B. LES ACTEURS ÉCONOMIQUES, INSTITUTIONNELS ET POLITIQUES ONT DES POSITIONS TRÈS DIVERSES SUR LA RÉSOLUTION DU DIFFÉREND ENTRE LA COMMISSION EUROPÉENNE ET L'ÉTAT, QUI FONT TOUTEFOIS APPARAÎTRE UN CHANGEMENT DE RÉGIME DES CONCESSIONS VERS LES AUTORISATIONS COMME UN COMPROMIS À PORTÉE DE MAINS

1. Des acteurs économiques aux positions plutôt divergentes sur l'organisation du marché français de l'hydroélectricité

Les acteurs économiques ont des positions plutôt divergentes sur l'organisation du marché français de l'hydroélectricité ; si la plupart d'entre eux soutiennent un changement de régime des concessions vers les autorisations (le groupe EDF, le groupe Engie, la CNR, la Shem, France Hydroélectricité), d'autres plaident pour un renouvellement de ces concessions par appels d'offres (Afieg, Anode).

a) Le point de vue du groupe EDF : une préférence pour un changement de régime des concessions vers les autorisations et une révision de la directive dite « Concession », du 26 février 2014

Le groupe EDF a fait part de son intérêt pour un changement de régime des concessions vers les autorisations, en ces termes : « Le changement de régime vers un système d'autorisation rencontre la préférence d'EDF pour mettre un terme de manière claire et définitive aux questions soulevées par la gestion des ouvrages hydroélectriques et le renouvellement des contrats de concession. »

À court terme, il plaide donc pour instituer un nouveau régime d'autorisation pour les ouvrages hydroélectriques. Le champ de ce nouveau régime pourrait concerner l'ensemble des concessionnaires relevant de la loi du 19 octobre 1929 relative à l'énergie hydraulique, que leurs concessions soient échues ou non.

Pour sa mise en oeuvre, ce régime requerrait plusieurs étapes :

- la résiliation des concessions en vigueur et le versement d'une indemnité par l'État selon les modalités définies par la loi et non les contrats ;

le transfert encadré de la propriété des ouvrages, avec le déclassement du domaine public, le paiement d'un prix de cession par le concessionnaire déterminé par une commission indépendante, l'impossibilité de cession par lui des ouvrages transférés sauf accord de l'État et le maintien du statut national des personnels des IEG sur ces ouvrages transférés.

l'institution d'un régime d'autorisation pour les ouvrages hydrauliques de plus de 4,5 MW, en maintenant les compétences actuelles du ministre de l'énergie et des Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ;

l'introduction d'une redevance du même type que celle applicable au régime dit « des délais glissants », prévue à l'article L. 523-3 du code de l'énergie, c'est-à-dire assise sur le revenu net plutôt que sur le chiffre d'affaires.

Pour mettre fin aux mises en demeure européennes, le groupe EDF a indiqué être disposé à ce que ce changement de régime soit assorti d'une contrepartie, ainsi : « En passant en régime d'autorisation, la mise en demeure de 2019 deviendrait sans fondement, mais celle de 2015 ne serait pas résolue. C'est pour cette raison que, pour mettre fin à plus de dix ans de contentieux et ainsi permettre la relance de l'hydroélectricité indispensable pour l'équilibre du système électrique, des mesures pourraient être nécessaires. EDF serait évidemment prête à les envisager compte tenu de l'enjeu dès lors que ces contreparties sont acceptables, raisonnables et limitées dans le temps. »

Cette contrepartie pourrait consister à mettre à disposition une partie raisonnable et temporaire de la production d'hydroélectricité du groupe aux autres fournisseurs et/ou aux industriels.

Cependant, plusieurs lignes rouges seraient fixées :

le maintien de l'outil industriel et de la gestion opérationnelle par le groupe ;

la limitation de la contrepartie à la seule commercialisation de la production d'hydroélectricité, avec un volume raisonnable et une durée limitée ;

le refus de l'application d'un dispositif semblable à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) aux activités hydroélectriques, dont le prix ne couvre pas les coûts de production du groupe et dont l'option s'exerce par les fournisseurs alternatifs en bénéficiant.

