B. LES FRAIS DE JUSTICE DEVRAIENT ÊTRE CONNUS DÈS L'ENGAGEMENT DE LA DÉPENSE, ET PAS SEULEMENT LORS DU PAIEMENT

Une difficulté particulière rencontrée lors du suivi des frais de justice est que, contrairement à d'autres prestations, l'engagement juridique, c'est à dire la commande faite à un prestataire par un magistrat ou un officier de police judiciaire, n'est pas enregistré dans le système d'information comptable Chorus. Si les greffes conservent des traces de ces commandes, elles ne sont connues de l'administration centrale que lorsque les mémoires sont saisis, c'est-à-dire à l'issue de la prestation.

Cette situation a été justifiée au rapporteur spécial par le respect de la liberté du magistrat et par le secret de l'instruction.

Elle semble toutefois résulter aussi de la complexité et de l'inadaptation des outils d'information. En 2006, lors de la mise en oeuvre de la LOLF et de l'instauration des crédits limitatifs pour les frais de justice, le logiciel spécifique FRAIJUS a été déployé afin de permettre un suivi des engagements. Ce système, de courte durée, a laissé en 2011 la place à l'application « Chorus formulaires », mais, en pratique, les saisies n'étaient pas exhaustives, ou bien les engagements étaient saisis de façon ouverte et non sur un montant certain au bénéfice d'un tiers identifié. En 2014, il a été décidé de ne plus enregistrer les frais de justice qu'au moment de la demande de paiement et la Cour des comptes a constaté l'échec des tentatives de les suivre dès l'engagement52(*).

Dès lors, le seul suivi possible est celui des factures ou « mémoires » déposées par les prestataires sur la plateforme Chorus Pro (si la dépense relève d'un BOP local) ou remontées au responsable du BOP central de la DSJ.

Or cette situation n'est pas satisfaisante.

L'impossibilité de connaître, à un moment donné, l'état réel des engagements réduit en pratique la portée du caractère limitatif des crédits consacrés aux frais de justice et pose la question de la comptabilité de la gestion de ces frais avec la loi organique relative aux lois de finances, en particulier ses articles 8 (limitation des engagements au montant des autorisations d'engagement) et 30 (« La comptabilité générale de l'État est fondée sur le principe de la constatation des droits et obligations. Les opérations sont prises en compte au titre de l'exercice auquel elles se rattachent, indépendamment de leur date de paiement ou d'encaissement. »).

En outre, la méconnaissance des engagements réels limite fortement les possibilités de suivre et de piloter, en cours d'année, le coût des frais de justice. Le coût ne peut être estimé que lorsque les prestataires déposent leurs mémoires sur la plateforme Chorus Pro pour les dépenses relevant des BOP locaux, ou à partir des informations diverses dont dispose le BOP central. Or les mémoires ne sont déposés que postérieurement à l'exécution de la prestation et l'émission d'une attestation de fin de mission, dans un délai qui peut atteindre un an53(*).

Une saisie dans Chorus des commandes d'expertises et autres prestations devrait être mise en place en prenant en compte la charge pesant ainsi sur les prescripteurs, ainsi que le principe de liberté de prescription des magistrats. Une autre contrainte à prendre en compte est le caractère de confidentialité qui s'attache à certaines prestations, au regard du déroulement de l'enquête, qui risque d'entraîner des réticences des enquêteurs à les inscrire dans un système utilisé par l'ensemble de l'administration de l'État.

En dépit de ces difficultés et sans les négliger, mais compte tenu du poids financier croissant des frais de justice, le rapporteur spécial considère qu'il est nécessaire de se fixer à nouveau comme objectif de réaliser un suivi réaliste et le plus exhaustif possible des frais de justice dès la commande des prestations.

Recommandation : pour un meilleur suivi des frais de justice, fixer comme objectif un enregistrement des frais de justice dans Chorus dès l'engagement.


* 52 Cour des comptes, Les frais de justice depuis 2011, communication à la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale, septembre 2014.

* 53 Ce délai de forclusion n'a été introduit que récemment, par l'article 236 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, modifiant l' article 800 du code de procédure pénale.

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