II. RÉFORMER SANS SURSEOIR : CINQ AXES POUR UNE MEILLEURE EXÉCUTION DES PEINES

Les travaux menés par la mission ont mis au jour les multiples défaillances qui affectent l'exécution des peines, suscitant l'incompréhension des praticiens, des condamnés et des citoyens dans leur ensemble.

Les rapporteures estiment nécessaire d'engager, sans délai, une réforme ambitieuse procédant d'un véritable changement de philosophie et rapprochant, autant que faire se peut, la condamnation de la peine exécutée. Loin des injonctions paradoxales auxquelles le législateur - avec, certes, une relative opacité quant à l'effet prévisionnel de ses choix - a accepté par le passé de soumettre les acteurs de la peine, et en rupture avec des textes trop contraignants qui n'ont en pratique produit que des conséquences inverses à leur objectif, elles plaident pour redonner à chaque acteur la capacité d'agir en conscience, dans l'entier périmètre de ses responsabilités et en disposant d'un nombre suffisant de leviers de souplesse, mais aussi d'une véritable visibilité sur le déroulé de la peine.

Elles plaident pour traduire ce nouveau paradigme en cinq axes :

redonner du sens à la peine, non seulement en rétablissant la possibilité pour le juge du fond de prononcer de très courtes peines de prison ferme à l'encontre des profils pour lesquels une telle sanction paraît adéquate, mais aussi en promouvant une individualisation effective des peines ;

replacer la réinsertion au coeur de la peine, ce qui passera en particulier par une revalorisation des peines alternatives à la détention ;

juguler la surpopulation carcérale en bâtissant, enfin, une alternative crédible à la détention, en augmentant les capacités opérationnelles de nos prisons, mais aussi facilitant le prononcé de peines plus courtes en évitant l'actuelle « escalade » vers les longues peines ;

favoriser une exécution plus rapide des peines et permettre un véritable contrôle de cette exécution, y compris en permettant à l'autorité judiciaire de s'appuyer sur une véritable police de la probation ;

- garantir enfin un traitement adapté des condamnés mineurs en faisant de la sanction un levier efficace de lutte contre la récidive.

A. REDONNER DU SENS À LA PEINE : VERS DES SANCTIONS EFFECTIVES ET ADAPTÉES

La peine constitue le coeur de la réponse pénale. Elle incarne, à la fois, la réprobation sociale attachée à la violation de la loi et la volonté de l'État de prévenir la réitération des comportements délictueux. Or, les constats dressés dans la première partie de ce rapport ont mis en évidence une érosion progressive du sens de la peine, perceptible tant pour la société dans son ensemble que pour les justiciables eux-mêmes. L'écart croissant entre les peines théoriques encourues et celles effectivement prononcées, l'absence de lisibilité de certaines sanctions et les difficultés persistantes à assurer un accompagnement propice à la réinsertion contribuent à fragiliser la crédibilité de la justice pénale et à alimenter un sentiment d'ineffectivité de la sanction.

Dans ce contexte, la mission considère indispensable de redonner toute sa portée à la peine, afin qu'elle remplisse pleinement les fonctions qui lui ont été assignées par le législateur : sanctionner l'acte commis, protéger la société, prévenir la récidive et favoriser la réinsertion de la personne condamnée. Il s'agit, autrement dit, de rétablir l'équilibre entre la dimension symbolique et la dimension opérationnelle de la peine, en veillant à ce qu'elle soit à la fois compréhensible, proportionnée et exécutable dans des conditions garantissant son efficacité.

Aux yeux des rapporteures, cet impératif doit connaître une double traduction dans notre droit : en premier lieu, il s'agit d'assurer une cohérence entre la peine encourue, prononcée et exécutée, donc de renforcer l'effectivité et la lisibilité des sanctions pénales ; il est nécessaire, en second lieu, de garantir enfin l'adéquation entre l'auteur, la gravité de l'infraction et la peine, en promouvant une individualisation renforcée de la peine.

1. Garantir une meilleure adéquation entre les peines encourues, les peines prononcées et leur exécution effective
a) Rétablir la signification de la sanction prononcée

Les travaux menés par la mission ont conduit à mettre en évidence la multiplicité des dispositifs d'aménagement de peine offerts aux personnes condamnées. Cette pluralité de mécanismes, qui reflète la volonté du législateur de favoriser l'exécution des peines en milieu ouvert, soulève toutefois des interrogations quant à la lisibilité et à la cohérence du système pénal. Il convient à cet égard de rappeler qu'avant même toute incarcération effective, plus de 40 %198(*) des peines privatives de liberté prononcées sont soit aménagées, soit converties, traduisant une pratique largement répandue d'adaptation de la sanction.

Les aménagements et réductions de peine participent de l'individualisation de la sanction, et ne devraient pas être assimilés à une logique de clémence systématique. Les rapporteures observent toutefois que le principe, désormais inscrit dans la loi, du caractère obligatoire de l'aménagement de la peine ab initio a profondément modifié la philosophie de la sanction. En pratique, l'octroi d'un tel aménagement est devenu un droit pour le condamné, qui n'a plus à démontrer le moindre effort en matière de réinsertion, ni à manifester une prise de conscience quant au préjudice causé à la victime ou au risque de récidive, à travers une réflexion sur son passage à l'acte. Cette évolution suscite des critiques, notamment de la part de l'Union syndicale de la magistrature (USM), qui relève que « cette automaticité fait perdre l'individualisation nécessaire dans le suivi des personnes condamnées et le sens donné aux peines ». Les rapporteures partagent pleinement ce constat et estiment que la peine, en perdant sa dimension d'adaptation au profil et au parcours de l'auteur, tend à devenir une mécanique procédurale, au détriment de sa vocation à protéger la société et à favoriser une réintégration durable.

Parallèlement, les rapporteures ont été convaincues au cours de leurs travaux que les modifications fréquentes et parfois contradictoires apportées par le législateur au cadre juridique de l'exécution des peines ont altéré la lisibilité de ces dernières.

