité et l'étude d'un tel soutien pour les STEP. En revanche, la production envisagée demeure d'environ 54 TWh, dans la mesure où « l'augmentation limitée des capacités hydroélectriques ne se traduira pas nécessairement par une augmentation du productible, notamment en raison des impacts attendus du changement climatique sur la ressource en eau. » Au total, la résolution du différend entre la Commission européenne et l'État est abordée de manière très allusive dans le projet de décret sur la PPE : « à court et moyen termes, la résolution des précontentieux autour du renouvellement des concessions hydroélectriques est nécessaire pour l'atteinte des objectifs hydroélectriques ».
Dans ce contexte, les rapporteurs proposent de renforcer l'ambition du décret sur la PPE en matière d'hydroélectricité sur plusieurs points. Tout d'abord, ils souhaitent l'introduction d'un chiffrage global de capacité installée pour l'hydroélectricité de 29 GW au total d'ici 2035. C'est un chiffrage qui a été proposé par la filière hydroélectrique française, dans le cadre de la proposition de loi dite « Gremillet », déposée le 26 avril 2024. En effet le rapport législatif59(*) publié à cette occasion souligne l'intérêt pour ce chiffrage du groupe EDF de France Hydroélectricité (FH)60(*). D'une part, le premier a indiqué : « concernant l'hydraulique, les propositions de la PPL sont en ligne avec la vision d'EDF, en prévoyant une augmentation des capacités à 29 GW, dont 1,7 GW de STEP supplémentaire d'ici 2035 ». D'autre part, le second a précisé : « Nous sommes favorables aux objectifs proposés dans la PPL, plus ambitieux que ceux prévus dans le projet de PPE (à 28.5 GW). » Plus encore, les rapporteurs souhaitent que l'objectif de résolution du différend entre la Commission européenne et l'État s'agissant des concessions hydroélectriques du groupe EDF, figurant déjà dans le décret sur la PPE, soit complété pour préciser qu'il intervient en opérant le passage du régime des concessions vers celui des autorisations, en instituant une contrepartie au maintien des opérateurs historiques sur la production d'hydroélectricité du groupe EDF et en laissant inchangée la concession du Rhône attribuée à la CNR a minima jusqu'à son expiration le 31 décembre 2041. Enfin, les rapporteurs plaident pour que le décret sur la PPE comporte une mention sur la nécessité pour les autorités françaises de négocier auprès des autorités européennes l'exclusion de l'hydroélectricité du champ de la directive dite « Concession », du 26 février 2014.
À ce stade, les rapporteurs constatent que la DGEC est disposée à intégrer certaines de ces préconisations au projet de décret sur la PPE. D'une part, le changement de régime des concessions vers les autorisations pourrait y être mentionné : « Dans le cas où l'option de passage vers un régime d'autorisation serait retenue avant l'adoption de la PPE, cette option pourrait y être mentionnée. » D'autre part, l'exclusion de la concession du Rhône attribuée à la CNR de ce changement de régime pourrait également y être précisée : « Il pourrait être indiqué dans la PPE qu'une attention particulière sera accordée à la concession du Rhône ». En revanche, l'introduction d'un objectif de capacité installée totale pour l'hydroélectricité de 29 GW d'ici 2035 n'est pas souhaitée par la DGEC : « Au regard 1) du délai de construction des grandes STEP et du calendrier de résolution des précontentieux européens et 2) du rythme de développement de la petite hydroélectricité, l'objectif de développement de + 2,8 GW à l'horizon 2035 est déjà ambitieux. Rehausser cet objectif à 29 GW, soit + 3,1 GW, ne paraît ainsi pas pertinent. » Quant à la mention de la négociation de l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014, elle n'est pas envisagée par la DGEC : « Il n'est pas envisagé de préciser dans la PPE que la résolution des précontentieux autour du renouvellement des concessions hydroélectriques fera l'objet de négociations sur l'exclusion de l'hydroélectricité du champ de la directive 2014/23/UE dite "Concession". » Les rapporteurs appellent le Gouvernement à évoluer afin d'intégrer au décret sur la PPE une stratégie claire en direction de la préservation de notre patrimoine hydraulique et, par voie de conséquence, de notre souveraineté énergétique.
