III. FAVORISER LES RETOURS FINANCIERS
La justice a un coût, mais elle apporte également des ressources à l'État ou lui permet de réaliser des économies.
En premier lieu, une enquête qui réussit, ce qui implique souvent le déboursement pour l'État de frais de justice, rapporte ensuite, non seulement par le paiement d'amendes mais aussi, et surtout, à terme, par la réduction de la criminalité : un tel retour, qui constitue un objectif fondamental du système de la justice, est impossible à chiffrer mais doit être pris en compte dans tout discours sur le « prix » de la justice.
S'agissant des retours plus strictement financiers, sans revenir aux années 1880 où, comme indiqué supra, le produit des droits de timbre, d'enregistrement et de greffe couvrait environ 80 % du total des dépenses judiciaires, il est possible de chercher à développer les recettes pouvant être apportées en compensation des frais de justice engagés par l'État.
Deux pistes doivent à cet égard être poursuivies : d'une part la vente de biens saisis et confisqués, d'autre part une meilleure participation des parties au paiement des frais de justice.
A. CONTINUER À DÉVELOPPER LA VENTE ET L'AFFECTATION DE BIENS SAISIS OU CONFISQUÉS
Alors que les biens saisis ou confisqués étaient, traditionnellement, considérés uniquement comme des pièces à conviction dans une procédure, ils font aujourd'hui également l'objet d'une perspective patrimoniale.
1. Les biens saisis sont désormais considérés comme des biens valorisables
La loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale a créé à cette fin acteur bien identifié qui est l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc)96(*), établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de la justice et du ministère chargé des comptes publics, afin d'améliorer la saisie, la gestion puis la confiscation et la vente des avoirs criminels. Elle participe à la lutte contre l'économie souterraine afin que « le crime ne paie pas » : comme le faisait remarquer le rapporteur spécial lors d'un précédent rapport de contrôle budgétaire consacré à l'Agrasc97(*), les confiscations sont, dans bien des cas, plus efficaces que les peines de prison.
L'Agrasc gère des biens saisis et confisqués sur l'ensemble du territoire national, procède à leur vente le cas échéant et veille à l'indemnisation prioritaire des parties civiles sur les biens confisqués à la personne condamnée.
Elle procède ainsi à des ventes aux enchères au cours desquelles elle vend les biens qui lui sont remis, parmi lesquels on trouve des maisons, appartements ou immeubles, des véhicules de toute nature, des lingots d'or, meubles, de la vaisselle, des bijoux, de la maroquinerie98(*)... La vente d'un yacht de luxe a, à elle seule, rapporté 10 millions d'euros le 27 mars dernier, soit le montant le plus élevé de l'histoire de l'Agrasc pour un bien non immobilier99(*).
Sur l'année 2024, le produit total des ventes a été de 17,1 millions d'euros ; ce montant est d'ores et déjà dépassé en 2025.
L'Agrasc est également chargée d'affecter à des services de l'État des biens dont la gestion lui est confiée. En 2024, 3 825 biens ont été affectés aux services enquêteurs et judiciaires.
Deux immeubles confisqués ont même été affectés à des associations hébergeant des personnes en état de précarité. L'affectation sociale de biens immobiliers devrait également être ouverte à des collectivités territoriales, en application d'une disposition introduite par le Sénat dans la loi « Rénovation de l'habitat dégradé » du 9 avril 2024100(*). Comme le fait toutefois observer l'Agrasc dans son rapport d'activité 2024101(*), l'application de cette disposition pourrait être limitée par l'absence de mention des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Les affectations sont susceptibles d'appel, ce qui peut accroître les coûts de gardiennage en raison du délai nécessaire pour les procédures : près de 1 million d'euros ont ainsi été dépensés pour le gardiennage du yacht de luxe précité.
2. Le produit des ventes revient principalement au budget général de l'État
Avant le jugement, les ventes font l'objet d'un monopole de la part de l'Agrasc, en application de deux dispositions du code de procédure pénale102(*) par lesquelles le procureur de la République ou le juge d'instruction peut remettre à l'Agrasc, en vue de leur vente, des biens dont la confiscation est prévue par la loi et dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité. Une décision du Conseil constitutionnel a très récemment confirmé la conformité à la Constitution de cette procédure103(*).
Bien que cette mesure survienne avant le jugement, elle ne nuit pas aux intérêts de la personne prévenue dans le cas où elle est finalement innocentée : en effet, son application est limitée aux cas où le maintien en saisie diminue la valeur du bien ou représente un coût de gardiennage excessif, et le produit de la vente est consigné pour être remis au propriétaire après le jugement, s'il n'est pas condamné ou que la confiscation du bien n'est finalement pas ordonnée.
Après le jugement, la vente des biens meubles corporels pour lesquels une décision de confiscation a été prise relève en principe de la compétence du Domaine, mais l'Agrasc peut également être saisie à la demande du procureur de la République104(*).
Le produit total des confiscations a été de 255,1 millions d'euros en 2024, dont 160,2 revenant au budget général de l'État. Le reliquat a les usages suivants :
- 31,0 millions d'euros ont été versés au titre des « biens mal acquis » (BMA)105(*) ;
- 2,0 millions d'euros ont été versés au fonds de lutte contre la prostitution ;
- 50,9 millions d'euros sont revenus à la mission interministérielle de lutte contre les addictions (MILDECA), qui reçoit le produit des décisions de confiscations prononcées dans des dossiers concernant des infractions à la législation sur les stupéfiants.
