B. SÉCURISER LES PARAMÈTRES ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DU CHANGEMENT DE RÉGIME

Le deuxième axe des propositions des rapporteurs tend à sécurité les paramètres économiques et sociaux du changement de régime des concessions vers les autorisations.

Tout d'abord, les rapporteurs estiment crucial de définir le bon périmètre du nouveau régime. Certes, la Commission européenne a rappelé que les procédures européennes en cours ne concernent que les concessions hydroélectriques du groupe EDF. Pour autant, tant le groupe EDF que ses concurrents (Engie, France Hydroélectricité) ont plaidé pour ne pas faire de distinction entre les concessions de ce groupe et celles de ses concurrents et entre les concessions échues et non échues. De plus, la CNR a appelé au maintien de sa concession, au moins jusqu'à son échéance le 31 décembre 2041. Enfin, le DGEC elle-même a indiqué réfléchir à l'exclusion des concessions qui viennent d'être renouvelées (CNR), dont l'activité fluviale est l'activité principale et la production hydroélectrique accessoire (Seine, Moselle) ou qui sont régies par des accords internationaux54(*) (Rhin, Doubs, L'Arve, Émosson). Les rapporteurs plaident pour de telles exclusions, à commencer par celle demandée par la CNR ; ils rappellent que la Commission européenne a considéré à ce sujet que les États membres peuvent choisir des modèles différents pour les aménagements hydroélectriques sur leur territoire dès lors que les règles européennes sont respectées. À ce stade, les rapporteurs constatent que l'accord de principe annoncé par l'ancien Premier ministre François Bayrou maintient l'exception de la CNR, qui relève d'un statut spécifique, sans faire mention des autres cas d'exception.

Recommandation n° 4 : Exclure du changement de régime la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) ainsi que les concessions pour lesquelles la production d'électricité est accessoire (Seine, Moselle) ou qui sont régies par des accords internationaux (Rhin, Doubs, l'Arve, Émosson).

Plus encore, les rapporteurs jugent indispensables de définir le bon niveau des indemnités de résiliation et des prix de cession. La DGEC et le groupe EDF ont rappelé que le changement de régime des concessions vers les autorisations nécessiterait plusieurs étapes dont notamment, d'une part, la résiliation des contrats en cours et le versement d'une indemnité de résiliation de l'État vers les anciens concessionnaires et, d'autre part, la cession de gré à gré des ouvrages hydroélectriques déclassés et le versement d'un prix de cession des anciens concessionnaires vers l'État. Le prix de cession des ouvrages dû par les anciens concessionnaires pourrait être diminué de l'indemnité de résiliation due par l'État. La correcte évaluation financière des ouvrages hydroélectriques déclassés est indispensable pour sécuriser leur transfert de propriété, en valorisant les biens des personnes publiques et en respectant les droits des contractants. En effet, il est interdit aux propriétaires publics de céder leurs biens à vil prix, c'est-à-dire sans contrepartie suffisante. Dans le contexte, la DGEC comme le groupe EDF envisagent le recours à une commission d'experts indépendants. Un concurrent du groupe EDF (Afieg) a insisté sur les risques juridiques induits par la définition du prix de cession des ouvrages déclassés. Les rapporteurs approuvent le recours à une commission d'experts indépendants ; ils rappellent que la Commission européenne a indiqué qu'un tel transfert doit respecter le cadre légal européen applicable aux régimes d'autorisation des ouvrages hydroélectriques, qui prévoit en principe des procédures ouvertes et transparentes.

Recommandation n° 5 : Garantir la juste évaluation des indemnités de résiliation des contrats de concession et des prix de cession des ouvrages hydroélectriques transférés par une commission d'experts indépendants.

