II. AUTREFOIS RECOUVRÉS SUR LES PARTIES AU PROCÈS, LES FRAIS DE JUSTICE CONSTITUENT AUJOURD'HUI UNE CHARGE CROISSANTE POUR L'ÉTAT

Au 19e siècle, la notion de frais de justice était beaucoup plus large et désignait l'ensemble des charges devant être réglées par les parties au procès, c'est-à-dire une grande partie du coût de justice avant l'instauration du principe de gratuité : frais d'avocat, frais de greffe avant la fonctionnarisation de cette fonction, émoluments du juge dits « épices »11(*)...

Aujourd'hui, le terme définit plutôt, au contraire, l'ensemble des dépenses de procédure qui restent à la charge de l'État.

A. À L'ÉPOQUE MODERNE, L'ÉTAT A PEU À PEU PRIS EN CHARGE UNE PART CROISSANTE DES FRAIS OCCASIONNÉS PAR LES PROCÈS

Selon l'historien Jean-Charles Asselain12(*), qui a retracé l'histoire du budget de la justice, les frais de justice représentaient environ 15 % des dépenses judiciaires13(*) au début du 21e siècle, comme c'était déjà le cas vers 1820. Les crédits budgétaires étaient déjà, bien souvent, inférieurs aux dépenses effectives : on verra plus loin que la pratique d'une sous-budgétisation s'est perpétuée.

L'aide juridique était alors englobée dans le chapitre des frais de justice. Elle en a été disjointe à partir de 1992.

Toutefois, une grande partie des frais retracés par le chapitre « Frais de justice criminelle, correctionnelle et de police » étaient alors récupérables sur les personnes condamnées. Si, en pratique, le taux de recouvrement était inférieur à 50 %, le budget général de l'État était abondé de sommes importantes à ce titre. Il est ainsi estimé que, vers 1880, le produit des droits de timbre, d'enregistrement et de greffe couvrait environ 80 % du total des dépenses judiciaires.

Quant à l'aide juridictionnelle, elle prenait la forme au 19e siècle d'une assistance judiciaire accordée de manière restrictive et dont le financement pesait sur les professions de justice elles-mêmes.

Au 20e siècle, et tout particulièrement après la Seconde Guerre mondiale, une série de réformes ont marqué un vaste transfert de charge des justiciables vers l'État. Les greffiers sont fonctionnarisés dans les années 1960 , l'assistance judiciaire est remplacée en 1972 par l'aide juridique, accordée selon des conditions plus larges et comportant désormais une indemnisation des avocats par l'État ; les droits de timbre et d'enregistrement sont supprimés sur les actes de la justice civile en 197714(*). Demeure toutefois la nécessité de régler un timbre fiscal de 225 euros en cas d'appel.

De même, en matière pénale, l'article 800-1 du code pénal prévoit depuis 199315(*) que « Les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police sont à la charge de l'État et sans recours contre le condamné ou la partie civile, sous réserve des cas prévus aux deux derniers alinéas du présent article ».

Plusieurs limitations à ce principe ont cependant été apportées :

- en cas de constitution de partie civile abusive ou dilatoire, le coût des expertises ordonnées à sa demande peut être mis à sa charge16(*) ;

- lorsque la personne condamnée est une personne morale, les frais de justice exposés au cours de la procédure sont mis à sa charge, sauf si la juridiction en décide autrement17(*) ;

- lorsqu'une personne prévenue est absente à l'audience alors que des frais d'interprétariat ont été engagés, ceux-ci peuvent être mis à sa charge par la juridiction18(*).

Par ailleurs, la personne condamnée doit régler un droit fixe de procédure d'un montant variant de 62 euros pour les ordonnances pénales en matière contraventionnelle ou correctionnelle à 1 054 euros pour les décisions des cours d'assises19(*). Si elle a été condamnée pour conduite sous l'influence de stupéfiants, le montant est rehaussé d'une somme forfaitaire correspondant aux indemnités maximales prévues pour les analyses toxicologiques.

Au total, alors que le budget du ministère de la justice consacré aux institutions judiciaires, et notamment les frais de justice, constituait autrefois une avance de la part de l'État, qui se remboursait au moins en partie par des recettes revenant au budget général, ces dépenses représentent aujourd'hui un coût net.


* 11 Les épices étaient, sous l'Ancien Régime, un « présent constitué d'abord de dragées et de confitures, offert aux juges par les plaideurs à l'occasion d'un procès. Par extension. Taxe due aux juges lors d'un procès. Il fallait payer les épices pour lever l'arrêt. » (dictionnaire de l'Académie française, 9e édition).

* 12 Jean-Charles Asselain, « Le budget du ministère de la Justice de la Restauration au seuil du XXIe siècle », dans L'invention de la gestion des finances publiques, édité par Philippe Bezes et al., Institut de la gestion publique et du développement économique, 2010, https://doi.org/10.4000/books.igpde.1739.

* 13 Donc hors dépenses liées à l'administration pénitentiaire, qui n'a été rattachée au ministère de la justice et à son budget qu'en 2011, et à la protection judiciaire de la jeunesse, devenue une charge de l'État après la Seconde Guerre mondiale.

* 14 Loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977 instaurant la gratuité des actes de justice devant les juridictions civiles et administratives. Le principe de gratuité de la justice est aujourd'hui inscrit à l' article L. 111-2 du code de l'organisation judiciaire.

* 15 Article 120 de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale.

* 16 Article 21 de la loi n° 2007 291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale.

* 17 Article 12 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 pour les personnes morales condamnées, avec extension aux personnes morales ayant conclu une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) par l' article 14 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen.

* 18 Article 17 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

* 19 Article 1018 A du code général des impôts.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page