E. GARANTIR ENFIN UN TRAITEMENT ADAPTÉ DES CONDAMNÉS MINEURS

Outre la proposition de la mission sur le rétablissement des très courtes peines, qui concerne en particulier les condamnés mineurs235(*), la mission estime nécessaire, autant qu'urgent, de repenser les outils spécifiques aux jeunes délinquants afin qu'ils puissent jouer pleinement leur rôle de relèvement moral et de lutte contre la récidive.

1. Construire pour les mineurs condamnés un parcours éducatif et responsabilisant

Les centres éducatifs fermés (CEF) sont au coeur du dispositif de prise en charge des mineurs délinquants. Mais leur généralisation progressive et le placement en leur sein de jeunes dont le profil ne correspond pas à la vocation première de ces centres, théoriquement réservés aux délinquants mineurs « durs », suscitent de vives réserves : loin de constituer une réponse de dernier recours, ils tendent désormais à s'imposer comme solution par défaut, au détriment d'alternatives pourtant plus adaptées à certains profils. Cette situation interroge autant les critères de placement que l'efficacité réelle des CEF, et appelle à un examen lucide de leur fonctionnement comme de leur apport en matière de réinsertion.

L'augmentation spectaculaire du nombre de journées de placement en CEF au cours des deux dernières décennies contraste avec l'effondrement parallèle de l'hébergement diversifié, pourtant mieux à même de répondre à certains besoins spécifiques. Les représentants des syndicats de la PJJ auditionnés par les rapporteures ont ainsi suggéré de « diversifier et augmenter la capacité de prise en charge en placement pénal de différentes sortes (hébergement diversifié, internats, séjours de rupture habilités pénal, foyers, CER, CEF, etc.), afin de trouver plus facilement des alternatives à l'incarcération ».

Cette évolution traduit un déséquilibre croissant dans la palette des réponses éducatives offertes aux magistrats. Ce constat est, d'ailleurs, de longue date au coeur des travaux de la commission des lois sur les mineurs en milieu fermé.

Développer les alternatives au milieu fermé

[Un] levier négligé est celui des alternatives au milieu fermé. Témoigne, entre autres, de cette négligence la faiblesse du recours à la justice restaurative (qui est à la fois une alternative au milieu fermé, mais aussi un « module » ouvert en parallèle d'un placement en CEF ou en CER) : alors que 27 M€ avaient été prévus par le projet de loi de finances pour 2021, seuls 13 M€ sont aujourd'hui affectés à la justice restaurative.

Insuffisamment utilisée par les magistrats, elle est au demeurant peu accessible dans la mesure où elle n'a pas été déployée sur l'ensemble du territoire. Alors que la réparation était au coeur des ambitions du CJPM, il semble que celui-ci a au contraire incité à privilégier le placement en milieu fermé (notamment parce que, désormais moins longs, les placements semblent considérés comme « moins graves » par les magistrats) et n'est pas parvenu à stimuler le recours à des formes pourtant innovantes de réponse pénale.

La rapporteure appelle le Gouvernement à prendre toute la mesure de cette situation et à suivre les judicieuses recommandations de la Cour des comptes en reconnaissant l'impérieuse nécessité, « avant de lancer de nouveaux projets de CEF au-delà de ceux déjà engagés, d'établir les besoins à satisfaire, en se fondant sur une évaluation de l'offre existante et la réalisation de schémas régionaux tenant compte des autres dispositifs de placement de la PJJ et intégrant les conséquences de la réforme de la justice pénale des mineurs ».

Elle ajoute que cette réflexion devra tenir compte de la nécessité d'inscrire les CEF dans une « palette » de réponses possibles et s'éloigner de la logique actuelle qui tend à faire des CEF une solution « par défaut », loin de leur philosophie initiale qui en faisait un dernier recours.

Source : avis n°134 (2023-2024) présenté par Laurence Harribey
au nom de la commission des lois

Les rapporteures estiment nécessaire de rééquilibrer les modalités de placement des mineurs en développant des alternatives aux centres éducatifs fermés. Un tel élargissement de l'offre permettrait d'adapter plus finement la réponse éducative au profil et aux besoins du jeune, d'éviter que le placement en CEF ne devienne une solution par défaut et de préserver la diversité des prises en charge. Il s'agit, en somme, de garantir que le choix du dispositif de placement soit guidé par des considérations éducatives et de réinsertion, plutôt que par la seule disponibilité des structures.

Réciproquement, et comme le rappelle la commission des lois à l'occasion de chacun de ses avis budgétaires sur les crédits alloués à la PJJ, il convient que les CEF, devenus une solution de placement « par défaut », soient recentrés sur leur objectif de prise en charge des mineurs multi-réitérants. Dans le cas contraire, il est à craindre qu'ils deviennent, pour les profils les plus fragiles, une école de la délinquance plutôt qu'un levier de prévention de la récidive.

Proposition n° 18

Développer les possibilités de placement hors centre éducatif fermé (CEF) et recentrer ces derniers sur le placement des mineurs ancrés dans la délinquance.

