D. ACCÉLÉRER L'EXÉCUTION DE LA PEINE ET RENFORCER SON CONTRÔLE

L'ambitieuse réforme que les rapporteures souhaitent impulser passe, enfin, par une amélioration des délais d'exécution des peines et des contrôles exercés en milieu ouvert, gages de la crédibilité de l'arsenal pénal pour les citoyens comme de la robustesse des alternatives à la détention pour les condamnés et les professionnels du droit.

La mission d'information appelle ainsi à une revalorisation du rôle des forces de sécurité intérieure en matière d'exécution des peines, à une réduction des délais de mise en oeuvre des sanctions et, surtout, à la création d'une véritable police de la probation.

1. Développer une culture de l'exécution des peines au sein des forces de sécurité intérieure

Comme décrit précédemment, les missions relatives à l'exécution des peines concernent une multitude d'acteurs, au premier chef desquels l'administration pénitentiaire, dont relèvent les services pénitentiaires d'insertion et de probation, les magistrats et les agents du greffe.

S'il est normal et même souhaitable que cette répartition des tâches ne donne pas aux forces de sécurité intérieure le premier rôle en matière d'exécution des peines, en particulier en milieu fermé, le décalage observé lors des auditions de la mission d'information entre les nombreuses missions que confie le code de procédure pénale aux forces de sécurité intérieure et la conscience que ces dernières ont de leur rôle en matière d'exécution des peines est pour le moins déconcertant. Il doit en outre être remédié à la trop grande négligence dont ils font preuve, et qu'ils admettent, dans la mise en oeuvre de ces dispositions légales.

Tout en saluant les initiatives louables déjà mises en oeuvre, à l'image de la création - désormais ancienne - de la brigade de l'exécution des décisions de justice et la brigade nationale de recherche des fugitifs, il ne peut être satisfaisant de constater qu'il n'existe pas de véritable ligne directrice au sein des forces de sécurité intérieure quant au contrôle de l'exécution des peines, notamment des peines alternatives à l'emprisonnement, qui s'opère concrètement par le biais de contrôles fortuits.

Sans qu'une réforme législative ne soit nécessaire, et tout en ayant conscience que les missions des forces de sécurité intérieure sont nombreuses, la mission d'information appelle ainsi à un changement de culture en leur sein, a minima pour que ces dernières assimilent que les missions liées à l'exécution des peines font partie intégrante de leur coeur de métier, qui n'est pas limité aux missions de voie publique et de police judiciaire. Au demeurant, la notification et l'exécution des peines ne devraient pas être vues comme une charge indue ou non prioritaire mais, au contraire, être pleinement investies par les officiers de police judiciaire s'ils considèrent que celle-ci donne du sens à leur travail d'enquêteur préalable aux condamnations.

Des améliorations pratiques pourraient en outre être mises en oeuvre afin de faciliter le travail des forces de sécurité intérieure.

Ainsi, bien que l'article 7 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées prévoie que « les données à caractère personnel et informations enregistrées dans le fichier sont conservées jusqu'à l'aboutissement de la recherche ou l'extinction du motif de l'inscription », la brigade de l'exécution des décisions de justice et la DGGN ont signalé aux rapporteures que cela n'était pas toujours le cas lorsque la personne recherchée est incarcérée ou lorsque le motif d'inscription est caduc (par exemple si la peine a déjà été effectuée). Cette remarque est loin d'être négligeable, alors que plus de 110 000 personnes étaient inscrites au FPR au début de l'année 2025. À titre d'exemple, la DGGN a indiqué aux rapporteures que, sur un échantillon de 211 personnes inscrites au FPR dont la recherche était jugée « prioritaire » par les unités de gendarmerie de l'Oise, « 85 fiches étaient caduques » - soit un ratio spectaculaire de 40 %. La « radiation systématique » par l'autorité judiciaire des fiches contenues dans le FPR à chaque fois qu'une personne recherchée est incarcérée constituerait ainsi, selon la BEDJ, « un vrai gain de temps pour les services de police », qui se conçoit aisément. Une alerte à destination de tous les enquêteurs pourrait alors être émise lors de la radiation de la fiche.

De même, le travail des forces de sécurité intérieure serait facilité si les inscriptions des personnes condamnées au FPR gagnaient en célérité. À ce titre, le recours accru aux fonctionnalités du bureau pénal numérique, déployé depuis peu, qui permet aux magistrats, greffiers et agents de justice habilités d'accéder à un formulaire d'inscription proposant une saisie guidée des données nécessaires, serait opportun.

2. Accélérer l'exécution de la peine en favorisant la présence du prévenu aux audiences et en modernisant les voies de signification des jugements

Il a été exposé précédemment que les jugements sont proportionnellement davantage exécutés lorsque le prévenu se présente aux audiences. La présence du prévenu aux audiences permet - notamment - de respecter les exigences liées au principe du contradictoire et ainsi de rendre exécutoire la décision de l'autorité judiciaire. Outre qu'elle facilite la signification du jugement et évite la mobilisation des forces de sécurité intérieure, la présence du prévenu aux audiences permet aussi sa prise en charge rapide une fois sa condamnation acquise, puisqu'il peut être reçu physiquement par le bureau de l'exécution des peines afin que lui soit présenté son parcours judiciaire.