Cette perte de sens se trouve favorisée, voire accentuée, par le fait que les juridictions de jugement et les juges de l'application des peines sont fortement incités par le droit et par les contraintes matérielles qui s'imposent à eux à privilégier certaines modalités d'aménagement ou certaines mesures, qui sont généralement les moins individualisées.

Le législateur doit, dès lors, s'attacher à résorber le décalage significatif entre la peine telle qu'elle est prononcée par la juridiction de jugement et celle qui est effectivement exécutée par le condamné. Ce décalage alimente, en effet, un questionnement récurrent sur l'efficacité réelle de la sanction et sur sa capacité à remplir les différentes fonctions qui lui sont assignées, qu'il s'agisse de punir l'auteur, de protéger la société ou de prévenir la récidive. À cet égard, le syndicat Unité Magistrats FO rappelait opportunément que « la question du sens de la peine se pose lorsque celle-ci change de nature à plusieurs reprises, rendu possible par la législation actuelle autorisant divers aménagements successifs, ou encore lorsqu'un quantum d'emprisonnement est prononcé mais que le condamné est libéré bien avant le terme initialement fixé, situation parfois incompréhensible, voire illisible, pour nombre de nos concitoyens ».

Ce constat met en évidence la nécessité de repenser le paradigme même de la peine, en particulier des peines d'emprisonnement ferme. Cette réforme devrait viser à réduire l'écart existant entre la sanction prononcée par la juridiction et celle qui est effectivement exécutée par la personne condamnée, afin de renforcer la crédibilité de la décision judiciaire et de garantir une meilleure intelligibilité de la réponse pénale.

Les rapporteures partagent entièrement l'analyse dressée dans le rapport adopté par la commission des lois199(*) sur la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme, qui insiste sur « la nécessité, d'une part, de redonner des marges de manoeuvre aux magistrats et, d'autre part, de mettre fin à la confusion des rôles entre la juridiction de jugement (donc le tribunal correctionnel) et le juge de l'application des peines, facteur d'illisibilité pour les condamnés et de moindre efficacité pour la réponse pénale ».

La mission d'information recommande donc de restaurer la cohérence des différents dispositifs d'aménagement des peines, tant pour rétablir la liberté d'appréciation du juge, que pour remédier aux effets pervers que les seuils actuels induisent.

L'essentiel des représentants de magistrats auditionnés par les rapporteures partage cette appréciation. L'USM, l'ANJAP, Unité magistrats exprimèrent chacun explicitement leur souhait que le caractère obligatoire des aménagements de peine ab initio soit levé.

La CNPP, qui rejoint cette considération générale, appelle toutefois le législateur à la mesure, en estimant que « si l'aménagement de principe de toutes les peines inférieures à un an est discutable, l'inverse le serait tout autant ».

Les rapporteures partagent ces analyses et estiment que les nombreuses et fastidieuses obligations de motivation spéciale auxquelles doivent se soumettre les juges du fond pour voir la peine appliquée telle qu'ils l'ont prononcée nuisent gravement à la lisibilité et à la crédibilité des sanctions pénales. Elles estiment, par voie de conséquence, nécessaire de supprimer la motivation spéciale qui s'impose aujourd'hui au juge du fond pour écarter l'aménagement de la peine200(*).

Proposition n° 1

Rapprocher le prononcé des peines de leur exécution effective en limitant les exigences de motivation spéciale qui s'imposent au juge correctionnel.

L'illisibilité du droit de l'exécution des peines tient également à ses trop fréquentes évolutions. Les rapporteures ont exposé les évolutions qui ont conduit, à deux reprises, à une modification du quantum d'aménagement ab initio des peines201(*) - par les lois n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire et n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Comme on s'en souvient, le législateur a établi en 2019 différents seuils contraignants pour le juge, lesquels limitent par définition la liberté d'appréciation de ce dernier et en conséquence les modalités d'individualisation des peines ; l'aménagement ab initio étant désormais obligatoire pour les peines d'emprisonnement inférieures à six mois et appliqué en principe pour celles de six mois à un an.

Or, il apparaît que cette réduction de la liberté d'appréciation du juge a eu pour effet pervers l'augmentation des peines prononcées par ce dernier, dans une stricte logique de contournement d'un seuil contraignant.

Le constat établi ci-dessus est implacable202(*) : le nombre de peines de six mois à un an prononcées a significativement augmenté entre 2019 et 2024 (de 27 786 à 41 947), tandis que celui des peines de moins de six mois diminuait sur la même période de plus de 20 % (de 86 564 en 2019 à 67 702 en 2024).

Plus, les contraintes établies au prononcé d'une incarcération de six mois à un an, qui exige désormais une motivation spéciale, ont vraisemblablement provoqué la hausse des condamnations d'un à deux ans ; le nombre des détenus incarcérés pour une telle peine, qui s'élevait à 10 640 en 2020, atteignit 14 000 au 1er janvier 2025.

Les rapporteures jugent ainsi crucial de rétablir la cohérence des dispositifs d'aménagement des peines, en revenant sur les dispositions issues de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice en la matière. Ces dernières ont en effet abouti au résultat inverse à celui escompté par le législateur ; l'aménagement comme l'individualisation des peines n'en ont pas été améliorés, la lisibilité de la sanction en a été gravement altérée et la surpopulation carcérale s'est accentuée.

La mission préconise donc, en complément de la suppression déjà évoquée des dispositions imposant une motivation spéciale pour l'exécution des peines de prison ferme, de rétablir la faculté du juge d'aménager ab initio les peines d'une durée inférieure ou égale à deux ans.

Les rapporteures estiment, par ailleurs, qu'un aménagement ab initio ne devrait être décidé par le tribunal correctionnel que s'il dispose d'une enquête sociale suffisamment étayée ; en d'autres termes, la peine ne doit être aménagée que sur le fondement d'éléments permettant d'apprécier avec précision la situation personnelle, familiale et sociale du condamné. Dans tous les autres cas, il doit appartenir au JAP de se prononcer dans un second temps (donc après une courte période d'incarcération) sur l'opportunité comme sur la faisabilité d'un aménagement de la peine.

