C. TERRITORIALISER LA GOUVERNANCE ET LES PROCÉDURES APPLICABLES AU SECTEUR DE L'HYDROÉLECTRICITÉ À L'OCCASION DU CHANGEMENT DE RÉGIME
Le troisième axe des propositions des rapporteurs tend à territorialiser la gouvernance et les procédures applicables au secteur de l'hydroélectricité, à l'occasion du changement de régime des concessions vers les autorisations.
Tout d'abord, les rapporteurs estiment nécessaire de consolider les compétences du ministre chargé de l'énergie dans le cadre du nouveau régime d'autorisation. En l'état actuel du droit, l'article L. 511-5 du code de l'énergie applique le régime des concessions aux installations hydrauliques de plus de 4,5 MW et le régime des autorisations dans le cas contraire. S'agissant des installations relevant du régime des autorisations, l'article L. 531-1 du même code les soumet en principe à la nomenclature des IOTA, prévue à l'article L. 214-1 du code de l'environnement et, plus largement, au régime de l'AE, mentionné à l'article L. 181-1 du même code. De plus, l'article R. 521-1 du code de l'énergie confie les installations relevant du régime des concessions supérieures à 100 MW au ministre chargé de l'énergie et celles inférieures à ce seuil au préfet de département. Concernant les installations relevant du régime des autorisations, l'article R. 181-2 du code de l'environnement fait du préfet de département l'autorité compétente et l'article R. 181-3 du même code le service de l'État chargé de la police de l'eau le service coordinateur de l'instruction. Or la DGEC a indiqué qu'elle entend instituer un nouveau régime d'autorisation spécifique pour les installations hydrauliques supérieures à 4,5 MW, qui engloberait l'AE mais non l'IOTA ; elle a précisé qu'elle envisage de laisser inchangée la répartition des compétences entre le ministre chargé de l'énergie, les DDT et les DREAL.
Les rapporteurs constatent que plusieurs acteurs économiques plaident pour le maintien de la compétence actuelle du ministre chargé de l'énergie (EDF, France Hydroélectricité) dans le cadre de ce nouveau régime. Plus généralement, ils observent qu'une association d'élus locaux (Anem) appelle à simplifier les normes environnementales applicables aux projets d'hydroélectricité sur plusieurs points concrets (constitution de guichets uniques, conduite d'études locales, prise en compte des avis locaux, adaptation des schémas locaux). Les rapporteurs partagent la nécessité de faciliter la mise en oeuvre des projets hydroélectriques : d'une part, ils appellent à consolider les compétences du ministre chargé de l'énergie dans le cadre du nouveau régime d'autorisation ; d'autre part, ils plaident pour veiller à l'absence de surtransposition dans l'application des règles relatives à la continuité écologique des cours d'eau, depuis la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et sur les milieux aquatiques, prise en application de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau ; enfin, ils proposent d'appliquer à l'ensemble des installations hydrauliques deux novations sénatoriales en faveur de la « petite hydroélectricité », instituées par l'article 89 de la loi dite « Climat-Résilience », du 22 août 2021 : le médiateur national de l'hydroélectricité, instance chargée de la résolution amiable des litiges entre les porteurs de projets et l'État55(*), et le portail national de l'hydroélectricité, point d'accès unique et dématérialisé aux schémas locaux pour les porteurs de projets56(*).
Recommandation n° 10 : Consolider les compétences du ministre chargé de l'énergie sur les installations hydrauliques et simplifier les normes environnementales applicables aux projets hydroélectriques. |
De plus, les rapporteurs jugent indispensable de préserver la perception des redevances par les collectivités territoriales. En l'état actuel du droit, les concessions hydroélectriques sont assujetties à une redevance, qui diffère selon que la concession soit échue (article L. 523-3 du code de l'énergie) ou non échue (article L. 523-2 du même code). La première redevance repose sur le revenu normatif plutôt que le chiffre d'affaires. Dans les deux cas, le produit de cette redevance est alloué à l'État (pour moitié), aux départements (pour un tiers), aux communes (pour 1/12e) et aux groupements de communes (pour 1/12e). Dans le premier cas, un prix cible de l'électricité sert de plafond au versement des parts des collectivités territoriales et de leurs groupements, depuis la loi de finances initiale pour 2023 (article 127). Plusieurs associations d'élus locaux (DF, ANEB) ont insisté sur la nécessité de préserver une telle redevance, en privilégiant celle applicable aux concessions non échues, mentionnée à l'article L. 523-2 du code de l'énergie, qui ne tient compte ni du revenu net, ni du prix cible. Le groupe EDF a proposé d'instituer une redevance calquée sur celle afférente aux concessions échues, mentionnés à l'article L. 523-3 du code de l'énergie. De son côté, la DGEC a confirmé l'institution d'une redevance spécifique dans le cadre du nouveau régime d'autorisation d'exploiter. Pour les rapporteurs, c'est la redevance calée sur les concessions non échues, mentionnée à l'article L. 523-2 du code de l'énergie, qui doit être privilégiée, dans la mesure où elle exclut tout revenu normatif et tout prix cible, ce qui est plus favorable aux collectivités territoriales et à leurs groupements.