Versements réalisés par l'AGRASC de 2022 à 2024
(en millions d'euros)
Dans le même temps, l'Agrasc gère un dispositif qui permet d'intéresser les acteurs de la chaîne pénale à développer les saisies et les confiscations, à travers des fonds de concours.
Sur le montant de 160,1 millions d'euros revenant au budget général de l'État, 9,9 millions d'euros sont affectés à l'Agrasc. Ce montant est fixé en loi de finances. L'Agrasc reçoit également une subvention pour charges de service public versée par le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice », à hauteur de 11,2 millions d'euros en 2024.
Ces ressources sont utilisées partiellement pour alimenter plusieurs fonds de concours des ministères. Les sommes sont attribuées à des projets préalablement sélectionnés par la justice, la gendarmerie nationale, la police nationale et les douanes106(*). La direction générale de la cohésion sociale lance également un appel à projets pour l'utilisation du fonds de concours qui lui revient.
Les fonds de concours alimentés par l'Agrasc en 2024
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, à partir du rapport d'activité de l'Agrasc en 2024
Ces dispositifs ne sont toutefois qu'indirectement liés au produit des ventes et ne bénéficient pas réellement de sa dynamique, car aussi bien la subvention de charge pour service public que la fraction du produit des ventes affectés à l'agence sont fixés en loi de finances et ne dépendent donc pas réellement du niveau des ventes. Ces ressources peuvent d'ailleurs être soumises aux mesures de régulation budgétaire en cours d'année (mise en réserve initiale ou surgels, voire annulations de crédits).
En conséquence, si « le crime ne paie pas » les criminels grâce à l'action de l'Agrasc, on ne saurait dire pour autant que « la lutte contre le crime paie » les services du ministère de la justice et l'intérieur : c'est au budget général de l'État que reviennent les sommes qui, le cas échéant, excèdent les prévisions faites en début d'année.
3. L'action de l'agence doit être poursuivie et encouragée
L'Agrasc a fait l'objet d'appréciations positives de la part des procureurs auprès du rapporteur spécial, qui ont considéré que l'Agence était à l'écoute des magistrats et que la vente avant jugement permettait de réduire les frais de gardiennage. Les déplacements de l'Agrasc dans les juridictions pour former les personnels concernés sont particulièrement appréciés. La création récente d'antennes régionales permet d'ailleurs de rapprocher l'agence des juridictions.
Ils ont toutefois souligné, comme les magistrats instructeurs, que cette procédure est très consommatrice de temps pour le magistrat et pour les greffiers, ce qui peut conduire à relativiser le gain obtenu.
L'agence considère pour sa part qu'elle pourrait être mieux intégrée dans certains projets du ministère de la justice, tels que le projet de procédure pénale numérique (PPN).
Elle souligne également que ses résultats sont directement liés aux moyens, notamment humains, dont elle dispose. Ses emplois étaient de 67 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2024.
Le rapporteur spécial, qui suit le développement de l'Agrasc depuis longtemps, considère que l'efficacité de son action et les retours financiers qu'elle apporte au budget de l'État doivent conduire à poursuivre son développement.
Recommandation : poursuivre la montée en puissance de l'Agrasc en considérant les retours financiers apportés par son activité, et mieux intégrer l'Agence dans les systèmes d'information et projets numériques du ministère de la justice, afin qu'elle puisse identifier plus aisément les opportunités de vente de biens confisqués ou saisis.
* 96 Les dispositions sont aujourd'hui inscrites aux articles 706-159 et suivants du code de procédure pénale.
* 97 Pour que le « crime ne paie pas » : consolider l'action de l'Agrasc, rapport d'information n° 421 (2016-2017) d'Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des finances, déposé le 15 février 2017.
* 98 Agrasc, Les ventes aux enchères (site Internet).
* 99 Gendinfo (actualités de la gendarmerie nationale), Un yacht saisi par la section de recherches de Marseille vendu aux enchères au profit de l'État français, 11 avril 2025.
* 100 Neuvième alinéa de l' article 706-160 du code de procédure pénale, modifié par l'article 32 de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement.
* 101 Agrasc, rapport d'activité 2024.
* 102 Articles 41-5 (à l'initiative du procureur de la République) et 99-2 (à l'initiative du juge d'instruction) du code de procédure pénale.
* 103 Décision n° 2025-1156 QPC du 12 septembre 2025.
* 104 Article 707-1 du code de procédure pénale.
* 105 L'Agrasc est chargée de la vente des biens de Rifaat al-Assad, frère de l'ancien président syrien Hafez al-Assad, dont les biens ont été confisqués à la suite de sa condamnation en 2020 par le tribunal correctionnel de Paris, notamment pour blanchiment du produit du détournement de fonds publics syriens. Le produit des confiscations est versé au programme 370 « Restitution des « biens mal acquis » » de la mission « Aide publique au développement », en vue de leur restitution au profit des populations locales syriennes par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
* 106 Le rapport d'activité précise que « la direction ni le conseil d'administration de l'Agrasc n'ont de marge de manoeuvre sur ces projets qui sont présentés dans une liste immuable à l'euro près par les ministères ».