À plus long terme, le groupe EDF appelle à l'exclusion de l'hydroélectricité du champ de la directive dite « Concession », du 26 février 2014. Pour lui, l'obligation de remise en concurrence des concessions n'est pas souhaitable et les conditions de modification des contrats en cours sont trop restrictives. Cependant, le groupe est conscient du fait qu'une telle réforme ne pourrait intervenir que selon un calendrier éloigné et qu'elle supposerait, de surcroît, le soutien d'autres pays européens dont les procédures en matière de concessions ou d'installations hydroélectriques sont aujourd'hui closes.

b) Le point de vue des concurrents du groupe EDF : des positions hétérogènes allant de l'accompagnement du changement de régime des concessions vers les autorisations à son refus au profit d'un renouvellement des concessions par appels d'offres

Certains concurrents du groupe EDF se sont montrés favorables au changement de régime des concessions vers les autorisations, tout en rappelant plusieurs garde-fous :

- tout d'abord, la CNR a rappelé que la quasi-régie ne peut lui être appliquée, a plaidé pour une exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014, et a demandé à ce qu'un changement de régime laisse inchangée la concession du Rhône, jusqu'à son expiration le 31 décembre 2041 :

- plus encore, la groupe Engie a réitéré son opposition à la quasi-régie41(*), fait part de réserves sur l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive précitée et a indiqué ne pas être opposé à un changement de régime sous conditions : l'exclusion de la concession de la CNR, qui vient d'être renouvelée, une vigilance sur la situation de la Shem, rare acteur alternatif dont la taille demeure modeste, l'absence de distinction entre les concessions échues et celles non échues et l'institution d'une contrepartie sur les seules concessions du groupe EDF ;

enfin, France Hydroélectricité a réaffirmé son opposition à la quasi-régie, a plaidé pour une exclusion de l'hydroélectricité de la directive susmentionnée et a précisé être favorable à un changement de régime ici aussi sous conditions : l'absence de distinction entre les concessions échues et celles non échues, l'introduction d'une clause d'incessibilité des ouvrages transférés et la préservation de la compétence du ministre de l'énergie.

D'autres concurrents du groupe EDF ont plaidé pour un renouvellement des concessions du groupe par appels d'offres, faisant part de critiques ou de demandes s'agissant d'un éventuel changement de régime des concessions vers les autorisations :

d'une part, l'Afieg a identifié le renouvellement des concessions par appels d'offres comme la solution la plus simple, la plus solide et la plus optimale. Elle a estimé que le changement de régime des concessions vers les autorisations soulève de nombreuses incertitudes juridiques, notamment au regard de la position dominante, des aides d'État, de la directive dite « Concession » du 26 février 2014, de la directive dite « Service » du 12 décembre 2006, ou encore du préambule de la Constitution de 1946. Enfin, elle a insisté sur l'importance d'une compensation en cas d'un tel changement de régime, via une régulation tarifaire ou un accès virtuel ;

d'autre part, l'Anode a identifié le renouvellement des concessions par appels d'offres comme la solution la plus transparente, la plus efficace et la plus équilibrée. Elle a indiqué qu'un changement de régime des concessions vers les autorisations ne doit pas favoriser exclusivement les concessions du groupe EDF. Elle a également insisté sur l'importance d'une compensation en cas d'un tel changement de régime, via une régulation tarifaire ou un contrat pour différence.

