B. FAVORISER LA PARTICIPATION DES PARTIES AUX COÛTS DU PROCÈS
L'article 800-1 du code de procédure pénale, déjà mentionné, pose le principe selon lequel « Les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police sont à la charge de l'État et sans recours contre le condamné ou la partie », sauf dans certains cas.
La situation est différente dans d'autres pays européens. En Allemagne, par exemple, les frais de la procédure sont à la charge du condamné107(*). Au Royaume-Uni, les tribunaux peuvent mettre également à sa charge les frais de poursuite (« prosecution costs ») pour autant que les juges le considèrent « juste et raisonnable »108(*).
En outre, les frais de justice peuvent d'ores et déjà, comme on l'a vu supra, être mis à la charge des personnes condamnées dans certains cas en France : en cas de constitution de partie civile abusive ou dilatoire, lorsque la personne condamnée est une personne morale et lorsqu'une personne prévenue est absente à l'audience alors que des frais d'interprétariat ont été engagés.
Par ailleurs, le principe de gratuité de la justice connaît certains tempéraments, comme le paiement d'un droit fixe de procédure par les personnes condamnées.
Or le code de procédure pénale mettait les frais de justice à la charge du condamné avant 1993. Si la loi du 5 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale a mis fin à ce principe, c'était, selon les termes du rapporteur de la loi au Sénat, en raison des inconvénients liés « notamment à la complexité du calcul des dépens, aux problèmes posés par la gestion d'une masse importante de mémoires et à l'importance des redevables sans domicile fixe »109(*). Plus de trente ans plus tard et avec les progrès considérables des systèmes d'information, notamment l'enregistrement des mémoires dans Chorus, cette argumentation - que la commission des lois, déjà à l'époque, jugeait « peu convaincante » - devrait pouvoir trouver une réponse.
Il paraît donc envisageable d'examiner de quelle manière il serait possible de faire mieux participer les parties et notamment les personnes condamnées aux frais de l'enquête et du procès.
Une participation des parties ou des personnes condamnées ne pourrait toutefois avoir lieu que de manière limitée. Une imputation de l'ensemble des frais de justice sur les personnes condamnées supposerait en effet que le magistrat ou le greffe soit en mesure de déterminer de manière précise et exhaustive la liste et le coût des mesures d'enquête mises en oeuvre au cours de la procédure, ce qui serait extrêmement difficile et nécessiterait des recherches approfondies de la part du greffe, en l'absence de mise en oeuvre de l'identifiant de dossier judiciaire.
En outre, les personnes condamnées ne sont pas toujours solvables et beaucoup d'entre elles ne pourraient rembourser les frais de l'enquête. C'est tout particulièrement vrai des détenus, dont le pécule ne suffit bien souvent pas à assurer l'indemnisation des victimes.
Enfin, la comparaison avec d'autres pays européens doit être nuancée. Selon ce qu'a indiqué au rapporteur spécial l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI), la situation est différente en Allemagne dans la mesure où, par exemple, les interceptions judiciaires y sont beaucoup moins nombreuses, ce qui facilite le remboursement de leur coût.
1. Rendre enfin plus efficace le circuit de recouvrement des amendes et des frais de justice
La première difficulté qui se présente, pour la mise en place d'une participation des personnes condamnées au remboursement des frais de justice, est celle du circuit de recouvrement, qui se pose en termes similaires pour le recouvrement des amendes pénales.
En 2019, le rapporteur spécial notait que le taux de recouvrement des amendes pénales et des droits fixes de procédure (le Trésor public n'étant pas en mesure de distinguer ces deux catégories de ressources) était estimé à 48 %110(*).
Or il semble que les difficultés qu'il avait notées soient toujours largement présentes.
Selon les chiffres recueillis par le rapporteur spécial, les amendes pénales n'ont été recouvrées en 2023 qu'à hauteur de 46 % de la somme due, soit 193 millions d'euros recouvrés pour 420 millions d'euros recouvrables.