L'un des moyens pour accélérer l'exécution des peines est donc d'améliorer l'information des prévenus, aussi bien en amont pour qu'il soit présent lors des audiences, qu'en aval pour que les jugements contradictoires à signifier soient transmis avec célérité.

L'objectif est ainsi d'éviter que le prévenu ait intérêt à ne pas se présenter à l'audience, d'une part, ou à développer une stratégie d'évitement de la signification du jugement, d'autre part.

Sur le premier point, la mission d'information fait sienne la suggestion émise par la direction des affaires criminelles et des grâces lors de son audition et par la mission d'urgence sur l'exécution des peines, consistant à généraliser et étendre le rappel automatique et dématérialisé des dates d'audiences et des convocations, qui est actuellement expérimenté dans un peu moins d'une centaine de tribunaux judiciaires et services pénitentiaires d'insertion et de probation. Ce mécanisme permet l'envoi de SMS et de notifications via la plateforme Mon suivi justice et concerne principalement les convocations émises par les juges de l'application des peines et les CPIP. La généralisation de cette pratique serait plus qu'opportune. De même, l'extension de cet outil ou, à défaut, la création d'un nouvel outil similaire, pour procéder à un rappel automatique des convocations émises au stade pré-sentenciel paraît prioritaire, bien que le ministère de la justice estime que cela nécessiterait des développements informatiques lourds.

Proposition n° 16

Généraliser le mécanisme de rappel des convocations devant le juge de l'application des peines et le service pénitentiaire d'insertion et de probation, et l'étendre dès que possible au stade pré-sentenciel.

Sur le second point, les rapporteures partagent le constat assez unanime quant à l'inadaptation du cadre juridique régissant les voies de signification des jugements, notamment aux fins de les rendre exécutoires.

Une révision de la doctrine d'emploi des forces de sécurité intérieure pour l'exercice de ces fonctions paraît à ce titre souhaitable. Comme mentionné supra, la participation des forces de sécurité intérieure aux missions liées à l'exécution des peines correspond, dans une écrasante majorité en termes de nombre d'heures dédiées, à la signification de jugements, une situation qui ne peut perdurer en l'état. Les forces de sécurité intérieures sont ainsi assimilées trop systématiquement et parfois sans réelle plus-value aux commissaires de justice, les tâches associées étant certes essentielles au service public de la justice mais chronophages et relevant du coeur de métier de ces officiers publics ministériels.

Des progrès, au moins théoriques, ont été réalisés ces derniers temps, notamment grâce au vote de l'article 14 de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire231(*) et à la publication du décret n° 2023-332 du 3 mai 2023 relatif à la signification par voie électronique en matière pénale, évoqués précédemment. Toutefois, l'ensemble de la chaîne pénale reste en attente de l'arrêté technique qui permettra la pleine utilisation de l'applicatif dédié à cette signification électronique, appelé Notidoc, une situation pour le moins inadmissible et incompréhensible, quatre ans après le vote de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire et deux ans et demi après la publication du décret d'application précité.

Malgré ces progrès d'ensemble - encore incomplets -, la mission d'information appelle, à l'instar des constats et recommandations dressés en mars 2025 par la mission d'urgence relative à l'exécution des peines menée par l'inspection générale de la justice, à ce que la réflexion sur la modernisation des voies de signification des jugements soit poursuivie, voire accélérée.

La participation des forces de sécurité intérieure à la signification des jugements ne doit ainsi pas être écartée, mais rendue mieux ciblée et plus rapide.

Pour ce faire, pourrait être renforcée l'incitation du prévenu à se rendre aux audiences, afin qu'il n'y ait pas de stratégie délibérée de ralentissement de l'obtention du caractère exécutoire d'une décision de justice. En pleine cohérence avec l'idée, déjà exprimée, selon laquelle les aménagements de peine ab initio doivent pouvoir être écartés lorsque le prévenu n'est pas comparant, cet objectif pourrait être partiellement atteint en donnant à la décision d'emprisonnement ferme inférieur à un an non aménagé la valeur d'un ordre de recherche et d'arrestation à destination des officiers de police judiciaire.

Enfin, alors que l'article 803-1 du code de procédure pénale prévoit que les convocations et documents judiciaires ne puissent être adressés de façon numérique qu'à « la condition que la personne y ait préalablement consenti par une déclaration expresse recueillie au cours de la procédure », ce principe pourrait être renversé afin, sous réserve des garanties renforcées de sécurité inhérentes à toute communication dématérialisée des documents judiciaires, de considérer que, sauf mention contraire, le consentement à la transmission dématérialisée des documents est réputé acquis232(*). Cette évolution faciliterait la signification des jugements, et donc l'acquisition de son caractère exécutoire ; elle diminuerait, en outre, la mobilisation des forces de sécurité intérieure.

Pour donner corps à cette proposition, il pourrait également être envisagé de rendre obligatoire la communication des coordonnées numériques, lorsque le justiciable en dispose.