2. Des acteurs syndicaux et locaux aux positions plutôt convergentes sur l'organisation du marché français de l'hydroélectricité

Les acteurs syndicaux et locaux ont des positions plutôt convergentes sur l'organisation du marché français de l'hydroélectricité ; sept de ces acteurs sont intéressés par un changement de régime des concessions vers les autorisations (CFDT, CFE-CGC, FNEM-CGT, FNEM-FO, DF, ANEB, ANEM) et cinq par une révision de la directive dite « Concession », du 26 février 2014 (CFDT, FO-FNEM, DF, ANEB, ANEM).

a) Le point de vue des syndicats : un très large soutien au changement de régime des concessions vers les autorisations sous réserve de conditions liées à la propriété des ouvrages, au statut des personnels ou à la soutenabilité des contreparties

L'ensemble des syndicats de personnels membres de l'Intersyndicale du groupe EDF se sont dits favorables au changement de régime des concessions vers les autorisations, tout en proposant des conditions sur la propriété des ouvrages, le statut des personnels et à la soutenabilité des contreparties :

- la CFDT a identifié le changement de régime des concessions vers les autorisations comme seule solution mobilisable, en insistant sur la nécessité pour l'État de conserver des prérogatives sur les ouvrages transférés, via soit une quasi-domanialité publique, soit une action spécifique. Elle a également indiqué être favorable à la constitution d'un EPIC et à l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014, tout en rappelant l'absence de soutien européen. Enfin, elle a indiqué être opposée à la mise en concurrence des concessions, à la constitution d'une quasi-régie et à la création d'un service d'intérêt économique général (SIEG)42(*) ;

- la CFE-CGC a également identifié le changement de régime des concessions vers les autorisations comme seule solution mobilisable, en précisant que ce régime est relativement répandu à l'échelon européen et qu'il ne saurait être conditionné pour la France à des mesures compensatoires excessives, de type Arenh hydraulique. Elle a également indiqué être favorable à l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014. Enfin, elle a affirmé être opposée à la mise en concurrence des concessions et à la constitution d'une quasi-régie ;

- la FNME-CGT a fait part de son intérêt pour le changement de régime des concessions vers les autorisations, dès lors qu'il est assorti de conditions, telles que l'incessibilité des ouvrages transférés, la majorité publique des opérateurs exploitants, le maintien du statut national des IEG et le traitement identique du « Lac France ». Elle a également précisé être favorable à la création d'un SIEG. Enfin, elle a affirmé être opposée à la mise en concurrence des concessions et à l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive, dite « Concession », du 26 février 201443(*) ;

- enfin, la FNEM-FO a aussi fait part de son intérêt pour le changement de régime des concessions vers les autorisations, là encore sous réserves de conditions, comme l'incessibilité des ouvrages transférés, le maintien du statut national des IEG, et le refus de mesures compensatoires excessives, de type Arenh hydraulique. Elle a également indiqué être favorable à la constitution d'un EPIC et à l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014. Enfin, elle a indiqué être opposée à la mise en concurrence des concessions et à la constitution d'une quasi-régie.

Quant à Solidaires Énergie (SUD Énergie), qui n'appartient pas à l'Intersyndicale du groupe EDF, le syndicat a affirmé être favorable à la création d'un EPIC et à la constitution d'une quasi-régie, mais non à la mise en concurrence des concessions, à leur changement de régime vers les autorisations ou encore à l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 201444(*).

b) Le point de vue des élus locaux : un très large soutien au changement de régime des concessions vers les autorisations sous réserve de conditions liées aux redevances ou aux instances locales

L'ensemble des associations d'élus locaux concernés ont indiqué soutenir le changement de régime des concessions vers les autorisations, tout en suggérant des conditions sur les redevances ou les instances locales :

- en premier lieu, DF a rappelé être opposée à la mise en concurrence des concessions hydrauliques ainsi qu'à la constitution d'une quasi-régie. En revanche, elle a précisé être favorable au changement de régime des concessions vers les autorisations sous conditions, comme l'application d'une quasi-domanialité publique, l'introduction d'une gouvernance tripartite de l'eau État-hydroélectricien-collectivités territoriales pour la rédaction et l'exécution des cahiers des charges ou encore la préservation des redevances de ces dernières sur le modèle de celles applicables aux concessions nouvelles ou renouvelées, mentionnées à l'article L. 523-2 du code de l'énergie, c'est-à-dire allouées pour 1/3 aux départements, 1/12e aux communes et 1/12e à leurs groupements, sans prise en compte d'un prix cible de l'électricité. Au-delà, elle a aussi précisé soutenir l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014 ;