Ces révisions législatives, soutenues par le Sénat lors de l'examen de la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme, permettraient d'après les rapporteures de restaurer ensemble la cohérence des dispositifs d'aménagement des peines, la liberté d'appréciation des juges et les modalités d'individualisation des peines. Elles contribueraient donc, de manière éminente, à redonner son sens à la peine, désormais clairement établie dès son prononcé. Elles évacueraient en outre les effets pervers engendrés par des contraintes législatives que les juridictions de jugement contournent actuellement au détriment tant de l'individualisation des peines que de la régulation de la population carcérale.

Proposition n° 2

Supprimer le caractère obligatoire des aménagements de peine ab initio et les rendre possibles pour le juge du fond, sur la base d'une enquête sociale étayée, pour toutes les peines d'une durée inférieure ou égale à deux ans.

b) Réajuster le quantum des peines prononcées au regard du quantum encouru

Les auditions menées par la mission ont par ailleurs révélé une distorsion croissante entre le quantum des peines encourues et celui des peines effectivement prononcées. Comme précisé en première partie du rapport, la loi prévoit des maxima toujours plus élevés, tandis que les juridictions correctionnelles n'appliquent en moyenne que 7 % du quantum théorique.

Les durées de peine d'emprisonnement ferme sont, à cet égard, globalement faibles par rapport aux peines encourues. Si, par exemple, la participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement est théoriquement « punie de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende »203(*), en pratique, plus de 50 % des personnes condamnées le sont à moins de 540 jours de prison ferme et seules 10 % d'entre elles le sont à une durée de trois ans ou plus d'après les chiffres communiqués à la mission d'information. La distorsion est encore plus marquante s'agissant de la détention non autorisée de stupéfiants, que le code pénal punit de dix ans d'emprisonnement204(*) : 90 % des personnes condamnées le sont, en pratique, à moins de deux ans d'incarcération.

Cette situation produit deux difficultés. Premièrement, et comme l'a rappelé le professeur Anne Ponseille lors de son audition par les rapporteures, « l'écart important entre le maximum encouru et le quantum qui est prononcé par le juge [peut] avoir une incidence négative sur le taux de récidive. »

Cette situation nourrit en outre dans l'opinion publique le sentiment d'une justice laxiste, alors même que les peines prononcées sont très largement exécutées. Il paraît donc essentiel que puissent être identifiés les cas dans lesquels l'écart entre peines encourues et peines prononcées est important, et analysées les causes de cet écart. Un tel écart est susceptible, par exemple, de procéder d'une insuffisante application ou d'une mauvaise rédaction des lois pénales en vigueur, notamment pour celles d'entre elles qui sont marquées par un nombre important de conditions légales restrictives ou de circonstances aggravantes.

Proposition n° 3

Évaluer les causes d'écart entre le quantum encouru et le quantum prononcé, afin de renforcer la crédibilité de la sanction.

2. Réintroduire les très courtes peines, leviers d'efficacité de la réponse pénale

Comme les rapporteures l'ont relevé ci-avant, la politique pénale française se caractérise par un allongement continu de la durée des incarcérations - pour mémoire, 11,3 mois en moyenne, contre 4,6 en Allemagne - sans que cette sévérité accrue ne contribue à résorber la surpopulation carcérale ou à lutter contre la récidive. Ce paradoxe fragilise la lisibilité et l'efficacité de la réponse pénale.

Dans ce contexte, la réintroduction de très courtes peines apparaît comme un levier permettant de rétablir la cohérence du système en apportant une réponse pénale plus rapide et adaptée, notamment face à la récidive. Cette réforme suppose naturellement que les aménagements de peine ab initio aient été rendus facultatifs pour le juge du fond, conformément à la proposition n° 2.

La question des très courtes peines d'emprisonnement, c'est-à-dire en l'espèce des peines inférieures à un mois de détention (interdites par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice), soulève des enjeux spécifiques tant pour l'efficacité de la réponse pénale que pour le fonctionnement du service public pénitentiaire.

Depuis quelques années exclues de l'arsenal des sanctions privatives de liberté en raison de leur supposée inefficacité, ces peines connaissent aujourd'hui un regain d'intérêt dans le débat public. Elles apparaissent en effet comme un outil susceptible de concilier deux objectifs a priori contradictoires : assurer une réponse rapide, visible et proportionnée face à certains comportements délictueux, tout en évitant l'encombrement durable des établissements pénitentiaires. Leur pertinence doit ainsi être appréciée au regard de leur faisabilité pratique, des conditions de leur exécution et des garanties qu'elles offrent en matière de prévention de la récidive.

Bien que de nombreux magistrats, qu'ils soient praticiens ou théoriciens du droit, revendiquent la possibilité de recourir à une gamme de sanctions la plus étendue possible afin de garantir une meilleure individualisation des peines, la question des « très courtes peines » continue de susciter des débats en France. Le rapport de la mission d'urgence sur l'exécution des peines205(*) relevait ainsi « une absence de consensus en dépit de l'ancienneté du débat ».

Il est en effet avéré que les peines de courte durée - en l'espèce, comprises entre un et six mois - présentent un caractère désocialisant et se révèlent inefficaces en matière de prévention de la récidive et de réinsertion. La conférence nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (CNDPIP) a ainsi attiré la vigilance des rapporteures sur les risques que présente une incarcération de courte durée : « ces petits quantums de peine d'emprisonnement sont particulièrement néfastes en termes d'insertion : deux mois, c'est assurément perdre son emploi et son hébergement, c'est risquer une phase suicidaire au quartier arrivant, c'est risquer la rupture des liens familiaux et des droits sociaux, alors que la peine pourrait être effectuée en milieu libre ».