3. Donner confiance dans les peines alternatives à l'emprisonnement par l'accroissement des contrôles de la probation

Lors des auditions conduites par les rapporteures, de nombreux intervenants ont dénoncé un « réflexe » qu'auraient développé les magistrats français, consistant à privilégier les peines d'emprisonnement, et donc à délaisser les peines alternatives à l'emprisonnement, notamment les peines probatoires. Sans se prononcer sur la véracité et l'ampleur de cette assertion qui irrigue, au demeurant, un débat ancien, il semble fondé de considérer qu'une part non négligeable des magistrats exprime une « méfiance »233(*) quant à l'effectivité du contrôle de ces peines et s'en saisit par conséquent moins.

Diverses réformes234(*) ont été menées au cours des dernières décennies pour développer ces peines alternatives à la prison, notamment dans une optique de réduction de la population carcérale. Malgré le développement incontestable des peines en milieu ouvert, force est de constater qu'au regard du nombre actuel de détenus qu'accueillent les établissements pénitentiaires français, cet objectif n'a pas été atteint.

L'une des solutions pouvant contribuer, si elle n'est pas prise isolément, à l'atteinte de cet objectif consiste à veiller à ce que les magistrats aient davantage confiance dans la bonne exécution des peines alternatives à l'emprisonnement qu'ils prononcent. Il en va également d'un souci de crédibilité de la justice pénale.

Cette confiance pourrait se construire, d'une part, par un investissement accru des forces de sécurité intérieure dans les missions que leur confie déjà le code de procédure pénale, comme évoqué supra.

D'autre part, sous réserve des conclusions des États généraux de l'insertion et de la probation qui se tiennent au cours du second semestre de l'année 2025, une mesure a reçu un soutien quasi-unanime : il s'agit du renforcement des contrôles des mesures de probation et autres peines alternatives à l'emprisonnement, notamment à travers la création d'une police de la probation ou par la spécialisation d'agents du SPIP sur les fonctions de probation.

Cette police ou ces agents ne seraient pas dédiés à un accompagnement des personnes condamnées, mais au contrôle du respect de leurs obligations.

Concrètement, ces agents ou cette police de probation pourraient effectuer des contrôles physiques sur le lieu de travail ou le domicile, comme les y autorise déjà l'article D. 530-5 du code pénitentiaire, qui dispose que « les visites que les personnes condamnées sont tenues de recevoir du personnel du service pénitentiaire d'insertion et de probation [...] peuvent être faites au domicile ou à la résidence de la personne condamnée, ainsi que, le cas échéant, sur son lieu de travail ». Ces contrôles sur place, qui semblent être peu effectués en l'état des pratiques des SPIP, faute de temps, permettraient de veiller au respect des obligations et interdictions prononcées par le juge - par exemple la réalité d'une recherche d'emploi ou l'application d'une interdiction de contact.

Ces agents dédiés au contrôle des mesures de probation pourraient en outre assurer une articulation entre les services pénitentiaires et les services de police et de gendarmerie pour ce qui concerne le contrôle des peines en milieu ouvert.

La mise en oeuvre de cette mesure permettrait par ailleurs de rappeler que les deux missions principales confiées au SPIP, décrites supra et relevant du contrôle de l'exécution de la peine et de l'accompagnement socio éducatif, doivent être assurées avec la même attention, les SPIP ne devant pas s'apparenter seulement à un service d'assistance sociale. Ce rappel pourrait a minima être effectué lors des États généraux de l'insertion et de la probation.

Proposition n° 17

Créer une police de la probation ou spécialiser certains agents du service pénitentiaire d'insertion et de probation sur le contrôle des mesures de probation.

Naturellement, l'instauration d'une telle police ou de cette spécialisation ne pourrait s'effectuer à effectifs constants des agents du SPIP, alors que ceux-ci ont déjà un nombre moyen de dossiers au-dessus des normes européennes (voir supra), a fortiori si la création de cette police de la probation a pour effet - escompté - une hausse du nombre de peines probatoires prononcées. Des embauches ou la réaffectation d'agents au sein de la fonction publique serait donc nécessaire. La mission d'urgence relative à l'exécution des peines précitée, qui préconise elle aussi la création d'une fonction d'agent de probation, a en outre proposé que soient mobilisés la réserve pénitentiaire ou les retraités des forces de gendarmerie ou de police, une piste intéressante dans un contexte de tension sur les finances publiques, mais qui ne saurait être souhaitable sur le long terme si l'objectif est une professionnalisation de cette police de la probation.


* 231 Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

* 232 Bien qu'il fût saisi de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, qui a modifié l'article 803-1 du code de procédure pénale pour intégrer les dispositions précitées, le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur une éventuelle obligation de recueillir un consentement écrit du justiciable pour recevoir des documents judiciaires. Voir la décision n° 2015-710 DC du 12 février 2015.

* 233 Le terme a notamment été employé par Anne Ponseille, maître de conférences en droit privé à la Faculté de droit et de sciences politique de l'université de Montpellier.

* 234 À titre d'exemple, peut être citée la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui a remplacé le sursis avec mise à l'épreuve par le sursis probatoire.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page