Au-delà des interrogations relatives aux critères de placement, c'est le fonctionnement même des centres éducatifs fermés qui appelle aujourd'hui une appréciation lucide. Or, près de vingt ans après leur création, aucun bilan global et consolidé n'a été mené, laissant subsister une zone d'ombre sur leur efficacité réelle. Les constats récemment établis par la mission thématique conduite par le ministère de la justice sont pourtant préoccupants : contenus éducatifs disparates et souvent réduits à quelques heures de scolarisation par semaine, pilotage national et territorial insuffisant, contrôles trop rares alors même que les incidents graves ne sont pas exceptionnels, et durée de placement généralement inférieure au seuil de six mois pourtant jugé indispensable pour assurer un véritable temps éducatif.

Ces fragilités, déjà soulignées à plusieurs reprises par la commission des lois, mettent en évidence un décalage croissant entre l'ambition assignée aux CEF et la réalité de leur mise en oeuvre. Les rapporteures considèrent ainsi qu'une évaluation globale s'impose : elle seule permettra d'apprécier leur apport réel en matière de prévention de la récidive et de définir, sur des bases objectives, les critères de placement pertinents pour chacun de ces centres.

Ce diagnostic conduit les rapporteures à considérer que le programme de construction de 22 nouveaux centres doit, quant à lui, être mis en pause et faire l'objet d'une réévaluation. Réclamée par la Cour des comptes depuis 2023, sans que le ministère ait pris la peine depuis lors de justifier ses choix, cette évaluation devra permettre, d'une part, de déterminer avec précision la nature et le volume des solutions existantes de placement dans chaque direction interrégionale et, d'autre part, d'établir une cartographie précise des besoins, par nature de structure, pour l'ensemble du territoire : ce n'est que sur cette base qu'un programme immobilier sérieux pourra être conçu, puis mis en oeuvre.

À ces constats s'ajoute une interrogation persistante sur l'efficacité des centres éducatifs fermés en matière de prévention de la récidive. Malgré les demandes réitérées du Parlement, aucune réponse claire n'a jusqu'à présent été apportée par le ministère de la justice. Comme mentionné précédemment dans le rapport, la mission thématique sur les CEF conduite en 2025 par l'Inspection générale de la justice a toutefois révélé l'existence d'une étude ancienne de la PJJ, restée confidentielle, qui apporte un éclairage partiel mais essentiel : le placement en CEF ne produit d'effet bénéfique certain que s'il dure au moins six mois. Les séjours inférieurs à quatre mois, loin d'aider à la réinsertion, tendent au contraire à accroître le risque de réitération.

Ce constat rejoint celui, déjà formulé, d'une durée effective de placement très inférieure aux objectifs et souvent limitée à quelques mois. En pratique, les CEF se révèlent ainsi inefficaces dans la grande majorité des cas et peuvent même, par leur brièveté, aggraver le risque de récidive. Les rapporteures souhaitent dès lors garantir des durées de placement suffisamment longues pour que ces structures puissent remplir leur mission, et explorer les voies permettant d'élargir leur usage, que ce soit en fin de peine (par exemple, pour créer un dispositif de semi-liberté dédié aux mineurs, étant rappelé que ces derniers ne peuvent pas en bénéficier à ce jour) ou comme mode d'exécution d'une sanction pénale d'au moins six mois, avec dans cette hypothèse un enjeu essentiel de continuité du placement par-delà la « césure » du procès.

Proposition n° 19

Garantir une durée de placement en CEF de six mois au moins, en élargissant le recours à ces centres en fin de peine de prison, voire en envisageant une extension de leur utilisation en tant que sanction ou comme équivalent de semi-liberté.

En outre, la prise en charge éducative et psychologique des mineurs incarcérés demeure très en-deçà des besoins. Les jeunes concernés présentent pourtant, de manière statistiquement avérée, davantage de fragilités que leurs pairs : parcours scolaires lacunaires, difficultés familiales, addictions, troubles de santé. Or, les dispositifs de soutien psychologique sont trop souvent absents ou irréguliers, alors même que l'accompagnement thérapeutique est une condition indispensable de toute démarche éducative.

À ces carences s'ajoutent les limites du dispositif scolaire. Dans les quartiers mineurs comme dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, le volume d'enseignement dispensé reste inférieur aux prescriptions réglementaires, déjà modiques, les heures effectives étant fréquemment divisées par deux.

Ces insuffisances apparaissent également dans les CEF, qui devraient pourtant constituer des structures de réinsertion privilégiées. Le quota de 15 heures hebdomadaires d'enseignement fixé par les textes y est rarement atteint, les jeunes bénéficiant au mieux de cinq à dix heures de cours, le plus souvent dans la fourchette basse. Cette situation compromet directement l'objectif de rescolarisation et d'acquisition de compétences, pourtant au coeur du projet des CEF.

La mission considère que la réhabilitation des mineurs délinquants est une impérieuse nécessité et doit être érigée au rang de priorité, ce qui implique un effort déterminé en matière de santé et d'éducation. Elles appellent dès lors le Gouvernement à garantir, grâce à des moyens suffisants, la présence permanente d'un psychologue dans chaque structure accueillant des mineurs et à veiller, en parallèle, au respect des obligations minimales d'enseignement. Ces deux évolutions sont une condition sine qua non de l'efficacité de ces établissements et doivent être mises en oeuvre sans délai.