Conformément à l'article 707 du code de procédure pénale, « le régime d'exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d'agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d'éviter la commission de nouvelles infractions ». Or, les courtes peines ne permettent pas aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) d'assurer un accompagnement efficace. C'est pourtant ce travail sur le passage à l'acte, les comportements délictueux et la réinsertion sociale et professionnelle qui confère sa pleine utilité à la peine d'emprisonnement.

Ce constat a de quoi inquiéter, étant rappelé que plus de 20 % des condamnés écroués sont aujourd'hui en détention en raison d'une peine comprise entre un et six mois206(*).

Les travaux scientifiques consacrés aux « très courtes peines », entendues comme des peines d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure ou égale à un mois - voire limitée à quelques jours seulement -, apparaissent en revanche plus encourageants. Si la question de la transposabilité de leurs conclusions demeure posée au regard des spécificités propres à chaque système national, plusieurs études internationales207(*) tendent toutefois à démontrer que des peines d'une dizaine de jours pourraient se révéler plus efficaces que certaines sanctions alternatives, telles que les travaux d'intérêt général.

Si la plus grande efficacité des très courtes peines sur certaines peines alternatives effectuées en milieu ouvert reste sujette à débat, il ressort néanmoins avec une certaine clarté que le prononcé d'une peine d'une durée très réduite constitue une option préférable aux courtes peines de quelques mois. En effet, dès lors qu'elles sont exécutées dans des conditions qui permettent leur anticipation - par le biais, par exemple, d'un mandat de dépôt à effet différé -, de telles sanctions n'entraînent pas de véritable effet désocialisant et ne compromettent pas la situation professionnelle de la personne condamnée, tout en produisant un « choc carcéral » bref mais suffisamment dissuasif pour contribuer à la prévention de la récidive.

Le débat sur la suppression des peines d'emprisonnement ferme de moins d'un mois

En l'état de sa rédaction, l'article 132-19 prévoit, en son premier alinéa, que le sursis est possible pour tout ou partie de la peine d'emprisonnement prononcée par la juridiction ; parallèlement, il interdit le prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure ou égale à un mois. Insérée par la loi précitée du 23 mars 2019, cette interdiction était alors justifiée par la baisse tendancielle du prononcé de telles peines [10 000 en 2015 et 5 500 en 2020, selon les chiffres obtenus par Loïc Kervran, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale (rapport n° 1187, déposé le 26 mars 2025)] et, sur le fond, par le fait que « des peines fermes d'aussi courte durée [présentaient] un effet désocialisant majeur et prédispos[ai]ent à la récidive » (exposé des motifs de la loi n° 2019-222 précitée).

Le Sénat avait fait, lors de l'examen de LOPJ, fait preuve d'une certaine perplexité face à l'efficacité d'une telle mesure : les rapporteurs du texte, François-Noël Buffet et Yves Détraigne, estimaient ainsi que la suppression des peines de moins d'un mois « n'aurait vraisemblablement qu'une incidence limitée dès lors que seulement 9 100 peines d'une durée inférieure ou égale à un mois ont été prononcées en 2017 et seulement un peu plus de 600 d'entre elles faisaient l'objet d'un mandat de dépôt. L'étude d'impact estime sa portée, sur une année, à une diminution de 300 détenus ». Ils émettaient, en outre, une crainte importante, jugeant qu'« une telle disposition pourrait surtout présenter des effets de seuil contre-productifs : afin de contourner cette interdiction, les juridictions de jugement qui souhaitent prononcer une peine courte d'emprisonnement devront fixer un quantum minimal de deux mois, au lieu d'un, au risque d'allonger la durée moyenne d'incarcération ».

Source : rapport n° 780 (2024-2025) fait par Stéphane Le Rudulier
au nom de la commission des lois

Les rapporteures se sont en outre rendues à La Haye, où elles ont rencontré les autorités néerlandaises afin d'échanger sur les modalités concrètes de mise en oeuvre et d'exécution du régime des très courtes peines institué aux Pays-Bas. Ce déplacement leur a permis d'observer directement un dispositif judiciaire dans lequel près de 70 % des peines prononcées chaque année par les juridictions sont des peines privatives de liberté d'une durée inférieure ou égale à trois mois.

Elles ont pu constater que ce modèle présente des résultats significatifs, tant en matière de lutte contre la surpopulation carcérale que dans la prévention de la petite et moyenne délinquance.

Toutefois, les autorités néerlandaises reviennent sur la politique des très courtes peines après l'avoir plébiscitée durant plusieurs années. Elles ont signalé à la mission que les très courtes peines d'emprisonnement ne favorisent pas réellement l'atteinte des objectifs classiquement assignés à une condamnation : d'une part, le niveau de récidive des condamnés soumis à de telles peines reste comparable, voire supérieur, à celui observé avec des peines non privatives de liberté ; d'autre part, l'effet dissuasif d'une condamnation certes faible mais plus systématique paraît relativement limité en comparaison d'autres sanctions.

L'abandon par les Pays-Bas de la politique des très courtes peines repose également sur une volonté de durcir la répression pénale, et donc de prononcer des peines plus longues à l'encontre des délinquants208(*).

Ce bilan mitigé incite à faire preuve de prudence quant à la généralisation des très courtes peines. Il ne résout cependant pas la question d'une réintroduction dans notre droit de telles sanctions, aujourd'hui purement et simplement prohibées par le code pénal.