- en second lieu, l'ANEM a réaffirmé être opposée à la mise en concurrence des concessions hydroélectriques de même qu'à la constitution d'une quasi-régie. À l'inverse, elle a indiqué soutenir le changement de régime des concessions vers les autorisations sous conditions, telles que l'exclusion de la concession de la CNR, l'institution d'une contrepartie sur les concessions du groupe EDF, le renforcement de la gouvernance locale de l'eau ou la préservation des redevances des collectivités territoriales, selon le même schéma que celui exposé par DF. De surcroît, elle a affirmé appuyer l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014 ;

- enfin, l'ANEB a réitéré son opposition à la mise en concurrence des concessions hydroélectriques et son soutien au changement de régime des concessions vers les autorisations sous conditions, dont l'institution d'une gouvernance locale de l'eau de l'eau, selon des modalités similaires à celles proposées par DF, de même que l'inscription, dans les cahiers des charges des concessions, de la gestion équilibrée de la ressource en eau, de la répartition partagée des coûts et des impacts des aménagements, et de la prise en compte du rôle d'écrêtement des crues, indispensable à la prévention des inondations et à la protection des personnes, dans le contexte du changement climatique.

3. Des acteurs institutionnels nationaux et européens ayant convenu d'un accord de principe sur la réorganisation des concessions hydroélectriques du groupe EDF
a) Le point de vue des institutions nationales : une préparation bien avancée du changement du régime des concessions vers les autorisations, mais une perspective toujours incertaine de révision de la directive dite « Concession », du 26 février 2014

La DGEC a confirmé l'engagement de l'État en direction d'un changement du régime des concessions vers les autorisations, en ces termes : « Les autorités françaises envisagent la transformation du régime concessif en régime d'autorisation, tout en conservant les exploitants en place, mais en proposant d'autres modalités d'accès à la ressource de production-vente d'électricité. »

Elle a rappelé qu'un tel régime d'autorisation n'a rien d'inédit. D'une part, en France, outre la petite hydroélectricité, de nombreuses centrales de production d'électricité (nucléaire, thermique, éolien ou photovoltaïque) relèvent d'un régime d'autorisation. D'autre part, à l'échelon européen, plusieurs pays (Allemagne, Autriche, Pologne, Royaume-Uni, Roumanie, Suède) exploitent l'énergie hydraulique sous un régime d'autorisation.

Elle a identifié les étapes suivantes afin de réaliser ce passage du régime des concessions vers celui des autorisations :

la résiliation de l'ensemble des contrats de concession, en cours ou échus, et le calcul par des experts indépendants de l'indemnité de résiliation à verser par l'État aux anciens concessionnaires, sauf pour les concessions qui viennent d'être renouvelées (CNR45(*)), dont la navigation fluviale est l'activité principale et la production hydroélectrique celle accessoire (Seine, Moselle), ou qui sont régies par des accords internationaux (Rhin, Doubs, l'Arve, Émosson) ;

le déclassement législatif des biens hydroélectriques du domaine public de l'État ;

la cession de gré à gré des ouvrages avec un droit de priorité des anciens concessionnaires46(*) et le calcul par des experts indépendants du prix de cession à verser par ces anciens concessionnaires à l'État47(*), l'État devant disposer de garanties, tel qu'un droit d'opposition sur les futures cessions par les nouveaux propriétaires ;

la conception d'un nouveau régime d'autorisation spécifique48(*) pour les installations hydroélectriques supérieures à 4,5 MW et l'octroi d'une telle autorisation aux nouveaux propriétaires, la répartition actuelle des compétences entre le ministre chargé de l'énergie49(*), les directions départementales des territoires (DDT)50(*) et les DREAL étant inchangée et des moyens de contrôle de ces nouveaux propriétaires étant reconnus à l'État (transmission d'un rapport, déclarations d'utilité publique, sanctions en cas de manquement) ;

