B. REPLACER LA RÉINSERTION AU CoeUR DE LA PEINE

La peine, quelle que soit sa nature, ne saurait être pleinement efficace, et donc effectivement exécutée, que dans la mesure où elle satisfait aux fonctions qui lui sont assignées par le législateur. Celles-ci sont énoncées à l'article 130-1 du code pénal, lequel dispose qu'« afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions [...] de sanctionner l'auteur de l'infraction ; [...] de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. » Or, les rapporteures ont observé, au cours de leurs travaux, un certain nombre de dysfonctionnements structurels et matériels qui compromettent le respect de cette seconde fonction, essentielle à la portée de la peine, à savoir l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée.

1. Donner à l'incarcération une finalité constructive
a) Renforcer la présence et la formation des personnels pénitentiaires

La réinsertion des personnes confiées à l'administration pénitentiaire fait partie de ses missions depuis la loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire, dont le premier article disposait que : « Le service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. Il favorise la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire ».

La mission relève toutefois que la réinsertion demeure l'un des maillons les plus fragiles de l'exécution des peines, en raison d'une prise en charge en détention notoirement insuffisante. Qu'il s'agisse du suivi social, de l'accès à la formation professionnelle ou de l'accompagnement sanitaire, les moyens alloués restent en deçà des besoins constatés. Les SPIP, acteurs centraux de la réinsertion, souffrent d'un déficit structurel d'effectifs qui ne permet pas de garantir un suivi individualisé conforme aux standards européens. Le ratio de personnes suivies par conseiller excède largement les recommandations internationales, ce qui limite la capacité d'intervention en détention, en dépit de la hausse d'effectif considérable de leurs effectifs au cours de la dernière décennie.

La hausse des effectifs des SPIP au cours de la dernière décennie

Les effectifs des SPIP ont connu une hausse significative depuis une dizaine d'années. Cette augmentation a eu pour point de départ l'engagement pris, le 9 octobre 2013, par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault de créer 1 000 postes sur trois ans, qui s'est effectivement traduit par la création de ces postes dans la loi de finances pour 2014.

Dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2015, le sénateur Jean-René Lecerf prenait acte « de la promesse tenue du Gouvernement de renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) de milieu ouvert avec la création de 1 000 emplois en 2014 dont 650 postes de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation ». Il regrettait, toutefois, le caractère encore insuffisant de cette augmentation au regard de la charge de travail des SPIP. Cette hausse des moyens s'est inscrite dans un contexte marqué par un renforcement de l'ensemble des moyens du ministère de la justice, destiné notamment à lutter plus efficacement contre le terrorisme et la radicalisation.

La seconde augmentation significative des moyens humains des SPIP a été consécutive à la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (LPJ). Ambitionnant de redonner du sens à la peine, les concepteurs de la LPJ ont jugé indispensable de renforcer les moyens des SPIP afin de permettre un meilleur accompagnement des PPSMJ. À partir de 2020, l'accroissement des moyens est également venu conforter la démarche voulue par le Gouvernement de Jean Castex de construction d'une « justice de proximité ».

Ainsi, pris dans leur globalité, les effectifs des SPIP ont connu une augmentation de 21 % depuis 2018, passant de 5 576 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en 2018 à 6 736 en 2022. Comme le souligne la direction de l'administration pénitentiaire, si cette hausse a bénéficié à l'ensemble des corps affectés dans les SPIP, elle a principalement concerné le corps des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CLIP), qui est le plus nombreux, et les agents non titulaires. Le nombre de CPIP est ainsi passé de 3 102 ETP en 2018 à 3 702 en 2022. Celui des « non-titulaires social, médico-social et culture » a crû de 406 à 540 ETP sur la même période. L'accent mis sur le recrutement des CPIP est logique au regard de leur rôle central dans le fonctionnement des services.

Source : rapport d'information n° 353 (2022-2023)
fait par Marie Mercier et Laurence Harribey au nom de la commission des lois

Cette fragilité est accentuée par l'insuffisance de personnels spécialisés, tels que psychologues ou assistants de service social, dont la présence apparaît pourtant indispensable pour appréhender la complexité des situations rencontrées. Dans ce contexte, il apparaît nécessaire de renforcer significativement les moyens humains des SPIP, condition préalable à une meilleure effectivité des missions de réinsertion.

Proposition n° 8

Accroître les moyens humains des services pénitentiaires d'insertion et de probation, afin de réduire le nombre de personnes suivies par conseiller et d'assurer un accompagnement social et professionnel adapté.

Par ailleurs, la mission souligne que les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) intervenant en milieu fermé ne disposent pas d'une doctrine professionnelle adaptée aux réalités de la détention. Le référentiel actuel, inspiré du milieu ouvert, repose principalement sur des entretiens réguliers et prolongés, difficilement conciliables avec les contraintes de l'univers carcéral, marquées par des flux d'arrivants importants et des durées de peines très variables.

Faute de méthodologie spécifique, l'accompagnement proposé perd en pertinence et en efficacité, alors même que la population carcérale se caractérise par une forte précarité sociale : absence de qualification professionnelle pour plus de la moitié des détenus, pauvreté ou absence de ressources pour un quart d'entre eux, et, pour certains, absence de solution d'hébergement à l'entrée comme à la sortie de détention.

Cette situation appelle l'élaboration d'une doctrine professionnelle claire et adaptée pour les CPIP intervenant en milieu fermé, afin de garantir la cohérence et l'efficacité de leur action.

