C. RÉEXAMINER LE CARACTÈRE OBLIGATOIRE DE CERTAINES EXPERTISES

Les juges disposent de la liberté de prescrire les actes d'enquête qui leur semblent nécessaires à la manifestation de la vérité, à laquelle ils sont légitimement attachés.

L'obligation légale de passer par la PNIJ pour réaliser des mesures d'interception judiciaire est l'un des rares cas dans lesquels la loi leur donne une obligation, mais il s'agit de limiter le choix des prestataires et non de leur interdire de prescrire des mesures.

En sens inverse, toutefois, la loi leur fait fréquemment obligation de prescrire, dans le cadre d'une procédure pénale ou civile, des mesures qui tendent à la manifestation de la vérité et, ce faisant, génèrent des frais de justice.

Exemples d'actes d'enquête obligatoires en application
du code de procédure pénale

- Une expertise médicale est obligatoire en cas de soumission à une injonction de soins (acte 706-47-1, pour des infractions de nature sexuelle) ou pour prononcer une suspension de peine pour un condamné atteint d'une pathologie grave (article 720-1-1).

- Une expertise psychiatrique est réalisée obligatoirement pour accorder une réduction de peine ou une autorisation de sortie à une personne condamnée à un suivi socio-judiciaire (article 712-21). Une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité est nécessaire pour accorder la libération conditionnelle (article 730-2). Une évaluation de la responsabilité pénale est obligatoire pour tout jugement au fond d'un majeur protégé91(*) (article 706-115).

- Une enquête sociale rapide (ESR), prévue par les articles 41 et 81, est obligatoire notamment en cas de placement en détention provisoire lorsque la peine encourue n'excède pas cinq ans d'emprisonnement, en cas de poursuites selon la procédure de comparution immédiate ou en cas de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

- L'assistance d'un interprète est obligatoire à tous les stades d'une procédure pénale pour des personnes ne maîtrisant pas la langue française. En outre, certaines pièces rédigées en langue étrangère doivent obligatoire être traduites (divers articles du code).

Source : commission des finances, à partir des éléments communiqués au rapporteur spécial

Des mesures permettant de mieux connaître les parties au procès, comme les enquêtes sociales rapides et les expertises psychiatriques et psychologiques, sont certes nécessaires afin de permettre au juge de prendre la décision la plus éclairée.

Sur le plan financier, elles peuvent même contribuer à la réduction d'autres postes de dépense du ministère de la justice lorsqu'elles conduisent à décider du recours aux alternatives à l'incarcération et aux aménagements de peine.

Toutefois, comme l'ont souligné plusieurs personnes entendues par le rapporteur spécial, l'obligation systématique prévue par la loi n'est pas toujours pertinente. Pour certains délits mineurs, comme dans l'exemple du vol d'une bouteille d'alcool par une personne faisant l'objet d'une mesure de protection juridique, l'expertise médicale obligatoire tendant à évaluer sa responsabilité pénale peut représenter un coût disproportionné par rapport à l'enjeu du délit.

À l'inverse, il arrive que des expertises psychologiques plus approfondies soient nécessaires, rendant inutile la première expertise imposée par la loi : selon ce qui a été indiqué au rapporteur spécial, cela arrive pour des expertises psychiatriques en garde à vue, dont la qualité est inégale et pour lesquelles il est d'ailleurs difficile de trouver des spécialistes.

Les délais de l'enquête sont ainsi rallongés pour des mesures dont l'utilité n'est pas toujours démontrée.

On ne peut également éviter de mentionner l'enjeu financier, le tarif d'une expertise psychiatrique réalisée par un expert ne relevant pas du statut COSP ayant, comme on l'a vu supra, augmenté de 28,7 % depuis 2021. De même, le coût des enquêtes sociales rapides a été revalorisé en 2021, conduisant à une hausse de 63 % de la dépense entre 2021 et 2022.

Le plan de maîtrise des frais de justice prévoit deux mesures concernant les expertises psychiatriques : poursuivre l'étude d'une éventuelle refonte des grilles des expertises et poursuivre l'étude d'une éventuelle suppression du caractère obligatoire du recours à une expertise psychiatrique pour les délits prévus à l'article 706-47 du code de procédure pénale, lequel concerne la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes.

Ces deux mesures, souvent évoquées au cours des auditions, devraient être mises en oeuvre en cherchant à adapter les prestations aux besoins et à rendre au juge son pouvoir d'appréciation des mesures à prendre, qui ne peut s'apprécier qu'au regard des circonstances de l'affaire et non de manière générale par la loi.

Recommandation : adapter les expertises aux besoins de l'enquête.

En particulier :

- étudier une gradation des tarifications des expertises psychologiques et psychiatriques en fonction de la complexité de l'analyse demandée ;

- envisager de laisser aux magistrats l'appréciation de la nécessité de l'expertise psychologique ou psychiatrique, ainsi que de l'enquête sociale rapide, dans les cas où ces mesures sont actuellement prévues de manière automatique par le code de procédure pénale.


* 91 Les mesures de protection juridique prévues par les articles 489 et suivantes du code civil sont la tutelle, la curatelle et le placement sous la sauvegarde de la justice.

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