la perception d'une soulte51(*) l'année du changement de régime des concessions vers les autorisations et d'une redevance annuelle à compter de cette année, une instance de dialogue avec les élus locaux et les parties prenantes étant prévue ;

l'ouverture aux autres acteurs de marché d'une part virtuelle des capacités de production hydroélectrique à travers un dispositif de marché et un processus d'enchères, contrôlés par la CRE, l'exploitation opérationnelle des installations hydrauliques étant strictement indépendante de ces livraisons de produits de marché, c'est-à-dire que l'exploitant est le seul décisionnaire de la production électrique et de la gestion de l'eau.

La DGEC a rappelé que le changement de régime des concessions vers les autorisations permettrait de préserver les installations et de développer les investissements dans le secteur de l'hydroélectrité : « En permettant aux exploitants actuels, notamment au groupe EDF, de devenir propriétaires des ouvrages hydrauliques, cette option permet de conserver un haut niveau d'intégration d'EDF et ainsi de développer les capacités de financement des acteurs industriels en vue de réinvestissements ou d'investissements à l'étranger. »

Elle a confirmé que ce changement de régime laisse inchangée la concession du Rhône allouée à la CNR, a minima jusqu'à son échéance le 31 décembre 2041 : « Il n'est pas prévu que la concession de la CNR, prolongée jusqu'en 2041, selon des dispositions législatives spécifiques, soit concernée avant cette échéance par une bascule vers un régime d'autorisation. Il s'agit en effet d'une concession d'aménagement du Rhône dotée d'un statut spécial conféré par la loi de 1921 confiant à la CNR [...] la mission d'aménagement et d'exploitation du Rhône de la frontière suisse à la mer au triple point de vue de la production d'électricité, la navigation fluviale et l'irrigation agricole. [...] Dans la perspective de l'après 2041, il conviendra d'étudier le régime juridique le plus adapté aux enjeux de la gestion du fleuve Rhône et de l'exécution des missions de service public non énergétiques (navigation, gestion des ports et de la ressource en eau, soutien à l'irrigation). En outre, mettre fin au régime concessif sur le Rhône pourrait fragiliser la réalisation des plans quinquennaux d'investissements par le concessionnaire au profit du territoire. »

Elle a signifié que la contrepartie envisagée est de nature à garantir la concurrence, non sur l'exploitation des ouvrages, mais sur la cession des produits : « Pour sécuriser juridiquement la cession de gré à gré des biens aux anciens exploitants, il est proposé d'introduire un dispositif permettant d'ouvrir à d'autres acteurs du marché une part virtuelle des capacités de production hydraulique via un dispositif de marché qui prévoit la mise à disposition de tiers (acteurs de marchés, fournisseurs, agrégateurs, opérateurs hydrauliciens, industriels...), à travers un processus d'enchères, de volumes de productibles pilotables et activables, aux caractéristiques de celles des barrages hydrauliques, tout en maintenant les exploitants historiques en place. Ce dispositif de contreparties au maintien des exploitants historiques en place reviendrait donc à donner accès aux acteurs de marché une part virtuelle des centrales hydrauliques, et ainsi à avoir une part de concurrence non pas sur l'exploitation des ouvrages, mais à travers la cession de produits de marchés. L'exploitation des ouvrages hydrauliques serait strictement indépendante de la livraison des produits de marchés proposés, de telle sorte que l'exploitant reste le seul décisionnaire au niveau des ouvrages, en fonction des enjeux de production énergétique et de gestion de l'eau y compris en situation de stress hydrique ou de crue. »

Une consultation a été lancée par la DGEC, du 22 mai au 15 juin derniers, afin de sonder l'intérêt des acteurs de marché pour les différents produits envisagés dans le cadre de cette contrepartie.