Les rapporteures considèrent, comme la commission des lois l'a relevé à l'occasion de ses récents travaux sur la proposition de loi visant à faire exécuter les peines de prison ferme, que les peines d'une durée inférieure ou égale à quinze jours pourraient s'avérer utiles sous quatre conditions :

- la première tient à leur temporalité dans le parcours de délinquance de l'auteur d'une infraction : les très courtes peines doivent, à l'évidence, être proscrites pour les condamnés les plus endurcis et ne semblent efficaces que si elles interviennent en amont d'un ancrage durable dans la délinquance. Comme le rappelle la mission d'urgence sur l'exécution des peines209(*), « [la] réceptivité [des publics peu aguerris] aux vertus pédagogiques et dissuasives prêtées au choc carcéral est documentée dans des études anglo-saxonnes » : il s'agit donc d'un outil qui peut contribuer à prévenir la récidive et à éviter toute « escalade » dans la délinquance ;

- la deuxième concerne les caractéristiques du condamné, les courtes peines devant être destinées aux délinquants jeunes ou socialement bien insérés. Il convient à cet égard de rappeler que les juges des enfants210(*), qu'on ne saurait soupçonner de « sécuritarisme », déplorent eux-mêmes de ne plus pouvoir prononcer de très courtes peines à l'encontre des mineurs délinquants, alors même que celles-ci pouvaient être précieuses « en situation de crise pour mettre fin à un emballement »211(*) ;

- la troisième concerne leurs conditions d'exécution, qui ne doivent pas aggraver les éventuelles fragilités préexistantes ou, pire encore, en créer de nouvelles. Le mandat de dépôt à effet différé devra ainsi être utilisé dès que nécessaire pour limiter l'effet désocialisant de la détention et la déstabilisation de la situation personnelle du condamné, qui pourrait se trouver à exécuter sa peine dans une période de congés, pour ceux qui ont un emploi, ou de vacances, pour ceux qui suivent une formation ;

- enfin et surtout, les très courtes peines doivent se dérouler dans des établissements adaptés non seulement en termes de sécurité (puisqu'elles s'adresseront à des publics dont la dangerosité est faible), mais aussi en termes de suivi et de prise en charge : de telles peines n'auront en effet de sens que si elles s'accompagnent de mesures permettant au condamné de prendre conscience de la gravité de son geste et lui accordant, si nécessaire, le soutien social dont il a besoin pour engager sa réhabilitation. Plus encore qu'adaptés, ces établissements devront être dédiés pour prévenir tout « mélange » entre les détenus condamnés à une très courte peine et des profils plus ancrés dans la délinquance. La piste consistant à créer des quartiers spécifiques semble, en revanche, devoir être abordée avec réserve au vu de la situation des établissements existants, déjà saturés212(*).

À la lumière de ces constats, la mission recommande de rétablir en droit français la faculté, pour les magistrats, de prononcer des peines d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure ou égale à un mois.

Proposition n° 4

Rétablir la possibilité, pour le juge du fond, de prononcer une peine d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure ou égale à un mois, ces très courtes peines étant destinées aux condamnés bien insérés et non encore ancrés dans la délinquance, mineurs comme majeurs, et exécutées dans des établissements spécialisés.

3. Promouvoir une individualisation des peines plus effective

L'individualisation des peines constitue l'un des ressorts fondamentaux du régime d'exécution de ces dernières, en ce qu'elle garantit la bonne articulation entre les deux fonctions que l'article 130-1 du code pénal attache à la sanction pénale ; l'individualisation permet en effet de « sanctionner l'auteur de l'infraction » autant qu'elle « [favorise] son amendement, son insertion ou sa réinsertion ». Parce qu'elle permet de tenir compte des circonstances de l'espèce et de la personnalité de l'auteur de l'infraction, elle est un facteur essentiel du sens de la peine non seulement pour le condamné, mais aussi pour les victimes et pour la société.

Les travaux de la mission ont toutefois abouti à l'accablant constat que l'individualisation des peines est actuellement soit dévoyée pour des raisons tant juridiques que pratiques, soit insuffisante compte tenu des conditions dans lesquelles les aménagements de peine sont accordés.

Il apparaît ainsi que notre système d'exécution des peines ne favorise pas suffisamment le prononcé de peines adaptées à la personnalité des condamnés. Cela résulte tant de causes directes, comme le manque d'informations dont dispose la juridiction de jugement sur la personnalité des condamnés, que de causes plus indirectes, comme l'impact de la surpopulation carcérale qui impose une affectation des détenus au seul regard des places disponibles et non de leur profil.

Les récentes évolutions du droit ont, en outre, entendu favoriser l'aménagement des peines de courte durée au moyen de contraintes juridiques qui reposent sur le quantum de la peine prononcée. Ces dispositions, qui oeuvrent en creux à réguler la population carcérale, nuisent cependant en pratique tant à l'individualisation des peines qu'à l'objectif qu'elles poursuivent.

La mission a donc formulé des recommandations susceptibles de réduire les écueils sur lesquels échoue aujourd'hui l'individualisation des peines, qu'il s'agisse de l'affectation des détenus aux différents types d'établissement d'incarcération, des modalités juridiques de l'aménagement des peines ou encore des ressorts des décisions prises quant à l'application de ces dernières.

a) Garantir les moyens matériels de l'individualisation des peines

L'une des conséquences les plus insidieuses de la surpopulation carcérale tient à ce qu'elle compromet, voire empêche l'individualisation des peines d'emprisonnement et, partant, favorise la récidive.

Cette dynamique trace le contour d'un cercle vicieux dans lequel l'essentiel des personnes entendues par les rapporteures juge que le système carcéral français est enfermé.

La mission recommande ainsi d'assurer l'affectation des détenus au sein d'établissements carcéraux dont les caractéristiques correspondent à leur personnalité. Les circonstances actuelles conduisent en effet à un gâchis de ressources périlleux en ce qu'il fragilise les équilibres du système carcéral français.

Proposition n° 5

Assurer l'adéquation entre l'établissement d'incarcération et la personnalité des personnes détenues pour favoriser leur réinsertion en sortie de peine.

L'atteinte de cet objectif sera indéniablement facilitée par le déploiement d'outils, par ailleurs réclamé par les rapporteures213(*), permettant aux magistrats de connaître le volume et la nature des places de détention disponibles dans leur ressort.

Les travaux de la mission d'information ont permis d'identifier plusieurs volets de mise en oeuvre de cette recommandation générale.

La recherche d'un meilleur appariement entre les établissements pénitentiaires et les condamnés a récemment conduit à l'institution d'un type nouveau d'incarcération. Il est en effet apparu au législateur que les modalités de détention en maison centrale ne correspondaient pas aux caractéristiques actuelles de la criminalité organisée.