En milieu carcéral, les SPIP peuvent en outre s'appuyer sur le concours des associations d'accompagnement social. Les rapporteures constatent toutefois que l'implication du secteur associatif demeure très variable selon les territoires. Cette hétérogénéité, qui traduit parfois une reconnaissance institutionnelle insuffisante de leur rôle, fragilise un partenariat pourtant déterminant pour préparer efficacement la sortie de détention, notamment en matière d'accès au logement. Il apparaît dès lors nécessaire de renforcer et de faciliter l'intervention de ces structures au sein des établissements pénitentiaires.

Les pratiques étant disparates d'un territoire à l'autre, il est également indispensable que les modalités d'intervention des associations fassent l'objet de directives au niveau national, ce qui permettra tout à la fois d'inciter le SPIP à solliciter les acteurs associatifs et de rassurer, grâce à une définition claire des rôles respectifs de chacun, les services qui perçoivent l'intervention des associations comme une ingérence dans leurs missions.

Proposition n° 9

Unifier la doctrine d'intervention des associations d'accompagnement social en détention, afin de réduire les disparités territoriales constatées par la mission.

b) Garantir une prise en charge sanitaire digne et effective

La question des soins en détention constitue aujourd'hui l'un des points les plus préoccupants de l'exécution des peines. La prévalence des troubles psychiatriques et des addictions y atteint des niveaux particulièrement élevés, affectant une majorité de personnes détenues.

Pourtant, l'accès effectif aux soins demeure largement défaillant. Les unités sanitaires souffrent d'un sous-dimensionnement chronique, leurs effectifs étant calculés sur la capacité théorique des établissements et non sur leur population réelle. Elles ne disposent pas non plus de l'ensemble des compétences spécialisées nécessaires, ce qui contraint à recourir massivement à des consultations extérieures, souvent annulées faute de personnels disponibles pour assurer les escortes.

Ces dysfonctionnements entraînent des retards importants dans la prise en charge et se traduisent, pour de nombreux détenus, par une perte de chance en matière de santé, y compris pour des besoins médicaux élémentaires. Cette situation, qualifiée d'« indignité » par le garde des sceaux lui-même, fragilise non seulement les personnes concernées, mais aussi les personnels pénitentiaires et, plus largement, la société.

Dès lors, il apparaît indispensable de repenser en profondeur l'organisation de la prise en charge sanitaire en détention, afin de mieux adapter les moyens aux besoins réels et d'assurer une réponse effective aux pathologies somatiques, psychiatriques et addictives.

Proposition n° 10

Assurer un accès effectif à la santé en détention en :

développant les partenariats avec les hôpitaux pour des interventions, dans la mesure du possible, au sein des établissements pénitentiaires pour la médecine spécialisée ;

- fixant les effectifs des unités sanitaires non pas selon le nombre théorique de places, mais selon la moyenne d'occupation des cinq dernières années ;

- garantissant la prise en charge de la santé mentale et des troubles addictifs, avec la présence permanente de professionnels dédiés auprès des détenus et de l'administration pénitentiaire.

2. Donner un véritable contenu aux peines alternatives

Les peines alternatives à l'incarcération constituent un instrument utile de réinsertion et de lutte contre la récidive. Pour les condamnés bien insérés et n'ayant pas commis d'infractions graves ou réitérées, elles favorisent le maintien des repères familiaux, sociaux et professionnels, tout en imposant un cadre d'obligations qui participe à leur responsabilisation.

Encore faut-il que ces mesures soient véritablement individualisées, dotées d'un contenu effectif et accompagnées d'un contrôle rigoureux. À défaut, elles perdent non seulement en efficacité mais aussi en crédibilité, fragilisant l'adhésion des justiciables comme de la société à la sanction pénale.

Les rapporteures ont rappelé, en première partie du présent rapport, que les aménagements ab initio destinés à éviter l'incarcération pour les courtes peines reposent aujourd'hui de manière quasi-exclusive sur la détention à domicile sous surveillance électronique.

Or, le recours massif au bracelet électronique, devenu une réponse par défaut, s'est accompagné d'un appauvrissement de son contenu et d'un suivi moins qualitatif, réduisant sensiblement son efficacité en matière de prévention de la récidive. Cette tendance illustre plus largement les limites des aménagements de peine génériques, dont l'expansion n'a pas été soutenue par les moyens humains nécessaires pour en assurer la pertinence et la valeur « réinsérante ».

Partant de ce constat, les rapporteures appellent à une plus grande prudence dans le recours à la DDSE, afin d'en renforcer le caractère individualisé et d'assurer un suivi plus exigeant des personnes placées sous ce régime. Elles estiment qu'il pourrait même être envisagé de réserver à terme le prononcé de cette mesure au juge de l'application des peines, en cessant de l'utiliser comme aménagement ab initio, afin d'éviter tout usage de la DDSE comme solution « de facilité », sans gain ni pour le condamné ni pour la société.

Proposition n° 11

Redonner une véritable consistance à la détention à domicile sous surveillance électronique et, à défaut, ne plus la privilégier comme aménagement ab initio.

Au-delà de la difficulté à adapter la peine au profil du condamné, se pose également la question de l'effectivité de son exécution. Le suivi et le contrôle des peines alternatives demeurent insuffisants alors même que leur crédibilité dépend de la certitude que les obligations imposées sont effectivement respectées et que tout manquement entraîne une réaction judiciaire rapide et proportionnée. Dans la pratique, les SPIP, confrontés à une charge particulièrement lourde, ne peuvent assurer une surveillance systématique, ce qui conduit à des détections tardives et inégales selon les territoires. Pour la surveillance électronique notamment, les incidents liés au non-respect des horaires sont souvent traités après plusieurs répétitions, amoindrissant l'effet dissuasif de la mesure. Les rapporteures appellent en ce sens à renforcer le suivi et le contrôle des peines alternatives à l'incarcération221(*).


* 221 Voir infra, proposition n° 30.

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