À date, elle a indiqué que la contrepartie a été présentée à la Commission européenne, qui s'est montrée ouverte, sous conditions : « La présente solution a été partagée à la Commission et a fait l'objet de plusieurs échanges, notamment sur les contours des contreparties envisagées au maintien des exploitants en place sans mise en concurrence. À ce stade, la Commission s'est montrée ouverte à la solution proposée par les autorités françaises sous réserve (i) du volume de contrepartie retenu et de leur durée, (ii) de l'intérieur du marché pour les produits identifiés, et (iii) des modalités de commercialisation de ces produits afin que les enchères puissent être réalisées de manière ouverte, transparente et non-discriminatoire, sous le contrôle de la CRE. »

Au-delà du changement de régime des concessions vers les autorisations, la DGEC a indiqué être favorable à l'exclusion de l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014 : « L'opportunité de défendre certaines extensions des exclusions de la directive demeure [...] a minima du point de vue de l'échéance de la concession du Rhône le 31 décembre 2041. »

Cependant, elle a indiqué qu'une telle modification de la directive était peu susceptible d'aboutir en l'absence de soutien d'autres pays européens : « Cette position devrait être portée avec d'autres États membres, afin de réunir une majorité, ce qui paraît à ce stade difficile [...] Cela sera d'autant plus délicat que d'autres États membres (Italie, Portugal) ont clos leurs procédures avec la Commission en mettant en concurrence, ou en prévoyant de le faire dans leur législation interne, les concessions concernées. »

Enfin, elle a précisé qu'une telle modification de la directive précitée n'était pas forcément suffisante pour éteindre le différend entre la Commission européenne et l'État : « L'exclusion de l'hydroélectricité du champ de la directive 2014/23/UE n'exonèrerait pas nécessairement les concessions d'énergie hydraulique de respecter les principaux fondamentaux du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), notamment les principes de liberté d'établissement, de non-discrimination et de transparence [...] De plus, il n'est aucunement acquis qu'une exclusion de l'hydroélectricité [...] suffirait à écarter le risque d'un abus de position dominante automatique, titré de la méconnaissance de l'article 106, paragraphe 1er, du TFUE, lu en combinaison avec l'article 102 du TFUE. Enfin, [...] le cas des contrats de concessions actuellement visés par la Commission européenne ne serait pas réglé rétroactivement. »

Pour ce qui la concerne, la CRE a indiqué sa disponibilité pour réguler la contrepartie devant assortir le changement de régime des concessions vers les autorisations, étant précisé que cette contrepartie doit laisser le groupe EDF libre de l'exploitation et du pilotage de ses installations hydroélectriques et tenir compte des volumes d'électricité déjà vendus sur les marchés à terme.

C'est la raison pour laquelle la CRE a indiqué qu'elle « n'a pas d'analyses à apporter sur le régime juridique choisi. Elle constate que l'option d'une autorisation d'exploiter suscite le plus de débats. La CRE comprend que le passage à un régime d'autorisation d'exploiter pourrait s'accompagner d'une contrepartie sur la vente d'électricité produite à partir des barrages hydroélectriques. Du point de vue de la CRE, il est important que le futur dispositif laisse les producteurs libres de l'exploitation et du pilotage de leurs installations de production. Ils disposent d'une compétence spécifique et sont les mieux placés pour optimiser ces installations. Ainsi, la production hydroélectrique continue à s'adapter aux besoins du système à court terme. La CRE précise également qu'EDF met déjà en vente sur les marchés à terme des volumes liés à ses exploitations hydrauliques. Cet aspect devra être considéré dans l'élaboration d'une solution. Enfin, la CRE tient à souligner qu'elle assumera le rôle qui lui sera attribué par le futur accord entre l'État français et la Commission européenne, et qu'elle n'a pas vocation à défendre un modèle ou un autre auprès de la Commission. »

b) Le point de vue des instances européennes : une compatibilité sous conditions du changement de régime des concessions vers les autorisations avec le droit de l'Union européenne et une révision de la directive dite « Concession », du 26 février 2014, n'étant pas susceptible de produire des effets avant 2030

