III. POUR UN PASSAGE CONSENSUEL, SÉCURISÉ ET RÉUSSI DU RÉGIME DES CONCESSIONS VERS CELUI DES AUTORISATIONS : 15 PROPOSITIONS RÉUNIES EN 4 AXES
A. ÉVALUER EN AMONT LA ROBUSTESSE TECHNIQUE ET L'IMPACT FINANCIER DU CHANGEMENT DE RÉGIME
Les rapporteurs sont convaincus de l'intérêt de l'accord de principe annoncé par l'ancien Premier ministre François Bayrou sur la réorganisation des concessions hydroélectriques du groupe EDF. Aussi les rapporteurs se félicitent-ils de la résolution attendue du différend opposant la Commission européenne à l'État à ce sujet. En effet, ce différend obère les perspectives de développement de toute la filière de l'hydroélectricité depuis 20 ans. À l'heure où le protectionnisme américain et le bellicisme russe éprouvent chaque jour la sécurité d'approvisionnement énergétique de la France et de l'Union européenne, les autorités nationales et européennes doivent définir les modalités d'application de l'accord de principe, sans rien sacrifier, ni de la garantie fondamentale de notre souveraineté énergétique nationale, ni de l'harmonisation légitime des règles du marché européen de l'énergie. Convenir de telles modalités d'application est également indispensable à la réussite de notre transition énergétique nationale et donc à la réduction des émissions de GES européennes de 55 % d'ici 2030 pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, conformément à nos engagements européens et internationaux.
Les rapporteurs sont aussi convaincus de la nécessité pour les parlementaires, députés comme sénateurs, de parler d'une même voix sur ce sujet transpartisan, d'intérêt national. C'est pourquoi les rapporteurs saluent le travail effectué par la mission d'information conduite par la députée Marie-Noëlle Battistel et le député Philippe Bolo, sur les modes de gestion et d'exploitation des installations hydroélectriques, dont les conclusions ont été rendues publiques le 13 mai dernier. Les rapporteurs partagent le constat formulé par les députés sur la préférence donnée au changement de régime des concessions vers les autorisations. Ils constatent que l'accord de principe annoncé par l'ancien Premier ministre François Bayrou évoque une traduction législative prochaine, le cas échéant dans le cadre d'une proposition de loi déposée par ces députés. Les rapporteurs rappellent que le Sénat avait proposé l'expérimentation d'un tel passage, à l'article 21 de la proposition de loi dite « Gremillet », déposée le 26 avril 2024 puis adoptée au Sénat, en première lecture, le 16 octobre 2024, et en deuxième lecture, le 8 juillet 2025. Dans la mesure où l'examen en deuxième lecture de cette proposition de loi n'est pas encore intervenu à l'Assemblée nationale, les rapporteurs appellent les députés à amender ce texte pour y introduire leurs propositions, afin de réaliser le passage du régime des concessions vers celui des autorisations. Il s'agit en effet du véhicule législatif le plus rapide et le plus aisé à faire prospérer.
L'objet du présent rapport d'information est de servir de point d'appui à la définition des modalités d'application de cet accord de principe, en identifiant précisément les lignes directrices du Sénat. Dans ce contexte, les rapporteurs formulent 15 propositions, réunies en 4 axes.
Le premier axe des propositions des rapporteurs vise à évaluer en amont la robustesse technique et l'impact financier du changement de régime des concessions vers les autorisations.
Les rapporteurs observent que le risque contentieux pesant sur les concessions hydroélectriques du groupe EDF est massif. En effet, le groupe dispose de 296 concessions hydroélectriques, sur un total de 340 concessions. Or 38 de ces concessions, échues mais non renouvelées, ont d'ores et déjà été placées sous le régime dit « des délais glissants ». En termes de capacités installées, cela représente 19,5 GW, sur un total de 23,2 GW.
Un changement de régime des concessions vers les autorisations induit nécessairement des transferts financiers. En effet, pour réaliser un tel transfert, il faut déterminer une indemnité de résiliation, allouée par l'État aux anciens concessionnaires, un prix de cession, acquittée par les nouveaux propriétaires à l'État, et enfin une redevance, due annuellement par les nouveaux exploitants à l'État mais aussi aux départements, aux communes et aux groupements de communes. De plus, la contrepartie envisagée visant à ouvrir une part virtuelle des capacités de production hydroélectrique du groupe EDF aux autres acteurs de marché représente un manque à gagner susceptible de peser sur les recettes, le résultat et l'endettement du groupe.
Un changement de régime des concessions vers les autorisations suppose également des évolutions juridiques. Ici aussi, pour réaliser un tel transfert, il faut résilier les contrats de concession, déclasser les ouvrages hydroélectriques, céder ces ouvrages de gré à gré, créer un régime d'autorisation spécifique sur les installations hydroélectriques de plus de 4,5 MW, instituer la contrepartie envisagée sur la production d'hydroélectricité, introduire une redevance spécifique pour l'État, mais aussi pour les départements, les communes et les groupements de communes. La DGEC a indiqué avoir engagé des échanges avec le Conseil d'État au sujet de la robustesse juridique d'un tel montage. Certains concurrents du groupe EDF (Afieg, Anode) ont clairement interrogé cette robustesse. En tout état de cause, la Commission européenne a rappelé que ce montage devrait in fine respecter les règles européennes relatives à la concurrence, au marché intérieur et à l'énergie, qui prescrivent en principe des procédures de mise en concurrence pour l'attribution d'une autorisation ou l'accès à la contrepartie.