Autre point, les rapporteurs estiment indispensable de maintenir un contrôle de l'État sur les ouvrages hydroélectriques transférés. La DGEC a indiqué envisager plusieurs moyens de contrôles étatiques : la transmission d'un rapport annuel, le recours à des déclarations d'utilité publique, un droit d'opposition aux futures cessions d'ouvrages ou encore l'application de sanctions en cas de manquements. Le groupe EDF a lui aussi estimé utile le maintien d'un droit d'opposition de l'État aux futures cessions des ouvrages. Un concurrent du groupe EDF (France Hydroélectricité), de même que plusieurs syndicats de personnels membres de l'intersyndicale du groupe EDF (CFDT, FNEM-CGT, FNEM-FO) ont plaidé pour une incessibilité des ouvrages hydroélectriques transférés. Les rapporteurs soutiennent la mise en oeuvre des moyens de contrôle précités, à commencer par la faculté pour l'État de s'opposer à leur cession. C'est une nécessité pour prévenir le morcellement de notre patrimoine hydraulique et garantir l'application de la sûreté hydraulique.

Recommandation n° 6 : Prévoir la faculté pour l'État de s'opposer à la cession des ouvrages hydroélectriques transférés ainsi qu'un haut niveau de contrôle par ce dernier de l'organisation et de l'exploitation de ces ouvrages.

Fait notable, les rapporteurs considèrent nécessaire de définir un cadre robuste pour la contrepartie envisagée au maintien des exploitants historiques. Pour prévenir tout risque de position dominante du groupe EDF, et en contrepartie du maintien des exploitants historiques dans le cadre du changement de régime des concessions vers les autorisations, la DGEC envisage l'ouverture d'une part virtuelle des capacités de production hydroélectriques du groupe EDF ; l'enjeu est donc de permettre une part de concurrence, non sur l'exploitation des ouvrages en tant que telle, mais sur la cession de produits de marchés liés. Le groupe EDF s'est montré ouvert à un tel dispositif, sous réserve de lignes rouges : le maintien de l'outil industriel et de la gestion opérationnelle par le groupe, la limitation de la contrepartie à la seule commercialisation de la production d'hydroélectricité, avec un volume raisonnable et une durée limitée et le refus d'un dispositif semblable à l'Arenh, dont les prix ne couvrent pas les coûts et dont l'option s'exerce par les fournisseurs alternatifs en bénéficiant. De leurs côtés, certains syndicats de personnels membres de l'intersyndicale du groupe EDF (CFE-CGC, FNEM-FO) ont appelé à refuser des compensations excessives de type Arenh hydraulique. S'agissant des concurrents du groupe EDF, le groupe Engie a insisté sur la limitation de cette compensation aux seules concessions hydroélectriques du groupe EDF. D'autres concurrents ont relevé l'importance de cette compensation en cas de changement de régime des concessions vers les autorisations (Anode, Afieg). De son côté, la CRE s'est dite disposée à gérer le dispositif, ce qui offrirait des gages d'indépendance vis-à-vis des acteurs de marché, de transparence dans les procédures d'accès et d'expertise sur le fonctionnement du marché ; plus substantiellement, elle a estimé que ce dispositif doit tenir compte, d'une part, de la liberté pour le groupe EDF de l'exploitation et du pilotage de ses installations hydrauliques et, d'autre part, du fait que ce groupe met déjà en vente sur les marchés à terme des volumes liés à ces mêmes installations. Les rapporteurs proposent la régulation par la CRE de la contrepartie envisagée au maintien des exploitants historiques ; ils observent que la Commission européenne a estimé qu'une telle contrepartie doit respecter le cadre légal européen applicable à la formation des prix sur le secteur de l'énergie, qui prévoit en principe des procédures ouvertes et transparentes. À ce jour, les rapporteurs observent que l'accord de principe annoncé par l'ancien Premier ministre François Bayrou prévoit bien le contrôle par la CRE de la mise en vente des capacités hydroélectriques via des enchères concurrentielles.

Recommandation n° 7 : Confier à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) l'encadrement de la contrepartie envisagée au maintien des exploitants historiques.

S'agissant de la contrepartie précitée, les rapporteurs plaident pour un strict encadrement de ses conditions d'application, appelant à refuser toute condition qui pourrait s'apparenter à un Arenh hydraulique.