La création récente, par l'article 61 de la loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, de quartiers de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) répond ainsi pleinement à l'objectif d'une affectation individualisée des condamnés, dans la mesure où les spécificités de ces établissements carcéraux ont été pensées au regard du profil des détenus qui ont vocation à y purger leur peine. La mise en service des QLCO permet aussi - voire surtout - de limiter les contacts entre les criminels de haut vol et les petits délinquants et, partant, d'éviter l'expansion des réseaux de narcotrafic, habitués à recruter leurs « petites mains » en prison.

La réévaluation annuelle de la décision d'affectation au sein de tels quartiers, qui fut portée par le Sénat, garantit en outre l'appréciation fréquente de cette dernière - et, partant, sa proportionnalité.

D'une manière générale, il importe de respecter la destination des différents types d'établissements pour que les détenus soient affectés à ceux qui correspondent le mieux à leur profil. Or, les rapporteures ont constaté au cours de leurs travaux que la décision d'affectation d'un détenu dans un établissement répondait souvent davantage à des facteurs géographiques ou d'occupation carcérale, qu'à la logique d'adéquation entre le type d'établissement et la personnalité du condamné concerné.

Le rapport précité de la Cour des comptes sur la surpopulation carcérale mentionne notamment le centre de semi-liberté d'Écrouves, que des condamnés dont le reliquat de peine à purger était inférieur à neuf mois ont intégré sans autre objectif que de soulager la maison d'arrêt où ils étaient jusqu'alors affectés.

Or, pour aboutir à la réinsertion des détenus, le régime de semi-liberté suppose non seulement une incarcération longue, mais une adéquation entre ses principes structurants et la personnalité des condamnés qui y sont incarcérés.

De la même manière, comme l'a déjà évoqué le présent rapport214(*), lorsqu'un détenu éligible à la LSC-D ne dispose pas d'un hébergement, il est placé dans un établissement de semi-liberté, suivant une logique de régulation des flux carcéraux préjudiciable au bon fonctionnement de ce dispositif.

Il apparaît en outre que les centres de semi-liberté, qui présentent d'évidentes qualités pour la réinsertion, souffrent tant d'un nombre insuffisant de places que d'une localisation souvent éloignée des bassins d'emploi.

Le développement de centres de semi-liberté, spécialement au sein d'agglomérations pourvoyeuses d'emplois, pourrait ainsi favoriser ensemble l'individualisation des peines et la réinsertion des condamnés.

Les rapporteures partagent à ce titre l'appréciation de l'ANJAP, suivant laquelle il importe de concevoir un enfermement différent des établissements carcéraux traditionnels, « avec des structures plus petites et intégrées dans un environnement urbain et sociétal ».

La mission recommande à cet égard d'augmenter et de sanctuariser les places dans les structures qui oeuvrent à la réinsertion des détenus. Il serait ainsi précieux que les personnes condamnées à une peine en milieu fermé puissent - lorsque leur personnalité y est adaptée - bénéficier de projets porteurs ou innovants, à l'instar des actuelles structures d'accompagnement à la sortie (SAS) ou du futur programme InSERRE (Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi) lancé en 2020.

Les structures de réinsertion en milieu fermé

Le programme InSERRE vise à créer des établissements dans lesquels la totalité des détenus disposerait d'un emploi, d'une formation ou d'un parcours professionnalisant, en partenariat avec « des entreprises à forte valeur ajoutée en investissant en particulier les métiers du numérique, du développement durable et les services à distance porteurs de débouchés », et qui se distingueraient par une préparation à la sortie renforcée, notamment assise sur le développement des liens entre les personnes incarcérées et le monde extérieur. L'ambition affichée est celle de la responsabilisation des détenus et de leur réinsertion via l'emploi - et ce, dès le début de leur incarcération.

Les structures d'accompagnement à la sortie (SAS), créées en 2022 en remplacement de structures analogues préexistantes, ont quant à elles pour but d'éviter les « sorties sèches » et de « favorise[r] la préparation à la sortie de la personne détenue par la mise en oeuvre de programmes de prise en charge permettant un accompagnement global, renforcé et individualisé » (article D. 112-21 du code pénitentiaire).

Source : commission des lois

Elles accueillent des personnes condamnées à des peines inférieures à un an - y compris les détenus ayant purgé des peines de moyenne ou de longue durée et dont le reliquat de peine est inférieur à cette durée - ainsi que celles qui bénéficient d'une mesure de semi-liberté ou de placement extérieur.

Soutenant sans réserve le principe d'une meilleure réinsertion des détenus et le développement des SAS comme des établissements InSERRE, les rapporteures déplorent vivement l'ampleur limitée de ces initiatives.

On ne dénombre en effet aujourd'hui que 13 SAS pour l'ensemble du territoire national et le projet InSERRE connaît un important retard ; les trois établissements de 180 places chacun qui devaient être livrés en 2023 pour mettre en oeuvre ce nouveau programme n'accueillent pas encore de détenus.

La mission ne saurait se satisfaire de ce diagnostic : les rapporteures appellent le Gouvernement à prioriser, dans la mise en oeuvre du « plan 15 000 », la mise en service de nouvelles SAS et des structures dédiées au projet InSERRE.

b) Améliorer les décisions relatives à l'individualisation des peines

Outre les moyens matériels et les dispositifs juridiques nécessaires à la bonne individualisation des peines, il importe de veiller à la qualité même des décisions prises en la matière en instaurant des dispositifs susceptibles de parfaire l'adéquation entre la peine prononcée et la personnalité du condamné.

La mission a en effet constaté que le juge du fond se prononce souvent sur des aménagements de peine sans disposer d'éléments suffisants relatifs à la situation économique, sociale, familiale et personnelle du condamné, favorisant le recours à des aménagements génériques et peu individualisés.