Recommandation n° 14 : Au-delà, intégrer le chantier du changement de régime des concessions vers les autorisations dans le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en fixant des objectifs précis au Gouvernement visant à : - atteindre une capacité installée totale pour l'hydroélectricité de 29 GW d'ici 2035 ; - opérer le passage pour les concessions hydroélectriques du régime des concessions vers celui des autorisations, en instituant une contrepartie au maintien des exploitants historiques sur la production d'hydroélectricité du groupe EDF ; - laisser inchangée la concession du Rhône attribuée à la CNR, a minima jusqu'à son expiration le 31 décembre 2041 ; - négocier l'exclusion de l'hydroélectricité du champ de la directive dite « Concession », du 26 février 2014. |
En second lieu, les rapporteurs souhaitent que le Gouvernement négocie le cadre européen le plus favorable à l'hydroélectricité, notamment dans le cadre de la révision de la directive dite « Concession », du 26 février 2014. Selon le droit en vigueur, l'article 10 et l'annexe II de la directive précitée ne prévoient pas d'exclusion pour le secteur de l'hydroélectricité, au contraire de la mise à disposition, de l'exploitation ou de l'alimentation des réseaux d'eau ou d'électricité par exemple. Or la seconde mise en demeure de la Commission européenne, du 7 mars 2019, porte notamment sur le manquement supposé de la France aux articles 3, 30, 31 et 43 de la directive précitée, qui concernent, respectivement, les principes d'égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence, les principes généraux de l'attribution des concessions, les avis de concessions et les modifications de contrats en cours. De plus, la Commission européenne a envisagé une révision de différentes directives sur la commande publique (2014/23/UE susmentionnée mais aussi 2014/24/UE et 2024/25/UE).
Dans ce contexte, les rapporteurs proposent de négocier l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014. Il s'agit d'une demande forte des acteurs économiques (le groupe EDF, France Hydroélectricité), syndicaux (CFDT, FNEM-FO) et locaux (DF, ANEM). La DGEC elle-même a indiqué souhaiter une telle révision, au moins pour sécuriser le cadre applicable à la concession du Rhône allouée à la CNR après son échéance le 31 décembre 2041 : « L'opportunité de défendre certaines extensions des exclusions de la directive demeure [...] a minima du point de vue de l'échéance de la concession du Rhône le 31 décembre 2041. »
Pour l'heure, les rapporteurs observent que la perspective de l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014, reste éloignée. Le groupe EDF, la DGEC et la Commission européenne ont ainsi relevé, en des termes proches, que la révision de cette directive, d'une part, doit avoir pour prérequis le soutien d'une majorité d'États membres, d'autre part, ne peut avoir d'effet qu'à une échéance lointaine. Or le groupe EDF et la DGEC ont rappelé que l'ensemble des autres États membres ayant fait l'objet d'une procédure de mise en demeure par la Commission européenne s'agissant de leurs concessions ou de leurs installations hydrauliques ont vu cette procédure close en 2021 ou 2023. De plus, la Commission européenne a précisé que la révision des différentes directives afférente aux marchés publics ne sera engagée que si la consultation préalable, organisée par elle, de février à mars 2025, fait apparaître que ces textes n'atteignent pas leurs objectifs en matière de concurrence, de transparence et d'efficacité. Enfin, la DGEC a rappelé qu'une exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014, est peu susceptible d'éteindre à elle-même le différend entre la Commission européenne et l'État s'agissant des concessions hydroélectriques du groupe EDF, en ces termes : « L'exclusion de l'hydroélectricité du champ de la directive 2014/23/UE n'exonérerait pas nécessairement les concessions d'énergie hydraulique de respecter les principes fondamentaux du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), notamment les principes de liberté d'établissement, de non-discrimination et de transparence [...] De plus, il n'est aucunement acquis qu'une exclusion de l'hydroélectricité [...] suffirait à écarter le risque d'un abus de position dominante automatique, tiré de la méconnaissance de l'article 106, paragraphe 1er, du TFUE, lu en combinaison avec l'article 102 du TFUE. Enfin, [...] le cas des contrats de concessions actuellement visés par la Commission européenne ne serait pas réglé rétroactivement. »
En dépit de ces difficultés, les rapporteurs estiment que la perspective de la révision directive dite « Concession », du 26 février 2014, constitue une fenêtre d'opportunité à saisir pour en exclure l'hydroélectricité de son champ.
Recommandation n° 15 : Au-delà, négocier l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession. |
* 57 Dont l'énergie marémotrice.
* 58 Dont les stations d'énergie par pompage (STEP).
* 59 Sénat, rapport n° 642 (2023-2024), déposé le 29 mai 2024, fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, pp. 72 et 73.