Interrogée sur l'opportunité d'un changement de régime des concessions vers les autorisations, la Commission européenne a rappelé la liberté des États membres dans l'organisation du marché hydroélectrique, ce qui signifie qu'elle n'a pas de préférence pour tel ou tel modèle dès lors que les règles européennes sont respectées, en ces termes : « Les États membres sont libres d'organiser le secteur hydroélectrique sur leur territoire selon le modèle de leur choix dans le respect des règles européennes relatives notamment à la concurrence, au marché intérieur et à l'énergie. La Commission n'a pas de préférence pour un modèle plutôt qu'un autre dès lors que les règles européennes sont respectées. »

Sollicitée sur le cas des concessions des concurrents du groupe EDF, à commencer par la CNR, la Commission européenne a indiqué : « Il convient de préciser que la procédure de la DG COMP concerne uniquement EDF [...] Les États membres sont libres d'organiser le secteur hydroélectrique sur leur territoire selon le modèle de leur choix dans le respect des règles européennes relatives à la concurrence, au marché intérieur et à l'énergie. Dès lors les États membres peuvent choisir des modèles différents pour les différents aménagements hydroélectriques sur leur territoire dès lors que les règles européennes sont respectées. »

Au-delà de ces considérations générales, la Commission européenne a fait part de son point de vue sur les conditions d'un changement de régime des concessions vers les autorisations.

D'une part, elle a estimé qu'un éventuel transfert de la propriété des ouvrages hydroélectriques et/ou l'attribution d'autorisation d'exploiter de tels ouvrages doit se faire en principe via une procédure de mise en concurrence : « Un éventuel transfert de la propriété d'ouvrages hydroélectriques et/ou l'attribution d'autorisation d'exploiter ces ouvrages doit se faire en principe via des procédures de mise en concurrence ouvertes et transparentes. De telles procédures sont également susceptibles de conforter l'examen aux fins du contrôle des aides d'État. De plus, l'attribution d'une autorisation et son renouvellement doivent remplir les exigences établies par le cadre légal européen applicable aux régimes d'autorisations, à savoir la directive 2006/123/CE (« services ») et, le cas échéant, les principes du Traité. Une attribution de gré à gré constitue indéniablement une restriction au sens de l'article 49 TFUE. Une restriction à la liberté d'établissement pourrait être justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition qu'elle soit propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et qu'elle n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre. »

D'une part, elle a relevé qu'une éventuelle contrepartie sur la production hydroélectrique doit également se faire en principe via une procédure de mise en concurrence : « Une éventuelle règlementation tarifaire visant à fixer le prix de vente de production hydroélectrique serait contraire à la règlementation européenne du secteur de l'énergie, en particulier l'article 3, b) du règlement 2019/943 selon lequel les États membres veillent à ce queles règles du marché [de l'électricité] encouragent la formation libre des prix et évitent les actions qui empêchent la formation des prix sur la base de l'offre et de la demande. La formation libre des prix permet également de conserver les incitations à produire de manière optimale pour le système électrique français et européen en conservant un signal de prix de marché. Si l'intérêt de produits spécifiques devait être confirmé, ces produits devraient faire l'objet d'appels d'offres transparents et non-discriminatoires. »

Au-delà du changement de régime des concessions vers les autorisations, la Commission européenne a indiqué avoir engagé une révision des directives européennes 2014/23/UE, 2014/24/UE et 2024/25/UE sur la commande publique.

Une consultation a été organisée par elle, de février à mars derniers, afin d'évaluer si ces directives atteignent leurs objectifs en matière de concurrence, de transparence et d'efficacité et, le cas échéant, de proposer leur ajustement.

Sans se prononcer sur l'opportunité d'exclure l'hydroélectricité de la directive dite « Concession », du 26 février 2014, la Commission a rappelé plus généralement les prérequis pour réviser ces directives.