Dans ce contexte, les rapporteurs estiment crucial d'évaluer l'impact financier d'un changement de régime des concessions vers les autorisations, en saisissant la Cour des comptes, ainsi que sa robustesse technique, en sollicitant le Conseil d'État. Le cas échéant, le Parlement pourrait lui-même procéder à la saisine de la Cour des comptes, dans le cadre de la mission d'assistance du Parlement à l'évaluation des politiques publiques, mentionnée à l'article 47-2 de la Constitution et à l'article L. 132-6 du code des juridictions financières. Il pourrait également lui-même procéder à la saisine du Conseil d'État, dans le cadre de l'avis sur une proposition de loi, prévu à l'article 39 de la Constitution et à l'article L. 112-1 du code de justice administrative.
Recommandation n° 1 : Évaluer l'impact financier d'un changement de régime, via la Cour des comptes, et la robustesse technique d'un tel changement, via le Conseil d'État. |
Le différend opposant la Commission européenne à l'État s'agissant des concessions hydroélectriques du groupe EDF est emblématique d'un manque de dialogue entre les autorités françaises et celles européennes dans la production non seulement de la loi nationale mais aussi des directives européennes. Pour résoudre durablement ce différend, le changement de régime ne peut être mis en place qu'au terme d'un compromis entre ces autorités, sur le plan tant des principes généraux que des modalités particulières.
Légiférer sans un tel compromis a conduit à des errements par le passé. À titre d'exemple, l'article 116 de la loi dite « Transition énergétique », du 17 octobre 2015, est venu créer un dispositif de prolongation de concessions contre travaux, à l'article L. 521-6-3 du code de l'énergie. Or ce dispositif a été adopté sans consultation préalable de la Commission européenne. Dans une lettre du 12 juillet 2018, elle a refusé la notification du projet de la prolongation contre travaux de la concession de la vallée de la Truyère. Puis, dans sa mise en demeure du 7 mars 2019, elle a constaté la non-conformité du dispositif de prolongation contre travaux en tant que tel, au regard de la directive dite « Concession », du 24 février 2014. C'est un mauvais exemple de législation, à ne pas réitérer.
À l'inverse légiférer sur la base d'un tel compromis a permis des succès par le passé. À titre d'exemple, la loi dite « Aménagement du Rhône », du 28 février 2022, est venue prolonger la concession du Rhône attribuée à la CNR jusqu'au 31 décembre 2041. Or cette prolongation a été adoptée après consultation préalable de la Commission européenne. En effet, le Gouvernement était en possession d'une lettre de confort, confirmant l'absence de préoccupation soulevée par cette prolongation au titre des aides d'État. Depuis lors, la CNR a pu engager un plan d'investissement de 3 Mds€ : 500 millions d'euros (M€) pour les travaux d'investissements supplémentaires, 700 M€ au titre de plans quinquennaux successifs et 2,1 Mds€ pour la maintenance et le renouvellement des ouvrages existants. C'est un bon exemple de législation, sur lequel prendre appui.
Dans ce contexte, les rapporteurs estiment crucial de ne légiférer sur le changement de régime des concessions vers les autorisations qu'en possession d'une lettre de confort de la Commission européenne, garantissant la compatibilité de ce changement de régime avec le droit de l'Union européenne. Ils se félicitent que des échanges aient repris en 2025 entre le Gouvernement et la Commission européenne au sujet des principes et des contreparties d'un tel changement de régime. Ils se félicitent également que les parlements aient pu échanger directement avec la Commission européenne, dans le cadre des missions parlementaires respectives de l'Assemblée nationale et du Sénat. Enfin, ils se félicitent de l'accord de principe annoncé par l'ancien Premier ministre François Bayrou s'agissant de la réorganisation des concessions hydroélectriques françaises. Si les modalités d'application de cet accord de principe doivent encore être précisées, le différend entre la Commission européenne et la France peut et doit donc être pleinement et rapidement résolu.
Recommandation n° 2 : Ne légiférer qu'en possession d'une lettre de confort de la Commission européenne garantissant la compatibilité du changement de régime avec le droit de l'Union européenne. |
Dès lors qu'il est accompagné d'une évaluation juridique et financière nationale et d'une lettre de confort européenne, le changement de régime peut et doit être transposé législativement. Les rapporteurs observent que l'accord de principe annoncé par le Premier ministre François Bayrou évoque l'éventualité d'un dépôt par les députés d'une proposition de loi en ce sens. Or un nouveau texte est nécessairement source de délais et d'aléas. Compte tenu de l'urgence de la situation, les rapporteurs appellent les députés à amender de leurs propositions la proposition de loi dite « Gremillet », déposée le 26 avril 2024, dès qu'elle sera examinée en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. En effet, l'article 21 de ce texte avait proposé l'expérimentation d'un tel passage. Le périmètre initial adopté au Sénat pour ce texte comportait bien « l'expérimentation du passage, pour les concessions hydroélectriques, du régime des installations concédées vers celui des installations autorisées », ainsi que le rappelle le rapport législatif53(*) publié à cette occasion.
Recommandation n° 3 : Compte tenu de l'urgence de la situation, légiférer préférentiellement par le biais d'amendements à la proposition de loi dite « Gremillet », dès son examen en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. |
* 53 Sénat, rapport n° 642 (2023-2024), déposé le 29 mai 2024, fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, p. 178.