N° 2
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 1er octobre 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale (1)
sur
l'exécution des
peines,
Par Mmes Elsa SCHALCK, Laurence HARRIBEY et Dominique VÉRIEN,
Sénatrices
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
L'ESSENTIEL
L'exécution des peines s'est imposée depuis la fin des années 2000 comme un thème majeur du débat public. Alors que la part des citoyens qui estiment que la justice est « laxiste »1(*) atteint des niveaux préoccupants, la surpopulation carcérale est désormais hors de contrôle et atteste à l'inverse d'une sévérité croissante des lois pénales comme des juridictions chargées de les appliquer.
Ce paradoxe manifeste appelait une étude approfondie des règles applicables en matière d'exécution des peines ainsi que de leur mise en oeuvre concrète.
Afin d'évaluer la capacité de notre droit à remplir les fonctions traditionnelles de la peine, y compris la lutte contre la récidive et la réinsertion, la commission des lois a lancé une mission d'information transpartisane sur l'exécution des peines. À l'issue de leurs travaux, au cours desquels elles ont auditionné 75 personnes et conduit deux déplacements (dont un aux Pays-Bas), les trois rapporteures dressent un diagnostic alarmant : illisible, le droit de l'exécution des peines produit depuis plus de dix ans des effets inverses à l'intention du législateur au détriment des condamnés, des professionnels concernés et de la société dans son ensemble.
Pour ne pas réitérer les cinglants échecs du passé, la mission préconise un changement profond de philosophie. Ses propositions s'articulent autour de cinq axes directeurs : réaffirmer le sens de la peine auprès du condamné et de la société ; replacer la réinsertion au coeur de la peine ; juguler la surpopulation carcérale ; garantir l'exécution rapide et effective des sanctions pénales ; enfin, assurer un traitement adapté des mineurs condamnés.
I. REDONNER DU SENS À LA PEINE : VERS DES SANCTIONS EFFECTIVES ET ADAPTÉES
L'analyse de l'exécution des peines est obérée par des lacunes statistiques importantes, elles-mêmes liées à l'obsolescence ou à la complexité des applicatifs du ministère de la justice. Les rapporteures déplorent l'incapacité de l'administration à fournir des chiffres pourtant essentiels (en particulier l'ampleur des réductions de peine accordées aux détenus, les délais d'exécution des peines « alternatives » à l'incarcération à l'exception des travaux d'intérêt général ou encore les caractéristiques des peines réellement effectuées par les sortants de prison après 2020). Elles appellent le ministère à consentir les efforts requis pour que le législateur puisse enfin évaluer l'effet des lois en vigueur, condition impérative pour concevoir sereinement et sérieusement les réformes à venir.
A. GARANTIR UNE MEILLEURE ADÉQUATION ENTRE LES PEINES ENCOURUES, LES PEINES PRONONCÉES ET LEUR EXÉCUTION EFFECTIVE
L'érosion du sens de la peine que connaît aujourd'hui le système pénal français tient assez largement à l'incohérence qui s'est progressivement installée entre peine encourue, peine prononcée et peine exécutée. Aussi importe-t-il pour y remédier de renforcer la lisibilité et l'effectivité des sanctions pénales.
Les rapporteures ont observé une distorsion croissante entre le quantum des peines encourues et celui des peines effectivement prononcées, laquelle alimente, dans l'opinion publique, le sentiment d'une justice indulgente voire permissive. La mission recommande d'évaluer les causes des écarts entre les quantums encouru et prononcé pour rétablir la crédibilité de la sanction.
La quasi-unanimité des personnes entendues par les rapporteures a en outre vivement critiqué les récentes évolutions législatives en matière d'exécution des peines. Il en va spécialement ainsi du cadre de l'aménagement ab initio des peines d'emprisonnement. Celui-ci est désormais obligatoire pour peines d'emprisonnement inférieures à six mois et appliqué par principe pour les peines d'emprisonnement de six mois à un an. Cette réforme a eu l'effet pervers d'inciter les magistrats à alourdir les peines prononcées pour contourner les effets attachés à ces seuils. La mission recommande en conséquence de supprimer le caractère obligatoire des aménagements de peine ab initio et de le rendre possible, dès lors que le juge dispose d'éléments suffisants sur la personnalité et la situation du condamné, pour toutes les peines de moins de deux ans. Suivant la même logique, elle préconise d'écarter les exigences de motivation spéciale qui s'imposent au juge du fond lorsqu'il n'entend pas aménager la peine.
* 1 68 % selon le sondage (CSA - Sénat) sur le rapport des Français à la justice, septembre 2021.