Tout d'abord, elle a rappelé que l'engagement de la révision dépendra du résultat de la consultation : « L'éventuelle révision des directives européennes sur la commande publique dépendra des résultats de l'évaluation actuellement en cours. Si cette évaluation révèle que les directives 2014/23/UE, 2014/24/UE et 2014/25/UE n'atteignent pas pleinement leurs objectifs ou qu'elles ne sont plus adaptées aux évolutions du marché, la Commission européenne pourra alors proposer des modifications législatives. À l'inverse, si l'évaluation conclut à leur efficacité, aucune réforme ne sera engagée. »

Plus encore, elle a fait observer qu'une éventuelle révision ne peut produire d'effet immédiat : « En tout état de cause, dans l'hypothèse d'une révision, il est peu probable que les nouvelles dispositions produisent des effets avant 2030. »

c) Un accord de principe, annoncé par le Premier ministre, entre la Commission européenne et la France sur la réorganisation des concessions hydroélectriques du groupe EDF, dont les modalités d'application doivent encore être précisées

Dans ce contexte, le 28 août dernier, l'ancien Premier ministre François Bayrou a annoncé par voie de communiqué de presse52(*) la conclusion d'un accord de principe entre la Commission européenne et l'État au sujet de l'organisation des concessions hydroélectriques françaises.

Cet accord de principe doit permettre de résoudre les deux précontentieux européens, l'un lié à la non-remise en concurrence des concessions échues (celui ouvert par la DG GROW en 2019) et l'autre portant sur la position jugée dominante de la société EDF (celui initié par la DG COMP en 2015).

Le schéma retenu comporte trois volets :

- le passage du régime de concession à un régime d'autorisation pour l'exploitation de l'énergie hydraulique, à l'exception des ouvrages de la CNR ;

- la possibilité de maintien des exploitants en place, de manière à garantir la continuité de l'exploitation des ouvrages, cette continuité étant indispensable au regard des enjeux de sécurité, de gestion de l'eau, de maintien des compétences et des emplois et de retour de valeur pour les territoires ;

- la mise à disposition par le groupe EDF de 6 GW de capacités hydroélectriques virtuelles à des tiers et au bénéfice final des consommateurs, via des enchères concurrentielles mises en vente par la CRE.

Ce schéma doit se traduire dans un véhicule législatif, le communiqué de presse précité évoquant l'éventualité du dépôt d'une proposition de loi par les députés Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo.


* 41 Mais aussi aux hypothèses, non envisagées par l'État et le groupe EDF, d'une régie, d'un service d'intérêt économique général (SIEG) ou d'un établissement public industriel et commercial (EPIC).

* 42 Considérant que cette option n'exclut pas la mise en concurrence.

* 43 Estimant que cette option ne règle pas le différend européen.

* 44 Pour des raisons proches.

* 45 A minima jusqu'à son échéance le 31 décembre 2041.

* 46 À la maille de l'ensemble des concessions qu'ils exploitent, de manière à prohiber le rachat par l'exploitant des concessions les plus rentables ou les plus intéressantes.

* 47 Une procédure de mise en concurrence étant prévue en cas de refus des anciens concessionnaires d'exercer leur droit de priorité pour l'acquisition des ouvrages.

* 48 Englobant l'autorisation environnementale, mais non l'autorisation au titre de la loi sur l'eau.

* 49 Pour les installations hydrauliques supérieures à 100 MW.

* 50 Pour les installations hydrauliques inférieures à 100 MW.

* 51 Déterminé par des experts indépendants, cette soulte pourrait correspond au prix de vente des ouvrages aux exploitants historiques, diminué de leur éventuelle indemnisation au titre de la résiliation anticipée des concessions non échues.

* 52 Premier ministre, Communiqué de presse « Le Premier ministre salue le franchissement d'une étape importante pour la relance des investissements dans le secteur de l'hydroélectricité », 28 août 2025.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page