Alors qu'il constatait en 2019 l'obsolescence de l'application AMD utilisée pour le recouvrement, le remplacement de ce logiciel a connu de très grandes vicissitudes avec les projets Rocade, puis ROCSP (recouvrement optimisé des créances du service public)111(*), et enfin Nara (nouvelle application du recouvrement des amendes). Ce nouveau projet reprend la partie « amendes » de ROCSP en raison des « nombreuses difficultés » de ce projet112(*), mais sa mise en oeuvre n'est pas prévue avant 2027.
Le rapporteur spécial s'inquiète, une nouvelle fois, des difficultés majeures que rencontrent tant de projets numériques portés par le Gouvernement, alors même que, s'agissant du recouvrement des amendes, chaque année perdue correspond probablement à des recettes manquées pour l'État.
L'enjeu n'est, en tout état de cause, pas seulement lié à l'état des systèmes informatiques, mais aussi à la difficulté à recouvrer les amendes, qui est liée à de difficultés pratiques : alors que, pour des faibles sommes, il serait possible de faire payer la personne à la sortie de l'audience, la limitation des horaires d'ouvertures ou l'absence de terminal pour payer par carte bleue s'y opposent souvent.
Au minimum, il serait nécessaire de définir, en parallèle au plan de maîtrise des frais de justice, un plan d'amélioration du recouvrement des frais de justice et amendes pénales incluant le partage des pratiques entre les juridictions en matière d'identification et de recouvrement.
Recommandation : compléter le plan de maîtrise des frais de justice par un plan d'amélioration du recouvrement incluant les bonnes pratiques des juridictions pour identifier et recouvrer les frais de justice relatifs à une procédure ; améliorer le circuit de recouvrement, notamment en facilitant le paiement à la sortie du procès.
2. Étendre le recouvrement des frais de justice en matière pénale à de nouvelles catégories de personnes
Même si la portée d'un accroissement du nombre de cas dans lesquels les frais de justice peuvent être recouvrés sur les personnes condamnées serait limitée par les difficultés du système de recouvrement, certains ajustements de l'article 800-1 du code de procédure pénale pourraient utilement être étudiés afin d'en déterminer la pertinence et le produit prévisionnel, compte tenu des coûts de mise en oeuvre.
Dans un second temps, l'article 800-1 du CPP pourrait être étendu, par principe, à l'ensemble des personnes physiques condamnées, en permettant au juge la possibilité de les exonérer en tout ou partie, afin de ne mettre en oeuvre les procédures de recouvrement que dans les cas où celui-ci a une bonne probabilité d'aboutir.
Recommandation : étendre le principe de recouvrement des frais de justice pénale à l'ensemble des personnes physiques, avec possibilité d'exonération par le juge.
3. Compléter le champ d'application du droit fixe de procédure, déjà doublé par la dernière loi de finances
En supprimant l'imputation des frais de justice aux personnes condamnées, la loi précitée du 5 janvier 1993 a accru le niveau du droit fixe de procédure dû par toute personne condamnée par une juridiction répressive113(*).
Le montant de ces droits a en outre été multiplié par deux par la dernière loi de finances et s'établit désormais à un montant variant entre 62 et 1054 euros en fonction de la nature de la condamnation.
Nature de la décision |
Montant du droit fixe de procédure |
Ordonnances pénales en matière contraventionnelle ou correctionnelle |
62 euros |
Autres décisions des tribunaux de police et celles des juridictions qui ne statuent pas sur le fond |
62 euros |
Décisions des tribunaux correctionnels |
254 euros114(*) |
Décisions des cours d'appel statuant en matière correctionnelle et de police |
338 euros |
Décisions des cours d'assises |
1 054 euros |
Décisions de la Cour de cassation statuant en matière criminelle, correctionnelle ou de police |
422 euros |
Source : article 1018 A du code général des impôts
En outre, lorsque la personne a été condamnée pour conduite sous l'influence de stupéfiants, les droits fixes de procédure sont augmentés d'une somme forfaitaire représentative des indemnités maximales prévues pour les analyses toxicologiques permettant d'établir la présence de stupéfiants.
Or l'article 1018 A n'inclut pas la mention des décisions des cours criminelles départementales (CCD). Ces nouvelles cours, créées à titre expérimental en 2019 puis généralisées en 2023115(*), jugent en premier ressort les personnes majeures accusées d'un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, lorsqu'il n'est pas commis en état de récidive légale. Elles jugent à plus de 85 % des crimes de viols116(*).