Recommandation n° 11 : Préserver la perception des redevances par les collectivités territoriales et de leurs groupements, en privilégiant un dispositif calé sur les concessions non échues, c'est-à-dire excluant le revenu normatif et le prix cible. |
Autre point, les rapporteurs estiment crucial de consolider la gouvernance locale de l'eau associant les collectivités territoriales. Selon le droit en vigueur, les collectivités territoriales et leurs groupements sont associés à l'exploitation des concessions hydroélectriques par le biais, soit d'un comité de suivi de l'exécution de la consommation et de gestion de l'eau (article L. 524-1 du code de l'énergie), soit d'une CLE en tenant lieu (article 212-4 du code de l'environnement). L'ensemble des associations d'élus locaux (DF, ANEM, ANB) ont demandé le renforcement de la gouvernance locale de l'eau, selon une modalité tripartite associant l'État, le concessionnaire et les collectivités territoriales et leurs groupements. DF a demandé à ce que les associations d'élus locaux participent à la révision des cahiers des installations hydrauliques. De plus, l'ANEM a proposé de veiller, dans ces cahiers des charges, à intégrer les sujets de la gestion équilibrée de la ressource en eau, de la réparation partagée des coûts et des impacts des aménagements, ainsi que de la prise en compte du rôle d'écrêtement des crues, indispensable à la prévention des inondations et à la protection des personnes. Le groupe EDF et la DGEC a insisté sur la nécessité pour les exploitants des installations hydrauliques de conserver la maîtrise de la gestion de l'eau, dans le cadre de la contrepartie au maintien des exploitants historiques. En outre, cette dernière a confirmé l'institution d'une instance de dialogue avec les élus locaux et les parties prenantes. Pour les rapporteurs, davantage que la création d'une instance de dialogue, c'est une véritable gouvernance tripartite de l'eau, associant l'État, le concessionnaire et les collectivités territoriales et leurs groupements, qui doit être instituée afin de permettre une gestion partagée de la ressource en eau.
Recommandation n° 12 : Consolider une gouvernance tripartite de l'eau entre l'État, les collectivités territoriales et les exploitants des installations hydrauliques. |
Enfin, les rapporteurs considèrent fondamental d'intégrer la résilience au changement climatique dans les missions des installations hydrauliques. Plusieurs associations d'élus locaux ont insisté sur la nécessité de la prise en compte de l'aggravation du changement climatique et de la gestion des crues dans ce cadre dans les territoires ruraux et de montagne (ANEB, ANEM). Dans le même esprit, plusieurs syndicats de personnels de l'intersyndicale du groupe EDF (CFDT, CFE-CGC) ont aussi souligné l'impact du changement climatique sur les activités hydroélectriques. Enfin, le groupe EDF et la DGEC a rappelé le besoin pour les exploitants des installations hydrauliques de conserver la maîtrise de la gestion de l'eau, y compris en situation de sécheresse ou de crue, en dépit de la contrepartie du maintien des exploitants historiques. Les rapporteurs estiment indispensable que la révision des cahiers des charges des installations hydrauliques intègre la résilience de ces installations au changement climatique. Ils rappellent que c'est un combat de longue date de la commission, qui a prévu cette prise en compte pour les centrales nucléaires, à l'article 21 de la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, dite « Nouveau Nucléaire », et l'a proposée pour les réseaux de distribution et de transport d'électricité, dans le cadre de la proposition de loi dite « Gremillet », déposée le 26 avril 2024.
Recommandation n° 13 : Intégrer la résilience au changement climatique dans les missions des installations hydrauliques. |
* 55 Mentionné au C de l'article 89 de la loi n° 2021-1104 du 21 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et à l'article 70 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.
* 56 Mentionné à l'article L. 511-14 du code de l'énergie.