2. Rééquilibrer les moyens entre les structures de milieu fermé

La situation des mineurs détenus, si elle appelle pour partie des recommandations analogues à celles formulées pour les majeurs, soulève également des enjeux spécifiques.

De même que pour les détenus majeurs, il convient tout d'abord de faciliter l'exercice de son office par le juge des enfants - qui assure, pour mémoire, à la fois les fonctions dévolues au juge du fond et au JAP - en matière d'exécution des peines. Celui-ci doit ainsi se voir doté d'outils garantissant sa parfaite information sur les places disponibles dans les différentes structures de milieu fermé, mais aussi ouvert (centres éducatifs renforcés, foyers éducatifs...) ainsi que sur la nature des suivis proposés dans les différents établissements, quartiers ou centres dans lesquels le mineur est susceptible d'être affecté.

Si les mesures proposées par la mission étaient traduites dans la loi, les mineurs se trouveraient par ailleurs soumis au même régime que les majeurs en matière de probation236(*) et de réductions de peine. Ils en tireraient les mêmes avantages que les adultes, pour peu que le contenu des peines alternatives au milieu fermé soit enrichi pour faire face à leurs besoins spécifiques en s'inspirant des « modules » déjà prévus par le code de la justice pénale des mineurs.

À ces recommandations de portée générale doivent, toutefois, s'ajouter des mesures particulières. En pleine cohérence avec les constats qu'elles ont formulés, les rapporteures proposent ainsi plusieurs mesures visant à améliorer la situation des mineurs incarcérés.

Elles appellent ainsi à un rééquilibrage global entre les QM et les EPM, dont le fonctionnement est aujourd'hui trop disparate au regard de la similarité des profils des mineurs détenus au sein de ces deux types de structures.

Ce rééquilibrage suppose d'abord que soit enfin assurée une complète étanchéité entre les mineurs placés en QM et les majeurs affectés dans les autres quartiers de l'établissement, conformément aux engagements conventionnels de la France. Le ministère de la justice doit, sans délai, définir la nature et le coût des travaux requis pour atteindre cet objectif, afin que les opérations immobilières correspondantes puissent être engagées par ordre de priorité et rapidement menées à terme.

Il implique, ensuite, qu'une évaluation globale des QM et des EPM soit menée par une entité indépendante. Les divergences constatées entre les quartiers d'une part et les établissements de l'autre, immenses, ne sauraient perdurer indéfiniment et sans justification valable. S'il semble qu'il ait été décidé de mettre fin à la mise en service de nouveaux EPM en raison de leur coût élevé de fonctionnement237(*), encore faut-il que cette décision soit justifiée par un bilan exhaustif des avantages et des inconvénients de ces établissements, bilan dont il appartiendra au Parlement de tirer les conséquences lors de la prochaine loi de programmation et d'orientation pour la justice.

Proposition n° 20

Opérer un rééquilibrage entre quartiers « mineurs » et établissements pour mineurs, fondé sur une évaluation précise de leur fonctionnement actuel.

En complément de ce rééquilibrage, les rapporteures rappellent que l'enjeu de la fin de peine doit faire, pour les mineurs, l'objet d'une vigilance particulière.

Comme on l'a vu, l'application aux mineurs de la LSC-D a eu des conséquences dévastatrices, unanimement dénoncées par les professionnels du secteur. La suppression de cette mesure, préconisée à titre général par la mission, doit conduire à repenser la gestion de la fin de peine pour les mineurs délinquants. Il importe ainsi d'utiliser les CEF en fin de peine, pour une durée minimale de six mois, comme les rapporteures le recommandent par ailleurs (voir supra).

Cette recommandation n'étant valable que pour les peines relativement longues, d'autres solutions doivent être trouvées pour les mineurs condamnés à des peines plus courtes. Considérant que les mineurs constituent « une population prioritaire dans la lutte contre la récidive », les rapporteures estiment, à l'instar de la CNPTJ, qu'ils doivent bénéficier d'« aménagements de peines de nature différente » : elles préconisent ainsi l'extension, pour les mineurs, des aménagements de fin de peine « sous forme de Tig, de stages et d'autres mesures de nature plus éducative passé le temps de l'incarcération ».


* 235 Voir supra, proposition n° 4.

* 236 La peine de probation serait en effet applicable aux mineurs ; des adaptations seraient vraisemblablement à prévoir s'agissant des modalités de révocation de la mesure, l'incarcération immédiate soulevant de réelles difficultés juridiques au vu des principes dégagés par le Conseil constitutionnel en matière de droit pénal des mineurs.

* 237 Certaines des personnes auditionnées par la mission d'information ont par ailleurs, à l'instar de Maurice Berger, critiqué le fonctionnement actuel des EPM : certains d'entre eux seraient ainsi marqués par un faible investissement des éducateurs, par une circulation aisée de produits stupéfiants et par l'absence de rupture des mineurs condamnés avec leur environnement délinquanciel, des jeunes retrouvant parfois leurs connaissances au sein des établissements.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page