Si l'article 380-19 du code de procédure pénale prévoit que les CCD appliquent, sauf mentions spéciales, les dispositions de ce code relatives aux cours d'assises, le droit fixe de procédure est régi par le code général des impôts et il paraît donc nécessaire de les y mentionner explicitement. Le rapporteur spécial propose de corriger cet oubli en appliquant aux décisions des CCD le même droit de procédure que pour les décisions des cours d'assises.
Recommandation : appliquer le droit fixe de procédure aux personnes condamnées devant une cour criminelle départementale.
4. Réintroduire la contribution au titre de l'introduction d'une instance devant une juridiction
Enfin, certains pays prévoient le paiement d'une contribution lors du dépôt d'une instance devant une juridiction.
En France, une telle contribution avait été créée en 2011, payée par toute personne qui lance une instance devant une juridiction judiciaire ou administrative, puis supprimée dès 2013117(*). En revanche, un timbre fiscal de 225 euros doit être réglé pour un appel, sauf pour les personnes bénéficiant de l'aide juridictionnelle.
Les députés Philippe Gosselin et Naïma Moutchou ont proposé, en 2019, dans un rapport sur l'aide juridictionnelle118(*), de mettre de nouveau en place un tel timbre pour les contentieux civils et administratifs, d'un montant de 50 euros, et d'en affecter le produit au financement d'une extension de l'aide juridictionnelle.
Le Sénat, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, a adopté, sur la proposition de notre collègue Christine Lavarde119(*), un amendement tendant à recréer une telle contribution, fixée à un montant de 50 euros, sans prévoir d'affectation. Cet amendement n'a pas été retenu ensuite dans le texte de la loi de finances élaboré par la commission mixte paritaire.
Un tel droit constituerait des ressources de quelques dizaines de millions d'euros et pourraient donc constituer une compensation partielle du coût de l'enquête et du procès.
Recommandation : proposer d'instaurer à nouveau une contribution de 50 euros au titre de l'introduction d'une instance devant une juridiction.
* 107 Strafprozeßordnung (code de procédure pénale), § 465.
* 108 Voir notamment, pour l'Angleterre et le Pays de Galles, le Prosecution of Offences Act 1985. section 18.
* 109 Rapport n° 44, tome I (1992-1993) de Jean-Marie Girault, fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi portant réforme de la procédure pénale, déposé le 12 novembre 1992.
* 110 Antoine Lefèvre, Amendes pénales : l'urgente modernisation du recouvrement, rapport d'information n° 330 (2018-2019), fait au nom de la commission des finances, déposé le 20 février 2019.
* 111 Voir Le recouvrement des amendes de circulation et des forfaits de post-stationnement : un système grippé ?, Rapport d'information n° 651 (2018-2019) de Thierry Carcenac et Claude Nougeain, fait au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 10 juillet 2019.
* 112 Projet annuel de performances de la mission « Gestion des finances publiques », annexé au projet de loi de finances pour 2025.
* 113 Article 1018 A du code général des impôts.
* 114 Ce droit est doublé si le prévenu n'a pas comparu personnellement et qu'il ne s'acquitte pas volontaire du droit dans un délai d'un mois.
* 115 Articles 380-16 et suivants du code de procédure pénale, introduits par l'article 9 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.
* 116 Rapport d'information n° 1687 sur l'évaluation de la création des cours criminelles départementales, présenté par Pascale Bordes et Stéphane Mazars, déposé par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république de l'Assemblée nationale, 9 juillet 2025.
* 117 Article 1635 bis Q (ancien) du code général des impôts, créé par l'article 54 de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 et abrogé par l'article 128 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.
* 118 Rapport d'information n° 2183 sur l'aide juridictionnelle présenté par Philippe Gosselin et Naïma Moutchou, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République de l'Assemblée nationale, déposé le 23 juillet 2019.
* 119 Amendement n° 1703 au projet de loi de finances pour 2025, présenté par Christine Lavarde et plusieurs de ses collègues, enregistré le 22 novembre 2014.