Tout d'abord, les rapporteurs appellent à ce qu'elle soit sans incidence sur la gestion opérationnelle des ouvrages hydroélectriques transférés. C'est une obligation forte qui est partagée par la DGEC, la CRE et le groupe EDF. En effet, la contrepartie envisagée repose sur une stricte séparation entre l'exploitation des ouvrages, totalement maintenue auprès des opérateurs historiques, et la commercialisation des produits, partiellement ouverte à leurs concurrents. Ce sont les exploitants actuels qui sont les mieux à même d'assurer la production d'hydroélectricité, nécessaire à notre sécurité d'approvisionnement, et de garantir la gestion hydraulique, nécessaire à notre sûreté hydraulique ; leur rôle est d'autant plus important que le contexte de changement climatique peut renforcer les épisodes de sécheresse ou de crues. Pour les rapporteurs, ces enjeux économiques et sécuritaires justifient pleinement l'exclusion de cette contrepartie de la gestion opérationnelle des installations hydrauliques. Sur ce sujet, les rapporteurs relèvent que l'accord de principe annoncé par l'ancien Premier ministre François Bayrou comporte bien la possibilité de maintenir les exploitants en place, afin de garantir la continuité de l'exploitation des ouvrages, compte tenu des enjeux liés à la sécurité des ouvrages, à la gestion de l'eau ainsi qu'au maintien des compétences et des emplois.

Plus encore, les rapporteurs plaident pour que la contrepartie ne concerne qu'une part raisonnable et limitée de la commercialisation d'électricité des ouvrages transférés. C'est une exigence forte qui est partagée par la CRE, le groupe EDF et certains syndicats des personnels de l'Intersyndicale de ce groupe. D'une part, la CRE a estimé nécessaire de tenir compte des ventes sur les marchés à terme liées à la production d'hydroélectricité déjà réalisées par ce groupe. D'autre part, le groupe EDF a plaidé pour limiter la contrepartie à la seule commercialisation de la production d'électricité, avec un volume raisonnable et une durée limitée. Enfin, le groupe et certains syndicats des personnels membres de son Intersyndicale (FNME-CGT, FNME-FO) ont appelé à refuser des compensations excessives de type Arenh hydraulique. Selon les rapporteurs, ce refus légitime d'un Arenh hydraulique suppose de restreindre la contrepartie à une part temporaire et limitée de la commercialisation d'électricité issue des installations hydrauliques. À ce stade, les rapporteurs soulignent que l'accord de principe annoncé par le Premier ministre François Bayrou propose la mise à disposition par EDF de 6 GW de capacités hydroélectriques à des tiers et au bénéfice des consommateurs.

Recommandation n° 8 : Garantir dans cette contrepartie le maintien de la gestion opérationnelle des installations hydrauliques par leurs propriétaires et la limiter à une part temporaire et limitée de la commercialisation de l'électricité issue des installations hydrauliques.

Enfin, les rapporteurs estiment fondamental de préserver le statut national des personnels des IEG dans le cadre du changement de régime des concessions vers les autorisations. En l'état actuel du droit, l'article 171 de la loi dite « Transition énergétique », du 17 août 2015, applique ce statut aux personnels des concessions hydrauliques sans que le renouvellement d'une concession puisse y faire obstacle. Cela ne couvre pas explicitement le cas de figure d'un changement de régime des concessions vers les autorisations. Or les rapporteurs rappellent que la constitution d'une quasi-régie, envisagée dans le cadre du projet « Hercule », a achoppé en raison d'une forte opposition du corps social ; en effet, les opposants à cette réforme craignaient que la filialisation des activités hydroélectriques du groupe EDF ne conduise à un démembrement de ce groupe et à une désoptimisation de ses activités. Pour éviter que le changement de régime des concessions vers les autorisations ne trébuche pour les mêmes raisons organisationnelles, certains syndicats de personnels de l'intersyndicale du groupe EDF ont appelé à préserver dans ce cadre le statut des IEG (FNEM-CGT, FNEM, FO). La DGEC et le groupe EDF ont précisé qu'il s'agissait bien de l'intention du Gouvernement. Les rapporteurs les appellent à traduire cette intention en acte.

Recommandation n° 9 : Préserver le statut national des personnels des industries électriques et gazières (IEG).


* 54 Notamment avec l'Allemagne et la Suisse.

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