Plusieurs des personnes et entités auditionnées par les rapporteures - à l'instar des représentants du réseau Permis de construire - ont ainsi suggéré de systématiser l'évaluation sociale ou l'entretien de positionnement avec les services d'insertion, qu'il s'agisse des SPIP ou d'associations partenaires, ce dès avant l'audience correctionnelle.

Les rapporteures considèrent que cette logique vertueuse devrait être promue, dans la mesure où elle faciliterait l'individualisation des peines prononcées - et par la suite, le respect des décisions prises lors du jugement tout au long de l'application de la sanction.

L'appréciation de la personnalité des prévenus pourrait ainsi reposer sur des enquêtes sociales préalables à l'audience correctionnelle.

À défaut d'éléments suffisants lors du prononcé de la peine, un renvoi au juge de l'application des peines pour définir les modalités d'exécution des peines prononcées devrait être systématique. De la même manière, et comme l'ont préconisé de nombreuses personnes entendues par la mission d'information, l'octroi d'un aménagement de peine ab initio devrait pouvoir être écarté lorsque le prévenu n'est pas comparant.

Cette évolution, que le Sénat a portée dans le cadre de l'examen de la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme, gagnerait selon les rapporteures à être définitivement adoptée par le législateur.

Du point de vue institutionnel, la mission d'urgence relative à l'exécution des peines, qui a remis au garde des sceaux son rapport en mars 2025, préconise d'instaurer un « plateau technique pluridisciplinaire » à qui il reviendrait notamment d'évaluer les personnes mises en cause. Cet organe permettrait aux différents acteurs de l'exécution des peines d'exploiter l'ensemble des réponses qu'offre le droit pénal français.

Ladite mission d'urgence suggère ainsi de lui confier quatre missions structurantes :

- évaluer la situation des prévenus pour favoriser leur orientation dès avant l'audience ;

- individualiser la décision de justice ;

- faciliter l'exécution de la peine prononcée ;

- mettre à jour les situations pénales215(*).

La bonne réalisation des missions qui incomberaient à ce plateau technique reposerait sur la logique pluridisciplinaire à laquelle il obéirait. Le rapport précité souligne en effet que « l'évaluation [repose] essentiellement sur l'échange et la mutualisation d'informations ainsi que sur des regards et analyses croisés » - soit sur deux éléments qui font aujourd'hui largement défaut.

La composition de ce plateau technique en garantirait la pluridisciplinarité. La mission d'urgence envisage de réunir notamment :

- les personnels de greffe anciennement affectés au BEX, dans la mesure où ce dernier intégrerait le plateau technique. La CNPTJ a convaincu les rapporteures que le bureau d'exécution des peines apparaît « désormais parfaitement inscrit dans le mode de fonctionnement des juridictions [et] a montré sa pertinence et justifierait une extension ». Son intégration audit plateau serait susceptible d'améliorer la célérité et la qualité de la réponse pénale ;

- des représentants du SPIP, qui pourraient tant recueillir des informations relatives à la personnalité du condamné, que présenter l'éventail des réponses pénales dont dispose le magistrat au regard des mesures disponibles (détention à domicile sous surveillance électronique, Tig, etc.) ;

- un personnel de surveillance, qui serait par exemple susceptible de réaliser une enquête de faisabilité ou d'établir un DDSE ;

- l'avocat, qui aurait accès aux informations portant sur la personnalité du prévenu et pourrait favoriser le recueil de certains éléments relatifs à la situation de son client ;

- un assistant social, pour fluidifier les échanges avec les acteurs médicaux et sociaux ;

- un représentant de l'association d'aide aux victimes, pour procéder à l'analyse comparée des enquêtes sociales renforcées et des enquêtes réalisées par les victimes ;

- un agent de probation, dans l'hypothèse où cette fonction, évoquée infra, serait créée.

Comme le précise la mission d'urgence, suivant une approche que les rapporteures partagent, l'instauration du plateau technique pluridisciplinaire supposerait de repositionner le SPIP en pré-sentenciel, dans la mesure où son expertise est particulièrement précieuse dans cette séquence de la chaîne pénale.

Un tel plateau aurait une immense utilité pour garantir l'adéquation entre le profil du condamné et la peine retenue à la fois dans sa nature (peine alternative ou de prison ferme) et dans son exécution (aménagement ou non des peines de prison ferme). Il contribuerait à promouvoir un usage efficace autant que raisonné des aménagements de peine et des peines alternatives à la détention. La meilleure individualisation des peines, de leur prononcé à leur application, concourrait au surplus à la prévention de la récidive, dans la mesure où elle améliorerait la réinsertion, voire l'insertion des condamnés.

Proposition n° 6

Favoriser la meilleure individualisation de la peine et de son exécution en acquérant une meilleure connaissance de la situation du condamné dès l'audience correctionnelle, grâce au renforcement du rôle des SPIP en phase pré-sentencielle.

Le présent rapport a par ailleurs mis en évidence la fréquente méconnaissance du rôle des SPIP par les juridictions de jugement et l'existence de tensions locales sur certaines attributions entre les CPIP et les JAP216(*).

Plusieurs personnes auditionnées par les rapporteures ont ainsi préconisé de clarifier les rôles respectifs du JAP et du SPIP, pour améliorer les conditions de l'application des peines.

Les représentants de la DAP se sont ainsi dits « favorable[s] à une évolution des missions du juge de l'application des peines, permettant de repenser les attributions respectives des JAP et des SPIP et d'en clarifier la répartition, en renforçant les pouvoirs d'individualisation des premiers, sans remettre en cause l'autonomie des seconds, afin notamment de ne pas réduire l'office du JAP à la gestion des incidents ».

L'ANJAP souhaite par exemple à cette fin que soit écartée la double convocation devant le JAP et devant le SPIP que le bureau d'exécution des peines est tenu de remettre à un condamné non incarcéré217(*).

De la même manière, certaines personnes auditionnées par les rapporteures suggèrent de confier à l'administration pénitentiaire ou au SPIP certaines compétences du JAP. Cela rejoint l'une des préconisations d'un précédent rapport d'information du Sénat218(*) ; il était suggéré de déléguer aux directeurs des services pénitentiaires certaines prérogatives actuellement dévolues aux magistrats afin d'affiner l'adaptation de l'exécution des peines (renouvellement des permissions de sortie, habilitation de structures offrant des travaux d'intérêt général, etc.).

Le Sénat recommanda ainsi, dans un rapport d'information ultérieur sur l'évaluation des services pénitentiaires d'insertion et de probation219(*), que le nouvel équilibre trouvé en matière de Tig220(*) puisse, le cas échéant, inspirer de nouveaux transferts de compétences, qui allègeraient quelque peu la lourde charge de travail des JAP tout en donnant de nouvelles responsabilités aux DPIP. L'ANJAP proposait par exemple à ce titre de confier de nouvelles compétences au SPIP en matière d'aménagement de peine ab initio : une fois le principe de l'aménagement de peine décidé, le SPIP pourrait « utilement déterminer les horaires, date d'écrou et le lieu d'assignation. De la même manière, en cas de changement de lieu d'assignation durant la mesure de détention à domicile sous surveillance électronique, le SPIP pourrait avoir compétence pour faire lui-même la modification ».

Le même rapport suggérait d'expérimenter en outre une permanence des SPIP au sein des tribunaux correctionnels pour favoriser la connaissance mutuelle entre ces différents acteurs. Cette expérimentation, portée dans le cadre des États généraux de la justice, faciliterait l'information rapide du condamné sur les suites concrètes de sa condamnation - et serait de surcroît nécessaire à l'établissement du plateau technique pluridisciplinaire évoqué supra.

Les rapporteures préconisent ainsi d'entreprendre une démarche de clarification des fonctions respectives du JAP et du SPIP, assise tant sur la meilleure ventilation des compétences entre ces derniers, que sur la meilleure compréhension de la répartition de leurs rôles respectifs auprès de l'ensemble des acteurs de l'exécution des peines, au premier rang desquels les magistrats du tribunal correctionnel.

Enfin, et comme l'a souligné la mission d'urgence relative à l'exécution des peines précitée, une telle démarche permettra de restaurer la mission de garant de la continuité du parcours de réinsertion et de prévention de la récidive qui incombe au JAP - et, partant, de remédier aux effets pervers des récentes réformes, qui ont réduit sa liberté d'appréciation et l'ont mobilisé sur la gestion des incidents.

Proposition n° 7

Clarifier les rôles respectifs du juge de l'application des peines et du service pénitentiaire d'insertion et de probation.


* 198 Infos rapides Justice n° 17, 2024 (précité).

* 199  Rapport n° 780 (2024 - 2025) sur la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme, fait par Stéphane le Rudulier au nom de la commission des lois.

* 200 Il importe, pour les mêmes raisons, d'éviter à l'avenir d'introduire une exigence particulière de motivation en cas d'aménagement, les motivations spéciales étant en pratique très dissuasives pour les magistrats.

* 201 Voir la partie B du titre Ier du rapport d'information.

* 202 Voir la partie B du titre Ier du rapport d'information.

* 203 Article 450-1 du code pénal.

* 204 Article 222-37 du même code.

* 205 Inspection générale de la justice, Mission d'urgence relative à l'exécution des peines, mars 2025.

* 206 Voir supra, partie 1, A, 1.

* 207 Villettaz et al., The Effects of Custodial vs. Non-Custodial Sentences on Re-Offending: A Systematic Review of the State of Knowledge, Campbell systematic reviews, 2006

Killias et al., How damaging is imprisonment in the long-term? A controlled experiment comparing long-term effects of community service and short custodial sentences on re-offending and social integration, Journal of Experimental Criminology, 2010

Hauswirth-Cazzaro, L'impact de la peine sur la récidive : Une expérimentation naturelle à partir des réformes du Code pénal suisse, Université de Lausanne, 2023

* 208 La France affiche à l'inverse une durée moyenne d'emprisonnement élevée, comme les rapporteures l'ont déjà souligné.

* 209 Celle-ci, toutefois, ne préconise pas la réintroduction dans notre droit des peines de prison ferme de moins d'un mois.

* 210 Cités par la mission d'urgence sur l'exécution des peines.

* 211 Rapport précité de la mission d'urgence sur l'exécution des peines. Cette analyse est corroborée par le pédopsychiatre Maurice Berger : celui-ci faisait valoir auprès des rapporteures « l'importance des peines imposées rapidement, sans césure, incluant 15 jours de prison ferme et le reste sous la forme d'un sursis probatoire important » jouant le rôle d'une « épée de Damoclès ».

* 212 L'inadaptation de l'actuel « processus arrivant » aux très courtes peines, pointé par la DAP, milite de même pour que celles-ci soient exécutées dans des établissements dédiés plutôt que dans les quartiers d'établissements accueillant d'autres profils de condamnés.

* 213 Voir infra, proposition n° 20.

* 214 Voir la partie B du titre Ier du rapport d'information.

* 215 L'enjeu de la « purge » des situations pénales fait l'objet de développements spécifiques en sous-partie C de la présente partie.

* 216 Voir la partie A du titre Ier du rapport d'information.

* 217 Article D. 48-2 du code de procédure pénale.

* 218  Rapport d'information n° 713 (2017 - 2018) sur la nature des peines, leur efficacité et leur mise en oeuvre, fait par Jacques Bigot et François-Noël Buffet au nom de la commission des lois.

* 219  Rapport d'information n° 353 (2022 - 2023) sur l'évaluation des services pénitentiaires d'insertion et de probation, fait par Marie Mercier et Laurence Harribey au nom de la commission des lois.

* 220 La loi n° 2021-401 du 8 avril 2021 améliorant l'efficacité de la justice et de proximité et de la réponse pénale a ainsi transféré des JAP aux DPIP le soin de décider des modalités d'exécution de l'obligation d'accomplir un Tig, sauf dans l'hypothèse où le JAP aurait décidé de les déterminer lui-même.

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